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Skepticism: From Antiquity to the Present DIEGO E. MACHUCA et BARON REED, DIR. Londres, Bloomsbury Academic, 2018, xvi + 746 p.

Published online by Cambridge University Press:  23 August 2019

YVES LABERGE*
Affiliation:
Université d’Ottawa
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Abstract

Type
Book Review/Compte rendu
Copyright
Copyright © Canadian Philosophical Association 2019 

Les cinquante textes rédigés expressément pour ce recueil abordent la question du scepticisme telle que conceptualisée par une multitude de penseurs et développée suivant une variété de sous-thèmes. Les textes sont regroupés selon quatre grandes époques, allant de l’Antiquité à nos jours, en passant par le scepticisme au Moyen Âge et à la Renaissance (2e partie), puis le scepticisme à l’époque moderne (3e partie), pour conclure sur le scepticisme à l’époque contemporaine (4e partie). On comprendra qu’il ne s’agit pas d’extraits des écrits de Carnéade, de Philon de Larissa, de Cicéron, de Sextus Empiricus, de Descartes ou de Kant, mais bien de synthèses individuelles et récentes sur la pensée sceptique de chacun de ces philosophes, toutes rédigées par des universitaires parmi nos contemporains, pour la plupart émanant du monde anglo-saxon (incluant cinq chercheurs canadiens-anglais). À quelques exceptions près, chaque chapitre se concentre sur un seul penseur et propose une présentation systématique de sa conception particulière du scepticisme, suivie d’un commentaire, parfois d’une critique et, dans quelques cas, d’une récapitulation. Contrairement à beaucoup de Handbooks anglais, on ne retrouve pas systématiquement une mise à jour quant à la recherche récente portant sur le penseur choisi. Il s’agit donc davantage d’une introduction aux principales figures du scepticisme, prises individuellement (p. 636).

Dans leur introduction, Baron Reed et Diego Machuca résument efficacement l’idée fondatrice du scepticisme en suggérant que «notre expérience du monde pourrait n’être qu’un rêve» (p. xiii; ma traduction). Dans les sections qui suivent, assez peu de définitions du scepticisme sont fournies; celles rassemblées dans l’introduction générale questionnent de diverses manières l’existence effective d’un monde extérieur (p. xiii). On comprend que pratiquement chaque penseur étudié ici avait élaboré sa propre conception du scepticisme, et à la lecture des chapitres successifs, on saisit mieux les nuances et les distinctions, bien qu’il y ait assez peu de chapitres comparatifs. Précisément, certains des chapitres les plus intéressants approfondissent un sous-thème ou une question atemporelle au lieu de se concentrer sur un seul auteur, ce qui donne par exemple un exposé transversal sur «le scepticisme quant au monde externe» (p. 634) à partir de Bertrand Russell et de G.E. Moore, lequel permet à Ram Neta d’aborder quelques variétés de scepticisme quant à l’existence d’un monde extérieur (chapitre 24, p. 636).

L’avantage de cette anthologie est précisément de présenter les diverses acceptions du terme et de montrer l’évolution de l’idée même du scepticisme selon les penseurs et au fil des siècles. Au terme de cette lecture exigeante, on peut mieux situer la spécificité d’une quarantaine de penseurs du scepticisme, célèbres, méconnus, influents ou obscurs. Bien que ce terme ne soit pas employé ici, certains universitaires anglophones décrivent l’exercice conceptuel visant à situer et comparer divers penseurs au sein d’une discipline comme le «mapping». Par le mapping, le chercheur peut ainsi distinguer les différentes écoles de pensée, établir des correspondances (ou des oppositions) et refaire le fil des influences dans un domaine particulier de l’histoire des idées. Ainsi, parmi les philosophes étudiés et localisés sur ce que l’on pourrait nommer «la carte du scepticisme», Casey Perin (de l’Université de Californie) écrira à propos de Pyrrhon d’Élis — dont la pensée a été portée à notre connaissance par l’entremise de son disciple Timon — qu’il était «moins un sceptique qu’un métaphysicien dogmatique» (p. 33). Ailleurs, dans le chapitre d’Andreas Urs Sommer consacré à Nietzsche, le philologue allemand sera décrit comme un représentant du «scepticisme extrême et du scepticisme expérimental» (p. 449). Plus loin, au chapitre 33, Peter Graham démontrera que Bertrand Russell «n’était pas un sceptique» (p. 454). Au chapitre 36, pour résumer la spécificité d’un philosophe contemporain comme Richard Popkin (1923-2005), le chercheur brésilien José Raimundo Maia Neto avancera qu’il «n’a pas formulé d’arguments sur le scepticisme», mais qu’il se considérait néanmoins «comme un sceptique» (p. 513). C’est exactement le contraire de Descartes qui, selon Henrik Lagerlund, «n’était pas un sceptique» (p. 222) au sens propre du terme.

