INTRODUCTION
Les reformulations réalisées lors de la production langagière correspondent à ‘toute manipulation explicite ou toute négociation des objets linguistiques destinées à éclaircir leur forme ou leur sens’ (Griggs, Reference Griggs, Véronique and Cicurel2002: 54). Depuis longtemps étudiées en tant que fenêtre d'observation des mécanismes psychologiques et linguistiques sous-jacents à l'apprentissage d'une langue seconde (Kormos, Reference Kormos1999a, Reference Kormos1999b), les reformulations ‘signalent une « activité cognitive de contrôle des énoncés »’ et démontrent qu'il y a non seulement une réflexion sur la forme de l'énoncé, mais aussi une ‘activité métalinguistique de la part du locuteur’ (Royer, Reference Royer2002: 72). Pour Arroyo (Reference Arroyo2003) et Cammarota et Giacobbe (Reference Cammarota and Giacobbe1986), les reformulations font partie, au même titre que les pauses et les hésitations, de ces ‘traces significatives’ qui permettent de reconstruire le processus d'acquisition. L'utilité de leur étude ne fait donc aucun doute.
Selon Schegloff, Jefferson et Sacks (Reference Schegloff, Jefferson and Sacks1977), une distinction entre qui accomplit et qui amorce la reformulation doit être faite. Ainsi, si une reformulation est accomplie par l'interlocuteur, on l'appellera hétéroreformulation. Celle-ci pourrait être amorcée par le locuteur lui-même et deviendrait une hétéroreformulation autoamorcée ou encore, si elle est amorcée par l'interlocuteur, elle sera appelée hétéroreformulation hétéroamorcée (voir Schegloff et coll., Reference Schegloff, Jefferson and Sacks1977, pour plus de détails). L’autoreformulation, pour sa part, consiste en une reformulation effectuée par le locuteur même. Elle pourrait aussi être hétéro ou encore autoamorcée.
En acquisition des langues secondes (désormais ALS), les autoreformulations des apprenants ont été analysées sous différents angles. Plusieurs études ont, en outre, décrit la nature, la fréquence et la distribution des autoreformulations dans la production orale en langue seconde (désormais L2), afin de faire le lien avec un élément linguistique visé (p.ex., Camps, Reference Camps2003), avec le degré de complexité de différentes tâches de narration (p.ex., Gilabert, Reference Gilabert2007; Kormos, Reference Kormos1999b), avec le niveau de compétence des apprenants de L2 (p.ex., Arroyo, Reference Arroyo2003; Gilabert, Reference Gilabert2007; Kormos, Reference Kormos1999b, Reference Kormos2000) ou encore avec le développement de la compétence langagière des apprenants (p.ex., Griggs, Reference Griggs, Diaz and Pérez1997). Par ailleurs, certains chercheurs se sont intéressés au lien entre les différences individuelles et les autoreformulations produites par les apprenants (p.ex., Fincher, Reference Fincher2006, Kormos, Reference Kormos1999b). Enfin, d'autres tels que Kormos (Reference Kormos2000) et Griggs (Reference Griggs, Véronique and Cicurel2002) se sont interrogés sur le rôle de l'attention dans la production d'autoreformulations, ce qui, selon Kormos (Reference Kormos2000, Reference Kormos2006), constitue un domaine d'étude négligé en dépit du rôle prépondérant que joue l'attention dans l'ALS (Schmidt, Reference Schmidt1990, Reference Schmidt1993, Reference Schmidt1994) et dans l'autorégulation du discours (Kormos, Reference Kormos1999a).
Nous décrirons, dans ce qui suit, comment s'articule cette relation entre les autoreformulations et l'attention en présentant, d'abord, un modèle nous permettant de situer les reformulations dans le processus de production orale et en traitant, ensuite, de l'interaction entre la reformulation et l'attention.
LES AUTOREFORMULATIONS ET LA PRODUCTION ORALE
Le modèle d'autorégulation du discours élaboré par Levelt (Reference Levelt1983, Reference Levelt1989) est sans doute celui le plus couramment utilisé en langue maternelle (désormais L1) afin de définir les autoreformulations dans le processus de la production orale. Ce même modèle a, par ailleurs, été adopté par certains chercheurs en L2 (voir Arroyo, Reference Arroyo2003; Bange et Kern, Reference Bange and Kern1996; Griggs, Reference Griggs, Véronique and Cicurel2002) et adapté par d'autres (voir de Bot, Reference de Bot1992; Kormos, Reference Kormos2006; Poulisse, Reference Poulisse, de Grot and Kroll1997).
Le modèle d'autorégulation du discours (Levelt, Reference Levelt1983, Reference Levelt1989), composé de quatre modules, chacun responsable d'une partie de la production orale, est expliqué comme suit par Griggs (Reference Griggs2007). D'abord, le processus s'initie dans le conceptualiseur où le locuteur conçoit un message correspondant à ses intentions. Ce message est ensuite expédié au formulateur où il est permuté en message préverbal selon un plan de discours interne. L’articulateur convertit enfin le discours interne en discours énoncé. Le système de compréhension du discours sert, pour sa part, de dispositif de régulation auditive de son propre discours et du discours d'autrui (Griggs, Reference Griggs2007).
L’autorégulation (self-monitoring), à savoir la régulation normale du discours par le locuteur (Bange et Kern, Reference Bange and Kern1996: 71), se déroule tout au long du processus de production orale en trois boucles successives. Premièrement, le message conceptuel est vérifié avant de passer du conceptualiseur au formulateur afin de s'assurer que le message correspond aux intentions du locuteur. Ensuite, une fois qu'un message préverbal est formulé, il est vérifié avant d'être articulé. Dans une dernière étape, le message est vérifié tout en étant articulé. Cependant, pendant la production orale, ‘lorsque des difficultés apparaissent, l'attention se focalise sur des problèmes à résoudre’ (Bange et Kern, Reference Bange and Kern1996: 71), et alors s'enclenche ce que les auteurs appellent ‘le régime contrôlé du discours’ dans lequel se produisent les autoreformulations (Bange et Kern, Reference Bange and Kern1996). Voilà pourquoi certains chercheurs dont notamment Izumi (Reference Izumi2003) et Kormos (Reference Kormos1999a, Reference Kormos1999b, Reference Kormos2006) croient que l'autorégulation favorise l'ALS, l'autorégulation résultant d'une attention portée à un manque dans le système langagier des apprenants de L2 (Kormos, Reference Kormos2006: 123).
