Hostname: page-component-745bb68f8f-cphqk Total loading time: 0 Render date: 2025-02-11T07:59:09.219Z Has data issue: false hasContentIssue false

Le fédéralisme de réconciliation et les Peuples Autochtones : ébauche d'une proposition institutionnelle

Published online by Cambridge University Press:  15 October 2019

Oscar Mejía Mesa*
Affiliation:
Université Laval
*
Corresponding author. E-mail: oscar.mejia-mesa.1@ulaval.ca
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Résumé

La Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVRC) réitérait en 2015 la volonté des Peuples Autochtones de renouveler leur relation avec l’État canadien. Cet article présente une réflexion théorique sur les possibilités offertes par le fédéralisme afin de renouveler cette relation entre les Autochtones et l’État. L'article confronte les arguments des tenants du fédéralisme comme cadre des relations entre les Autochtones et l’État et ceux des critiques de l’établissement d'un rapport fédéral de nation à nation entre les Peuples Autochtones et le Canada. L'article présente donc une proposition pour le renouvellement de la relation entre les Autochtones et l’État à travers un modèle de fédéralisme basé autour de régions autochtones autonomes.

Abstract

The Truth and Reconciliation Commission of Canada reiterated in 2015 the Indigenous people's aspiration of renewing the relationship with the Canadian state. This article is a theoretical reflection on the possibilities offered by federalism to renew this relationship. The article confronts the arguments by the advocates of federalism as a framework for the relationship between the Indigenous peoples and the state and the critical arguments against the setting of nation-to-nation federal relationship between the two parties. The article then presents a theoretical proposition for modeling a new relationship between the Indigenous peoples and the state through a federalism based on autonomous indigenous regions.

Type
Review Essay/Essai critique
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association (l'Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique 2019 

En 2015, la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVRC) réitérait certaines des demandes autochtones exprimées, 19 ans plus tôt, dans le Rapport de la Commission royale sur les Peuples Autochtones (Canada 1996 : CRPA V.2). La CVRC demandait au gouvernement canadien d'adopter une nouvelle « Proclamation royale et un pacte de réconciliation » qui « réaffirmerait la relation de nation à nation entre les Peuples Autochtones et l’État » en engageant celui-ci, entre autres, à « i. répudier les concepts utilisés pour justifier la souveraineté des peuples européens sur les territoires et les Peuples Autochtones […] ; iii. établir des relations qui se rattachent aux traités et qui sont fondées sur les principes de la reconnaissance mutuelle, du respect mutuel et de la responsabilité partagée […] ou renouveler les relations de ce type déjà nouées ; iv. concilier les affaires constitutionnelles et juridiques des Peuples Autochtones et de l’État pour s'assurer que les Peuples Autochtones sont des partenaires à part entière au sein de la Confédération […] » (CVRC 2015 : 356).

Cet article présente une réflexion théorique sur les possibilités offertes par le fédéralisme afin de renouveler la relation entre les Autochtones et l’État dans les termes réitérés par la CVRC (2015). Pour ce faire, dans la première partie de l'article, nous expliquons que ces demandes peuvent être articulées au moyen des principes normatifs du fédéralisme. Ensuite, nous faisons référence au débat sur les tensions engendrées dans le fédéralisme canadien par l'affirmation politique autochtone, en particulier, face à la question nationale québécoise et au partage de souveraineté entre gouvernement central et provinces. Nous terminons cette partie en soulignant que la proposition du fédéralisme comme cadre des relations entre les Autochtones et l’État existe depuis les travaux de la CRPA et certains travaux de la pensée juridique canadienne des années 1990. La deuxième partie est une discussion sur les arguments critiques des opposants de l'idée de l’établissement d'un rapport fédéral de nation à nation entre les Peuples Autochtones et le Canada. Ces critiques se trouvent dans des travaux de deux universitaires provenant d'horizons différents de la science politique canadienne. Nous réviserons donc les arguments d'Alan Cairns voulant que la reconnaissance des niveaux majeurs d'autonomie autochtone représente un risque de fragmentation de l'unité et de la citoyenneté canadiennes ainsi que les arguments de Taiaiake Alfred statuant l'existence « des valeurs fondamentalement opposées » entre les Peuples Autochtones et la société occidentale. Dans la troisième partie de l'article, nous présentons une proposition pour le renouvellement de la relation entre les Autochtones et l’État à travers une ébauche d'un modèle de fédéralisme construit autour des régions autonomes autochtones.

I

Pour certains observateurs, la réitération du besoin de renouvellement de la relation entre les Peuples Autochtones et l’État peut paraitre à première vue s’éloigner du mandat de la CVRC en lien avec la vérité, la guérison et la réconciliation entre le Canada et les victimes des pensionnats autochtones. Ces demandes sont néanmoins cohérentes puisque la Commission établissait, depuis son début, que le processus de vérité et réconciliation s'inscrivait « dans une réponse holistique et globale aux séquelles des pensionnats indiens » et « aux torts causés aux Autochtones », en remarquant aussi que la reconnaissance de ces injustices exigeait « un véritable engagement à établir de nouvelles relations reposant sur la reconnaissance et le respect mutuels qui prépareront un avenir meilleur » (CVRC 2015). À ce propos, Ivison (Reference Ivison2002) a justement souligné que les demandes des Peuples Autochtones ne portent pas seulement sur la compensation ou la réparation. Ces demandes portent aussi sur les « termes d'association » entre eux et l’État colonial. Considérées depuis cet angle, l'imposition de la souveraineté canadienne sur les Autochtones et l'injustice de l'expropriation de leurs terres ne constituent pas seulement un problème de dépossession de propriété ou de violation des droits négatifs de non-interférence, mais aussi une violation ou un déni des termes d'association juste (Ivison Reference Ivison2002 : 100). Des termes d'association juste impliquent que les institutions chargées de distribuer les biens puissent reconnaître les différentes conceptions de propriété et coordonner les compétences sur un territoire. Pour y parvenir, « we must come to an arrangement that will not necessarily settle all these questions once and for all, but allow the different parties to coexist on terms that are as mutually acceptable as possible » (Ivison Reference Ivison2002 : 101).

Dans le même sens, James Tully affirme que « indigenous peoples and settler peoples can recognise each other as free and equal on the same territory because jurisdiction can be shared as well as exclusive » (Reference Tully, Ivison, Patton and Sanders2000 : 51). Il est donc plausible d'affirmer que « les deux dimensions de l'autodétermination des Peuples Autochtones, soit la recherche d'un espace politique propre et de mécanismes assurant la coexistence, s'inscrivent particulièrement bien dans la logique du principe fédéral [soit] une association fondée sur le libre consentement alliant gouvernance autonome et gouvernance partagée » (Papillon Reference Papillon and Gagnon2006 : 467–468)Footnote 1. À cet égard, d'autres spécialistes rappellent que le fédéralisme permet d'accommoder la diversité et les allégeances multiples dans un même État ainsi que de partager la souveraineté entre plusieurs niveaux de gouvernement (Burgess Reference Burgess2006 ; Hawkes Reference Hawkes2001). En raison de sa grande capacité d'adaptation et d'innovation (démontrée selon Burgess à travers la création du Nunavut), le fédéralisme constituerait un moyen approprié pour adapter le système aux demandes de nouveaux acteurs. Or, si d'un côté la capacité d'adaptation du fédéralisme peut favoriser l’émergence d'acteurs politiques tels que les communautés autochtones, il faut noter, d'un autre côté, qu'elle peut entrer en conflit avec les deux traits inhérents du fédéralisme qui sont l'existence des allégeances multiples à l'intérieur du système et le partage de la souveraineté entre un État central et les unités fédérées.

En premier lieu, en rapport avec la diversité et les allégeances multiples, McRoberts (Reference McRoberts2001) a déjà expliqué que le Canada, bien qu'ayant dépassé la vieille conception du binationalisme en faveur d'une idée de plurinationalité, demeure néanmoins confronté au défi de concilier deux conceptions opposées de nation : « nations that originated with white settler colonies, while subsequently acquiring other populations, versus nations that consist of Aboriginal Peoples » (Reference McRoberts2001 : 709). Ainsi, la définition d'un Canada comme État multinational assimilerait des conceptions différentes de nation par l'effacement des différences de taille, de dispersion/concentration géographique, de capacité institutionnelle, entre les nations autochtones et les nations eurodescendantes. Qui plus est, l'existence de tensions entre les nationalismes autochtone et québécois prouve que la théorisation d'un Canada multinational néglige le fait que les nationalismes minoritaires partagent rarement un discours commun ; ils sont même des concurrents plutôt que des alliés (McRoberts Reference McRoberts2001:709–10).

Depuis les années 1980, l'affirmation politique autochtone a indubitablement été en tension avec la question nationale québécoise et le projet souverainiste. Cette dynamique conflictuelle s'est exacerbée avec le rôle du mouvement autochtone dans l’échec de l'accord qui devait réintégrer le Québec à la Constitution canadienne. Ainsi, bien que le député autochtone Elijah Harper ait probablement été le plus célèbre opposant à la signature de l'Accord du lac Meech en 1990, en réalité, la résistance autochtone avait commencé plus tôt (Peach Reference Peach2011). Dès 1987, l'Assemblée de Premières Nations (APN) et le Comité inuit sur les questions nationales, ainsi que le désormais nommé Congrès des Peuples Autochtones, avaient exprimé leurs préoccupations devant le Sénat et la Chambre des communes au sujet de l'accord. Plus spécifiquement, ces organisations rejetaient la clause de l'accord qui reconnaissait le Québec comme une société distincte. Pour eux, cette clause empiétait sur leur propre distinctivité en plus de perpétuer l'idée d'une dualité canadienne et le mythe que les Français et les Anglais sont les peuples fondateurs du Canada (Peach Reference Peach2011). D'autres évènements, tels que la crise déclenchée par la résistance armée d'Oka, aussi en 1990, s'ajouteraient à ces tensions entre nationalisme québécois et autochtoneFootnote 2. Cette opposition a atteint son paroxysme, en 1995, lors du référendum sur la souveraineté du Québec. Les nations autochtones de la province ont alors exprimé, aussi par voie référendaire, leur refus catégorique de se « joindre à un Québec souverain », en plus de leur volonté manifeste de continuer à faire partie du Canada, tandis que le gouvernement souverainiste « proclamait l'indivisibilité du territoire québécois » (Salée Reference Salée and Gagnon2003 : 132). L'antagonisme entre les nationalismes autochtone et québécois ne s'est pas apaisé avec le temps. Vingt plus tard, en novembre 2015, en pleine réunion du Conseil national du Parti québécois, Ghislain Picard, chef de l'Association des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL), réaffirmait l'existence d'une souveraineté de la nation innue sur son territoire ancestral (Dutrisac Reference Dutisac2015) ; une semaine plus tard, les neuf chefs innus du Québec exprimaient leur adhésion à la position du chef de l'APNQL (Neuf Chefs Innus 2015).

