1 INTRODUCTION
Galet (Reference Galet1977: 580) avait constaté la fréquence du passé simple (PS) dans les articles nécrologiques et l'attribuait à la solennité liée à cette rubrique. Au-delà de ces considérations stylistiques, «le bulletin nécrologique remplit les deux conditions principales de l'emploi du [PS]: le genre narratif du texte et l'historicité du récit» (Herzog, Reference Herzog1981:59). En effet, temporellement, il implique une coupure par rapport à l'actualité, comme le prouve son incompatibilité avec les adverbiaux basés au moment de l'énonciation:
(1) *Maintenant, il chanta.
(2) *Cette semaine, il fit des efforts.
Aspectuellement, le PS présente les événements globalement avec des indications des limites mais sans considération du déroulement interne, d'où la difficulté de combinaison avec des structures progressives:
(3) *Il fut en train d'écrire.
Cette présentation perfective de chaque situation menée à terme fait du PS une ressource idéale pour la succession narrative (Bres, Reference Bres, Mellet and Vuillaume2003; Vetters, Reference Vetters, Mellet and Vuillaume2003). Toutefois, les linguistes ont souvent débattu de la vitalité du PS et, bien que le passé composé (PC) soit le candidat le plus évident au remplacement du PS, il n'est certainement pas le seul envisageable: Waugh (Reference Waugh1987: 31) mentionne aussi le présent historique (PH) et l'imparfait (IMP) pittoresque.
Deux études de corpus exploratoires se sont penchées sur les bulletins nécrologiques. Herzog (Reference Herzog1981) et Do-Hurinville (Reference Do-Hurinville2000). Chez le premier, le PS représente 12,6% des formes verbales (derrière le présent [PRES] [34,3%] et l'IMP [27,3%]); chez le second, le pourcentage est similaire (12,9%) mais le PS a été dépassé par le PC (23,2%). En outre, Do-Hurinville compare ses données avec un article de 1949; une évolution du genre semble s'être produite car le PS y était majoritaire [35,3%] et suivi du plus-que-parfait (PQP) [23,5%].
Bien qu'intéressantes, ces deux analyses sont trop fragmentaires pour permettre des généralisations sur l'emploi des temps dans la rubrique nécrologique. Notre étude se propose de remédier à cette faiblesse par l'inclusion d'un corpus synchronique nettement plus étendu, et d'une dimension diachronique pour tester l'hypothèse du déclin.
La recherche s'ouvrira sur une étude quantitative et soulèvera les questions suivantes:
• Quels sont les tiroirs utilisés dans la rubrique nécrologique? Quelle y est la place du PS?
• Constate-t-on une évolution des emplois au cours du vingtième siècle, et particulièrement une régression du PS?
Elle s'orientera ensuite vers un examen qualitatif et abordera les points suivants:
• Comment le PS s'emploie-t-il dans les bulletins nécrologiques? Est-ce un emploi formulaire limité à quelques verbes ou un emploi productif?
• Quels rôles jouent les différents tiroirs?
• Peut-on établir un schéma structurel du genre?
Evoquons pour commencer le corpus sur lequel repose notre étude. . .
2 PRESENTATION DU CORPUS
Cette section détaillera les critères qui ont guidé l'élaboration du corpus avant d'en offrir une description. Nous commencerons par justifier le choix des publications sélectionnées puis nous traiterons de la sélection des articles retenus.
2.1 Justification des choix
a. Sources
Le PS a souvent été considéré à la suite de Barthes comme «bourgeois»: «Il est le temps du roman et celui-ci est le produit de la société bourgeoise» (Herzog, Reference Herzog1981:106). Dans son étude du PS dans les journaux du vingtième siècle, Herzog (Reference Herzog1981:111) avait en effet constaté que «Le Figaro [LF] employait ce temps en moyenne deux fois aussi souvent que L'Humanité [LH]». Par contre, Zezula (Reference Zezula1969:340) avait trouvé plus de PS dans LH (2.024 occurrences/462 articles = 4,38 PS/article) que dans LM (631 PS/449 articles = 1,41 PS/article). Krell (Reference Krell1987:375, note 3) considère la fréquence du PS dans le quotidien communiste une manière de «s'intégrer à la tradition française». Il serait donc valide d'inclure dans le corpus des publications représentatives de différentes orientations politiques et sociales.
b. Articles
Notre objectif était d'évaluer les variations diastratiques en synchronie, et de tester l'hypothèse de la disparition du PS en diachronie. Pour le corpus synchronique, nous avons choisi d'étudier les articles de janvier 2005 dans tous les journaux considérés. Les buts étaient de rassembler un corpus suffisamment représentatif et arbitraire, et de permettre une comparabilité maximale des époques et des thèmes. Le même souci comparatif a présidé à l'élaboration du corpus diachronique: tous les articles du mois de janvier publiés à des intervalles de dix ans ont été recueillis. Grâce à cette périodicité, il serait possible d'identifier une / d'éventuelle(s) époque(s) pivot(s) dans l'emploi du PS.