Par la suite, l'apprenant qui a remarqué un manque dans son système langagier lors de sa production orale a le choix d'effectuer ou non une modification (Kormos, Reference Kormos1999a). Si cette modification est réalisée, elle constitue une autoreformulation.
Levelt (Reference Levelt1983, Reference Levelt1989) identifie deux grandes catégories d'autoreformulations. Les autoreformulations masquées (covert self-repairs) se manifestent sous forme de faux départs, d'hésitations et de pauses et se produisent lorsque le message est vérifié avant d'être articulé.Footnote 2 Ensuite, les autoreformulations manifestes (overt self-repairs), à savoir les reformulations verbalisées, se produisent lorsque l'apprenant perçoit un élément qu'il souhaite changer dans sa production. Elles se divisent, dans le modèle de Levelt, en deux grandes catégories de régulation (monitoring) des erreurs (Kormos, Reference Kormos1999a, Reference Kormos1999b). La première catégorie comprend les erreurs dont l'origine est préverbale, à savoir celles qui relèvent du stade de conceptualisation du message. Cela inclut les D-reformulations (different information repairs) qui impliquent que le locuteur réalise que le contenu du message ne correspond pas à ses intentions, nécessitant un changement complet du message, et les A-reformulations (appropriacy repairs) qui ne concernent que la justesse du message (appropriateness). Le locuteur remarque ainsi que le message, tout en correspondant à ses intentions, est ambigu tant en raison des éléments présents que ceux absents. Ce message est renvoyé aux stades de conceptualisation et formulation. Finalement, les E-reformulations consistent en des reformulations d'erreurs liées au code et correspondent à l'étape de la formulation. Elles peuvent être, selon Levelt de trois ordres différents: EL-reformulation (lexique), ES-reformulation (grammaire) et EP-reformulation (phonologie). À cela s'ajoutent de nouvelles catégories, comme les EG-reformulation (genre grammatical) ou les EM-reformulation (morphologie), créées lors de l'étude des autoreformulations en L2 (Bange et Kern, Reference Bange and Kern1996: 76).
L'AUTOREGULATION, L'ATTENTION ET LES AUTOREFORMULATIONS
L'autorégulation implique des processus contrôlés (Levelt, Reference Levelt1989) qui, selon Kormos (Reference Kormos1999a), exercent une grande demande sur les ressources attentionnelles. Les ressources attentionnelles également appelées ‘capacité attentionnelle’ (p.ex., Camus, Reference Camus1996), sont pour plusieurs dont Levelt (Reference Levelt1989), sélectives et à capacité limitée.
Dans le cas de la production orale en L2, cette demande attentionnelle exigée par l'autorégulation du discours est encore plus importante (p.ex., Griggs, Reference Griggs2007), car les mécanismes de production ne sont pas nécessairement entièrement automatisés (p.ex., de Bot Reference de Bot1996; Kormos, Reference Kormos2006) faisant ainsi varier en nombre et en type les autoreformulations produites par les apprenants de L2.
Le caractère limité et sélectif de l'attention semble donc revêtir une grande importance dans la production d'autoreformulations en L2. Étant donné que la capacité attentionnelle varie d'un individu à l'autre (Mackey, Philp, Egi, Fujii et Tatsumi, Reference Mackey, Philp, Egi, Fujii, Tatsumi and Robinson2002), il y a tout lieu de croire qu'elle est en interaction avec la capacité à produire des autoreformulations. Cette idée est d'ailleurs évoquée dans les travaux de Kormos (p.ex. Reference Kormos2000, Reference Kormos2006).
LES AUTOREFORMULATIONS ET LA CAPACITE ATTENTIONNELLE
À notre connaissance, seule Fincher (Reference Fincher2006) a tenté d'établir un lien entre la production d'autoreformulations autoamorcées d'apprenants de L2 et leur capacité attentionnelle. Son étude a consisté en l'analyse des autoreformulations autoamorcées produites par cinq apprenants (incluant la chercheure) du; japonais L2 au Japon et à les mettre en lien avec la saisie (noticing) d'information langagière, leur capacité attentionnelle et mnémonique ainsi que leur niveau de compétence en L2. Afin de pouvoir mesurer les autoreformulations autoamorcées produites par les participants, sept heures d'interactions en salle de classe ont été enregistrées et codées. La mesure de la capacité attentionnelle, pour sa part, s'est effectuée au moyen de deux tests réalisés en ligne: le premier, un test d'autoévaluation de la capacité à porter attention à l'apprentissage de la langue, et le second, un test de mémoire et d'attention servant à mesurer la capacité à maintenir des instructions en mémoire à court terme et à les appliquer rapidement et correctement. Les statistiques descriptives des données recueillies ont permis de faire ressortir, selon l'auteure, des différences entre la fréquence de chaque type d'autoreformulations autoamorcées produites. En effet, il semble que les cinq participants, qui ont en moyenne produit 11 autoreformulations, ont reformulé un plus grand nombre d'éléments syntaxiques que d'éléments liés à la prononciation et au lexique. Bien que les études antérieures aient, en général, observé, à partir de leurs statistiques descriptives, des variations de cet ordre entre les types d'autoreformulations (p.ex., O'Connor, Reference O'Connor and Walsh1988), ces résultats sont néanmoins différents en ce qui concerne le type le plus observé, les études antérieures ayant rapporté un plus grand nombre de reformulations liées au lexique (p.ex., Bredard, Reference Brédart1991; Lennon, Reference Lennon, Dechert, Möhle and Raupach1984). Aussi, aucune différence significative en ce qui concerne leur niveau d'attention mesurée à l'aide du test d'autoévaluation et à l'aide du test de mémoire et d'attention n'a pu être observée. L'auteure conclut donc que les différences observées dans les reformulations produites par les participants ne peuvent être attribuées à la capacité attentionnelle ou encore à la mémoire. Cependant, étant donné le faible nombre de participants et la nature des tests utilisés afin de mesurer, plus particulièrement, l'attention, il est possible de penser que d'autres résultats pourraient être obtenus avec un plus grand nombre de participants ainsi qu'à l'aide d'un test spécifiquement conçu pour mesurer uniquement l'attention.