Il est par ailleurs intéressant d'observer que l'une des conséquences de cette opposition se manifeste dans le champ de la science politiqueFootnote 3. Choquette (Reference Choquette2017) montre à cet égard que, lorsque comparée à la recherche anglo-canadienne sur les questions autochtones, la science politique franco-québécoise s'est montrée traditionnellement moins intéressée par le sujet. Selon l'auteure, la construction du discours national franco-québécois aurait contribué à réduire et à marginaliser les réalités politiques autochtones au sein de la littérature scientifique francophone. Nonobstant, la science politique québécoise a développé une expertise thématique autour de la question de l'autonomie et du fédéralisme. L'intérêt marqué pour ces questions, en particulier pour le fédéralisme par traité, signale une avenue de recherche prometteuse qui peut « contribuer au réaménagement de l'espace autochtone dans l'ordre politique canadien » (Choquette Reference Choquette2017 : 192). D'après nous, cependant, cette avenue de recherche sera prometteuse dans la mesure où elle délaisse des arguments reliés à la « distinctivité culturelle autochtone » et pose plutôt la notion de réparation d'injustice historique comme base normative de tout arrangement fédéral visant l'autogouvernement autochtone. Toute théorisation d'un fédéralisme renouvelé devra donc reconnaître les réalités de la dépossession, de la colonisation et de la marginalisation des Peuples Autochtones par les peuples eurodescendants. Comme le soutient Moore (Reference Margaret, Macedo and Buchanan2003), des notions telles que « distinctivité culturelle » ou culture sociétale ne reflètent pas l'aspiration des Autochtones au rétablissement de leur droit à s'autogouverner, notamment, parce que ces notions assimilent la situation de ces peuples à celle des minorités nationales comme les Québécois. En revanche, l'argument moral de l'injustice historique constitue une base plus solide pour justifier l'application d'un principe de justice rectificatrice à travers l'arrangement d'un cadre des relations fédérales entre les Autochtones et l’État. Ce n'est pas par hasard que les demandes autochtones d'un renouvellement de la relation entre leurs peuples et l’État réapparaissent dans le rapport de la CVRC.

En deuxième lieu, en lien avec le partage de la souveraineté entre l’État central et les provinces, il vaut la peine de rappeler certains des impacts du système fédéral canadien sur les Peuples Autochtones. Martin Papillon, par exemple, bien que défenseur d'un arrangement fédéral entre l’État et les Autochtones, a déjà signalé clairement le paradoxe dans la situation des Autochtones dans le contexte d'une fédération : « les minorités “sans État” sont souvent plus vulnérables face aux intérêts régionaux qui bénéficient d'un lien plus direct avec les gouvernements provinciaux. C'est ce que d'autres appellent “la tyrannie des pouvoirs locaux” au sein des fédérations » (Papillon Reference Papillon and Gagnon2006 : 464–65). Simeon (Reference Simeon and Greer2006) a répertorié un ensemble de raisons pour lesquelles les Autochtones se méfient de l'impact du fédéralisme sur leurs aspirations. En effet, la dynamique établie entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux a historiquement laissé peu d'espace pour la considération de l'autonomie autochtone étant donné que les institutions du fédéralisme se sont construites principalement autour des différences territoriales et régionales. Ainsi, quand les autochtones sont devenus politiquement saillants et ont cherché à redéfinir leur position au sein de la fédération canadienne, ils se sont heurtés aux intérêts institutionnalisés des gouvernements provinciaux.

Simeon rappelle que la posture du maintien de « la paix » intergouvernementale par le gouvernement fédéral a souvent contraint sa capacité d'agir, même à l'intérieur de ses propres compétences. Le fédéralisme a ainsi « compromis » certaines politiques fédérales dans le but d’éviter la résistance des provinces. En outre, puisque les provinces ont compétence sur les terres de la Couronne (dans certaines provinces il n'existe aucun traité concernant ces terres), elles ont été réticentes à accepter les revendications territoriales autochtones. À tout cela s'ajoute la question des disputes intergouvernementales qui concernent l'assignation de la responsabilité de livrer des services tels que la santé et l’éducation aux populations autochtones, à l'intérieur et à l'extérieur des réserves. Ainsi, comme Christa Scholtz le dit, « [f]ederalism's mantra as a positive ‘political opportunity structure’ must in this case be taken with a few grains of salt » (dans Simeon Reference Simeon and Greer2006 : 35). Nonobstant ces critiques, Simeon croyait possible qu'un arrangement fédéral puisse être à la base d'un cadre bien adapté pour la réconciliation. Selon lui, la logique fédérale peut fournir la clé en faveur d'un accord mutuellement acceptable, par exemple, à travers le « fédéralisme par traités » (Reference Simeon and Greer2006 : 37). Rodon (Reference Rodon, Gervais, Papillon and Beaulieu2013 : 391) affirme, avec d'autres universitaires, que, en fait, on « assiste à la création progressive d'un ordre fédéral parallèle fondé sur les traités » (White Reference White2002 ; Ladner Reference Ladner2005 ; Wilson Reference Wilson2008 ; Rodon Reference Rodon, Leenaerts and Visart2011). Par conséquent, pour plusieurs, le fédéralisme apparaitrait comme la base d'un arrangement permettant le renouvellement de la relation entre les Peuples Autochtones et l’État décrit par la CVRC.

Il faut rappeler que le fédéralisme comme principe régulateur des relations entre les Peuples Autochtones et l’État n'est pas une idée nouvelle apportée par des spécialistes et des universitaires. Au Canada, les Peuples Autochtones interprètent le fédéralisme comme une extension de la pratique ancestrale consistant à établir des traités et des alliances avec d'autres peuples, que ce soit pour le commerce, le maintien ou la recherche de la paix ou pour partager le territoireFootnote 4. C'est dans cette tradition que s'inscrit la demande au gouvernement canadien par la CVRC d'adopter une nouvelle « Proclamation royale comme pacte de réconciliation réaffirmant la relation de nation à nation entre les Autochtones et l’État ». La même vision se reflétait déjà dans les propositions contenues dans le Rapport de la CRPA. Selon la Commission, « le renouvellement de la relation entre les Peuples Autochtones et l’État canadien doit passer par la négociation et la mise en œuvre de nouveaux traités qui supposent au préalable le caractère souverain des parties impliquées » (Green Reference Green2004 : 31). Dans le document de la CRPA, le fédéralisme fondé sur les traités est présenté comme le mécanisme qui permettrait la constitutionnalisation du droit à l'autonomie gouvernementale, à travers un troisième niveau de gouvernement autochtoneFootnote 5.

La pensée juridique a envisagé, dès le début des années 1990, l'avenue du fédéralisme comme une alternative réalisable pour accommoder les aspirations des Peuples Autochtones. Des juristes canadiens, Autochtones et non-autochtones ont été parmi les premiers à considérer sérieusement la question de l'autogouvernement autochtone sous le prisme du fédéralisme. Il faut donc mentionner à cet égard les remarquables contributions de Bruce Ryder (Reference Roy1991) et Patrick Macklem (Reference Macklem1991 ; Reference Macklem1993 ; Reference Macklem2001). Pour le premier, c’était clair que « comme le Québec n'a pas consenti à l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982, les Premières nations n'ont pas non plus consenti à l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1867 » (Ryder Reference Ryder1991 : 317). Il affirmait en plus que si l'article 35 de la Constitution de 1982 a changé la situation constitutionnelle à travers la protection des droits existants et des droits des traités, « cela n’était pas pourtant une reconnaissance de la compétence législative des Premières nations ». Selon Ryder, la Cour suprême conserve une vision hiérarchique des relations entre les Premières nations et l’État fédéral dans le domaine de la jurisprudence constitutionnelle en s’éloignant donc d'une relation fédérale entre des gouvernements autonomes et coordonnés. Ryder plaidait pour une remise en question les doctrines de l'exclusivité des compétences et de la prépondérance du niveau fédéral, au profit d'une vision d'un fédéralisme coopératif où « chaque problème social devrait pouvoir être traité par au moins un niveau de gouvernement, mais de préférence les deux », c'est-à-dire, où on accepte « une bonne dose de chevauchement et d'interaction de pouvoirs exclusifs » (ibid. : 326). C’était le moyen à privilégier selon cet auteur pour favoriser et accroitre les compétences des gouvernements autochtones.

La contribution de Patrick Macklem (Reference Macklem2001 ; Reference Macklem1993) allait dans la même direction. Selon lui, au niveau du droit international, des notions plus flexibles de la souveraineté, capables d'accommoder les aspirations autochtones voient le jour graduellementFootnote 6. Ce juriste affirmait qu'au niveau domestique ou interne, « comme tout fédéraliste le sait, des degrés d'autorité souveraine peuvent être maniés par différentes entités —États, provinces, et, comme l'expérience américaine le démontre, les nations autochtones— lesquelles détiennent l'autorité souveraine sur des personnes et sur le territoire » (Macklem Reference Macklem2001 :110). À son avis, la souveraineté réfère plus à l'expression légale de la différence collective d'une communauté, en l'occurrence, les Peuples Autochtones, qu’à des structures spécifiques d'autorité ; « rien d'inhérent au concept de souveraineté dicte une forme institutionnelle en particulier » (ibid. : 112). Pour cet auteur, la légitimité de souveraineté du Canada dépend de la mesure dans laquelle l'ordre constitutionnel canadien protège les intérêts liés à la différence des Autochtones (ibid. : 125). Pour ce faire, la Constitution devra donc établir des arrangements permettant aux Autochtones, ainsi qu'aux gouvernements fédéral et provinciaux, d'exercer une autorité souveraine d'une manière qui exprime et protège les expériences de vie des communautés qui se chevauchement dans l'arrangement (ibid. : 123).

II

Dans les contributions des deux juristes, il est remarquable que leur initiative intellectuelle leur ait permis de penser aux Peuples Autochtones en tant que partenaires cosouverains de la fédération canadienne à un moment où la science politique en général, et les spécialistes du fédéralisme en particulier, envisageaient difficilement cette possibilitéFootnote 7. En fait, la réponse de certains politologues, paradoxalement spécialistes des questions autochtones, n'a pas été bienveillante devant cette poussée de créativité théorique. C'est ainsi qu'Alan Cairns, dans son livre sur les relations entre les autochtones et l’État canadien, Citizen Plus, a qualifié la contribution de Patrick Macklem, Bruce Ryder et Kent McNeil, comme faisant partie « d'une industrie croissante de doctrine juridique sur des questions autochtones », une sorte « d'activisme universitaire » (Cairns Reference Cairns2000 : 175). Il les accuse ainsi « d’être plus proches d'un mouvement socio-intellectuel au lieu de participer au débat plus large et équilibré » (ibid. : 179). Tout en déclarant son respect pour l'objectif visé par les recherches de ces auteurs —un meilleur avenir pour les peuples « aborigènes »—, Cairns y voit toutefois un « manque de préoccupation, ou d'attention » à ce qui est partagé par les canadiens, « à ces liens moraux qui nous maintiennent ensemble » (ibid. : 177). En d'autres mots, Cairns reproche à des juristes tels que Ryder et Macklem que, dans leur plaidoyer pour une autonomie autochtone accrue, ils négligent complètement « la citoyenneté canadienne ». De cette façon, Cairns leur reprochait d'agir comme « des avocats » des Autochtones et non pas comme des arbitres ou médiateurs.