2.2 Description du corpus
Dans cette partie, nous offrirons une description quantitative des textes étudiés. Les corpus synchronique et diachronique seront successivement présentés.
a. Corpus synchronique
Il comprend cinq journaux parisiens (Le Monde [LM], LF, LH, La Croix [LC] et Le Parisien [LP]) qui se distinguent par leur ancienneté, leur distribution et leur orientation idéologique:
Le tableau 2 offre des données quantitatives sur tous les articles parus en janvier 2005 dans ces publications:
A première vue, LM publie nettement plus d'articles nécrologiques que les autres publications. C'est également le journal qui produit l'article standard le plus proche de la moyenne.
b. Corpus diachronique
Seules les archives de LM et de LF nous étaient accessibles. LM existe depuis décembre 1944: le corpus diachronique s'arrête donc à janvier 1945. Pour sa part, LF paraît quotidiennement depuis le 16 novembre 1866; toutefois, nous nous sommes limitée au vingtième siècle – selon Herzog (Reference Herzog1981:5), la polémique sur le déclin du PS a été lancée en 1903 par un article de X. Ducotters dans Die Neueren Sprachen – et nos articles les plus anciens remontent à janvier 1905. Le tableau 3 résume les principales informations quantitatives:
iLa longueur moyenne exceptionnelle des articles en 1965 s'explique par la mort de deux personnages importants: Winston Churchill (2489 mots dans LM et 3894 mots dans LF) et le général Weygand (2188 mots dans LM et 2080 mots [+ 608 mots] dans LF).
iiLa publication de LF a été suspendue de 1942 à la fin de la guerre.
Sur le plan diachronique, on semble assister à une multiplication et un raccourcissement parallèle des articles. Intéressons-nous maintenant à la répartition des tiroirs.
3 ANALYSE QUANTITATIVE
Nous commencerons par évoquer les résultats des études antérieures. Nous fournirons ensuite les résultats de notre corpus afin de permettre des comparaisons.
3.1 Recherches antérieures
Bien que limitées quantitativement, les deux études mentionnées dans l'introduction sont susceptibles d'orienter notre réflexion.
a. Herzog (Reference Herzog1981)
Dans son ouvrage sur le PS dans la presse du vingtième siècle, Herzog consacre quelques pages à l'«article nécrologique», basées sur 27 nécrologies de personnalités publiées en 76 et 77 dans LM, LF et La Gazette de Lausanne (GL). Ce type d'articles semble en effet propice à l'emploi du PS:
Comme l'article nécrologique est [. . .] consacré à la mémoire d'une personne morte, il représente dans le cas idéal le récit complet d'une vie, commençant par la naissance et se terminant par la mort de la personne. Ses traits typiques sont donc d'un côté son caractère narratif [. . .] et de l'autre son caractère entièrement révolu, la mort de la personne constituant une nette rupture avec le moment de l'écriture. (p. 59)
iiiFS (futur simple), FA (futur antérieur), FC (futur composé = futur proche ou périphrastique ?), PA (passé antérieur), a.f. (autres formes).
En dépit de son profil idéal, le PS ne domine pas le genre; il y côtoie le PRES, le PC et l'IMP de description car «il ne se rencontre que très rarement sous forme d'imparfaits pittoresques» (Herzog, Reference Herzog1981:62).
Herzog souligne la fréquence du PH, afin de «varier le style et de rendre le récit plus immédiat et captivant» (p. 63), lié à l'emploi du «futur des historiens». Cet emploi des temps spécifique «s'explique par le fait que le journaliste devient pour quelques instants historien» (p. 63).
b. Do-Hurinville (Reference Do-Hurinville2000)
Do-Hurinville (Reference Do-Hurinville2000) analyse 20 articles nécrologiques (1999–2000) publiés dans LF et LM. Le tableau 5 présente un relevé proportionnel des tiroirs verbaux recensés:
ivLe prospectif de Do-Hurinville correspond à notre futur proche (FP), aller + infinitif ; son passé récent réfère à la forme venir de + infinitif.
Les tendances relevées sont comparables. Le PH est le tiroir le plus fréquent et, comme chez Herzog, il «cohabite très souvent avec le Futur dit historique» (p. 202). Le PC apparaît dans tous les articles dès la première ligne (parfois concurrencé par la forme en venir de dans LF). L'IMP, avec sa valeur traditionnelle imperfective,Footnote 1 précède en fréquence le PS à la quatrième place en termes quantitatifs.
Do-Hurinville tente de fournir une explication à l'alternance des tiroirs dans la nécrologie:
Nous pensons que le journaliste, immergé dans l'actualité (moment de l'énonciation), doit reconstituer mentalement le parcours professionnel du personnage: il remonte dans le passé pour raconter des faits tantôt ayant des liens avec le moment de la parole tantôt coupés de ce moment. Parfois il a besoin de mettre en relief un détail important, ou bien il veut gommer fictivement la distance temporelle réelle entre l'événement et le lecteur, c'est comme s'il disposait d'une caméra pour filmer les actes du personnage en question pour les transmettre ensuite au lecteur. Il se trouve ainsi confronté à des faits sur lesquels le temps n'a pas prise (faits dits intemporels). (p. 107)
Voyons si cette variété s'applique à nos données.
3.2 Résultats quantitatifs
Nous examinerons d'abord les pourcentages relevés dans le corpus de 2005 avant de nous interroger sur une éventuelle évolution diachronique.
a. En synchronie
Le tableau 6 présente la répartition des tiroirs par journal pour 2005. Dans chaque case, la première ligne donne les chiffres absolus, la deuxième, les pourcentages et la troisième, la position relative de chaque tiroir en termes de fréquence.
vFP (futur proche), FPP (futur proche du passé).