À cet égard, notons que selon Kormos (Reference Kormos1999b), les chercheurs en L2 observent, à travers leurs analyses de corpus de productions langagières, l'influence de certaines caractéristiques individuelles sur les autoreformulations. ‘[. . .] researchers upon analysing L2 speech production data frequently observe that the self-correction behaviour of L2 learners is influenced by certain individual characteristics’ (p.8). Cependant, il semble, toujours selon l'auteure, que ces observations ne soient pas effectuées à partir d'instruments de mesure psychométrique et donc, que les conclusions à cet égard demeurent toujours à être vérifiées.
OBJECTIF ET QUESTION DE RECHERCHE
Nous avons souhaité, dans le cadre de notre étude, réexaminer le lien entre les autoreformulations produites lors d'une tâche de narration et la capacité attentionnelle d'apprenants de L2 afin de vérifier si d'autres variables, telles que le choix d'instruments utilisés afin de mesurer la capacité attentionnelle, ne pourraient pas expliquer les résultats obtenus par Fincher (Reference Fincher2006), en posant la question suivante: Y a-t-il un lien entre le nombre d'autoreformulations autoamorcées produites par des apprenants du français L2 lors d'une narration et leur capacité attentionnelle?
PRÉSENTE ÉTUDE
Afin de répondre à cette question de recherche, nous avons mené une étude expérimentale visant à mettre en lien les autoreformulations autoamorcées formulées par des apprenants de FLS et leur capacité attentionnelle. Nous avons eu recours à une tâche de narration afin d'observer les autoreformulations autoamorcées produites par nos participants et de mesurer leur compétence orale, et à une mesure de la capacité attentionnelle. Les différents aspects de la méthode retenue dans le cadre de notre étude sont présentés dans ce qui suit.
Participants
Vingt-trois participants (n = 23) ont pris part à l'étude, soit 6 hommes et 17 femmes, dont l'âge moyen correspond à 36 ans (max: 55, min: 27). Tous les participants étaient inscrits dans des cours de français langue seconde de niveau avancé d'une université de la région de Montréal. Les participants, de langues maternelles variées (chinois: 10; espagnol: 10; russe: 1; bulgare: 1, arabe:1), vivent au Québec depuis en moyenne 3 ans et 8 mois et y étudient le français depuis environ deux ans et demi. Seulement dix d'entre eux avaient étudié le français avant leur arrivée au Québec.
Instruments de collecte
Nous avons eu recours à trois instruments afin de recueillir nos données: le test d'attention D2 (Brickenkamp et Zillmer, Reference Brickenkamp and Zillmer1998), une tâche de narration et un questionnaire de données sociodémographiques. Nous décrivons, dans ce qui suit, ces trois instruments.
Test d'attention D2. Le test d'attention D2 vise, à la fois, une mesure de l'attention et de la concentration, donc une mesure de la capacité attentionnelle (Tognoli et Toniolo, Reference Tognoli and Toniolo2003) qui se veut indépendante de l'intelligence (Brickenkamp et Zillmer, Reference Brickenkamp and Zillmer1998). Ce test consiste en une épreuve de barrage dans laquelle le participant doit détecter et barrer tous les ‘d’ accompagnés de deux traits, et ce parmi des ‘d’ ou des ‘p’ accompagnés de un à quatre traits. L'épreuve compte 14 lignes, et le participant dispose de 20 secondes par ligne; le temps est contrôlé par l'examinateur qui doit avertir le participant de changer de ligne une fois les vingt secondes écoulées. La performance du participant est évaluée selon différents critères. Dans le cadre de la présente étude, nous avons utilisé le résultat de performance globale, soit le nombre total de caractères traités moins le nombre brut d'erreurs commises par les participants, car il présente une grande fiabilité (Brickenkamp et Zillmer, Reference Brickenkamp and Zillmer1998: 13) ainsi que l'indice de performance qualitative (pourcentage d'erreurs), car il offre une information à propos de la qualité de la performance (Brickenkamp et Zillmer, Reference Brickenkamp and Zillmer1998: 13). Dans ce cas précis, un faible nombre d'erreurs est souhaité (Brickenkamp et Zillmer, Reference Brickenkamp and Zillmer1998: 13) et signifie une plus grande concentration lors de la réalisation de la tâche.
Tâche de narration. Nous avons eu recours à la narration à partir d'images afin de recueillir les autoreformulations autoamorcées des participants. D'abord, cette tâche, considérée comme étant communicative (Pica, Kanagy et Falodun, Reference Pica, Kanagy, Falodun, Crooks and Gass1993; Shehadeh, Reference Shehadeh2001), a souvent été utilisée par les chercheurs en L2 afin de susciter la production orale chez les apprenants (Rossiter, Derwing et Jones, Reference Rossiter, Derwing and Jones2008), car elle est reconnue pour mener à l'observation des comportements d'interaction langagière (Pica et coll., Reference Pica, Kanagy, Falodun, Crooks and Gass1993). Aussi, elle a été utilisée à plusieurs reprises dans les études portant sur les reformulations (p.ex., Gilabert, Reference Gilabert2007, Bange et Kern, Reference Bange and Kern1996; Camps, Reference Camps2003) et est considérée comme favorisant la production d'autoreformulations autoamorcées (p.ex., Gilabert, Reference Gilabert2007).