Cairns s'en prenait aussi à des universitaires et intellectuels autochtones dont il a dit, non pas sans ironie, qu'ils apportaient « une connaissance de l'intérieur (insider knowledge) et une vision pour la compréhension du passé et du futur des rapports entre Aborigènes et non Aborigènes » (ibid. : 175). Il ciblait donc les travaux de James Youngblood Henderson et Mary Ellen Turpel-Lafond et mentionnait également dans ces notes ceux de John Borrows. Que ce soit la proposition de représentation autochtone dans les parlements, le fédéralisme par traités, les critiques des effets de la Charte canadienne des droits et liberté sur les Peuples Autochtones, ou toute autre mesure recommandée par ces auteurs afin de maximiser l'autogouvernement autochtone, cela fut interprété par Cairns comme une menace pour l'idée de l'unité et de la citoyenneté canadienne. Qui plus est, les critiques lancées par Cairns laissaient penser que toute autre proposition s’éloignant de la sienne (celle de l'Autochtone comme citoyen plus intégré à la communauté plus large de citoyens) menaçait l'unité canadienne.

Par exemple, en partant du constat tout à fait valide de l'augmentation du nombre d'Autochtones vivant en milieu urbain, Cairns s'objectait aux recommandations du Rapport Penner de 1983 sur la reconnaissance des gouvernements autochtones ainsi qu’à celles de la Commission royale sur les Peuples Autochtones sur une relation de nation à nation entre les Autochtones et l’État canadien et l'aménagement d'un troisième ordre de gouvernement autochtone dans le fédéralisme canadien. Toutes ces propositions et tous ces universitaires « attirés par les grands thèmes de la décolonisation et la diversité culturelle » (Cairns Reference Cairns2000 : 184) souffriraient d'une naïveté intellectuelle les empêchant de voir « les réalités » et les écueils qui annonceraient la presque infaisabilité du projet de l'autogouvernement autochtone. Dans sa logique, les tenants de l'idée de degrés majeurs d'autogouvernement autochtone ignorent le fait que les Autochtones « continueront à faire partie des communautés provinciales et canadienne, même après avoir atteint un maximum d'autonomie » (ibid. : 183)Footnote 8. Le cri de désespoir lancé par Cairns laisse, selon nous, transparaitre ce qui pourrait être plutôt une incapacité à concevoir les Peuples Autochtones en tant que partenaires cosouverains dans la fédération. Cette incapacité tranche avec la position généralement favorable aux droits des Autochtones qui a placé Cairns aux antipodes d'autres universitaires canadiens réputés pour leur hostilité face aux revendications autochtonesFootnote 9. Il est donc possible de déduire que même pour certains spécialistes favorables aux droits autochtones, l'idée fédérale, lorsqu'elle est appliquée aux Autochtones, représente surtout une voie dangereuse, un chemin pouvant mener à la désintégration de l’État et de la communauté nationale plutôt qu'un moyen efficace pour réaliser la réconciliation et la liberté autochtone et l’établissement d'un rapport de forces plus juste et équilibré entre ces peuples et l’État.

Les opposants à l'autogouvernement autochtone dans un cadre de relations fédérales se trouvent également dans le camp des universitaires autochtones. À ce sujet, l'intellectuel mohawk Taiaiake Alfred peut servir d'exemple. Le travail d’Alfred (Reference Alfred2009) est une critique percutante du colonialisme et de l'assimilation des Peuples Autochtones par l’État ainsi qu'un plaidoyer pour l'autodétermination autochtoneFootnote 10. Alfred fait une critique remarquable de la souveraineté de l’État sur les Autochtones. Il postule qu'une « violence intellectuelle » est commise par l’État à l’égard des Peuples Autochtones, en raison du « déni persistant de leur réalité », un déni qui exclut les Autochtones de « la mythologie dominante » (Reference Alfred2009 : 88). Il soutient ainsi que « la souveraineté n'est pas un phénomène naturel, mais une création sociale —le résultat de choix faits par des hommes et des femmes situés dans des ordres sociaux et politiques particuliers ». Ainsi, « l'acceptation incontestée de la souveraineté comme un cadre pour la politique actuelle reflète le triomphe d'un ensemble particulier de valeurs sur les autres » (Alfred Reference Alfred2009 : 86). Dans ce sens, la perspective occidentale du pouvoir et des relations humaines est si profondément enracinée qu'elle apparait comme « valide, objective et naturelle » (ibid. Reference Alfred2009 : 87).

Alfred affirme que la perspective occidentale est devenue « le fondement impensé de la connaissance politique ». Il faudrait ainsi défaire la pensée (de-think) sur le concept de souveraineté et le remplacer par une notion de pouvoir basée sur « des prémisses plus appropriées » (Alfred Reference Alfred2009). Le problème de son argument est que ces prémisses plus appropriées sont exclusivement celles correspondant aux visions autochtones du pouvoir et des relations humaines (centrales à ces conceptions sont les notions d’équilibre, bien-être, coexistence, respect, harmonie et durabilité). Or, si Alfred rejoint avec justesse les critiques d'autres auteurs importants d'horizons divers au sujet « des lacunes dans le principe de la primauté du droit » et dans l'exercice de la souveraineté étatique (Borrows Reference Borrows2000), ou par rapport « au caractère fictif de la souveraineté de l’État et le titre aborigène » (Macklem Reference Macklem, Macklem and Sanderson2016 ; Asch Reference Asch2014), il se referme pourtant dans une approche qui, tout en prônant la « coexistence harmonieuse entre les Autochtones et tous les éléments de la création », semble néanmoins incapable de se rapprocher ou de coexister avec « l'individualisme possessif », la « coercition et l'autoritarisme » qui, selon lui, caractérisent la société occidentale.

Dans l'ouvrage de Taiaiake Alfred abondent les affirmations qui établissent une frontière infranchissable entre les Autochtones et les non autochtones. Par exemple, tout au début du chapitre intitulé « Peace », Alfred affirme catégoriquement : « Native American community life today is framed by two value systems that are fundamentally opposed. One still rooted in traditional teachings, structures social and culture relations; the other, imposed by the colonial state, structures politics » (Reference Alfred2009 : 25)Footnote 11. Alfred tombe ainsi dans le « manichéisme épistémologique » ou « totalisme conceptuel » que Jean Leclair (Reference Jean, Macklem and Sanderson2016 ; Reference Jean2009) identifie dans la recherche, en science politique et en droit, concernant la place des Autochtones et des Québécois au Canada. À propos d'un ouvrage sur la connaissance et le savoir autochtones signé par J. Y. Henderson et Marie Batiste, les lignes suivantes de Leclair résument et illustrent de manière pertinente la faille que l'on peut facilement reprocher ici au travail d'Alfred : « Truth, by the way, is inaccessible by way of Eurocentric thought. Aboriginals are, fortunately for them, genetically endowed with the ability to commune with truth. One question —out of many— comes to mind when reading Batiste and Henderson: what allows them to speak on a realist mode of Aboriginal concepts, while in the same breath they depict Western concepts as mere illusions? » (Leclair Reference Jean, Macklem and Sanderson2016: 182). Dans le même ordre d'idées, il postule que certaines approches holistiques et nationalistes se ressemblent en ce qu'elles « cherchent l'identification d'une essence unique qui distance radicalement l'Autre de nous-mêmes et qui a la tendance à favoriser une compréhension accusatoire (adversarial understanding) entre communautés et nations » (Leclair Reference Jean, Macklem and Sanderson2016 : 191).

Tout en admettant avec Alfred (Reference Alfred2009) l'illégitimité de la souveraineté de l’État sur les Peuples Autochtones, force est de constater que son approche finit par être aussi exclusiviste que celle de la souveraineté moderne critiquée par lui. Alfred semble donc ne pas tenir compte du fait que la souveraineté autochtone se trouve enchevêtrée avec celle ou celles de l’État colonial. Qui plus est, au Canada, comme partout dans les Amériques, les individus, les communautés, les Peuples Autochtones, dans les réserves ou en milieu urbain, se trouvent entremêlés dans des rapports de tout type avec le reste de la société. Bref, Alfred semble vouloir ignorer la réalité synthétisée dans les mots d'un juge canadien, qui d'ailleurs inspirent le titre d'un ouvrage récent en politique autochtone canadienne : « Nous sommes tous ici pour rester » (Asch Reference Asch2014)Footnote 12. Bien que nous reconnaissions avec Alfred la réalité du colonialisme de l’État envers les Peuples Autochtones, nous croyons qu'une approche qui postule « des valeurs fondamentalement opposées » pourrait difficilement contribuer ou conduire à une réconciliation entre Autochtones et non-autochtones.

Que doit-on faire donc si « Nous sommes tous ici pour rester » ? La réflexion de Pierre Noreau (Reference Noreau, Noreau and Gentelet2010) à propos de la constatation de l'illégalité de l'occupation et de l'appropriation des territoires autochtones par les colons européens et leurs descendants élargit l'affirmation du juge Lamer :

En toute logique, cette constatation plaide en faveur d'un retour des « Européens » à leur territoire d'origine, mais cette perspective est tout aussi fictive sur le plan historique que celle de la terra nullius. Dans cette logique, nous devrions tous retourner vivre au Kenya, véritable berceau de l'humanité. On ne renverse pas une fiction par une autre. On ne peut davantage corriger un déni de l'histoire par un autre : on compte, aujourd'hui, dans les Amériques des ressortissants de toutes les origines. Car c'est la destinée inévitable de l'humanité de nous conduire les uns vers les autres. Il y a dans ce mouvement historique la promesse d'un rendez-vous incontournable (Noreau Reference Noreau, Noreau and Gentelet2010 : XV).

III

Encore une fois, que doit-on faire donc, ou, comme se questionne Bartelson (Reference Bartelson1995) à la toute fin de son ouvrage sur la souveraineté : « où allons-nous à partir d'ici ? ». Les approches critiques comme celle d'Alfred sont utiles dans la mesure où il est urgent de déconstruire les concepts et les catégories, ainsi que le monde social, afin de mieux les comprendre. Cependant, il est vrai aussi qu'après la déconstruction, le scientifique social doit aussi contribuer à la reconstruction et à la proposition de catégories qui ordonnent l'univers social. Dans ce travail de reconstruction, il est impératif de tenir compte des perspectives diverses, surtout celles qui sont en tension. Ainsi, nonobstant et compte tenu des effacements et torts commis par les États dans le processus de colonisation des Amériques, il faut continuer à chercher et à proposer des alternatives visant à réconcilier et à accommoder les visions, les aspirations, les droits et la dignité des communautés diverses qui composent les États des Amériques. Nous croyons comme Pierre Noreau qu'il est contreproductif de combattre un effacement, un déni, au moyen d'un autre déni.

Il faut cependant accepter que la méfiance envers l’État dans l'approche d'Alfred ne soit pas sans fondement. Celle-ci apparait comme normale quand l'on tient compte de la gravité des blessures et des cicatrices infligées par la violence du colonialisme, des blessures qui sont encore présentes dans la conscience collective autochtone. Il faut noter, par ailleurs, que la méfiance n'est pas une réaction exclusive des intellectuels ou universitaires autochtones. Effectivement, tel qu'observé par Borrows (Reference Borrows2016), « il existe une forte croyance dans beaucoup de cercles politiques autochtones voulant que l'on ne peut pas faire confiance aux gouvernements ». Et comme le même auteur le fait remarquer, « il y a plusieurs raisons de maintenir cette position », puisque « les parlements, les législatures et les tribunaux ont agi souvent au détriment » des Peuples AutochtonesFootnote 13. Borrows demeure cependant convaincu qu'il faut « problématiser davantage l'hypothèse voulant que les institutions de l’État sont incorrigibles et qu'elles n'ont pas un rôle positif comme instruments de changement au Canada » (Borrows Reference Borrows2016 : 162). Sans nier la réalité du colonialisme de l’État sur les Peuples Autochtones, mais en demeurant réaliste à l’égard des probabilités de succès et des résultats de la résistance prônée par les courants radicaux du mouvement autochtone, Borrows établit comme objectif la quête « d'espaces à l'intérieur et au-delà de la vie politique canadienne » pour « renforcer la liberté des Peuples Autochtones afin que ceux-ci puissent posséder et être responsables d'eux-mêmes et de leurs relations de manières plus productives » (Reference Borrows2016 : 163–64). Il voit une « avenue d'action » vers cette liberté dans les parlements, car ceux-ci « peuvent adopter des mesures pour faciliter la possession responsable par les Peuples Autochtones de leurs propres actions et relations » (Reference Borrows2016 : 164). Donc, d'après lui, les parlements ont un rôle potentiel à jouer dans le renforcement de l'autonomie et l'autodétermination des Peuples Autochtones.