Nous avions glosé sur la fréquence possible du PS dans différentes publications. Les données quantitatives semblent soutenir l'hypothèse idéologique; en effet, les journaux de droite, LC (21,21%) et LF (12,46%), possèdent des fréquences d'emploi du PS supérieures à la moyenne (9,89%). Parmi les 6 tiroirsles plus fréquents (≥ 1%), on trouve dans l'ordre décroissant: PRES (31,7%), IMP (21,81%), PC (17,49%), PS (9,86%), PQP (9, 9%), et FS (5,29%). Toutefois, ces fréquences varient largement d'une publication à l'autre. Le PRES et l'IMP semblent avoir des fréquences inversement proportionnelles: en effet, LM contient la plus grande fréquence de PRES (36,14%) et la plus faible d'IMP (17,99%), alors que l'opposé s'applique à LC (14,77% et 29,17%). Ces deux tiroirs pourraient donc se substituer l'un à l'autre pour exprimer l'aspect imperfectif. LC paraît reposer sur le système traditionnel du récit avec les plus hauts pourcentages de PS (21,22%), d'IMP et de PQP (12,5%). Bien entendu, on ne peut se fier aux chiffres bruts et une analyse qualitative s'impose. Elle devra d'abord identifier les contextes d'usage du PS (en séquence narrative ou isolé, formules figées ou usage productif), puis affiner les emplois recouverts par les différents tiroirs. Par exemple, chez Do-Hurinville, le PRES recouvrait c'est,Footnote 2 le «présent à valeur intemporelle» et le «présent dit historique» (2000:200); certains IMP s'utilisent en contexte perfectif; le PQP et le FS abandonnent parfois leurs fonctions traditionnelles de double antériorité ou de futur pour remplir le rôle de passés perfectifs. Il faudra donc revenir sur ces points dans la section qualitative.
Retournons pour le moment aux données quantitatives et comparons-les avec les études antérieures. On constate que, dans les trois corpus, le PRES est clairement majoritaire et le FS vient à la sixième place. Les formes restantes se partagent les autres places avec une tendance pour l'IMP à venir en deuxième position et le PQP en cinquième:
Toutefois, la comparaison pourrait être affinée en comparant nos données pour LM et LF uniquement, qui constituent la totalité (Do-Hurinville) ou la majorité (Herzog) des deux autres corpus. Le tableau suivant compare les données du premier auteur avec les nôtres:
Ces chiffres confirment la première position du PRES et la sixième du FS dans les 4 corpus. Do-Hurinville et Labeau trouvent une même classification du PS dans LM: 5ème avec 7,03% et 7,9% mais, dans LF, le PS arrive 3ème (avec 17,9%) ou 4ème avec 12,46%. Ceci va dans le sens d'une de nos hypothèses: le PS est plus utilisé dans une publication bourgeoise (de droite). Les deux auteurs obtiennent également des résultats comparables pour le PQP: 5ème dans LF et 4ème dans LM.
Pour assurer une comparabilité maximale, les données de Herzog devraient être comparées à nos résultats pour la même période. Le tableau 9 compare donc les résultats de Herzog et les nôtres pour 1975.
viIci, contrairement à ce que l'on avait trouvé pour 2005, la proportion de PS est moindre dans LF peut-être à cause du corpus limité à quatre articles.
Ce corpus plus ancien montre une homogénéité supérieure: les quatre temps les plus fréquents sont les mêmes et les proportions de PQP et de FS sont très proches. La pratique contemporaine paraît plus hétérogène et «multifocale».Footnote 3 L'examen du corpus diachronique va permettre de tester cette hypothèse.
b. Corpus diachronique
Comme dans la section synchronique, la première ligne de chaque case du tableau 10 donne les chiffres absolus, la deuxième, les pourcentages et la troisième, la position de chaque tiroir en termes de fréquence.
L'examen des données quantitatives en diachronie révèle une série de tendances:
• D'abord, on trouve les six mêmes tiroirs narratifs principaux qu'en synchronie.
• La proportion de PRES augmente dans la deuxième partie du vingtième siècle pour devenir le temps principal dès 1965. Il faudra dans l'étude qualitative voir s'il s'agit de PH, substituts du PS, ou d'autres emplois.
• Le PC semble monter dans la première partie du vingtième et se maintenir dans la seconde. On devra voir s'il est utilisé dans son acception de passé (équivalent au PS) ou de parfait.
• Le PS paraît s'être maintenu plus longtemps dans LF que dans LM et, après une chute dans le dernier quart du siècle, semble reprendre quelque vitalité. Il sera nécessaire de voir si ses emplois sont productifs ou formulaires.
• L'IMP semble s'affirmer comme le second temps en importance. On devra voir s'il est utilisé dans son emploi traditionnel imperfectif ou comme équivalent du PS.
• Le PQP et le FS ont vu leur emploi augmenter mais demeurent proportionnellement limités.
4 ANALYSE QUALITATIVE
Abordons maintenant une analyse qualitative des données. Nous commencerons par présenter les schémas du bulletin nécrologique proposés par Herzog et Do-Hurinville. Nous les passerons au test de nos données et nous nous interrogerons sur les emplois narratifs des six tiroirs les plus fréquents.
4.1 Les formules du bulletin nécrologique
Herzog (Reference Herzog1981) et Do-Hurinville (Reference Do-Hurinville2000), sur base de l'analyse détaillée d'un article, ont proposé un schéma modèle du genre. Nous résumerons ici leurs trouvailles avant de les tester. Pour ce faire, nous utiliserons des articles de notre corpus consacrés à une personnalité du monde politique et à une personnalité du monde du spectacle, les extraits analysés dans les études précédentes relevant de ces catégories.