Dans le cadre de la présente étude, nous avons utilisé l'histoire A boy, A dog, and A frog (Mayer, Reference Mayer1967), composée d'une vingtaine d'images, imprimées et collées sur des cartons afin que les participants puissent avoir une vue complète de l'histoire. Par ailleurs, du temps de préparation a été alloué à nos participants. Ce temps vise à favoriser la complexité grammaticale dans le cadre d'une tâche de narration (Yuan et Ellis, Reference Yuan and Ellis2003; Foster et Skehan, Reference Foster and Skehan1996) et permet aussi au participant, selon Ortega (Reference Ortega1999), de porter une attention plus grande à la forme lors de sa production. De plus, il est recommandé de laisser au moins une minute de planification afin de favoriser la précision dans la production orale (p.ex., Mehnert, Reference Mehnert1998). Nous avons choisi d'accorder cinq minutes de préparation afin de nous assurer que tous les participants auraient le temps de prendre connaissance des nombreuses images représentant l'histoire. Par ailleurs, nous sommes volontairement restés assez vague sur le temps alloué pour la réalisation de la tâche (entre 5 et 10 minutes) afin de favoriser la planification lors de la réalisation de la tâche (notre traduction de: on-line planning). Selon Yuan et Ellis (Reference Yuan and Ellis2003), cette planification en temps réel permet d'observer un plus grand nombre de reformulations (p.17).
Questionnaire de données sociodémographiques. Par le biais de ce questionnaire, nous avons pu recueillir des informations au sujet de l'âge, de la langue maternelle et des autres langues connues, et du niveau de scolarité des participants.
Procédure
Après avoir obtenu leur consentement, nous avons rencontré les participants individuellement dans un local de recherche. Ils ont été soumis au test d'attention D2. Puis, nous leur avons montré les images constituant l'histoire en leur donnant, à l'oral et avec un support écrit, la consigne suivante:
Regardez attentivement les images qui se trouvent sur l'affiche devant vous. Elles vous serviront à raconter l'histoire d'un garçon, d'un chien et d'une grenouille. Vous aurez 5 à 10 minutes pour raconter l'histoire. Avant de me raconter votre version de cette histoire, je vous laisse cinq minutes pour vous préparer. Pendant ce temps, vous pouvez prendre quelques notes sur le papier fourni à cet effet afin de vous aider à organiser vos idées. Cependant, vous ne devez pas rédiger l'histoire. Vous ne pourrez pas vous servir de ces notes lorsque vous raconterez l'histoire.
Les cinq minutes de préparation écoulées, les participants devaient raconter l'histoire, sans leurs notes, mais tout en conservant l'accès aux images, ce qui correspond à la procédure utilisée par plusieurs auteurs (p.ex., Skehan et Foster, Reference Foster and Skehan1996; Ortega, Reference Ortega1999; Tavakoli et Foster, Reference Tavakoli and Foster2008). Les narrations ont été enregistrées sur bande audio afin de procéder à l'analyse.
Traitement des données
Après avoir collecté l'ensemble des données, nous les avons saisies et codées selon les mesures souhaitées. Nous présentons dans ce qui suit la façon dont nous avons procédé.
Transcription des narrations. Dans un premier temps, nous avons effectué, pour chaque participant, la transcription de deux minutes de narration à partir de la vingtième seconde, les vingt premières secondes étant considérées comme une période de réchauffement. Les deux minutes transcrites correspondent à la durée maximale de production orale commune au plus grand nombre de participants. La transcription a été réalisée par une première personne et ensuite vérifiée par deux autres à tour de rôle.
Identification et codification des autoreformulations autoamorcées. Lorsque la vérification des transcriptions a été terminée, les autoreformulations autoamorcées ont été identifiées. Pour ce faire, nous avons, à partir des études de Kormos (Reference Kormos2000), de Bange et Kern (Reference Bange and Kern1996) et de Levelt (Reference Levelt1983, Reference Levelt1989), établi un protocole de codification. Selon ce protocole, toutes les autoreformulations de type manifeste devaient, dans un premier temps, être codées sans égard à la catégorie de reformulations à laquelle elles appartenaient. Il est à noter que les séquences de reformulation ont été délimitées selon la structure proposée par Levelt (Reference Levelt1983: 45). Aussi, toutes les transcriptions ont été codées de façon indépendante par deux évaluateurs. Ces codifications ont été mises en commun par un troisième évaluateur qui a rejeté les autoreformulations au sujet desquelles il y avait désaccord. Le coefficient d'accord entre les codifications des deux premiers juges s'élevait à 98%. Un nombre total de reformulations par participant a été établi. Nous présentons, ci-dessous, des exemples de reformulations que nous avons identifiées dans les narrations de nos participants:
(1) ‘[. . .] il est tromb. . . euh. . . non il est trompe, il est trompé, il est chuté [. . .]’
(2) ‘Il a créé un une plan un plan une plan [. . .]’
(3) ‘[. . .] avec le. . . son chien [. . .]’
Dans un second temps, nous avons codé le type d'autoreformulations autoamorcées. Les études antérieures en L2 (p.ex., Bange et Kern, Reference Bange and Kern1996; Fincher, Reference Fincher2006; Griggs, Reference Griggs, Diaz and Pérez1997; Kormos, Reference Kormos2000) établissent leurs catégories à partir des travaux de Levelt (Reference Levelt1983, Reference Levelt1989). Dans les faits, leurs catégories varient d'une étude à l'autre, et souvent, ne sont pas opérationnalisées exactement de la même façon, rendant difficiles les comparaisons directes. Il en va de même du calcul de rapport entre les autoreformulations et ce qui est produit par le participant qui, lui aussi, diffère souvent d'une étude à l'autre (voir, par exemple, les méthodes utilisées par Bange et Kern, Reference Bange and Kern1996; Griggs, 2003 et Kormos, Reference Kormos1999b). Cependant, un point commun semblant ressortir des études auxquelles nous nous référons correspond à l'objet auquel est liée l'autoreformulation. Celui-ci peut-être lié à la forme, ou encore au choix d'élément langagier effectué par les locuteurs.