Nous convergeons avec Borrows sur l'idée qu'il faut trouver des espaces afin d'aménager ou renforcer l'autonomie et l'autodétermination des Peuples Autochtones. Ceci est l’équivalent du renouvellement souhaité de la relation entre ces peuples et l’État. Nous partageons donc l'idée que cette autonomie doit en dernière instance servir à redonner ou renforcer la liberté des Peuples Autochtones. Cependant, il est difficile de partager l'optimisme de Borrows à l’égard du rôle législatif des parlements comme moyen d'atteindre une plus grande liberté ou autonomie autochtone. Comme l'auteur lui-même le reconnaît pour le cas américain, la législation est une condition nécessaire, mais non suffisante pour la cause autochtone, car, malgré les avancées importantes dans la législation sur les Peuples Autochtones aux États-Unis, « la subjugation coloniale est toujours péniblement omniprésente » (Reference Borrows2016 : 180). En effet, Geneviève Motard a déjà remarqué qu'au Canada le partage exhaustif du pouvoir législatif entre le gouvernement fédéral et les provinces laisse peu de place pour une interprétation généreuse des pouvoirs autochtones négociés dans les ententes d'autonomie gouvernementale, et les lois de ces deux niveaux de gouvernement continuent à s'appliquer sur les territoires et membres des nations autochtones signataires des ententes. Cette « interprétation restrictive des pouvoirs autochtones […] a surtout pour conséquence de réduire l'espace constitutionnel disponible aux Peuples Autochtones » (Motard Reference Motard2013 : 163).

Tout en récupérant la logique de Borrows voulant que souvent le remède puisse être dérivé du problème même à résoudre, nous affirmons que, nonobstant la contrainte et l'effacement que l’État colonial a imposés aux Peuples Autochtones du continent, il est possible néanmoins d'aménager ou de renforcer l'autonomie et l'autodétermination des nations autochtones à travers les institutions de l’État. Cependant, nous divergeons avec Borrows quant à la possibilité de redonner la liberté ou l'autonomie à ces populations exclusivement par le biais des parlements. Nous admettons toutefois qu'il est fort possible que les parlements soient une partie de la solution, mais à condition que des changements importants soient faits dans leur composition et fonctionnement. Cela n'est donc qu'une partie de la solution. C'est plutôt par une application plus sophistiquée et radicale du principe du fédéralisme, avec son réaménagement concomitant dans l'organisation des institutions et des pouvoirs de l’État, que le but de la liberté politique, exprimée à travers une autonomie réelle pour les nations autochtones, pourrait être réalisé. Le renouvellement de la relation entre les Peuples Autochtones et l’État exige donc l’établissement d'un nouveau pacte fédéral. C'est par l’établissement d'une relation véritablement fédérale entre gouvernements autochtones et non autochtones que la réconciliation des souverainetés autochtone et étatique peut être réussie. C'est dans ce sens que les demandes constitutionnelles de la CVRC (2015) évoquées au début de cet article visent le renouvellement du fédéralisme canadien comme base d'une relation plus juste entre Autochtones et État.

Peuples Autochtones et fédéralisme : ébauche d'une proposition d'autonomie autochtone régionale

Le fédéralisme est un principe de partage et de conciliation de pouvoirs qui se prête bien au design de la structure normative des relations entre Peuples Autochtones et États. L’établissement d'un pacte fédéral entre les gouvernements autochtones et l’État concrétiserait les demandes de renouvellement de la relation entre les Autochtones et l’État. L'application d'un principe fédéral permettrait de corriger le tort causé par l'exclusion des Peuples Autochtones du pacte fédéral et par l'effacement des systèmes juridiques autochtones. Trois principes normatifs et structurels constitutifs du fédéralisme — non-hiérarchie, polycentricité associative et gouvernance partagée et autonome — (Cohen Reference Cohen2012) pourraient contribuer à surmonter le cadre colonial actuel et ses conséquences néfastes sur les Peuples Autochtones. À ce sujet, Iris Marion Young s'est montrée consciente du « défi moral » posé à la notion de souveraineté de l’État moderne par les demandes autochtones d'autogouvernement. Dans certains de ses travaux, Young (Reference Young2002 ; Reference Young, Ivison, Patton and Sanders2000) a élaboré autour de la question du fédéralisme et de son potentiel comme moyen d'accommoder la question de l'autogouvernement autochtone. Young a ébauché les principes d'un modèle fédéral impliquant « l'autodétermination locale, mais sans frontières souveraines ». Elle a proposé un « système global de régimes de régulation reliés aux localités, régions et États dans un système fédéré imbriqué » (Young Reference Young, Ivison, Patton and Sanders2000 : 254). Ce fédéralisme s'organiserait à travers les lignes d'une autonomie relationnelle et du principe de « liberté comme non-domination ».

[…] a principle of self-determination for peoples should be interpreted along lines of relational autonomy or non-domination, rather than simply as independence or non-interference. On such an interpretation, self-determination for peoples means that they have a right to their own governance institutions through which they decide on their goals and interpret their way of life. Other people ought not to constrain, dominate, or interfere with those decisions and interpretations for the sake of their own ends, or according to their judgement of what way of life is best, or in order to subordinate a people to a larger “national” unit. Peoples, that is, ought to be free from domination (Young Reference Young2002 : 259).

La non-domination est donc « la position dont quelqu'un jouit, quand il vit en présence d'autres personnes et quand, en vertu du design social, aucun de ces autres ne le domine » (Pettit Reference Pettit1997 dans Young Reference Young2002)Footnote 14. Ce principe normatif visant la protection de la liberté contre l'abus du pouvoir apparait déjà associé, en 1748, aux arrangements confédéraux plaidés par Montesquieu (Reference Montesquieu1964) dans De l'esprit des lois. Une approche fédérale basée sur le principe de la non-domination contribuerait assurément à la cause de la liberté des Peuples Autochtones. Même les critiques de la proposition de Young admettent la pertinence de l'application du principe de non-domination dans la distribution du pouvoir à travers un arrangement fédéral entre les Autochtones et l’ÉtatFootnote 15. Young, malheureusement, n'a pas eu le temps de développer davantage sa proposition du fédéralisme comme non-domination ni de répondre à ses critiques. Or, si la non-domination peut être la base pour l’établissement de nouvelles relations fédérales et de réconciliation des souverainetés autochtone et de l’État, il faut se demander alors à quoi devrait ressembler un système fédéral façonné par ce principe normatif.

Nous pensons qu'il est possible d’ébaucher certaines des caractéristiques générales d'un tel régime. D'abord, Young insistait sur le localisme, soit « la dévolution d'autorité souveraine à des unités davantage locales, afin de promouvoir la démocratie » (Reference Young2000 : 256). D'après nous, cette proposition pourrait être plausible pour des communautés concentrées territorialement et comptant sur une certaine forme institutionnelle de gouvernement. Ceci pourrait être le cas de plusieurs Peuples Autochtones du Mexique, où, en raison de la tradition fédérale et de la distribution des pouvoirs favorisant l'autonomie municipale, ces communautés pourraient en conséquence exercer des niveaux majeurs d'autogouvernement. Par contre, la proposition du localisme pourrait difficilement favoriser les intérêts des nations autochtones composées d'un faible nombre de membres ou qui connaissent une dispersion géographique importante ou une migration croissante vers les centres urbains. C'est par ailleurs en constatant cette réalité de dispersion et de faible démographie qu'Alan Cairns a fondé l'une de ses objections principales aux propositions d'autonomie autochtone au CanadaFootnote 16. Nous nous éloignons, toutefois, du déterminisme pessimiste de Cairns et pensons possible la construction d'arrangements basés sur le principe du fédéralisme pour accomplir les aspirations d'autogouvernement des Peuples Autochtones. Il est possible alors d’établir un nouveau pacte où ces peuples redeviendraient cosouverains.

Pour établir un nouveau pacte avec les Peuples Autochtones, il faut, avant tout, se débarrasser des catégories de la pensée qui essentialisent l'Autre. Le colonialisme survit aujourd'hui non pas seulement à travers les institutions de l’État, mais aussi dans les mentalités qui les façonnent. Le paternalisme, la tutelle, la folklorisation des cultures autochtones, l'appropriation culturelle ont comme fondement les mêmes postulats erronés d'une supériorité des peuples d'origine européenne et du darwinisme social du XIXe siècle ; des postulats qui ont servi à justifier, dans certains cas, l’élimination de peuples complets, et, dans d'autres, l'assimilation des Peuples Autochtones de la planète. Selon cette perspective, les Autochtones sont culturellement inférieurs et, par conséquent, incapables de se gouverner. D'autres catégories encore en vigueur dans la pensée et la pratique politique empêchent également l'achèvement de l'autonomie autochtone. C'est notamment le cas de la notion de « l'indivisibilité de la souveraineté » qui, comme le souligne Jens Bartelson, « s'est institutionnalisée au point de devenir prise pour acquise » (Reference Bartelson2011 : 93). Pour lui, l'analyse historique de l'ontologie du concept s'impose, afin de comprendre comment la souveraineté a fait partie de la composition du monde politique moderne, au point de devenir une condition de l'intelligibilité de celui-ciFootnote 17. Cette compréhension permettrait de « sensitize us to the possibility that the Many is prior to the One and that the only thing that has led us to believe otherwise is the violent imposition of that form upon the world » (ibid.).

Or, aux objections de Cairns contre l'aménagement d'un « espace constitutionnel » pour la souveraineté autochtone à travers un troisième ordre de gouvernement autochtoneFootnote 18, il serait donc possible de répondre que rien n'oblige à penser que c'est nécessairement au niveau des gouvernements de nations ou bandes qu'il faudrait créer ledit espace constitutionnel. À notre sens, les ordres ou régimes politiques et territoriaux ne sont pas des réalités immuables. Les espaces politiques évoluent avec le temps et en concordance avec les sociétés qui les composent. Il est ainsi possible de penser que le localisme ou la dévolution d'autorité souveraine dont nous parle I. M. Young puisse se faire au niveau d'entités nouvelles de caractère territorial. Alors, si la dispersion géographique et la concomitante faiblesse institutionnelle de petites nations autochtones sont des difficultés pour l'aménagement de régimes d'autonomie efficaces, ces régimes pourraient être mieux constitués autour des régions géographiques à l'intérieur des États. Évidemment, cela exigerait la création d'un nouveau niveau de gouvernement, lequel regrouperait et gouvernerait les Peuples Autochtones partageant ou habitant une même région géographique et entre lesquels peut exister une communauté ou proximité d'intérêts (autour des ressources naturelles, des infrastructures, de l'emploi, du type des services), ainsi que de liens historiques et culturels. Il est important de mentionner que notre proposition d'un modèle d'autonomie régionale est une proposition théorique ouverte à la discussion et qui reconnaît et respecte le principe de libre association et le droit à l'autodétermination des peuples.