4.1.1 Selon Herzog
Sur la base d'une des nécrologies de Bing Crosby, Herzog (Reference Herzog1981:62) suggère un plan typique du bulletin nécrologique:
(a) PC initial dans l'annonce du décès;
(b) PS/PH – IMP dans le développement: le PS ouvre la rétrospective et «signale aussitôt que le défunt est entré dans l'histoire» (p. 62), le PH marque les «événements saillants de la bibliographie» (p. 62), en alternance avec l'IMP de description pour «les habitudes et le caractère du personnage» (p. 62);
(c) PRES en conclusion pour une «réflexion du journaliste [qui] ramène le récit à la tonalité du présent» (p. 62) dès que le récit n'est «pas trop concis».
4.1.2 Selon Do-Hurinville
Pour sa part, Do-Hurinville analyse une nécrologie de Bernard Wicki. Il constate aussi que l'article nécrologique s'ouvre sur un PC ou, alternativement par un «passé récent» (venir de + infinitif). L'IMP sert à livrer des informations d'arrière-plan sur le défunt et ne joue pas de rôle narratif; celui-ci échoit au PH, lié au FS. Le PH offrirait un double avantage: (i) morphologiquement, il n'est marqué ni aspectuellement ni temporellement; (ii) stylistiquement, il rend le texte plus vivant en effaçant fictivement la distance temporelle entre le lecteur et les faits relatés. Quant au PS, puisqu'il est rare, il permet par contraste une dramatisation.
Voyons maintenant comment fonctionnent ces tiroirs dans notre corpus.
4.2 Analyse de l'emploi des tiroirs dans nos corpus
Nous commencerons par une analyse comparative d'articles du corpus 2005 consacrés à une personnalité du spectacle, la speakerine Jacqueline Joubert, et à un homme politique, Zhao Ziyang. Nous nous intéresserons ensuite à une éventuelle évolution des emplois du PS en voyant si nos conclusions pour le corpus de 2005 s'appliquent au corpus diachronique.
4.2.1 Schéma des bulletins
Les tableaux 11 et 12 présentent, dans la première colonne, le contenu thématique des articles. Les autres colonnes réfèrent à un article donné et détaillent la répartition des tiroirs verbaux dans chacune des sections.
Comme LP n'a pas mentionné la mort de l'ancien dirigeant chinois, seuls les articles de LM, LF, LH et LC sont considérés dans le tableau 12.
4.2.2 La formule nécrologique
L'examen de ces deux groupes d'articles révèle que les bulletins contiennent généralement les sections suivantes:
(a) l'annonce de la mort
(b) le rappel de l'importance du défunt
(c) des informations biographiques
(d) des réactions au décès
Les éléments (a) et (c) apparaissent dans tous les articles pris en considération et semblent indispensables au genre. La longueur de ces sections varie dans les deux groupes: dans les articles consacrés à Joubert, la dimension biographique (voire anecdotique) domine; par contre, elle est minimale pour Ziyang. En contraste, les réactions au décès, vu leur signification politique, constituent une importante proportion des articles consacrés à l'ancien dirigeant chinois.
La répartition des tiroirs est nettement moins figée que dans le schéma suggéré par Herzog. Toutefois, les bulletins s'ouvrent, comme l'avaient constaté les études précédentes, sur un PC (ou un participe passé dans LC4) et le PS se trouve quasi exclusivement dans les parties de nature biographique (b et c). Nous allons maintenant analyser plus en détail l'emploi des tiroirs dans nos corpus.
4.3 Emploi des tiroirs
4.3.1 Le PS
a. Nature des PS
On a constaté que, dans le corpus contemporain, le PS correspondait à 9,86% des formes conjuguées. L'usage est-il productif ou formulaire, limité à certains verbes tels que les auxiliaires, les passifs, les verbes les plus brefs ou les plus fréquents (voir Engel, Reference Engel1990; Herzog, Reference Herzog1981; Waugh & Monville-Burston, Reference Waugh and Monville-Burston1986:874; Zezula, Reference Zezula1969:341–2)? Le tableau 13 raffine nos données quantitativesFootnote 4 pour le PS:
Le verbe être domine, représentant de 12,5% (LC) à 42,86% (LP) des formes, et de 25% (LC) à 71,43% (LP) passifs inclus. Il est à noter que LC contenait la plus forte proportion de PS (21,21%) donc on peut en conclure que ce journal en fait l'usage le moins formulaire.
La catégorie «autres formes» comprend 109 verbes différents: la majorité (71,56%) apparaît une seule fois. Le reste apparaît au maximum quatre fois avec les exceptions de devenir (12 occurrences) et valoir (9 occurrences) et de faire (20 occurrences).
Voyons maintenant si les mêmes tendances apparaissent dans le corpus diachronique:
Dans LM, deux tendances se manifestent: la croissance de l'utilisation de être et le déclin des monosyllabiques et des autres verbes. LF présente une évolution en dents de scie. Comme dans le corpus synchronique, les monosyllabiques recouvrent un nombre restreint de verbes, et la plupart des «autres formes» n'apparaissent qu'une seule fois.
b. Fonction narrative des PS
Nous avons vu les types de verbes conjugués au PS; il serait maintenant intéressant de voir comment ce tiroir est utilisé narrativement. Le tableau 16 indique le nombre d'articles contenant 0, 1- 2 ou ≥ 3 occurrences du PS.