Nous avons donc choisi de coder les autoreformulations observées dans notre étude selon qu'elles portent sur la forme (A-forme) ou encore sur le choix (A-choix) d'un élément langagier. Les A-forme correspondent aux autoreformulations autoamorcées dont l'objet est un changement lié au genre, au nombre et aux conjugaisons.
(1) ‘il pense il a pensé rien’
(2) ‘le l'attraper’
Les A-choix, pour leur part, correspondent aux autoreformulations autoamorcées dont l'objet correspond à un changement d'élément langagier (p.ex., choix de mot, choix de déterminant).
(3) ‘il v. . . elle voit ‘
(4) ‘le son chien’
Toutes les autoreformulations autoamorcées d'abord identifiées ont été codées de façon individuelle par trois juges. Le niveau d'accord entre les trois juges a été vérifié à l'aide d'un Kuder-Richardson-20. Le coefficient obtenu de cette analyse s'est élevé à .929.
Calcul des ratios mots/autoreformulations autoamorcées. Tout comme Griggs (Reference Griggs, Véronique and Cicurel2002), nous avons calculé le ratio de reformulations par nombre de mots produits pendant les deux minutes de narration transcrites pour chaque participant. D'abord, nous avons calculé le nombre de mots produits pendant ces deux minutes de transcription. Pour ce faire, nous avons eu recours à la procédure développée par Griggs (Reference Griggs, Diaz and Pérez1997) selon laquelle seulement les mots apportant une information nouvelle sont calculés. Ainsi, les secondes parties de répétitions, les faux départs et les mots répétés et reformulés compris dans les séquences de reformulations ne sont pas inclus dans le total (Griggs, Reference Griggs, Diaz and Pérez1997: 410). Enfin, les métacommentaires en français (p.ex., ‘je ne sais pas comment on dit ça’) ainsi que les mots d'autres langues utilisés afin de compléter le discours (par exemple, une participante a utilisé le mot ‘enjoy’ lors de sa narration), n'ont également pas été pris en compte. Afin d'obtenir les ratios, nous avons divisé le nombre de mots obtenus à la suite de l'application de la procédure de Griggs par le nombre d'autoreformulations autoamorcées pris globalement et ensuite par catégorie (A-forme ou A-choix). Encore une fois, tous les mots apportant une information nouvelle ont été codés de façon indépendante par deux évaluateurs. Ces codifications ont ensuite été mises commun par un troisième évaluateur qui a rejeté les éléments au sujet desquels il y avait désaccord.
Compétence orale. Dans un troisième temps, nous avons évalué la compétence orale des participants à partir des narrations produites. Les narrations sont considérées par certains comme un aspect avancé de la compétence orale en L2 (p.ex., Geva, Reference Geva, August and Shanahan2006). Nous voulions, avec cette mesure, nous assurer que nos participants étaient, au moment de l'étude, comparables en ce qui a trait à leur compétence orale, celle-ci étant en lien avec la production d'autoreformulations (Gilabert, Reference Gilabert2007; Kormos, Reference Kormos2006). Pour ce faire, nous avons eu recours à une grille que nous avons adaptée des grilles d'évaluation de la production orale en L2 produites par Upshur et Turner (Reference Upshur and Turner1999) et par White et Turner (Reference White and Turner2005) (Annexe 1). Cette grille consiste en trois questions posées aux évaluateurs et menant à l'attribution d'une note maximale de six. Tout comme White et Turner (Reference White and Turner2005), nous avons additionné les résultats fournis par les trois juges. Le résultat total est donc de 18.
Test D2 d'attention. Le test D2 d'attention a été codé selon la procédure proposée. Afin d'établir le résultat de performance globale, nous avons calculé, dans un premier temps, la performance quantitative, à savoir le nombre total de caractères traités. Dans un second temps, le nombre total d'erreurs commises par omission de barrage est déduit du résultat de performance quantitative afin d'obtenir l'indice de performance globale. Ensuite, sur la base du résultat de performance quantitative, nous avons créé deux groupes, ceux ayant commis moins d'erreurs (ceux dont le résultat se situent dans les quartiles 3, 4-4e) et ceux ayant commis plus d'erreurs (ceux dont le résultat se situent dans les quartiles 1-1e et 2) (Brickenkamp et Zillmer, Reference Brickenkamp and Zillmer1998: 62).Footnote 3
Analyses des données
Nous avons, d'abord, vérifié la normalité de la distribution de nos résultats à l'aide du test Shapiro Wilk. Ensuite, deux séries d'analyses ont été réalisées afin de répondre à notre question de recherche. Dans un premier temps, nous avons comparé les résultats de performance globale au test d'attention aux ratios mots/autoreformulations autoamorcées et aux ratios établis pour chacune des deux catégories d’ autoreformulations autoamorcées à l'aide du Rho de Spearman. Nous avons, enfin, vérifié l'interaction entre le fait d'appartenir à un groupe attentionnel ou à l'autre (groupes Bas et Élevé) et les ratios mots/autoreformulations autoamorcées à l'aide du U de Mann-Whitney et d'une analyse de la variance (ANOVA). L'intervalle de confiance a été établi à 95% (0,05).
RÉSULTATS
Les résultats de l'analyse vérifiant la normalité de la distribution des mesures de compétence orale et d'attention sont présentés au Tableau 1.
Tableau 1. Distribution des résultats: compétence orale et attention
![](https://static.cambridge.org/binary/version/id/urn:cambridge.org:id:binary:20151017034701187-0877:S0959269510000591_tab1.gif?pub-status=live)
Note. N = 23. Attention = indice de performance globale.
