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Le comportement électoral des Québécois, Éric Bélanger et Richard Nadeau, Les presses de l'Université de Montréal, Montréal, 2009, 173 pages

Published online by Cambridge University Press:  21 December 2010

Jean-Herman Guay
Affiliation:
Université de Sherbrooke
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Abstract

Type
Reviews / Recensions
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association 2010

À maints égards, l'ouvrage de Bélanger et Nadeau apporte beaucoup aux lecteurs soucieux de comprendre le comportement électoral des Québécois. On ne disposait pas d'analyse approfondie des élections de 2007 et 2008. L'élection d'un gouvernement minoritaire libéral en 2007 et la chute dramatique du taux de participation en 2008 justifiaient une telle réflexion. Quand on ajoute la montée de l'Action démocratique du Québec (ADQ) en 2007 et son déclin en 2008, puis l'obtention d'un premier siège par Québec solidaire, s'accumulent d'autres motifs pour prendre les quelques heures nécessaires à la lecture de l'ouvrage. Bélanger et Nadeau renouent ainsi avec une pratique qu'avait amorcée André Bernard pendant les années 1970.

L'ouvrage est d'autant plus intéressant qu'il offre une structure adéquate et progressive. D'abord un survol des élections générales québécoises depuis la Seconde Guerre mondiale qui nous amène peu à peu aux élections de 2007 et 2008. Ensuite une revue de la littérature qui nous permet de reconnaître les principales interprétations ou explications du comportement électoral. Tous les auteurs ne sont pas au rendez-vous, mais la variété est suffisante pour rendre compte des points consensuels et des dissidences. Les six chapitres suivants procèdent d'un découpage simple : trois sont consacrés à l'élection de 2007 et trois autres à l'élection de 2008. Les auteurs appliquent la même structure : d'abord le trait distinctif du scrutin, puis les variables lourdes (aspects sociodémographiques, valeurs et orientations) et en troisième lieu, les facteurs relevant du court terme (l'image des chefs et les enjeux discutés).

L'ouvrage combine un récapitulatif des événements – mandats et campagnes – et un traitement plus quantitatif. Sa part d'originalité tient à deux grandes enquêtes menées au lendemain du scrutin de 2007 et de celui de 2008.

Certes, un spécialiste de la politique québécoise apprendra relativement peu en lisant ce livre. En dehors de ce cercle très étroit, le lectorat ciblé trouvera dans ces pages des informations importantes sur des enjeux non négligeables que l'on présente ici en rafale.

  • Pour les deux scrutins, les tiers partis – l'Action démocratique du Québec, Québec solidaire et le Parti vert – ont profité du malaise démocratique qu'on peut associer au cynisme à l'endroit de la classe politique.

  • Sur cinq variables liées aux orientations et valeurs – la question nationale, le rôle de l'État, patronat et syndicat, le conservatisme moral et le malaise démocratique – les auteurs ont analysé avec finesse les différents positionnements (Tableaux 4.2 et 7.2) de l'électorat québécois. Cela permet de comprendre que, par-delà la volatilité des appuis aux différents partis, les schèmes idéologiques supportant la réception du discours partisan sont demeurés très stables de 2007 à 2008.

  • Le rôle des chefs est bien défini, en particulier par les modèles; on voit ainsi qu'en 2007, la perception négative de Jean Charest et André Boisclair, conjuguée à une image positive de Mario Dumont, a contribué à la montée de l'ADQ. En 2008, la contre-performance de ce dernier, jointe à l'arrivée de Pauline Marois, a permis aux deux grands partis de reprendre le terrain perdu en 2007 et de rétablir le bipartisme qui marque historiquement l'Assemblée nationale.