Près de la moitié (45,97%) des bulletins n'ont pas recours au PS. On constate que, curieusement, le quotidien le moins «bourgeois», LH, possède la plus grande proportion d'articles avec PS, 68,42%, mais les deux tiers de ces articles ne recèlent qu'une seule occurrence. La plus grande concentration de PS se retrouve dans LF, et dans LC où l'usage lexical le plus productif a été relevé.
Les PS sont utilisés majoritairement dans des principales ou indépendantes (186 occurrences sur 268 = 67,88%) contre 26,55% dans des subordonnées relatives et 5,45% dans les subordonnées conjonctives. Les proportions varient cependant entre publications, et l'on remarque que les journaux de gauche emploient moins le PS en principale et plus en relative, comparées à ceux de droite; cela pourrait souligner un emploi plus formulaire du tiroir. Ce trait confirme la tendance dans les publications de droite à la concentration de PS, tout comme à la productivité lexicale, mentionnées ci-dessus.
Notre étude de l'emploi du PS dans la rubrique nécrologique montre que ce tiroir, malgré ses caractéristiques favorables, n'y est pas nécessairement utilisé. Nous allons donc nous intéresser aux autres tiroirs en commençant par le PC, considéré remplaçant traditionnel au PS.
4.3.2 Le PC
Nous allons premièrement étudier systématiquement les outils linguistiques utilisés pour l'annonce de la mort pour vérifier la supposée prédominance du PC. Ensuite, nous verrons si le PC peut constituer un substitut narratif du PS.
a. PC à l'ouverture
Les études précédentes avançaient que le bulletin nécrologique s'ouvre généralement sur un PC: X est mort / est décédé / s'est éteint (Do-Hurinville, Reference Do-Hurinville2000:160; Herzog, Reference Herzog1981:62).
Cette tendance se manifeste également dans les 9 articles exemplatifs: le PC apparaît dans le titre, l'encart ou la première phrase:
(4) Le dirigeant réformiste chinois Zhao Ziyang est mort. (titre) Banni de la direction du Parti communiste chinois pour avoir sympathisé avec les étudiants mobilisés sur la place Tiananmen, L'ancien dirigeant est mort en résidence surveillée, à l'âge de 85 ans. (encart)
’ancien dirigeant chinois réformiste, Zhao Ziyang, limogé en 1989 pour avoir sympathisé avec les étudiants en grève de la faim sur la place Tiananmen, est mort, lundi 17 janvier, à l'âge de 85 ans, après plus de quinze ans en résidence surveillée. (LM42)
Toutefois, d'autres options s'offrent au rédacteur:
(i) l'IMP pour indiquer une époque révolue:
(5) Elle était âgée de quatre-vingt-trois ans. (LM25 – encart)
(ii) Le recours à des ressources non verbales:
(6) Décédée dans la nuit de vendredi à samedi à l'âge de 83 ans, Jacqueline Joubert reste dans l'histoire de la télévision comme «la première speakerine française». (LC4 – encart)
Un aperçu des moyens d'annoncer le décès dans nos corpus permettrait de soutenir l'hypothèse de la majorité écrasante du PC. Or, le PC représente moins de 85% des annonces. Toutefois, les proportions sont légèrement plus élevées pour les deux journaux précédemment étudiés: il est mort est utilisé dans 92,98% des cas pour LM, et le PC (est mort, est décédé, s'est éteint ou a été retrouvé mort) est utilisé dans 82,61% dans LF. Il semblerait donc que les pratiques diffèrent entre publications. Le passé récent, proportionnellement en deuxième position dans les études antérieures, ne représente ici qu'une proportion infime.
Pour le corpus diachronique (articles de 2005 exclus), la proportion de PC est nettement inférieure (55,21%) et d'autres ressources sont utilisées, particulièrement des noms (21,88%) et, dans une moindre mesure, des présents (8,33%). Il semble donc que le bulletin nécrologique ait évolué vers un schéma plus formulaire avec un PC (voire est mort pour LM 2005) à l'ouverture.