L'autonomie de ces nouvelles unités régionales irait plus loin que la dévolution postulée par I. M. Young. Pour être plus en accord avec le principe de non-domination ou, en d'autres termes, pour éliminer les relations de domination, les Peuples Autochtones devront exercer beaucoup plus que simplement des pouvoirs délégués. La suppression des relations de domination laissera place à l'exercice de l'autodétermination qui « consiste en la décolonisation et la reconnaissance des Peuples Autochtones en tant que peuples libres, égaux et autonomes au regard du droit international, avec une compétence partagée Footnote 19 en matière de terres et de ressources sur la base du consentement mutuel » (Tully Reference Tully, Ivison, Patton and Sanders2000 : 56). À notre sens, l'autodétermination exige la reconfiguration de la relation entre les Peuples Autochtones et l’État par la protection constitutionnelle du droit à l'autogouvernement. Sur ce point, certains affirmeront que la constitutionnalisation des gouvernements autochtones existe déjà au Canada dans les traités modernes protégés par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, le cas paradigmatique étant l'Accord définitif Nisga'a de 1999. L'Accord Nisga'a représente en effet une avancée, car il a notamment établi le seul troisième niveau de gouvernement autochtone au Canada autorisé à invalider la législation fédérale ou provinciale dans certains domaines. Toutefois, l'accord s’éloigne (et à certains égards remplace) du système traditionnel Nisga'a de gouvernement. De plus, la structure de gouvernance établie dans l'Accord fait que l'autorité législative Nisga'a reste assujettie à la Cour suprême de la Colombie-Britannique ainsi qu’à certaines lois fédérales et provinciales à travers les provisions d’équivalence et de prépondérance (Borrows Reference Borrows2001)Footnote 20. À plusieurs égards, l'Accord définitif Nisga'a semble donc se réduire à une simple extension de la pratique politique canadienne (Poelzer et Coates Reference Poelzer and Coates.2015 : 229–30).

Dans la logique du fédéralisme comme non-domination pensé par I. M. Young, la source d'interférence, même quand elle décide de ne pas interférer, en demeurerait pourtant une à cause du modèle des relations entre les agents. Les régions autonomes autochtones que nous proposons seront, au contraire, des entités politiques entièrement autodéterminées et articulées dans un jeu de relations mutuelles entre la Constitution de la fédération et leurs propres constitutions régionales qui, quant à elles, devront reposer sur le consentement autochtone. Ce consentement est le pilier du principe de la souveraineté populaire, car, « si la constitution ne repose pas sur le consentement du peuple ou de leurs représentants, ou s'il n'existe pas de procédure d'amendement, alors un peuple n'est ni autonome ni autodéterminé, mais régis et déterminé par une structure de lois imposée, et ce peuple n'est donc pas libre » (Tully Reference Tully, Ivison, Patton and Sanders2000 : 57). Ces principes sont parfaitement concordants avec l'appel de la CRVC à « concilier les affaires constitutionnelles et juridiques des Peuples Autochtones et de l’État » afin que les Autochtones deviennent « des partenaires à part entière au sein de la Confédération ».

Or, puisque les différentes nations autochtones se chevaucheront et seront dispersées à travers les provinces, la souveraineté des gouvernements régionaux autochtones sera pareillement superposée, entremêlée et enchevêtrée avec celles des unités sous-nationales et de l’État central. C'est dans cet esprit que le fédéralisme est une solution plus qu'adéquate pour réconcilier la souveraineté des Peuples Autochtones et celle des États. Compte tenu du chevauchement des souverainetés, il est entendu qu'une vision plus flexible du fédéralisme sera nécessaire afin de concilier les compétences des différents paliers de gouvernement et en les faisant interagir. Ceci est le projet d'un fédéralisme coopératif qui équivaudrait au dépassement de la vision « forte de l'exclusivité » ou des « boîtes juridictionnelles » (Ryder Reference Ryder1991), et où chaque niveau de gouvernement serait souverain dans ses domaines de compétences.

L’établissement de gouvernements autochtones à caractère régional présente l'avantage de concentrer ou de réunir à un niveau « opérationnel » les intérêts divers des Autochtones. Les régions seraient les espaces qui serviraient à regrouper, afin de rendre plus fortes, diverses communautés et nations autochtones. En même temps, cela permettrait une variation, dans l'approche au gouvernement, pour des régions aux intérêts et aux cultures différentes. À cet égard, Poelzer et Coates (Reference Poelzer and Coates.2015) ont constaté qu'il n'existe pas de modèle transférable unique pour la gouvernance des Peuples Autochtones de la fédération canadienne. Ces auteurs remarquent ainsi que « ce qui marche pour les Mohawks ne marchera pas pour les Inuits ; le système des Gitxsan, basé sur la maison (house-based), n'est pas le même que les structures préférées par les Cris des plaines […] en matière de gouvernance locale, il y a une forte variation entre les groupes autochtones » (Poelzer et Coates Reference Poelzer and Coates.2015 : 233). Ainsi, selon nous, des gouvernements autochtones autonomes de caractère régional constitueraient des espaces de liberté où la variation de ces approches serait plus facilement conciliée. Il demeure surprenant par ailleurs que, après avoir constaté ladite variation, Poelzer et Coates (Reference Poelzer and Coates.2015) optent néanmoins pour la proposition d'un modèle d'autogouvernement autochtone structuré autour d'un seul organe qu'ils nomment le « Commonwealth des Peuples Autochtones ». Tel qu'ils la conçoivent dans leur proposition, l'organisation représenterait « tous » les Peuples Autochtones du Canada et serait gérée à travers un corps élu de représentants autochtones choisis sur une base régionale, et structurée (quant à la taille, la distribution régionale) par une combinaison de facteurs démographiques et culturelsFootnote 21. Ce Commonwealth des Peuples Autochtones n'aurait pas des pouvoirs similaires à ceux des provinces en matière d'autorité constitutionnelle. Il serait plutôt question de renforcer la capacité administrative et l'autorité politique de combler les besoins des Autochtones. De plus, l'organe établirait une administration nationale et s'occuperait des besoins des Autochtones en milieu urbain.

Tout en reconnaissant les mérites de leur proposition, nous considérons que Poelzer et Coates négligent la variété d'intérêts et d'approches à la gouvernance autochtone soulevée pourtant par ces mêmes auteurs. Bien qu'ils proposent une base régionale pour la composition de ce Commonwealth autochtone, nous croyons qu'elle centraliserait excessivement le pouvoir dans une seule instance. Cette centralisation peut facilement générer des divisions et des conflits entre les régions et les différentes nations autochtones pour le contrôle de l'organe. De plus, la représentation régionale à l'intérieur de ce Commonwealth n’éviterait pas elle non plus une certaine uniformisation ou conception de politiques plus favorables aux intérêts des nations autochtones mieux représentées en raison de leur démographie ou de leurs ressources. Au contraire, notre proposition basée sur l’établissement des gouvernements autonomes régionaux serait une solution mitoyenne pour l’établissement d'un niveau de gouvernement autochtone. D'un côté, elle augmenterait les chances que participent des nations et communautés autochtones de petite taille et des Autochtones habitant en milieu urbain à la prise de décision. Ce modèle permettrait aussi un rapport beaucoup plus direct et varié entre ces gouvernements autochtones régionaux et les autres paliers de gouvernement, en particulier avec ceux des provinces avec lesquelles les gouvernements autochtones partageront un territoire et devront inévitablement interagir. D'un autre côté, elle se présente comme une solution plus réaliste que la proposition (critiquée avec raison par Cairns) d’établir ledit niveau à l’échelle des bandes ou des nations.

Le Commonwealth des Peuples Autochtones proposé par Poelzer et Coates « remplacerait complètement le ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada (AANC) et aurait un mandat plus important » (Reference Poelzer and Coates.2015 : 214)Footnote 22. De notre point de vue, il doit s'agir plutôt d'un transfert de pouvoirs vers le niveau des gouvernements autonomes régionaux et de l’établissement d'un cadre de relations intergouvernementales entre ces unités et les ordres de gouvernements fédéral et provinciauxFootnote 23. Il s'agirait d'un transfert graduel de responsabilités qui augmenteraient progressivement à mesure que les Autochtones renforcent ou développent leurs capacités institutionnelles. Ainsi, une situation de pleine autonomie impliquerait que chaque région autonome ait la capacité de désigner son propre système politique régional, détenir du pouvoir décisionnel indépendant, disposer de ressources suffisantes, fonctionner selon son propre ordre juridique et participer aux instances représentatives des autres ordres de gouvernement et aux instances de consultation et de consentement.

Des gouvernements autochtones autonomes de niveau régional seraient des plateformes plus efficaces pour garantir la participation des communautés locales aux processus de consultation et de consentement autochtone aux projets d'infrastructure ou de développement ou d'exploitation des ressources naturellesFootnote 24. Puisque ce type de projets implique nécessairement des négociations et interactions avec les autres paliers de gouvernements, les gouvernements autochtones régionaux pourraient établir des rapports plus directs avec ceux-ci, en fonction d'un ensemble d'intérêts et de positions plus en accord avec les besoins des communautés et des populations locales que ceux qui pourraient être représentés par un seul organe comme celui proposé par Poelzer et Coates (Reference Poelzer and Coates.2015). Par ailleurs, comme les ministères et agences gouvernementaux n'exerceraient plus de rapports de tutelle, les Peuples Autochtones cesseraient d’être une « compétence » et, à travers leurs gouvernements régionaux respectifs, établiraient plutôt un schéma de relations intergouvernementales non hiérarchiques ou de non—subordination avec les autres niveaux de gouvernements de la fédérationFootnote 25.

La centralisation inutile que générerait un modèle d'autonomie comme celui proposé par Poelzer et Coates se manifeste dans la tension qui s'entrevoit dans leurs idées voulant que les « régions » prennent en charge les services actuellement offerts par AANC et que « les nouvelles technologies de communication permettraient au Commonwealth d'opérer en ligne ; les principaux leaders pourraient rester dans leurs communautés et régions, et aucune capitale centrale ne serait nécessaire » (Reference Poelzer and Coates.2015 : 216). Sans mentionner que bon nombre de communautés autochtones ne peuvent compter sur les technologies nécessaires à l'opération de cette idée à moyen terme, Poelzer et Coates proposent un gouvernement téléguidé ou virtuel où, de toute manière, les régions prendraient en charge des responsabilités importantes. Ce modèle laisserait les communautés dépendantes des dynamiques de pouvoir, des critères et des décisions prises par le Commonwealth. Par exemple, les transferts de ressources provenant des provinces ou du fédéral auraient à passer d'abord par le Commonwealth avant d’être acheminés aux communautés. À notre sens, le modèle de ces deux auteurs ajoute une couche inutile au gouvernement des nations autochtones. Par contre, dans notre proposition, ce seraient les gouvernements autonomes régionaux respectifs qui prendraient en charge progressivement les responsabilités qui sont actuellement de la compétence des gouvernements centraux et provinciaux. Celui-ci sera un transfert graduel de responsabilités, le temps que les gouvernements autochtones développent certaines expertises ainsi que leur capacité institutionnelle. Il est évident que, en raison des séquelles des politiques colonialistes, ce ne sera pas une tâche facile et que, pendant une certaine période, cette construction de capacités nécessitera un maximum de coopération avec les autres paliers de gouvernement et la société civileFootnote 26.

