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L'impossible Présidence impériale : le contrôle législatif aux États-Unis François Vergniolle de Chantal CNRS Éditions Paris, 2016, 450 pages

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L'impossible Présidence impériale : le contrôle législatif aux États-Unis François Vergniolle de Chantal CNRS Éditions Paris, 2016, 450 pages

Published online by Cambridge University Press:  06 March 2018

Karine Prémont*
Affiliation:
Université de Sherbrooke
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Abstract

Type
Book Review/Recension
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association (l'Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique 2018 

Alors que les citoyens des États-Unis critiquent sévèrement le Congrès et que les élus, en particulier depuis l’élection de Barack Obama en 2008, semblent plus enclins à bloquer les actions législatives du président, cet ouvrage revient sur les fondements du pouvoir législatif pour démontrer tout le contraire : le Congrès exerce, en cette ère de polarisation partisane, un pouvoir considérable sur la Maison-Blanche. L'auteur souhaite ainsi « tempérer les discours alarmistes » (p. 21) concernant le déclin des pouvoirs du Congrès en expliquant comment les deux chambres ont développé des outils leur permettant d'exercer leurs pouvoirs constitutionnels face à une présidence dont les pouvoirs sont de plus en plus étendus.

L'argumentation de l'auteur, basée sur une approche comparative, est divisée en trois parties. La première partie vise à expliquer comment, face à des intentions et défis semblables, les « républiques sœurs » que sont les États-Unis et la France se sont développées dans des directions opposées. L'auteur rappelle également, de manière richement documentée, que le pouvoir exécutif américain avait été conçu par les Framers de la Constitution comme étant un pouvoir subordonné à celui du Congrès et qu'il faudra deux cycles de présidence pour que celle-ci émerge comme un pouvoir politique autonome et concurrentiel au législatif : d'abord les présidences d'Andrew Jackson et d'Abraham Lincoln, qui légitimeront « le leadership présidentiel comme expression de la volonté populaire » (p. 110) ; puis Theodore Roosevelt, Woodrow Wilson et Franklin D. Roosevelt, qui démocratiseront la présidence en l'institutionnalisant. Toutefois, le Congrès n'est pas resté passif devant cette montée en force de la présidence : le pouvoir législatif, notamment le Sénat, utilisera la polarisation pour renforcer son rôle de contre-pouvoir.

La deuxième partie de l'ouvrage est consacrée au bicamérisme américain. L'auteur explique d'abord que la Chambre des représentants est un lieu où les compromis sont difficiles en raison de l'uniformité croissante des partis politiques ainsi que la grande stabilité électorale des représentants. Quant au Sénat, il est, selon l'auteur, « le lieu de toutes les incertitudes » (p. 134) : la représentation égalitaire des États mène à la paralysie endémique de cette institution, d'autant plus que les sénateurs ne bénéficient pas de la même sécurité électorale que les représentants. À cela, il faut ajouter les spécificités de la polarisation du Sénat, soit le renforcement de l'esprit partisan depuis la recomposition idéologique des années 1960 et l'efficacité de la discipline de parti, qui s'exprime par le biais de manœuvres dilatoires pour empêcher le vote. Cette polarisation a toutefois l'avantage non négligeable de permettre au Sénat de retrouver le rôle prépondérant qu'il jouait avant l'essor de la présidence.

La dernière partie de l'ouvrage s'intéresse aux effets de la polarisation sur « le rapport horizontal entre les institutions » (p. 283) : alors qu'elle mine la relation de confiance entre les électeurs et les élus, la polarisation renforce la capacité du Sénat à exercer un contrôle sur l'exécutif. L'auteur dresse d'abord le portrait de l’évolution des mécanismes d'obstruction du Sénat, puis décrit les tentatives de réformes qui ont cherché à corriger les excès. Ensuite, l'auteur explique que puisque le Congrès est « à l'origine de tous les instruments de la présidence » (p. 339), il est normal qu'il en soit aussi la limite. Les contrôles a priori de la présidence sont nombreux, que ce soit par le biais de procédures extrêmes telle que le pouvoir d'enquête ou l’impeachment, ou par des procédures plus routinières comme le pouvoir de surveillance (oversight) ou encore la ratification des nominations et des traités. En fait, l'existence même de ces outils (incluant le filibuster) constitue en soi une menace aussi efficace que leur utilisation effective. Finalement, l'auteur démontre que le Sénat, « pivot des institutions », n'est pas en déclin : il exerce ses fonctions constitutionnelles de manière pleine et entière notamment grâce à la polarisation, qui force ainsi le recours plus fréquent aux mécanismes du checks and balances. En somme, conclut l'auteur, « si le Sénat rempli aujourd'hui les missions confiées par les Pères fondateurs, c'est parce qu'il évolue différemment de ce qu'ils attendaient » (p. 414).

La méthode comparée utilisée par l'auteur, pour intéressante qu'elle soit, n'est pas nécessairement utile pour comprendre l’évolution et l'exercice du pouvoir du Congrès américain. Malgré cela, l'apport de cet ouvrage est multiple. En premier lieu, il met en perspective les critiques qui statuent sur la paralysie du Congrès en utilisant les fondements historiques et constitutionnels à l'origine de cette institution et en soulignant ses capacités évolutives, qui lui confèrent une grande efficacité dans son rôle de contre-pouvoir. En deuxième lieu, l'ouvrage aide à comprendre comment la polarisation agit sur les élus (qui deviennent alors des « entrepreneurs politiques ») mais plus largement sur le mode de fonctionnement de l'institution et ses interactions avec le pouvoir exécutif. En dernier lieu, l'ouvrage remet à l'avant-plan le rôle crucial du Congrès dans la définition des politiques aux États-Unis, prévu par les Pères fondateurs mais occulté par certains événements politiques majeurs, dont la guerre de Sécession et le mouvement pour les droits civiques.