b. Le PC comme passé perfectif
Le PC n'est pas utilisé exclusivement à l'ouverture; comme le schéma des 9 bulletins examinés le montre (voir tableaux 11 et 12), on le rencontre aussi dans les autres parties du bulletin (la caractérisation majeure, la biographie et surtout les réactions au décès). Directement après l'annonce du décès sont repris les faits marquants de la vie du défunt. Cette partie sommative se prête à l'emploi de parfait du PC: on montre l'impact présent de la personne décédée. Le PC ne joue pas dans ce cadre un rôle de substitution au PS:
(7) Mais son caractère, son énergie, ont d'abord fait d'elle l'archétype de la speakerine [. . .] (LM25)
Dans la partie des réactions au décès, le PC est utilisé principalement pour les verba dicendi (11 occurrences sur 24) et le discours rapporté lui-même (6/24), dans lequel les PC sont accompagnés d'adverbiaux orcentriques (Wilmet, Reference Wilmet1997:366). Ils ne remplissent donc pas un rôle de substitut au PS:
(8) “Il est parti en paix ce matin, il est enfin libre”, a déclaré sa fille, Wang Yannan, dans un premier message envoyé à ses amis. “Il est mortce lundi à 7 heures”, a indiqué Frank Lu, directeur du Centre pour la démocratie et les droits de l'homme, situé à Hongkong. L'ancien patron du Parti communiste chinois (PCC) était plongé dans un profond coma depuis plusieurs jours, selon sa famille. Le gouvernement chinois a confirmé le décès de Zhao Ziyang [. . .] (LM42)
Les PC utilisés dans la partie biographique de l'article seraient susceptibles de commuter avec un PS; on constate toutefois que ces PC sont isolés. Le PC n'est donc pas utilisé de façon consistante pour indiquer la progression narrative dans notre corpus:
(9) ‘Zhao Ziyang a commis les erreurs de soutenir les troubles et de diviser le parti à un moment crucial où l'existence de notre parti et de notre Etat était en jeu’, fut-il ensuite reproché au dirigeant communiste lors de son éviction. (LH 10)
Cette absence du PC pour relater des événements successifs s'explique par sa nature:
The rarity of the PERF in natural narrative has been widely observed (Labov 1972, Givón 1983; Dahl 1985). Givón (1985:232) attributes its low text frequency to the fact that the PERF is typically used to report situations that are out-of-sequence, thereby infringing the narrative norm of sequential presentation. This low frequency of the PERF is also explained by the fact that this category establishes a connection to the speaker's now that cannot be neutralized. (Fleischman, Reference Fleischman1990:30)
On peut donc conclure que le PC ne se substitue généralement pas au PS dans les articles nécrologiques et y possède une fonction distincte.
4.3.3 IMP de description ou de narration?
Herzog (Reference Herzog1981:62) affirmait que les IMP du bulletin nécrologique servaient à la description, les IMP «pittoresques» ne s'y rencontraient que «très rarement». Do-Hurinville (Reference Do-Hurinville2000:203) allait plus loin en affirmant qu'ils n'étaient «pas utilisé(s) dans les textes nécrologiques». Pourtant, un article dans les deux séries analysées plus en détail en présente des occurrences:
(10) Quelques heures plus tard, la loi martiale était proclamée et Zhao limogé. L'intervention populaire empêchant les chars d'entrer dans la capitale durant quinze jours ajoutée à une vacance officielle du pouvoir relançaient alors les manifestations jusqu'à la nuit du 4 juin. Des divisions armées entraient alors dans la capitale, s'opposant aux habitants qui tentaient de les freiner. (LH10).
On connaît les difficultés que rencontrent les linguistes à définir l'IMP «dit narratif» et ses traits distinctifs (voir Bres, Reference Bres2005 et Labeau, Reference Labeau, Labeau and Larrivée2005). Nous avons comptabilisé les occurrences où l'IMP ne remplit pas son rôle traditionnel de passé imperfectif: cela correspond à (i) des emplois traditionnels d'IMP narratifs (verbes téliques avec complément, en variation libre avec une forme perfective) et à (ii) des verbes déclaratifs semelfactifs. On constate que la proportion de ces emplois est limitée de 0% dans LP à 1,69% dans LH, en passant par 0,38% (LC), 0,9% (LM) et 1,29% (LF).
En outre, la majorité des emplois sont isolés. Les seules «séries» comprennent entre 2 et quatre verbes):
(11) . . . autour de 1960, il exposait avec le groupe Zéro. Dans son pays, il était devenu très tôt une célébrité: dès 1957, le Musée des Beaux-Arts de Caracas lui consacrait une importante exposition. En 1960, il recevait le Prix National de peinture du Venezuela, et sa ville natale lui dédiait un musée en 1973. (LM2005, 50)
Dix passages comportent une série de deux IMP.Footnote 5 Une séquence inhabituellement longue de 11 IMP narratifs apparaît:
(12) Simultanément, cet engagement l’amenait aux côtes de Piero Gobetti à la revue Rivoluzione liberale, première formation nettement antifasciste dans les milieux libéraux. Puis Carlo Levi émigrait en France, revenant clandestinement en Italie, où il collaborait à la revue Lotta Politica. Arrêté en 1934, puis relâché, il était de nouveau arrêté en 1935 et, cette fois, renvoyé en résidence forcée à Eboli, bourg situé à l'est de Salerne, aux confins de la Campanie et de la Lucanie, où il exerça son activité de médecin. Il s'en évadait en 1937, repassait en France, séjournait à la Baule au début de la guerre. Revenu en Italie en 1941, arrêté en 1942–1943, Carlo Levi s'évadait, se cachait à Florence, puis entreprenait à la libération une activité de journaliste à la tête de la Nazione del Popolo et d'Italia libera. Mais la publication par Einaudi, en 1945, de Le Christ s'est arrêté à Eboli, orientait sa recherche vers la littérature. (LM 1975:3)
Cette période du corpus de LM abonde en cet emploi (voir aussi 4 exemples dans LM 1975:8) et il pourrait s'agir d'un trait idiosyncrasique difficile à vérifier, tous les articles n'étant pas signés.
Sur base de tous ces extraits, on constate donc que, contrairement à ce qu'avaient avancé les études précédentes, l'IMP est utilisé occasionnellement pour marquer la progression narrative dans les bulletins nécrologiques.