En outre, contrairement à Poelzer et Coates, nous croyons en l'importance d’établir des capitales, et ce, pour chaque région autonome. Ces capitales seraient le siège des pouvoirs exécutif, régional et d'ordre juridique ainsi que la base de la représentation et de la participation des communautés locales aux affaires de leurs régions respectives. Idéalement, les différentes communautés locales participeraient et seraient représentées dans les gouvernements régionaux. Sous la forme d'assemblées ou d'autres formes issues de leurs traditions (ou non), les différents peuples et communautés autochtones seraient appelés à s'entendre et élaborer la normativité constitutionnelle de leurs régions autonomes. En plus de faciliter et de permettre la convention de continuité constitutionnelle, il nous semble que ce modèle reflète mieux l'esprit de la convention constitutionnelle du consentement à travers le principe que « ce qui touche tout le monde devrait être approuvé par tout le monde » (Tully Reference Tully1999 : 120). De surcroit, ces gouvernements établis dans une capitale seraient en meilleure position pour identifier et agir, en interaction avec les gouvernements des provinces et des municipalités, sur les questions touchant les Autochtones habitant dans les centres urbains. Par ailleurs, il n'y a pas de raisons qui empêcheraient ces mêmes autochtones du milieu urbain de participer ou d’être représentés dans les gouvernements autonomes régionaux.

La carte suivante (Graphique 1) représente de manière cartographique notre proposition d'une autonomie autochtone construite autour de « régions autochtones autonomes ». Dans un nouveau pacte fédératif incluant les Peuples Autochtones organisés autour de « régions autochtones autonomes », les capitales pourraient être situées sur un point de chaque région en assumant qu'elles devraient être accessibles au plus grand nombre de communautés. Créés par la Loi sur les Indiens, les conseils tribaux n'ont pas nécessairement à faire partie de la proposition, surtout en raison des critiques dont ils sont l'objet de la part de plusieurs Peuples Autochtones du Canada. Cependant, en tant que structures déjà en place comptant sur une expérience dans l'administration des programmes, ils pourraient être réformés pour leur donner plus de légitimité aux yeux des Autochtones et ainsi pouvoir agir en tant que capitales satellites ou auxiliaires prenant en charge certains des services.

Graphique 1. Régions autochtones autonomes : une proposition pour le Canada

Enfin, ces gouvernements régionaux seraient aussi la base de la représentation des Peuples Autochtones aux institutions législatives centrales de la fédération. Plutôt qu’établir une chambre législative exclusive pour ces nations, elles doivent participer à la vie politique à travers les institutions de représentation communes à l'ensemble des citoyens du pays. La participation à la vie politique canadienne fait partie des revendications de ces peuples, voire des recommandations faites par certaines commissions parlementaires ou d'enquête. La représentation dans les instances législatives des fédérations se réaliserait alors à travers des circonscriptions spéciales autochtones, ou des sièges réservés pour ces communautés. Dans notre proposition, chaque région autochtone autonome devra nécessairement être représentée au parlement fédéral. À titre d'exemple, des arrangements comme celui du fédéralisme allemand permettant aux Länder (unités fédérées) d’être représentés au Bundesrat (Conseil fédéral) pourraient inspirer cette démarche.

Au Canada, où le Sénat n'accomplit pas les mêmes fonctions législatives et de représentation territoriale que les chambres hautes d'autres fédérations, la représentation des unités régionales autochtones devra donc se faire au niveau de la Chambre des communes. Des critères démographiques pourraient être établis afin de déterminer le nombre de sièges autochtones. Par exemple, avec une population autochtone équivalant à 4 pour cent du total de la population canadienne, et avec le même quotient électoral en vigueur utilisé pour définir le nombre initial de sièges pour les provinces, les Autochtones du Canada auraient droit à 12 sièges réservés à la Chambre des communes. Pareillement, comme c'est le cas avec les provinces moins peuplées, des règles d'un seuil de représentation minimale devront être adoptées afin de garantir la représentation des régions autonomes moins peuplées. La participation des Peuples Autochtones au système parlementaire marquerait leur appartenance aux communautés nationales majoritaires. Comme dans le cas des Maoris dans le parlement de la Nouvelle-Zélande, où il existe depuis 1867 des sièges réservés pour ce peuple, les partis politiques cherchant le pouvoir devront interagir avec les Autochtones, donnant ainsi parfois la balance du pouvoir à la représentation autochtone (Maaka et Fleras Reference Maaka, Fleras., Ivison, Patton and Sanders2000). Cette interaction est décidément un signe de reconnaissance et d'inclusion beaucoup plus significatif que le simple rôle de conseiller que le Commonwealth des Peuples Autochtones aurait auprès de la Chambre des communes, selon la proposition de Poelzer et Coates.

Comme l'expliquent Karmis et Norman (Reference Karmis, Norman., Karmis and Norman2005), une représentation améliorée devrait être accordée aux groupes nationaux minoritaires au sein des institutions du niveau fédéral, afin que leurs voix soient écoutées et respectées et que leur autodétermination soit renforcée. Afin que les majorités permanentes ne tyrannisent pas les minorités permanentes, des mécanismes tels que les droits de véto sur les décisions de la majorité peuvent être envisagés. À cet effet, toujours selon Karmis et Norman (Reference Karmis, Norman., Karmis and Norman2005), d'autres mécanismes comme la ratification des amendements constitutionnels par la règle de majorité qualifiée renforcent également le pouvoir des minorités qui contrôlent une entité fédérée. Il est connu que ce mécanisme vise précisément la protection des aspects fondamentaux de la constitution, tel que la protection de la division des pouvoirs à la base du pacte fédéral. Depuis notre perspective d'une autonomie autochtone constituée sur une base régionale, le dépassement des relations coloniales de domination, autrement dit, la reconnaissance des Autochtones en tant que peuples fondateurs inclus dans le pacte fédératif, exigerait donc l'aménagement de mécanismes de véto régional autochtone et l'inclusion des régions autochtones dans la ratification de changements constitutionnels par les mécanismes des majorités qualifiées. Dans ce cas, il est à espérer que cette nouvelle position aurait un effet de levier qui placerait les Peuples Autochtones dans un rapport de forces plus favorable afin de renforcer l'autonomie de leurs régions. Or, la création même de ces régions autonomes passera peut-être d'abord par la participation accrue des Peuples Autochtones aux institutions du pouvoir législatif.

Remarques finales

Nous avons présenté dans cet article une réflexion sur le potentiel du fédéralisme comme moyen de renouvellement de la relation entre les Autochtones et l’État en accord avec les termes réitérés par la CVRC (2015). Nous avons rappelé que l'idée du fédéralisme comme cadre régulateur des relations entre les Autochtones et l’État a été lancée lors de la CRPA et se trouvait dans certains travaux de la pensée juridique canadienne des années 1990. Nous avons souligné également les arguments critiques des opposants de l'idée de l’établissement d'un rapport fédéral de nation à nation entre les Peuples Autochtones et le Canada. Enfin, en prenant comme point de départ la pensée d'I. M. Young sur le fédéralisme comme non-domination, nous avons présenté notre proposition de design institutionnel d'un modèle fédéral pour le renouvellement de la relation entre les Autochtones et l’État.

Le renouvellement de cette relation apparaissait comme une des priorités du gouvernement libéral de Justin Trudeau, qui a également évoqué le fédéralisme comme une voie de réconciliation entre le Canada et les Peuples Autochtones. Depuis son élection en 2015, le gouvernement Trudeau « s'est engagé à établir un fédéralisme qui, en plus de favoriser le dialogue, la collaboration et le partenariat, reconnaît la souveraineté des partenaires provinciaux et autochtones » (Laforest et Dubois Reference Laforest and Dubois.2017). Pour certains, la pratique du gouvernement suscite « des doutes quant à la capacité du discours de réconciliation à se transformer en actions cohérentes » (Laforest et Dubois Reference Laforest and Dubois.2017). Toutefois, certaines actions du gouvernement Trudeau peuvent être interprétées comme des gestes témoignant de son objectif de réaliser une réconciliation concrète avec les Autochtones. Ces actions pourraient constituer un premier pas vers un fédéralisme postcolonial marquant une nouvelle relation entre le Canada et les Peuples Autochtones. C'est ainsi que la dissolution du ministère des Affaires autochtones et du Nord-Canada (AANC) et le plan de création des ministères des Services aux Autochtones-Canada (SAC) et des Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada (RCAANC) vont dans le sens de l’établissement d'un cadre de relations intergouvernementales entre les gouvernements autochtones et les deux autres paliers de gouvernent. Le contenu du budget 2018 a été un autre signe positif de ce changement. En plus de réaffirmer sa volonté de faire avancer la réconciliation et de « démanteler les vieilles structures coloniales » (Canada 2018 : 143), le gouvernement s'est dit « résolu à bâtir une relation renouvelée avec les Peuples Autochtones, fondée sur les principes de la reconnaissance des droits, du respect, de la collaboration et du partenariat » (Canada, ministère des Finances 2018 : 157) et attribue des fonds de plus de 600 millions de dollars pour une série de mesures afin de mettre en œuvre et renforcer spécifiquement l'autodétermination des Peuples Autochtones. Enfin, la volonté de réconciliation du gouvernement Trudeau n'est pas à mettre en doute. Néanmoins, elle contraste avec sa réticence devant les changements constitutionnels nécessaires à la mise en place d'un fédéralisme de réconciliation.

Remerciements

Cet article a été écrit alors que l'auteur était candidat au Doctorat en science politique à l'Université Laval, sous la direction de Guy Laforest et la codirection de François Gélineau. L'auteur souhaite remercier les évaluateurs anonymes de la Revue canadienne de science politique pour leurs commentaires ainsi que l'examinateur externe de sa thèse doctorale, Daniel Salée, Université Concordia, pour les encouragements à publier les idées exposées dans cet article. Ces idées ont également bénéficié des commentaires critiques des participants au Colloque — ACFAS, « Citoyenneté et démocratie chez les Peuples Autochtones : du Livre blanc au mouvement Idle no more », Université McGill, mai 2017, et au Colloque — AISP, « Democratization and Constitutional Design in Divided Societies », Université de Chypre, Nicosie, juin 2017. Toute imprécision ou lacune dans l'article n'engage que son auteur. Les traductions des citations dans cet article ont été réalisées par l'auteur.

Footnotes

1 Papillon base cette définition du fédéralisme sur Elazar (Reference Elazar1987) : « Au cœur du principe fédéral repose l'idée que des peuples libres peuvent librement s'engager à créer une association politique de nature permanente, mais limitée à certains domaines d'intérêt commun, tout en conservant un espace d'autonomie qui leur est propre. […] Le fédéralisme est une matrice institutionnelle combinant des espaces de gouvernance partagée et de gouvernance autonome » (Elazar dans Papillon Reference Papillon and Gagnon2006 : 467).

2 Sur la Crise d'Oka et l’évolution des rapports entre le Québec et les Autochtones après cette crise, voir Salée (Reference Salée, Gervais, Papillon and Beaulieu2013).

3 Alfred (Reference Alfred2000) est un texte emblématique de cette opposition entre nationalismes autochtone et québécois transposée sur le terrain de la science politique.

