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Science politique de l'Union européenne, Céline Belot, Paul Magnette, Sabine Saurugger (dir.), Economica, Paris, 2008, 387 pages.

Published online by Cambridge University Press:  28 May 2010

Frédéric Mérand
Affiliation:
Université de Montréal
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Abstract

Type
Reviews / Recensions
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association 2010

Les politologues français ont mis du temps à s'intéresser à l'Europe. Celle-ci, comme les relations internationales de manière générale, fut longtemps considérée la chasse gardée des professeurs de droit public. Encore aujourd'hui, la Commission pour l'étude des Communautés européennes (CEDECE) est contrôlée par les juristes, auxquels s'associent un petit nombre d'économistes. Les politologues sont presque absents de cette association française, alors qu'ils dominent largement la European Union Studies Association aux États-Unis, l'University Association for Contemporary European Studies en Grande-Bretagne ou encore l'Association canadienne d'études sur la Communauté européenne (AECE-C).

L'exception française, dont les causes sont trop complexes pour être exposées ici, a commencé à s'éroder dans les années 1990, alors que sont apparus plusieurs ouvrages sur la construction européenne rédigés par des politologues, notamment Le système politique européen (Jean-Louis Quermonne, 1993), Paris-Bruxelles (Christian Lequesne, 1992) et L'Europe politique (Guillaume Courty et Guillaume Devin, 1996). En 2000, un groupe de jeunes chercheurs à Sciences Po Paris créait Politique européenne, une revue scientifique qui devint rapidement le lieu d'échange privilégié des européanistes francophones. Cinq ans plus tard, l'Association française de science politique transformait le groupe de travail «Europe» en une Section d'études européennes beaucoup plus costaude. Entre-temps, les formations de deuxième cycle sur les questions européennes se sont multipliées dans les instituts d'études politiques. Mais il n'existe toujours pas à ce jour de manuel en français sur les aspects proprement politiques de l'Union européenne (UE).

Science politique de l'Union européenne vient en partie – mais en partie seulement – combler ce vide béant. Fruit d'un colloque organisé par la revue Politique européenne en 2005, il s'agit davantage d'un traité que d'un manuel puisqu'il vise, selon l'aveu même de ses directeurs, à faire état des résultats et controverses actuelles de la recherche politique sur l'UE. Un peu à l'image du SAGE Handbook of European Politics – l'ouvrage de référence en anglais –, l'accent est mis sur les objets de recherche et les approches théoriques plutôt que sur les enjeux ou les politiques de Bruxelles. Le lecteur ne trouvera pas ici une introduction au fonctionnement de la machine communautaire. Il n'y a pas de liste des acronymes, de chronologie de l'intégration européenne ni de schéma du processus décisionnel. Non-initiés s'abstenir.

Pour celui ou celle qui, en revanche, a déjà une petite idée du système politique européen, cet ouvrage dense et bien écrit présente deux qualités importantes. La première, c'est de donner un tour d'horizon complet de l'avancement des connaissances dans les principaux sous-champs des EU studies : relations internationales, analyse des politiques, opinion publique, groupes d'intérêt, études parlementaires, élargissement et ainsi de suite. Le titre de l'ouvrage n'est pas trompeur : avec 26 collaborateurs, on retrouve à peu près toute la science politique de l'UE basée en France, les quelques rares absents figurant dans les remerciements. Chaque chapitre débute par une problématique introduisant le sous-champ, en expose les principaux développements théoriques, et ouvre sur quelques pistes de recherche, souvent propres à l'auteur. Dans la plupart des cas, on retrouve également une section sur l'apport particulier de la recherche en langue française. Même si on aurait parfois souhaité une écriture plus didactique et un peu moins de références bibliographiques, les chapitres sont d'excellente qualité, sans exception.

La deuxième qualité de l'ouvrage, c'est de donner une bonne idée de ce que Bastien Irondelle a appelé la French touch en études européennes. Observons tout d'abord que la recherche française sur l'UE est loin d'être aussi franco-centrée qu'on a pu le dire. À vue de nez, environ 80 pour cent des références bibliographiques sont étrangères et en anglais, ce qui témoigne de l'ouverture des auteurs à une science politique internationale et pluraliste. Mais il est vrai qu'une singularité hexagonale s'exprime en filigrane. Dans un ouvrage semblable publié en anglais, il serait peu probable de trouver des chapitres sur l'anthropologie politique (François Forêt) ou la socio-histoire (Yves Deloye) de l'Europe. Certains objets de recherche, comme la gouvernance à niveaux multiples (Romain Pasquier), le rapport entre droit et politique (Antoine Vauchez) ou l'étude des acteurs communautaires (Jean-Michel Eymeri-Douzans et Didier Georgakakis), sont marqués par l'approche fortement sociologique qui distingue une partie de la science politique française. L'héritage de la sociologie historique de Norbert Elias et de la sociologie politique de Pierre Bourdieu est frappant dans plusieurs chapitres. À l'inverse, l'économie politique, les travaux quantitatifs – notamment ceux qui sont issus de l'école des choix rationnels – et a fortiori la modélisation formelle, sont entièrement absents alors qu'ils occupent désormais une place de choix dans les revues anglophones.

Tout en reflétant la diversité de la recherche française (bien plus que francophone puisqu'il n'y a que deux Belges et aucun Suisse ou Canadien parmi les collaborateurs), Science politique de l'Union européenne participe clairement à un exercice de normalisation. C'est d'ailleurs le thème de la stimulante conclusion rédigée par Sabine Saurugger. Alors que le débat sur la normalisation des EU studies «internationales» a principalement porté sur l'incorporation de la théorie des Relations internationales et de la politique comparée après 30 ans d'opposition stérile entre néofonctionnalisme et intergouvernementalisme, l'enjeu pour les études européennes «françaises» semble plutôt être celui de leur reconnaissance au sein d'une communauté scientifique débordant les frontières de l'Hexagone. La richesse des travaux répertoriés dans cet ouvrage laisse espérer que les politologues français sauront y trouver leur place.