4.3.4 PH vs PRES
Pour Revaz (Reference Revaz1998), la valeur de base du PRES est de marquer un repérage isochronique entre le moment du procès et soit le moment de production, soit un moment de référence «posé ou présupposé dans le texte» (p. 52). Herzog en suggérait deux emplois dans le bulletin nécrologique: le PRES isochronique au moment de la production se rencontrerait dans la conclusion du bulletin pour établir le lien avec l'actualité du lecteur, alors que le PH, isochronique à un repère passé, se trouverait dans le développement, assumant donc un rôle de passé perfectif.
Le présent est utilisé majoritairement pour la narration dans les notices nécrologiques avec 63,54% des emplois en moyenne. Cependant, on constate d'importantes variations entre les journaux: si LF (54,21%–45,79%), LH (50,43%-49,57%) et LP (52,38%–47,62%) comprennent approximativement la même proportion de PH et de PRES, LM et LC présentent des répartitions diamétralement opposées avec respectivement 74,57% et 23,08% de PH. On se souviendra que LC inclut la plus forte proportion de PS (21,5% contre 9,89% en moyenne) et il semble donc que le PH pallie le rôle narratif limité du PS (7,03%) dans LM.
4.3.5 PQP de double antériorité ou de perfectivité?
Traditionnellement, le PQP indique la double antériorité mais Do-Hurinville (Reference Do-Hurinville2000:203) mentionne que ses 12,3% de PQP expriment «très souvent des faits perfectifs datés explicitement». Ayres-Bennett et Carruthers (Reference Ayres-Bennett and Carruthers2001:186–187) signalent aussi que le PQP semble, en français contemporain, pouvoir transmettre un passé ponctuel coupé du présent. Selon elles, cet emploi se manifeste particulièrement à l'oral où le PQP se substitue au PC, dont l'auxiliaire au PRES empêche une coupure nette et sans ambiguïté d'avec le présent. Cette utilisation potentiellement en contraste avec un PRES, voire un FS, peut référer à des événements proches mais séparés par une distance psychologique. Elles donnent l'exemple d'un «total change of circumstances». La mort étant un changement de circonstances radical, le bulletin nécrologique pourrait offrir un contexte idéal pour ce type d'emploi. Toutefois, il ne s'agirait pas d'un emploi oral, et le PQP ne remplacerait pas le PC – dont nous avons vu l'emploi limité plus haut – mais le PS.
(13) Mardi dernier, le ministère des affaires étrangères chinois avait été obligé de réagir aux rumeurs sur la mort de l'ancien dirigeant, confirmant devant les médias étrangers qu'il était hospitalisé dans un état “stable”. L'agence officielle Chine nouvelle était aussi sortie de sa traditionelle[sic] réserve, dimanche, parlant de la “stabilité” de la santé de Zhao Ziyang, dans son service en anglais. Le domicile de l'ancien dirigeant, près de la Cité interdite, au cœur de Pékin, était inaccessible lundi matin, comme c'est le cas depuis quinze ans. Des policiers en civil empêchaient tout visiteur de s'approcher. Sur la place Tiananmen, où le mouvement pour la démocratie avait été écrasé dans le sang le 4 juin 1989, contre la volonté de Zhao Ziyang, la situation était calme lundi matin et la sécurité pas plus visible que d'habitude.
L'ancien dirigeant réformiste a quitté la scène politique, contraint et forcé, le 19 mai 1989, après avoir rencontré des étudiants de la place Tiananmen. Accusé d'avoir “soutenu les émeutes”, il avait été limogé le 24 juin 1989. (LM42; voir aussi LH12, LC13, LM42 et LM25, LF8, LH10, LC4)
Les exemples indiquent clairement que la double antériorité est une valeur marginale du PQP (25,18%). Dans la majorité des cas (73,36%), le PQP remplit le rôle narratif de base d'un passé perfectif et s'accompagne d'adverbiaux temporels. L'emploi comme antérieur du PH reste marginal (1,46%): le PC, malgré son statut ambigu, reste l'outil majeur dans ce contexte. Près de trois quarts des PQP dans le corpus sont utilisés comme passés perfectifs et peuvent donc être considérés en variation libre avec le PS.
4.3.6 Futur des historiens
Pour Herzog (Reference Herzog1981:62), le «futur des historiensFootnote 6» est «étroitement lié à l'emploi du [PH]», ce que confirme Do-Hurinville (Reference Do-Hurinville2000:203) qui avance que le FS partage avec le PS une «valeur aoristique» (perfectif). Le FS remplit-il son rôle élémentaire de référence à l'avenir ou se substitue-t-il à un tiroir narratif passé? Le tableau présente pour chaque publication le nombre total de FS (première colonne) et le nombre de FS utilisés pour exprimer un événement futur (deuxième colonne); les pourcentages correspondent à la proportion de FS à valeur de futur par rapport au nombre total de FS:
Ces données soulignent de nettes divergences dans l'emploi du FS entre les publications populaires et de prestige. Dans les premières, le FS remplit plus souvent sa fonction de base: le FS donne en fin d'article des informations sur l'inhumation. Ce trait apparaît surtout pour les personnalités «de proximité» tels les élus locaux ou les militants. . . le lecteur étant potentiellement désireux de rendre un dernier hommage aux disparus:
(14) Un hommage public sera rendu à Catherine Puig le jeudi 27 janvier à 10 h 30, à la mairie de Montreuil. L'hommage sera suivi de l'inhumation, dans l'intimité de la famille et des proches. (LH14).