4 Les Peuples Autochtones mexicains considèrent également que le fédéralisme représente une alternative viable pour établir des relations plus équilibrées et équitables entre leurs communautés et les États. Par exemple, lors des « Dialogues de la Cathédrale » en 1994, l'EZLN [l'Armée zapatiste de libération nationale] a présenté au gouvernement une proposition d'autonomie exprimée dans les termes du « renouvellement du pacte fédéral» ; une proposition qui s'attaquait au cœur du fédéralisme mexicain, soit aux municipalités. Sur ce sujet, voir Díaz Polanco (Reference Díaz-Polanco1997).

5 Sur la question du fédéralisme fondé sur les traités, voir en particulier le volume 2 (chapitre 2) du Rapport de la CRPA. Le chapitre 3 du même document contient l'ensemble des propositions des intervenants, ainsi que les recommandations des commissaires, au sujet des différents modèles et de la mise en œuvre de l'autonomie gouvernementale autochtone.

6 Sur l’évolution du droit international sur les Peuples Autochtones et le rôle de ceux-ci dans le processus, voir Bellier (Reference Bellier2012).

7 Sur ce point, Salée (Reference Salée and Rocher1992) est peut-être une exception notable.

8 « A pervasive tendency in this literature is to undervalue, underestimate, or overlook the continuing links of the members of self-governing nations with the federal and provincial governments on which they will continue to depend for many services […]. In much of this literature there is a deep, if implicit strain of separatism» (Cairns Reference Cairns2000:183–188).

9 Voir le débat entre Cairns et Flanagan (Reference Cairns and Flanagan.2001) dans les pages de la revue Inroads : A Journal of Opinion (Reference Cairns and Flanagan.2001; issue 10, pp.102–123) à propos de leurs livres publiés en 2000. Cairns jugeait que le travail de Flanagan (Reference Flanagan2000) était « an adapted contemporary version of the imperialist world view which formerly provided sustenance and justification for the overseas European empires and provided the rationale for the domestic policies of settler majorities in Canada and elsewhere to treat their local indigenous peoples as wards» (p.108).

10 Comme Alfred, d'autres intellectuels autochtones ont développé des critiques envers le colonialisme de l’État canadien. Glen Sean Coulthard (Reference Coulthard2014), de la nation Dénée, apporte une critique postcoloniale, depuis une perspective marxiste, souvent qualifiée de radicale, des politiques de reconnaissance autochtone et de la souveraineté étatique. Pour une analyse des postulats de cet auteur et d'autres auteurs autochtones de la pensée postcoloniale et du nationalisme autochtone, voir Roy (Reference Roy2015).

11 Dans la même veine, Alfred affirme plus loin : « In choosing between revitalizing indigenous forms of government and maintaining the European forms imposed on them, Native communities have a choice between two radically different kinds of social organization: one based on conscience and the authority of the good, the other on coercion and authoritarianism » (Reference Alfred2009 : 49). Nos italiques.

12 Asch reprend en effet les mots de l'ancien juge en chef de la Cour suprême du Canada, Antonio Lamer, dans Delgamuukw 1997 : « Let us face it, we are all here to stay ».

13 Il élabore une analogie tirée du champ de l'immunologie : « Official state structures seem to carry viruses that are most harmful to Indigenous peoples. Colonialism, imperialism, and inequalities bred through cronyism and unbounded capitalism are deeply entangled with formal structures. In fact, they appear to be mutually self-reinforcing. These forces have infected Indigenous communities to such an extent that a cure drawn from these structures seems remote » (Borrows Reference Borrows2016 : 161).

14 Young a remarqué en plus que son approche s'articule harmonieusement dans la vision postcoloniale des trois conventions (la reconnaissance mutuelle, le consentement et la continuité culturelle) du constitutionnalisme postimpérial que James Tully (Reference Tully1999) proposait pour guider les rapports entre majorités et minorités dans des sociétés diverses. Un constitutionnalisme postimpérial, pierre angulaire d'un fédéralisme postcolonial (Green Reference Green2004) et de l'autochtonisation de l’État et de la société (Green Reference Green2004 ; Salée Reference Salée2005).

15 Levy (Reference Levy2008) a signalé les ambiguïtés dans l'argument de Young. Il admet néanmoins: « if non-interference is a necessary decision rule at a fairly quotidian level, that only increases the urgency of applying non-domination as an evaluative standard to both the initial allocation of authority and the eventual outcomes, as the non-interference mechanisms, if left to take their own course, are sure to exacerbate inequalities and injustices » (Levy Reference Levy2008 : 75).

16 Tout au long de son ouvrage, Cairns revient sur cet argument pour signaler la non-faisabilité des projets d'autonomie présentés par les Autochtones dans différents forums, tel que la Commission royale sur les Peuples Autochtones ou les débats de politologues et constitutionalistes. Par exemple, à l’égard des aspirations autonomistes des Métis, Cairns affirme : « The geographic dispersal of the Metis and their heavy urban concentration makes the devising of workable self-government arrangements a challenge to institutional ingenuity. RCAP, after describing Metis self-governing proposals, excused itself from the task of judging their workability » (Cairns Reference Cairns2000 : 186).

17 Ce type d'analyse critique et conceptuelle de la souveraineté se trouve dans Bartelson (Reference Bartelson1995).

18 Des objections que Cairns justifie surtout dû à « la réalité inévitable » (Reference Cairns2000 : 185) de la faible capacité des gouvernements de nations autochtones dispersées.

19 Italique dans l'original.

20 Martin Papillon (Reference Papillon, Bakvis and Skogstad2012) rappelle qu'un système similaire de compétences concurrentes et de prépondérance a été établi sous l'Accord-cadre définitif avec le Conseil des Indiens du Yukon et à travers lequel des ententes d'autonomie gouvernementale ont été négociées avec les Premières Nations du Yukon. L'auteur signale par ailleurs que, en vertu de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, le « Nunavut n'a pas le statut constitutionnel d'une province. Son autorité est déléguée à travers la législation fédérale. Contrairement à une province, [le Nunavut] n'a pas de compétence sur les terres de la Couronne et les ressources naturelles » (Papillon Reference Papillon, Bakvis and Skogstad2012 : 292).

21 Lors de la CRPA, le Conseil national des autochtones du Canada-CNAC (connu depuis sous le nom de Congrès des Peuples Autochtones) avait présenté une proposition d'une « Chambre des Premiers peuples » similaire à la proposition de Poelzer et Coates (Reference Poelzer and Coates.2015). Cependant, la proposition du CNAC était différente du Commonwealth de Poelzer et Coates en ce qu'elle exigeait l'enchâssement constitutionnel de la Chambre autochtone. Le résumé de cette proposition se trouve dans l'Annexe 3B du Volume 2 du Rapport de la CRPA.

22 Pour une critique du mandat d'AANC voir les mêmes Poelzer et Coates (Reference Pettit2015) et l'une des contributions récentes de John Ralston Saul (Reference Saul2015) au débat canadien sur les Peuples Autochtones.

23 « En août 2017, le premier ministre a annoncé la dissolution du ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada (AANC) et un plan visant à créer deux nouveaux ministères : Services aux Autochtones Canada (SAC) et Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada (RCAANC) ». Voir le site internet d'AANC.

24 De nos jours, les standards internationaux tels que la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones invitent aux États à respecter cette dimension de l'autonomie autochtone.

25 Les relations intergouvernementales « are a ubiquitous — if sometimes underappreciated — dimension of federal systems. Despite differences between federations, substantial interaction between orders of government is unavoidable. Regardless of the formal and initial structure of a federal system, orders of government become increasingly interdependent. Few policy sectors escape intervention by several orders of government. Federal actors collaborate for a wide range of purposes. They share information, pool power and resources, and negotiate and implement co-operative arrangements that determine who does — or should do — what. At the heart of this interaction are numerous institutions and processes through which federal partners enter into relation with each other » (Poirier et Saunders Reference Poirier, Saunders. and Poirier2015 : 1)

26 Dans le cas du Canada, Poelzer et Coates ont envisagé les possibilités des partenariats, des associations et des ententes avec le secteur public et privé en tant qu'alternatives faisables dans cette transition. Ils ont remarqué aussi qu'il y a une élite croissante d'entrepreneurs et professionnels autochtones capables d'assumer les tâches de l'administration et de gouvernement de leurs communautés. Sur ce point, voir également, John Ralston Saul (Reference Saul2015).

