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« Arrière de moi, Satan ! Tu m'es en scandale ! » (Mt 16.23). Analyse de l'ajout du rédacteur dans son contexte juif

Published online by Cambridge University Press:  03 December 2019

Hector M. Patmore*
Affiliation:
Faculty of Theology and Religious Studies, Katholieke Universiteit Leuven, Belgium. Email: hector.patmore@kuleuven.be
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Abstract

Jesus rebukes Peter at Caesarea Philippi by calling him ‘Satan’. The redactor of Matthew adds to this: ‘You are a stumbling block for me!’ This article argues that this editorial addition reflects a tendency in Jewish sources (1) to use the image of ‘stumbling’ to talk of sin, and (2) to identify the diabolic figure (e.g. Satan, Belial, Evil Inclination) as the cause of ‘stumbling’, earning it the title ‘stumbling block’. This tendency has its origins in the Hebrew Bible, is clearly expressed in the literature of the Qumran community, and is further developed in rabbinic sources.

French abstract: À Césarée de Philippe Jésus se mit à réprimander Pierre en l'appellent « Satan ». Le rédacteur de l’Évangile selon Matthieu y ajoute « Tu es pour moi occasion de chute! » Cet article soutient que cet ajout rédactionnel reflète une tendance qui se manifeste dans les sources juives à (1) employer l'image de « trébucher » pour parler du péché, et (2) identifier le personnage diabolique (Satan, Bélial, l'Ange des Ténèbres, Penchant mauvais) comme la cause de « trébuchement ». Cela lui vaut le titre de « pierre d'achoppement ». Cette tendance a ses origines dans la Bible hébraïque, elle se manifeste dans la littérature de la communauté de Qumran, et se développe ultérieurement dans la littérature rabbinique.

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Articles
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Copyright © Cambridge University Press 2019

1. Introduction

La scène bien connue qui se déroule à proximité de Césarée de Philippe marque un tournant décisif dans la vie et de la mission de Jésus. Suite à la reconnaissance par Pierre de Jésus en tant que Messie, Jésus annonce que sa mission ne s'achèvera que par sa mort et, ensuite, sa résurrection. Naturellement, Pierre est choqué. Il n'a pas prévu un tel message puisque pour lui, comme pour la plupart des juifs de l’époque, la mort dénote la fin des prétentions messianiques – l’échec d'un messie au lieu de sa victoire.Footnote 1 Pour cette raison Pierre se mit à réprimander Jésus. La réponse de Jésus fut sévère : « Retire-toi ! Derrière moi, Satan, car tes vues ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes »Footnote 2 (Mc 8.33).

Ce sont les mots avec lesquels Jésus a répondu selon l’Évangile selon Marc, mais une forme plus élaborée se trouve dans l’Évangile selon Matthieu : « Retire-toi ! Derrière moi, Satan ! Tu es pour moi occasion de chute, car tes vues ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes » (Mt 16.23). D'autres versions traduisent les mots supplémentaires « tu m'es en scandale » (Nouvelle Édition de Genève 1979) ou « tu es un piège pour moi » (La Bible Segond 21, Société Biblique de Genève 2007).

Il y a peu de doute que le rédacteur soit responsable de ce petit ajout, mais son intention reste moins évidente. Trois explications sont généralement avancées par la critique :

  1. 1. La locution supplémentaire reflète la tendance du rédacteur.

  2. 2. Cet ajout fait partie d'un jeu de mots fondé sur le nom de Pierre (« Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église … », Mt 16.18).

  3. 3. Le rédacteur voulait faire allusion à un certain verset biblique.

Manifestement, ces trois possibilités ne s'excluent pas mutuellement. Mais, à mes yeux, cette liste reste incomplète.