La distribution de nos résultats s'avère normale dans le cas de la compétence orale et de l'attention (indice de performance globale). Nous présentons, donc, dans le Tableau 2, le résultat moyen et l'écart-type pour la compétence orale et le test d'attention.
Tableau 2. Moyennes et écarts-types: compétence orale et attention
![](https://static.cambridge.org/binary/version/id/urn:cambridge.org:id:binary:20151017034701187-0877:S0959269510000591_tab2.gif?pub-status=live)
Note. Attention = indice de performance globale.
Il est possible de remarquer que la moyenne des résultats obtenus par les participants pour la compétence orale, pourtant inscrits dans un cours avancé de français L2, n'atteint pas 9, soit 50%. Pour ce qui est du résultat obtenu au test d'attention, les participants se retrouvent très légèrement au-dessus du résultat moyen lorsqu'ils sont comparés à l'échantillon total de 718 participants de Brickenkamp et Zillmer (Reference Brickenkamp and Zillmer1998).
Le Tableau 3 présente les résultats de l'analyse vérifiant la normalité de la distribution des ratios mots/autoreformulations autoamorcées.
Tableau 3. Distribution des résultats: ratios mots/autoreformulations autoamorcées
![](https://static.cambridge.org/binary/version/id/urn:cambridge.org:id:binary-alt:20160716005631-17098-mediumThumb-S0959269510000591_tab3.jpg?pub-status=live)
Note. N = 23. AR-AA: autoreformulations autoamorcées.
Il est possible de constater que, contrairement aux deux mesures précédentes, aucun des ratios ne s'avère être normalement distribué. Ainsi, le Tableau 4 présente les médianes et les écarts interquartiles pour les ratios mots/autoreformulations autoamorcées (pris globalement et par type de catégories).
Tableau 4. Médianes et écarts interquartiles: ratios mots/autoreformulations autoamorcées
![](https://static.cambridge.org/binary/version/id/urn:cambridge.org:id:binary:20151017034701187-0877:S0959269510000591_tab4.gif?pub-status=live)
Note. AR-AA = autoreformulations autoamorcées.
Il semble que la médiane observée pour les A-forme est plus élevée que celle des A-choix. Cependant, l'écart interquartile qui lui est associé est également nettement plus grand. Cette valeur est due au fait qu'un certain nombre de participants (n = 5) n'ont pas formulé de A-forme (n = 0) contribuant ainsi à augmenter l'écart interquartile. Afin de vérifier si cette différence est statistiquement significative, nous avons eu recours au test de Wilcoxon. L'analyse n'a révélé aucune différence entre nos deux types de catégories.
Nous avons, dans un second temps, eu recours au Rhô de Spearman (Hatch et Lazaraton, Reference Hatch and Lazaraton1991) afin de vérifier si un lien existe entre les différents ratios de mots/autoreformulations autoamorcées et l'indice de performance globale du test d'attention. Les résultats de l'analyse ne nous ont pas permis d'observer de corrélation entre ces deux variables que ce soit pour les autoreformulations prises globalement (ρ = −0.167; p = 0.442) ou par catégorie (A-forme, ρ = −0.109; p = 0.620; A-choix, ρ = −0.240; p = 0.270).
Ensuite, à l'aide de l'indice de performance qualitative du test d'attention nous avons créé nos deux groupes de participants: 1) ceux ayant obtenu un faible pourcentage d'erreurs (groupe Bas) (n = 13), et 2) ceux ayant obtenu un pourcentage élevé (groupe Élevé) (n = 10). Nous avons vérifié, encore une fois, la normalité de la distribution des résultats pour ce qui est de leur compétence orale. Les résultats de cette analyse sont présentés au Tableau 5.
Tableau 5. Distribution des résultats selon les groupes: compétence orale
![](https://static.cambridge.org/binary/version/id/urn:cambridge.org:id:binary:20151017034701187-0877:S0959269510000591_tab5.gif?pub-status=live)
Les résultats nous indiquent que nos données sont normalement distribuées. Le tableau 6 présente donc les moyennes obtenues pour la compétence orale.
Tableau 6. Résultats obtenus par chacun des groupes: compétence orale
![](https://static.cambridge.org/binary/version/id/urn:cambridge.org:id:binary:20151017034701187-0877:S0959269510000591_tab6.gif?pub-status=live)
Bien que la moyenne obtenue par le groupe Bas semble être supérieure à celle du groupe Élevé, aucune interaction n'a également pu être observée entre les profils attentionnels et la compétence à l'oral (F(1,21) = 3.868, n.s.), nous indiquant que nos deux groupes sont comparables quant à leur compétence orale.
Nous avons, ensuite, vérifié la distribution des résultats en ce qui concerne les ratios d'autoreformulations autoamorcées. Le Tableau 7 présente les résultats obtenus de l'analyse.
Tableau 7. Distribution des résultats selon les groupes: ratios mots/autoreformulations autoamorcées
![](https://static.cambridge.org/binary/version/id/urn:cambridge.org:id:binary-alt:20160716005631-41291-mediumThumb-S0959269510000591_tab7.jpg?pub-status=live)
Les résultats obtenus démontrent que les ratios mots/autoreformulations autoamorcées pris globalement et par type A-choix pour le groupe Élevé ne sont pas normalement distribués. Le Tableau 8 comporte les médianes et écarts interquartiles par groupe pour les ratios mots/autoreformulations autoamorcées pris globalement et pour les ratios mots/A-choix. Dans le cas des ratios mots/A-forme, nous présentons la moyenne et l'écart-type.
Tableau 8. Résultats pour chacun des groupes: ratios mots/autoreformulations autoamorcées
![](https://static.cambridge.org/binary/version/id/urn:cambridge.org:id:binary-alt:20160716005631-06728-mediumThumb-S0959269510000591_tab8.jpg?pub-status=live)
La lecture du Tableau 8 nous permet de constater que les médianes sont sensiblement les mêmes d'un groupe à l'autre, mais toujours légèrement plus élevées pour le groupe Élevé. La seule différence importante se trouve entre les moyennes des groupes Bas et Élevé pour les ratios mots/A-forme, le groupe Élevé ayant obtenu une moyenne supérieure à celle obtenue par l'autre groupe.