References

Références

Alfred, Taiaiake. 2000. « Sur le rétablissement du respect entre les peuples kanien'kehaka et québécois ». Arguments 2 (2) : 3143.Google Scholar
Alfred, Taiaiake. 2009. Peace, power, righteousness: An indigenous manifesto, 2d ed. Don Mills, Ont: Oxford University Press.Google Scholar
Asch, Michael. 2014. On Being Here to Stay, Toronto-Buffalo-London: University of Toronto Press.Google Scholar
Bartelson, Jens. 1995. A genealogy of sovereignty. New York, Cambridge University Press.10.1017/CBO9780511586385Google Scholar
Bartelson, Jens. 2011. «On the Indivisibility of Sovereignty». Republic of Letters: A Journal for the Study of Knowledge, Politics, and the Arts 2(2) : 8594.Google Scholar
Bellier, Irène. 2012. « Les Peuples Autochtones aux Nations unies : un nouvel acteur dans la fabrique des normes internationales ». Critique internationale 1 (54) : 6180.10.3917/crii.054.0061Google Scholar
Borrows, John. 2000. « Remise en cause du titre du Canada sur les terres: la primauté du droit, les Peuples Autochtones et le colonialisme ». Dans Parlons franchement à propos des traités, Commission du droit du Canada (British Columbia Treaty Commission). Ottawa: Commission du droit du Canada.Google Scholar
Borrows, John. 2001. « Domesticating doctrines: aboriginal peoples after the Royal Commission ». McGill Law Journal / Revue de droit de McGill 46 (3) : 615661.Google Scholar
Borrows, John. 2016. Freedom and indigenous constitutionalism. Toronto-Buffalo-London: University of Toronto Press.Google Scholar
Burgess, Michael. 2006. Comparative federalism: theory and practice. London: Routledge.Google Scholar
Cairns, Alan. 2000. Citizens Plus: Aboriginal Peoples and the Canadian State, Vancouver: UBC Press.Google Scholar
Cairns, Alan et Flanagan., Tom 2001. « An exchange », Inroads: A journal of opinion 10 : 102123.Google Scholar
Canada. 1996. Une relation à redéfinir. Rapport de la Commission royale sur les Peuples Autochtones–CRPA — Volume II. Ottawa. Disponible sur http://data2.archives.ca/e/e448/e011188231-02.pdfGoogle Scholar
Canada, ministère des Finances. 2018. Égalité + Croissance : une classe moyenne forte. Budget 2018, Disponible en ligne sur https://www.budget.gc.ca/2018/docs/plan/toc-tdm-fr.html.Google Scholar
Choquette, Éléna. 2017. « Construction de l'identité québécoise : des impacts sur la science politique autochtoniste ». Canadian Journal of Political Science / Revue canadienne de science politique 50 (1) : 181200.10.1017/S0008423917000233Google Scholar
Cohen, Jean L. 2012. Globalization and Sovereignty: Rethinking Legality, Legitimacy, and Constitutionalism. New York: Cambridge University Press.10.1017/CBO9780511659041Google Scholar
Poirier, Johanne et Saunders., Cheryl 2015. « Comparing Intergovernmental Relations in Federal Systems : An Introduction ». Dans Intergovernmental relations in federal systems: Comparative structures and dynamics, dir. Poirier, Johanne et coll. Forum des Fédérations et IACFS. Don Mills, Ontario, Oxford University Press.Google Scholar
Commission de vérité et réconciliation du Canada–CVRC. 2015. Honorer la vérité, réconcilier pour l'avenir: sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, Disponible sur http://www.trc.ca/websites/trcinstitution/File/French_Exec_Summary_web_revised.pdfGoogle Scholar
Coulthard, Glen S. 2014. Red skin, white masks: rejecting the colonial politics of recognition. Minneapolis: University of Minnesota Press.10.5749/minnesota/9780816679645.001.0001Google Scholar
Díaz-Polanco, Héctor. 1997. La rebelión zapatista y la autonomía. México, DF.-Buenos Aires-Madrid : Siglo XXI Editores.Google Scholar
Dutisac, Robert. 2015. « Ghislain Picard enchante les péquistes en s'affirmant souverainiste ». Le Devoir, 21 novembre. Disponible sur http://www.ledevoir.com/politique/quebec/455938/conseil-national-du-pq-je-suis-souverainiste-affirme-le-chef-innu-ghislain-picardGoogle Scholar
Elazar, Daniel. 1987. Exploring federalism. Tuscaloosa, AL: University of Alabama Press.Google Scholar
Flanagan, Thomas. 2000. First nations? Second thoughts. Montréal : McGill-Queen's University Press.Google Scholar
Green, Joyce. 2004. « Autodétermination, citoyenneté et fédéralisme : pour une relecture autochtone du palimpseste canadien ». Politique et Sociétés 23 (1) : 932.Google Scholar
Hawkes, David. 2001. « Les Peuples Autochtones: autonomie et relations intergouvernementales ». Revue internationale des sciences sociales 167 (1) : 167176.10.3917/riss.167.0167Google Scholar
Ivison, Duncan. 2002. Postcolonial Liberalism. Cambridge-UK & New York: Cambridge University Press.Google Scholar
Jean, Leclair. 2009. « Les périls du totalisme conceptuel en droit et en sciences sociales ». Lex Electronica 14 (1) (Printemps) Disponible sur https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/3538/Les%20perils%20du%20totalitarisme.pdf?sequence=1&isAllowed=yGoogle Scholar
Jean, Leclair. 2016. « Military Historiography, Warriors, and Soldiers : The Normative Impact of Epistemological Choices ». Dans From recognition to reconciliation: Essays on the constitutional entrenchment of Aboriginal and treaty rights, dir. Macklem, Patrick et Sanderson, Douglas. Toronto-Buffalo-London: University of Toronto Press.Google Scholar
Karmis, Dimitrios et Norman., Wayne 2005. « The Revival of Federalism in Normative Political Theory ». Dans Theories of Federalism, Dir. Karmis, Dimitrios et Norman, Wayne. New York: Palgrave.Google Scholar
Ladner, Kiera. 2005. « Up the Creek: Fishing for a New Constitutional Order », Canadian Journal of Political Science / Revue canadienne de science politique 38 (4): 923953.10.1017/S0008423905040539Google Scholar
Laforest, Guy et Dubois., Janique 2017. « Justin Trudeau et le fédéralisme de réconciliation ». Options Politiques. IRPP. Disponible sur http://policyoptions.irpp.org/fr/magazines/juin-2017/justin-trudeau-et-le-federalisme-de-reconciliation/Google Scholar
Levy, Jacob T. 2008. « Self-determination, Non-domination, and Federalism ». Hypatia 23(3): 6078.10.1111/j.1527-2001.2008.tb01205.xGoogle Scholar
Maaka, Roger et Fleras., Augie 2000. « Engaging with Indigeneity: Tino Rangatiratanga in Aotearoa ». Dans Political theory and Indigenous Peoples Rights, dir. Ivison, Duncan, Patton, Paul & Sanders, Will. London: Cambridge University Press.Google Scholar
Macklem, Patrick. 1991. « First nations self-government and the borders of the Canadian legal imagination ». McGill Law Journal / Revue de droit de McGill 36 (2) : 382456.Google Scholar
Macklem, Patrick. 1993. « Distributing sovereignty: Indian nations and equality of peoples». Stanford Law Review 45(5) : 13111367.10.2307/1229071Google Scholar
Macklem, Patrick. 2001. Indigenous difference and the Constitution of Canada, Toronto: University of Toronto Press.10.3138/9781442627901Google Scholar
Macklem, Patrick. 2016. « Indigenous Peoples and the Ethos of Legal Pluralism in Canada », Dans From recognition to reconciliation: Essays on the constitutional entrenchment of Aboriginal and treaty rights, dir. Macklem, Patrick et Sanderson, Douglas. Toronto-Buffalo-London: University of Toronto Press.10.3138/9781442624986Google Scholar
Margaret, Moore. 2003. « An Historical Argument for Indigenous Self-determination ». Dans Secession and self-determination, NOMOS XLV, dir. Macedo, Stephen et Buchanan, Allen. New York : New York University Press.Google Scholar
McRoberts, Kenneth. 2001. «Canada and the Multinational State ». Canadian Journal of Political Science / Revue canadienne de science politique 34 (4) : 683713.10.1017/S0008423901778055Google Scholar
Montesquieu, Charles L. (1964) Œuvres completes, Paris: Éditions du Seuil.Google Scholar
Motard, Geneviève. 2013. Le principe de personnalité des lois comme voie d'émancipation des Peuples Autochtones? : Analyse critique des ententes d'autonomie gouvernementale au Canada. Thèse de doctorat. Université Laval.Google Scholar
Neuf Chefs Innu. 2015. « Nous sommes Innus. Nous sommes souverainistes », La Presse, 28 novembre. Disponible sur http://plus.lapresse.ca/screens/bc528b68-c494-405b-9936-213dee6fadcd%7C_0.htmlGoogle Scholar
Noreau, Pierre. 2010. « La gouvernance autochtone: penser hors du livre ». Dans Gouvernance autochtone: Reconfiguration d'un avenir collectif : nouvelles perspectives et processus émergents, dir. Noreau, Pierre et Gentelet, Karine. Montréal: Éditions Thémis.Google Scholar
Papillon, Martin. 2006. « Vers un fédéralisme postcolonial ? La difficile redéfinition des rapports entre l'État canadien et les Peuples Autochtones ». Dans Le fédéralisme canadien contemporain : Fondements, traditions, institutions, dir. Gagnon, Alain-G.. Montréal: Presses de l'Université de Montréal.Google Scholar
Papillon, Martin. 2012. « Canadian Federalism and the Emerging Mosaic of Aboriginal Multilevel Governance ». Dans Canadian Federalism: Performance, Effectiveness and Legitimacy, 3rd ed., dir. Bakvis, Herman et Skogstad, Grace. Toronto: Oxford University Press.Google Scholar
Peach, Ian. 2011. « The Power of a Single Feather: Meech Lake, Indigenous Resistance and the Evolution of Indigenous Politics in Canada ». Review of Constitutional Studies/Revue d'études constitutionnelles 16 (1) : 129.Google Scholar
Pettit, Philip. 1997. Republicanism. Oxford: Oxford University Press.Google Scholar
Poelzer, Greg et Coates., Kenneth 2015. From Treaty Peoples to Treaty Nation: A Road Map for all Canadians. Vancouver–Toronto: UBC Press.Google Scholar
Rodon, Thierry. 2013. « La quête d'autonomie des Autochtones du Québec: les projets de gouvernement des Innus, des Cris d'Eeyou Istchee et du Nunavik ». Dans Les Autochtones et le Québec : Des premiers contacts au Plan Nord, dir. Gervais, Stephan, Papillon, Martin et Beaulieu, Alain. Montréal: Presses de l'Université de Montréal.Google Scholar
Rodon, Thierry. 2011. « Iqqanaijaqatigiit: l'expérience de la co-gouvernance au Nunavut ». Dans Les Inuit du Nunavik et Nunavut: gouvernance et co-gestion, dir. Leenaerts, Marc et Visart, Pascale. Bruxelles : Peter Lang.Google Scholar
Roy, Jean Olivier. 2015. Une compréhension critique des nations et du nationalisme autochtones au Canada traditionalisme et modernité politique et étude de cas sur les Innus au Québec. Thèse de doctorat. Université Laval.Google Scholar
Ryder, Bruce. 1991. « The demise and rise of the classical paradigm in Canadian federalism: promoting autonomy for the provinces and First Nations ». McGill Law Journal / Revue de droit de McGill 46 (2) : 308381.Google Scholar
Salée, Daniel. 1992. « Autodétermination autochtone, souveraineté du Québec et fédéralisme canadien ». Dans Bilan québécois du fédéralisme canadien, dir. Rocher, François. Montréal : VBL éditeur.Google Scholar
Salée, Daniel. 2005. « Peuples Autochtones, racisme et pouvoir d'État en contextes canadien et québécois », Nouvelles pratiques sociales, 17 (2), pp. 5474.10.7202/011226arGoogle Scholar
Salée, Daniel. 2013. « L’évolution des rapports politiques entre la société québécoise et les Peuples Autochtones depuis la crise d'Oka ». Dans Les Autochtones et le Québec : Des premiers contacts au Plan Nord, dir. Gervais, Stephan, Papillon, Martin et Beaulieu, Alain. Montréal: Presses de l'Université de Montréal.Google Scholar
Salée, Daniel. 2003. « L’État québécois et la question autochtone », Dans Québec : État et société Tome II, dir. Gagnon, Alain-G.. Montréal : Les Éditions Québec/Amérique.Google Scholar
Saul, John Ralston. 2015. Le Grand retour: Le réveil autochtone. Montréal: Boréal.Google Scholar
Simeon, Richard. 2006. « Federalism and Social Justice: Thinking Through the Tangle». Dans Territory, Democracy and Social Justice: Regionalism and Federalism in Western Democracies, dir. Greer, Scott L.. New York: Palgrave Macmillan.Google Scholar
Tully, James. 1999. Une étrange multiplicité : le constitutionnalisme à une époque de diversité. Québec: Les Presses de l'Université Laval.Google Scholar
Tully, James. 2000. « The Struggles of Indigenous Peoples for and of Freedom ». Dans Political theory and Indigenous Peoples Rights, dir. Ivison, Duncan, Patton, Paul & Sanders, Will. London: Cambridge University Press.Google Scholar
White, Graham. 2002. «Treaty Federalism in Northern Canada: Aboriginal-Government Land Claims Boards». Publius: The Journal of Federalism 32(3) : 89114.10.1093/oxfordjournals.pubjof.a004961Google Scholar
Wilson, Gary N. 2008. « Nested Federalism in Arctic Quebec: A Comparative Perspective». Canadian Journal of Political Science / Revue canadienne de science politique 41 (1) : 7192.10.1017/S0008423908080116Google Scholar
Young, Iris M. 2000. « Hybrid Democracy Iroquois Federalism and the Postcolonial Project ». Dans Political theory and Indigenous Peoples Rights, dir. Ivison, Duncan, Patton, Paul & Sanders, Will. London: Cambridge University Press.Google Scholar
Young, Iris M. 2002. Inclusion and democracy. Oxford: Oxford University Press.10.1093/0198297556.001.0001Google Scholar
Figure 0

Graphique 1. Régions autochtones autonomes : une proposition pour le Canada