Il y a plus d'un demi-siècle, Alphonse Humbert avait déjà proposé que l’« occasion de chute » (σκάνδαλον en grec) était devenu « un terme technique pour qualifier les troupes sataniques » dans la littérature juive vers la fin de la période du Second Temple.Footnote 3 Son assertion n'a pas pu s'imposer, probablement parce qu'Humbert ne nous a pas vraiment présenté la preuve nécessaire (ou plutôt, il n'a pas pu nous la présenter à ce temps-là). Néanmois, à la lumière des progrès effectués dans ce domaine – en particulier avec la publication des Manuscrits de la Mer Morte – il me semble qu'il était sur la bonne voie et que sa suggestion mérite d’être réévaluée.

Ainsi, je propose que l'ajout « tu es pour moi occasion de chute » reflète une tendance bien attestée dans la littérature juive (1) de relier le concept de « trébucher » à celui de « pécher » et (2) de tenir le diable responsable pour chaque « trébuchement ». Ainsi, je suggère que l’« occasion de chute » fonctionna comme équivalent – voire même un sobriquet – du diable (sous divers noms, entre autres, « Satan »). L'ajout que l'on trouve dans le texte de Matthieu reflète cet usage. En tant que tel, on peut voir l'ajout comme une nouvelle confirmation de l'appartenance du rédacteur au milieu juif.Footnote 4

2. L'intention du rédacteur

Commençons par passer en revue les trois explications les plus répandues.

2.1 La tendance du rédacteur

En ce qui concerne la composition de l’Évangile selon Matthieu, la théorie la plus répandue postule que le rédacteur a pris Marc comme base, en le modifiant par endroits. Il a amplifié Marc avec des éléments tirés de plusieurs sources écrites et orales, que l'on regroupe sous les noms « Q » (la source connue aussi bien de Matthieu que de Luc) et « M » (plusieurs sources connues de Matthieu seulement). Le rédacteur les a intégrées en ajoutant ses propres paroles comme il l'a jugé bon. Par conséquence, il n'est pas toujours facile de faire la distinction entre les éléments qui appartiennent à « M » et ceux qui appartiennent au rédacteur.Footnote 5 La plupart des savants estiment que le rédacteur a terminé son travail entre 80–95 de n.è., bien que certains le datent avant la chute du Second Temple. Quant à sa provenance géographique, de nombreuses propositions existent (par ex. Jérusalem, la Galilée, Césarée Maritime, Phénicie, Alexandrie, Transjordanie), mais la majorité favorisent la Syrie, surtout Antioche.Footnote 6

Dans le cas présent, on peut supposer que la locution supplémentaire (« Tu es pour moi occasion de chute ») est l’œuvre du rédacteur, même s'il serait exagéré de qualifier le terme clé grec σκάνδαλον (« occasion de chute, scandale, piège ») de « a major concept in Matthew »Footnote 7 puisque le substantif n'est présent que deux fois dans les contextes sans parallèles synoptiques, et le verbe encore trois fois.Footnote 8 Même si on admet que σκάνδαλον fait partie du vocabulaire favorisé par le rédacteur, il faut néanmoins expliquer son choix de l'ajouter à cet endroit, à savoir à la réprimande de Jésus. L'appeler « Satan » semble être une réprimande suffisante et bien plus dure.Footnote 9 Alors, pourquoi le rédacteur a-t-il ajouté le mot σκάνδαλον à cet endroit, et qu'est-ce que ce mot ajoute exactement ?

2.2 Le jeu de mots

Ce dernier point nous mène au jeu de mots fondé sur le nom de Pierre. Même si l'on considère Mt 16.18–19 comme une unité déjà complète (« Überlieferungseinheit ») que le rédacteur a reçu et intégré comme contrepoids aux mots de Pierre (« Tu es le Christ … »),Footnote 10 le rédacteur a néanmoins certainement choisi le mot clé σκάνδαλον avec soin, compte tenu de l'importance particulière accordée aux jeux des mots dans le contexte littéraire : Pierre était la pierre sur laquelle Jésus bâtira son Église, mais en refusant d'accepter la nécessité de la souffrance et de la mort de Jésus, il est devenu une pierre d'achoppement. Le renversement poétique est manifeste et presque tous les commentateurs l'ont mentionné.Footnote 11