Nous avons, enfin, examiné si des interactions existent entre les profils attentionnels et les ratios mots/autoreformulations autoamorcées. Le U de Mann-Whitney et l'analyse de la variance (ANOVA) n'a révélé aucune interaction entre les deux groupes attentionnels et les ratios mots/AR-AA pris globalement (U(23) = 57.00, n.s.) et par type de catégories (A-forme, F(1,21) = 1.499, n.s.; A-choix, U(23) = 64.00, n.s.).
DISCUSSION
Nous nous étions donné comme objectif de vérifier s'il existe un lien entre les autoreformulations autoamorcées et la capacité attentionnelle mesurée à l'aide d'un test de l'attention dit psychométrique. Pour ce faire, nous avons mis en place une étude expérimentale au cours de laquelle nos participants ont produit une narration à partir d'une série d'images et ont réalisé le test d'attention D2.
À partir des données obtenues de cette collecte, nous avons, d'abord, calculé les ratios mots/autoreformulations autoamorcées pris globalement et par type de catégories (A-forme et A-choix). Nous avons, ensuite, mené une analyse qui nous a permis de constater qu'il n'y avait aucune différence statistiquement significative entre les deux types de catégories d'autoreformulations autoamorcées, à savoir A-forme et A-choix, et ce, même si les médianes étaient sensiblement plus élevées pour les A-forme. Il est intéressant de noter que bien que les statistiques descriptives laissent voir des différences entre les catégories de l'ordre de celles rapportées dans les études antérieures, nous pensons entre autres ici aux travaux de Griggs (Reference Griggs, Véronique and Cicurel2002) et à ceux d'Arroyo (Reference Arroyo2003) qui ont observé des différences de fréquences entre les types de catégories d'autoreformulations, nos analyses statistiques inférencielles ne nous ont pas permis d'affirmer que ces différences étaient statistiquement significatives. Il est également intéressant de noter que Fincher (Reference Fincher2006), contrairement aux études antérieures, a également observé un nombre plus élevé d'autoreformulations liées à la forme grammaticale qu'à tout autre type de catégorie. Toutefois, des analyses statistiques inférencielles qui nous auraient permis de savoir si les résultats obtenus par Fincher (Reference Fincher2006) dans chacune des catégories étaient bel et bien différents n'ont pas été réalisées.
Ensuite, afin de répondre à notre question de recherche qui était ‘Y a-t-il un lien entre le nombre d'autoreformulations autoamorcées produites par des apprenants du français L2 lors d'une narration et leur capacité attentionnelle?’ nous avons, dans un premier temps, réalisé une analyse corrélationnelle à l'aide du test Rhô de Spearman entre les résultats de performance globale du test d'attention et les différents ratios mots/autoreformulations autoamorcées (pris globalement et par type de catégories). L'analyse n'a révélé aucune association significative entre ces variables. Nous avons, dans un second temps, divisé nos participants en deux groupes selon leur indice de performance qualitative basée sur le pourcentage d'erreurs commises lors de la réalisation du test d'attention (c.-à-d., groupe Bas, groupe Élevé). Une première analyse des deux groupes a permis d'établir qu'ils étaient comparables en ce qui a trait à leur compétence orale, et ce, même si la statistique descriptive montrait une moyenne plus élevée pour le groupe Bas. En ce qui concerne les ratios mots/autoreformulations obtenus par chacun des groupes, ceux-ci se sont toujours avérés légèrement plus élevés pour le groupe Élevé que pour le groupe Bas. Nous avons, par la suite, vérifié si une interaction pouvait être observée entre le fait d'appartenir à un groupe ou l'autre et les ratios d'autoreformulations autoamorcées. Encore une fois, ces analyses n'ont révélé aucune interaction statistiquement significative.
Nos résultats vont donc dans le même sens que ceux de Fincher (Reference Fincher2006) qui n'avait observé aucune corrélation entre les reformulations produites par ses participants et les deux mesures de l'attention qu'elle avait utilisées, soit le test d'auto-évaluation de la capacité attentionnelle et celui de la mémoire et de l'attention, tous deux effectués en ligne. Rappelons que, tout comme Fincher (Reference Fincher2006), nous nous sommes précisément intéressés à la capacité attentionnelle de nos participants.
Cependant, nous croyons que l'absence d'associations entre la capacité attentionnelle et la production d'autoreformulations dans notre étude et dans celle réalisée par Fincher (Reference Fincher2006) ne nous permet pas pour autant d'affirmer que l'attention n'est pas en lien avec la production d'autoreformulations. En effet, Tognoli et Toniolo (Reference Tognoli and Toniolo2003) font la distinction entre deux aspects, à savoir l'aspect processuel et l'aspect capacitaire de l'attention. La capacité attentionnelle, également appelée ressources attentionnelles (p.ex., Camus, Reference Camus1996: 57), réfère, selon les auteurs, à la quantité globale d'attention allouée à une tâche, tandis que les processus attentionnels favorisent, pour leur part, la réalisation de certaines tâches dans le fonctionnement mental (p.13), par exemple la commutation de l'attention (attention shift). Selon Tognoli et Toniolo (Reference Tognoli and Toniolo2003), la mesure de ces deux aspects de l'attention chez un même individu peut mener à des résultats très différents étant donné le type de mesures utilisées dans chacun de ces cas. Les instruments dits ‘capacitaires’ mesurent plutôt l'usure de la performance au cours de la passation de tâches de maintien ou de partage de l'attention sélective et ceux dits ‘processuels’ offrent une mesure des mécanismes en œuvre dans la réalisation d'une tâche. Ainsi, quelqu'un pourrait très bien être capable de focaliser son attention avec beaucoup plus d'intensité que la moyenne, mais tout en étant incapable de maintenir ce niveau d'attention sur une longue période de temps. Il obtiendrait donc un faible résultat au test D2, ce qui ne l'empêcherait néanmoins pas d'obtenir un résultat élevé à un test correspondant à une mesure processuelle comme un test de commutation de l'attention tel que le Trail Making Test (Reitan, Reference Reitan1958).
