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Jean-Claude Anscombre, María Luisa Donaire & Pierre Patrick Haillet (dir.), Opérateurs discursifs du français: éléments de description sémantique et pragmatique. (Sciences pour la communication, 105.) Berne: Peter Lang, 2013, 256 pp., 978 3 0343 1398 8 (broché), 978 3 0351 0573 5 (numérique)

Published online by Cambridge University Press:  04 June 2014

Monique Monville-Burston*
Affiliation:
Language Centre, Cyprus University of Technology, 30, Archbishop Kyprianos, 3036 Limassol, Cyprusmonique.burston@cut.ac.cy
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Abstract

Type
Book Review
Copyright
Copyright © Cambridge University Press 2014 

Cet ouvrage collectif s’inscrit dans deux cadres théoriques de l’analyse du discours: l’argumentation dans la langue et l’approche polyphonique (Anscombre & Ducrot Reference Anscombre and Ducrot1983). Il rassemble des travaux du groupe franco-espagnol de recherche OPERA dont l’objectif est d’élaborer, pour les ‘opérateurs discursifs’, des définitions sémantiques qui répondent à leur spécificité et remédient aux insuffisances des dictionnaires conventionnels. Les opérateurs sont définis comme des unités linguistiques dont la fonction est ‘d’instruire des opérations sémantico-pragmatiques ayant pour but la construction du sens de l’énoncé et guidant de ce fait son interprétation dans le discours’ (3). Le terme opérateur est préféré à connecteur, marqueur de discours, particule, parce que certaines entités lexicales peuvent cumuler des fonctions sémantico-pragmatiques différentes et donc appartenir à plusieurs classes distinctes: ainsi franchement est à la fois marqueur d’énonciation et connecteur (29).

Les opérateurs traités dans le présent ouvrage sont au nombre de quinze: ce sont à coup sûr, apparemment, bien sûr (J.-C. Anscombre); au moins, du moins (P.P. Haillet); certes (C. Foullioux); de toute façon (E. Alvarez Prendes); enfin, seulement (M.L. Donaire); en tout cas (D. Tejedor de Felipe); et encore (S. Deloor); particulièrement (J. Vázquez Molina); puisque (C. Alvarez Castro & M.L. Donaire); spécialement (A. Hermoso Mellado-Damas); et voilà (J. Delahaie). Des tableaux récapitulatifs/comparatifs résument les propriétés des opérateurs et permettent de contraster leurs variantes sémantiques. L’ouvrage s’adressant à des linguistes professionnels, mais aussi à un public moins spécialisé ayant cependant une formation en linguistique, le métalangage et les aspects techniques des quinze ‘fiches’ descriptives ont été simplifiés. La dimension théorique et les exigences méthodologiques, qui font l’objet de deux chapitres rédigés respectivement par J.-C. Anscombre et P.P. Haillet, n’ont pas été sacrifiées.

Anscombre rappelle deux principes fondamentaux de la théorie standard de l’argumentation: la polyphonie (rejet de l’unicité du sujet parlant au profit de l’hétérogénéité énonciative) et une approche non référentialiste de la langue (ce qui détermine le sens d’un énoncé, ce sont les raisons pour lesquelles il a été produit et non des notions de valeur informative ou de vérité). L’auteur reprend la distinction des trois niveaux d’‘acteurs linguistiques’ intervenant dans la fabrication et le sens de l’énoncé: ‘sujet parlant’ (producteur empirique de l’énoncé), ‘locuteur’ (responsable de l’énoncé) et ‘énonciateurs’ (supports des ‘points de vue’ [pdv] mis en scène par le locuteur). Enrichissant la théorie standard, Anscombre affirme ensuite la nécessité de distinguer la structure de surface (observable) d’une structure sémantique profonde (15). Les pdv, entités abstraites spécifiées dans la structure profonde, correspondent aux rôles discursifs – ou ‘voix’, situées dans la structure de surface – attribués aux personnages du discours par le locuteur. Anscombre s’intéresse aussi à l’organisation et à la hiérarchie des sources des pdv et à la relation entre source de l’énoncé et ‘objet construit’ (ce dont on parle). Enfin, il préconise des méthodes d’analyse moins intuitives et plus rigoureuses.

Dans son chapitre à lui, Haillet précise comment entendre le concept de ‘stratégie discursive’: si deux ou plusieurs pdv sont présents dans le discours, il y a stratégie discursive, celle-ci correspondant à la manière dont le locuteur met en relation les pdv pour arriver à ses fins discursives. L’opérateur permet de repérer la stratégie à l’œuvre. Haillet souligne aussi que les principes d’analyse utilisés dans les fiches s’appuient sur des critères formels: enchaînements compatibles ou non avec l’énoncé étudié, paraphrases permises ou non, commutations admises ou exclues par un opérateur dans son contexte.

Les fiches elles-mêmes ont l’avantage de suivre toutes le même plan. L’entrée de l’‘unité lexicale’ (l’opérateur) commence par un mini-corpus (Frantext, textes de presse, Internet, 1960–2011) sur la base duquel la ou les ‘unités sémantiques’ (c’est-à-dire les types de fonctionnement discursif, les variantes sémantiques) de l’opérateur sont établies. Pour chaque unité sémantique une glose est donnée en langage non technique. Viennent ensuite les propriétés linguistiques (syntaxiques, puis sémantico-pragmatiques) de l’unité et sa modélisation polyphonique (stratégie discursive en jeu, nombre et nature des pdv, sur la base de la notation et des concepts élaborés précédemment). Chaque fiche se termine par une notice diachronique (la plupart de celles-ci sont rédigées par F.M Bango de la Campa) et une courte bibliographie.

On recommandera vivement cet ouvrage aux lecteurs intéressés par la pragmatique et l’analyse du discours, qu’ils appartiennent ou non à la mouvance argumentative. L’introduction annonce clairement le but de l’ouvrage et celui-ci se trouve pleinement réalisé en fin de course. La présentation matérielle est bonne, à l’exception d’erreurs typographiques qui auraient pu être évitées par un contrôle éditorial plus strict. Le livre est accessible, étant donné l’évitement délibéré d’un haut niveau d’abstraction dans les fiches. Les résultats présentés dans celles-ci ne sont pas tous entièrement nouveaux, mais le grand intérêt de l’ouvrage tient à ce qu’il offre une collection d’études présentées de façon uniforme et systématique. C’est en cela, ainsi que dans le recadrage théorique évoqué ci-dessus, que réside son originalité. Ce travail témoigne de la vitalité de l’analyse du discours et de la pragmatique ‘à la française’.

References

RÉFÉRENCES

Anscombre, J.C. & Ducrot, O. (1983). L’argumentation dans la langue. Bruxelles: Mardaga.Google Scholar