Inévitablement, la question du doute quant à l’existence de Dieu est abordée de diverses manières : les contributeurs s’arrêtent sur la possibilité d’un Dieu trompeur («divine deception», p. 223), sur le doute cartésien (pp. 316 et 324), sur le doute selon Wittgenstein (p. 488) ou d’après des démonstrations plus généralisées (p. 583). Le thème de l’athéisme revient dans certains chapitres, par exemple au tout dernier chapitre de l’ouvrage, consacré au thème du scepticisme religieux, qui aborde en outre la distinction entre l’athéisme et l’agnosticisme, compte tenu du fait que les vues des êtres humains seraient possiblement défaillantes et propices aux erreurs cognitives; la question de la Révélation de Dieu y est également examinée, mais seulement dans quelques chapitres de la dernière partie (p. 732).

Le point fort d’un tel recueil de textes réside dans la mise à jour des connaissances sur tel penseur ou tel courant de pensée, mais cette actualisation n’a pas lieu systématiquement dans tous les chapitres, et certains des textes contiennent majoritairement des références relativement anciennes — datant du siècle précédent —, ce qui n’est toutefois pas répréhensible en soi pour un ouvrage en philosophie (voir les bibliographies, pp. 269-270 et pp. 682-684).

Au fil des sections, Skepticism: From Antiquity to the Present permet des (re)découvertes, par exemple autour d’un penseur un peu oublié comme Johann Georg Hamann (1730-1788), qui fut célèbre en son temps et relié au courant Sturm und Drang («Tempête et Passion»). Selon Hamann, tel que présenté au chapitre 21 par Gwen Griffith-Dickson, «l’ignorance socratique ne serait ni une posture, ni la pierre fondatrice du scepticisme, ni même un semblant d’agnosticisme, mais bien un sentiment, une perception, une intuition [...], une reconnaissance de la réalité du savoir humain» (p. 409; ma traduction). Compte tenu du grand nombre de chapitres et de sous-thèmes abordés dans cette anthologie, l’ensemble est incontestablement diversifié et propose différentes avenues et approches. Cependant, au terme de cette exploration élaborée, il aurait été souhaitable de trouver une récapitulation ou une synthèse, bien qu’il s’agisse d’un exercice pratiquement impossible à réaliser, compte tenu de la grande quantité de notions exposées en une cinquantaine de chapitres étoffés.

Parmi les absents de taille, déplorons l’invisibilité de Voltaire, dont le nom n’apparaît même pas dans l’index. En revanche, d’autres auteurs français comme Montaigne et Descartes sont judicieusement étudiés et réapparaissent dans plusieurs chapitres traitant de divers sous-thèmes. Sur le plan des références bibliographiques, on remarquera cette propension agaçante chez certains universitaires anglo-saxons à mentionner uniquement la date de l’édition choisie pour la citation d’un ouvrage classique au lieu d’indiquer sa date d’écriture ou de première publication, ce qui donne parfois des sources bibliographiques improbables ou apparemment anachroniques du type «Pascal (1989)» (p. 506) et plus loin «Descartes (1993)» ou «Locke (1975)» (p. 634). On devrait plutôt ajouter entre crochets l’année de la première publication du livre cité, à la suite de celle de l’édition choisie. Ce problème n’est toutefois pas généralisé (p. 324).

En vertu de sa présentation et de son principe d’organisation, l’ouvrage Skepticism: From Antiquity to the Present a une utilité pédagogique spécifique, mais limitée. Bien qu’organisé de façon chronologique (et non par sous-thèmes ou par pays), il ne correspond pas exactement à une «histoire du scepticisme», puisque les écoles de pensée sont isolées les unes des autres. Cependant, l’approche par auteur offre cet avantage indéniable de situer la conception du scepticisme selon chacun d’entre eux et d’en montrer la spécificité; c’est là le point fort du recueil. Pour une consultation ponctuelle sur un auteur particulier, par exemple pour situer la conception du scepticisme qui pouvait être celle de Descartes ou de Nietzsche, ou encore de tel philosophe de l’Antiquité, ce livre sera d’une utilité indéniable; il trouvera sa place dans toute bibliothèque universitaire, du moins dans les institutions de langue anglaise. Le second signe distinctif de cette anthologie est de proposer une dizaine de chapitres thématiques non axés sur un seul penseur, ce qui permet de présenter d’autres perspectives et d’esquisser des comparaisons peu fréquentes. Mais ce recueil substantiel de Diego Machuca et Baron Reed ne saurait être réduit à une simple initiation à la question du scepticisme; par le degré d’approfondissement des études qui y figurent, ce livre conviendra davantage aux étudiants des cycles supérieurs en histoire des idées ou en philosophie, à condition qu’ils maîtrisent bien la langue de Shakespeare. Sur le plan éditorial, le livre est d’une excellente tenue, avec deux index utiles et une reliure solide; seulement quelques coquilles subsistent dans les transcriptions de certains mots en français. En outre, la magnifique couverture montrant le célèbre tableau L’incrédulité de saint Thomas (1603) du Caravage est, pour une rare fois dans le monde l’édition des livres universitaires, un choix on ne peut plus judicieux et d’une grande éloquence.