Rappelons que, dans le cadre de notre étude, nous avons utilisé le modèle sur lequel les études sur les autoreformulations se basent en général, à savoir le modèle de régulation du discours de Levelt (Reference Levelt1983, Reference Levelt1989) afin de préciser la nature des autoreformulations et la façon dont elles sont produites dans le discours. Comme nous l'avons mentionné précédemment, ce modèle fait référence à la capacité limitée de l'attention ainsi qu'à son caractère sélectif. Nous avons donc tenté de mettre en relation la capacité attentionnelle avec la production d'autoreformulations autoamorcées. Pour ce faire, nous avons eu recours au test d'attention D2 (Brickenkamp et Zillmer, Reference Brickenkamp and Zillmer1998), test psychométrique de mesure capacitaire de l'attention (Tognoli et Toniolo, Reference Tognoli and Toniolo2003).
Ainsi, comme nous n'avons pas mesuré l'aspect processuel de l'attention, son rôle demeure toujours à être examiné. Il est possible de croire que les processus attentionnels et particulièrement celui de la commutation de l'attention jouent un rôle plus important dans la production d'autoreformulations en L2 que la capacité attentionnelle, elle-même. En effet, lors de la production orale, les locuteurs doivent déplacer leur attention afin de passer d'un élément langagier à l'autre (Kormos, Reference Kormos1999a). Nous croyons donc qu'une commutation efficace de l'attention faciliterait l'encodage langagier et permettrait ainsi une meilleure autorégulation (self-monitoring).
Nos résultats vont également dans le sens de ceux obtenus par Kormos (Reference Kormos1999b) qui n'a observé aucune différence significative entre ses trois groupes de participants qu'elle avait créés sur la base d'un questionnaire de style d'utilisateur du régulateur (monitor users) pour chacun des types de catégories d'autoreformulations codées. Ce questionnaire permet, selon l'auteur, de déterminer si les participants préfèrent être précis lorsqu'ils s'expriment ou plutôt faire preuve d'aisance (p.211). Il semble donc que ce genre de caractéristique de l'apprenant ne soit également pas en lien avec le type d'autoreformulations produites. Selon Kormos (Reference Kormos1999b), ‘This means that in the case of the frequency of most types of self-repairs, other factors, such as the learners’ level of proficiency (e.g., Verhoeven, Reference Verhoeven1989; Van Hest, Reference Van Hest1996; Kormos, 1998b) and task characteristics (Van hest, Reference Van Hest1996), overrode the effect of speaker variables’ (p. 218). Cette idée selon laquelle certains facteurs jouent un rôle plus important dans la production d'autoreformulations que les caractéristiques de l'apprenant de L2 est évidemment appuyée par nos résultats mettant également en jeu une variable individuelle, à savoir la capacité attentionnelle, celle-ci n'interagissant visiblement pas avec la fréquence ni les types d'autoreformulations. Par conséquent, à la liste fournie par l'auteur de ces facteurs ayant un effet plus important que les caractéristiques individuelles de l'apprenant de L2, nous ajouterions les processus cognitifs, ou plus précisément ceux liés au contrôle attentionnel. Il va sans dire que des études examinant l'interaction entre de tels facteurs et la production d'autoreformulations autoamorcées en L2 permettraient de compléter nos connaissances dans ce domaine.
CONCLUSION
Comme nous le mentionnions au début de notre article, les reformulations représentent des traces de l'activité cognitive ayant cours notamment lors de l'ALS et nous permettent d'observer le parcours acquisitionnel des apprenants de L2. Dans le cadre de la présente étude, ce sont plus précisément les reformulations émises et amorcées par l'apprenant lui-même, à savoir les autoreformulations autoamorcées, qui ont été l'objet d'analyse. Nous avons tenté de les mettre en relation avec la capacité attentionnelle de nos participants, celle-ci semblant revêtir une grande importance dans le modèle expliquant leur production, à savoir celui de Levelt (Reference Levelt1989). Nous avons donc mesuré la capacité attentionnelle d'apprenants du français L2 à l'aide d'un test psychométrique et recueilli les autoreformulations autoamorcées qu'ils ont produites lors d'une tâche de narration. Les analyses réalisées n'ont pas permis d'établir une association significative entre les données obtenues de ces deux mesures. Il semble que l'attention, telle que mesurée à l'aide du test D2, correspond à une mesure capacitaire, soit une mesure des ressources attentionnelles allouées à une tâche. Cette mesure serait distincte, selon Tognoli et Toniolo (Reference Tognoli and Toniolo2003), de celle dite processuelle, qui réfère aux processus permettant la réalisation de certaines tâches. Ainsi, nous formulons l'hypothèse qu'une mesure de type processuelle de l'attention des participants permettrait d'observer un lien entre l'attention et le nombre d'autoreformulations autoamorcées produites. Une étude vérifiant cette hypothèse permettrait certainement de compléter les connaissances actuelles à propos du lien entre l'attention et les autoreformulations autoamorcées en L2. Il serait également souhaitable, dans une telle étude, de neutraliser la variable ‘langue maternelle’ en la menant auprès de participants de même origine linguistique (p.ex., Kormos, Reference Kormos2000). Nous espérons que ces quelques pistes de réflexion que nous venons d'évoquer seront explorées dans le futur.
ANNEXE
![](https://static.cambridge.org/binary/version/id/urn:cambridge.org:id:binary-alt:20160802123544-88152-mediumThumb-S0959269510000591_fig1g.jpg?pub-status=live)