Dans les publications plus prestigieuses à diffusion nationale voire internationale, l'emploi du FS consiste surtout à relater des événements passés et contribue à la variété stylistique. Comme les études précédentes l'avaient souligné, cet emploi est généralement en combinaison avec le PH par rapport auquel il évoque la postériorité. Cependant, des combinaisons plus inattendues (PS, PC, COND) émergent, particulièrement dans une des nécrologies consacrées à Artie Shaw (LM1):
(15) En 1959, il publia La Psychologie des Styles et, en 1961, la version initiale du Dictionnaire de poétique et de rhétorique. L'Académie française attribuera à ces deux ouvrages. . . (LM38)
(16) Celle-ci durera deux années durant lesquelles il a écrit The Trouble with Cinderella, son autobiographie, publiée en 1952 (LF1)
Il serait intéressant de voir si les mêmes tendances se manifestent en diachronie. Malheureusement, nous ne disposons de données diachroniques que pour les deux publications de prestige. Il faut noter cependant que les résultats sont inattendus. En effet que les textes de la première moitié du vingtième siècle contiennent uniquement des FS à valeur de futur. Ce n'est que dans les données de 1955 que le futur de narration apparaît (25%) et croît pour dépasser la valeur de base dès 1975 (50%; 80% en 1985 et 1995). Une analyse plus qualitative montre que les textes les plus anciens comportent des références aux funérailles,Footnote 7 trait limité aux publications populaires, et régionales (voir Labeau, sous considération), en 2005.
Ces constatations soulignent deux évolutions majeures au cours du vingtième siècle. D'une part, le bulletin chronologique a perdu sa dimension de proximité: il n'invite plus le lecteur à venir rendre hommage aux défunts. D'autre part, la fonction narrative du FS semble se substituer à sa fonction temporelle.
Un autre phénomène à mentionner est que le FP, qui concurrence le FS dans ses emplois temporels, semble lui aussi assumer des emplois narratifs:
(17) Séduit par la jeune interprète, il commence à lui écrire des chansons sur mesure et leur complicité va mettre cinq ans à se transformer en amour. Au début de leur rencontre, Loulou est neurasthénique parce qu'il vient de divorcer et la future Line, exclusivement préoccupée par son métier, ne songe à rien d'autre.
Line et Loulou vont rattraper le temps perdu et créer ensemble un millier de petites chansons dont la plupart sont devenues immortelles. Jusqu'à ces derniers mois, il ne va pas se passer une journée sans que Loulou s'empare de sa guitare pour créer un refrain. (LF 1995,3)
Il se pourrait donc qu'un nouvel emploi de «futur proche narratif» vienne enrichir le cercle des tiroirs de la narration mais ces emplois ne sont encore qu'occasionnels.
5 CONCLUSION
Au terme de notre étude, tentons de répondre aux questions liminaires sur la vitalité du PS dans la rubrique nécrologique, sur les tiroirs narratifs qui s'y trouvent et sur un éventuel schéma structurel et fonctionnel.
D'abord, le PS apparaît régulièrement dans notre corpus bien que dépassé en fréquence par le PRES, l'IMP et le PC. Dans le corpus contemporain, il représente une proportion moyenne de 9,86% des formes conjuguées, comparé à 2,64% dans les comptes rendus sportifs (Labeau, Reference Labeau2004), pourtant jugés favorables au PS.
En diachronie, la régression depuis le milieu du vingtième siècle qu'avait supposée Do-Hurinville semble confirmée par nos données: la proportion moyenne a diminué de moitié en cinquante ans (LM1955: 19,59%, LF1955: 21,66%) mais semble s'être stabilisée autour de 10% dans le dernier quart du vingtième siècle.
Ce recul quantitatif se double d'un déclin qualitatif dans LP où être correspond à plus de 70% des emplois du PS. Toutefois, dans les autres journaux, être ne représente en moyenne qu'un tiers des occurrences et le PS marque une grande variété de verbes.
Etant donné la baisse d'emploi du PS depuis le milieu du vingtième siècle, nous avons cherché à déterminer ses remplaçants. Aux candidats les plus probables (PC, IMP et PRES), nous avons ajouté le PQP et le FS dont la fréquence est comparable à celle du PS. Nous avons conclu que le PC, souvent identifié comme le remplaçant du PS, n'est généralement pas utilisé comme passé perfectif mais comme présent parfait ou pour marquer l'antériorité au PH. Le présent dans son emploi historique apparaît d'ailleurs le plus fréquemment dans la rubrique pour narrer des faits passés. Contrairement aux études antérieures, nous avons constaté que l'IMP narratif se rencontrait dans les bulletins nécrologiques et, si les segments sont généralement limités et en contraste avec d'autres tiroirs, il constitue occasionnellement la ressource narrative majeure. Nous avons également relevé la faculté du PQP et du FS (voire du FP) à s'employer pour la narration de faits passés, indiquant une tendance – déjà relevée dans Labeau (Reference Labeau, Labeau, Vetters and Caudal2007) – de la langue contemporaine à favoriser l'aspect sur le temps.
Finalement, un examen détaillé d'articles nous a amenée à rejeter le schéma proposé par Herzog. Les bulletins se composent au minimum de l'annonce de la mort et d'une partie biographique; la première partie favorise des formes indiquant le lien à l'actualité, telles que le PC dans son emploi de parfait et le passé proche; la seconde des formes marquant une coupure d'avec l'actualité.
En conclusion, le PS, s'il est plus commun dans le résumé biographique et dans les publications conservatrices, demeure une forme productive du bulletin nécrologique contemporain.