  • C'est cependant au chapitre du vote de l'ADQ et du taux de participation que l'analyse est particulièrement riche. Nombreux furent ceux qui ont cru que la très forte chute de l'ADQ en 2008 s'expliquait essentiellement par l'abstentionnisme de sa clientèle électorale. La magie des nombres a joué : l'ADQ ayant perdu presque 700 000 électeurs de 2007 à 2008 et le nombre d'électeurs ayant chuté de 724 000, plusieurs n'ont pas hésité à conclure que les adéquistes étaient tout simplement restés à la maison. Bélanger et Nadeau invalident cette hypothèse en s'appuyant sur les sondages postélectoraux : « les adéquistes ne se sont pas abstenus en plus grand nombre, du moins dans une proportion plus grande que les électeurs des autres partis ». (Il faudrait indiquer la page de référence ici)

On reste cependant plus dubitatif sur la prédiction, bien que prudente, d'un retour de la question nationale au devant de la scène politique. Les auteurs estiment que la niche de l'autonomisme « s'est rétrécie avec le temps et que les opinions constitutionnelles au Québec [seraient] en voie de se polariser de nouveau ». (Ajouter la page de référence) Comparant des données du Centre de recherche et d'information du Canada, ils notent qu'en 2008 et en 2007 plus de gens s'identifiaient comme souverainistes ou fédéralistes qu'en 2002 et 2004. Dans les dernières pages, ils envisagent ainsi qu'une réémergence de cette question pourrait contribuer à mobiliser de nouveau les électeurs québécois, comme ce fut le cas entre 1970 et 1998. Il faut cependant noter que l'autonomisme de l'ADQ, comme troisième étiquette, n'a pas fait long feu; en 2008, Mario Dumont mettait d'ailleurs l'accent sur d'autres aspects de son programme. Évidemment, le caractère réactif du souverainisme québécois n'exclut pas la possibilité d'une nouvelle polarisation. Il n'en reste pas moins que d'autres enquêtes, notamment celle qui a été menée pour le compte de l'Idée fédérale par la maison de sondage CROP en avril 2010, montrent un essoufflement structurel de la question nationale, une fatigue des débats constitutionnels et un refus chez beaucoup d'électeurs de s'identifier par les étiquettes traditionnelles du débat. Quand, il ne reste que quatorze pour cent des répondants qui estiment que le Québec sera un pays indépendant d'ici trente ans, on peut rester perplexe devant l'anticipation d'une nouvelle polarisation, du moins à court ou à moyen terme.

L'ouvrage présente enfin des lacunes parfois formelles, parfois informationnelles. D'emblée les auteurs annoncent qu'une large portion de l'échantillon de 2007 a été recueillie sur Internet; dans le cas de 2008, c'est la totalité. Cette méthodologie a ses forces et ses faiblesses. Le fait que l'enquête se soit déroulée au lendemain du scrutin, donc après le dévoilement des résultats, peut également avoir une incidence sur les réponses données. Les auteurs le reconnaissent d'ailleurs : « L'usage de sondages post-électoraux constitue nécessairement une limite à la présente étude, limite à propos de laquelle rien ne peut être fait, si ce n'est que d'adopter une certaine prudence dans l'interprétation des résultats obtenus ». (Ajouter la page de référence ici) Dans cet esprit, il aurait été intéressant de mettre en parallèle les résultats électoraux et les résultats du sondage, du moins en annexe. Sauf erreur, cette information n'y est pas. La deuxième réserve est également méthodologique : les auteurs travaillent sur la base de modèles à plusieurs variables, mais il aurait été intéressant d'avoir des fréquences simples et des résultats bivariés. Par exemple, il aurait été très simple d'ajouter au Tableau 4.1, tout comme au Tableau 7.1, une ligne indiquant la répartition par parti de la totalité des répondants. La lecture aurait été plus facile.

Aussi, l'ouvrage aurait gagné en clarté si le modèle des « blocs récursifs » avait fait l'objet d'une schématisation. Les résultats détaillés, placés en annexe, sont cependant assez clairs pour que le lecteur averti s'y retrouve aisément. Une utilisation de schémas aurait pu prendre pour modèle le graphique 7.1. Bien plus que le 4.1, il offre au lecteur une image claire et synthétique des positions des partis – selon les répondants – sur les deux dimensions les plus structurantes du comportement électoral. Pareil exercice aurait pu être repris dans d'autres cas.

En somme, l'ouvrage de Bélanger et Nadeau présente au lectorat intéressé une explication synthétique adéquate, sans être évidemment complète, d'un comportement électoral qui en a étonné plusieurs lors des deux derniers scrutins.