En remarquant le nouveau jeu de mots créé par cet ajout, on oublie trop facilement de constater ce qu'il nous dit sur la compréhension du rédacteur de sa source (c.-à-d., Marc), à savoir que le rédacteur a évidemment trouvé dans le mot « Satan » l'occasion de faire un nouveau jeu de mots et qu'il en a profité. Il paraît qu'il y a un rapport pour lui entre les mots « Satan » et σκάνδαλον, une liaison tellement étroite qu'il les a mis en apposition. Pour formuler la question différemment : Qu'est-ce qui a pu lui faire penser à σκάνδαλον en lisant le mot « Satan »?

2.3 Une allusion à un verset biblique

Eduard Schweizer a cherché à établir un parallèle entre le nouveau jeu de mot créé par le rédacteur de Matthieu (c.-à-d., pierre de l’Église / pierre d'achoppement) et le renversement poétique de la combinaison de Is 8.14 (« un rocher où l'on trébuche » ; TM : צור מכשול ; Aquila, Symmachus : στερεὸν σκανδάλον) et Is 28.16 (« pierre angulaire, précieuse, établie pour servir de fondation »). Un rapport entre Is 8.14 et Is 28.16 est déjà évident dans Rm 9.32–3 et 1 P 2.4–8 (cf. Mt 21.42–4 ; Lc 20.17–18) où sont exprimés les deux rôles joués par Jésus : pour certains il est le fondement, pour d'autres un scandale. Ainsi, selon Schweizer, le rédacteur a fait ce nouveau jeu de mot sous l'influence d'un rapport entre Is 8.14 et Is 28.16 déjà connu dans la communauté chrétienne primitive : de même que Jésus est en même temps un fondement et une pierre d'achoppement, Pierre est aussi un fondement et une pierre d'achoppement.Footnote 12

Pour accepter la solution de Schweizer il faudrait admettre que le rédacteur a pris une image tirée du livre de Isaïe, que la communauté chrétienne primitive avait déjà appliqué à Jésus, et l'a réappliquée à Pierre au moment de son humiliation. En outre, il n'est pas clairement établi que le rédacteur de Matthieu a lui-même connu la tradition de la combinaison de Is 8.14 et Is 28.16. En conséquence, la solution Schweizer me semble forcée.

En admettant que l'imagerie ait été familière de la Bible (voir ci-dessous), le rédacteur a néanmoins choisi d’établir un lien direct entre son mot choisi, σκάνδαλον, et « Satan ».

En résumé, ces trois explications décrivent l'effet ou la conséquence plutôt que la cause. Le rédacteur a créé un nouveau jeu de mots en utilisant un terme favorisé qui reflète l'imagerie biblique familière. Mais je reviens aux questions posées précédemment : Qu'est-ce que ce mot ajoute exactement à la scène ? Et, qu'est-ce qui a pu lui faire penser à σκάνδαλον en lisant le mot « Satan » ? Des éléments du texte ont dû inciter le rédacteur à avoir cette pensée.

3. Le lien entre « Satan » et σκάνδαλον dans l’Évangile selon Matthieu

Deux facteurs indiquent qu'il ne s'agit pas d'un fait accidentel ou secondaire que σκάνδαλον soit placé à côte de « Satan » : (1) l'image que σκάνδαλον suggère dans le contexte de Mt 16.23, et (2) l'usage de σκάνδαλον dans la parabole de l'ivraie.

3.1 L'image d'un chemin barré

L'ordre de Jésus « Retire-toi ! Derrière moi ! » (ὀπίσω μου) évoque l'image d'un chemin barré qu'il faut dégager. Pierre représente un obstacle sur le chemin de Jésus.Footnote 13 L'imagerie est familière. On pense tout de suite à plusieurs passages du Livre d'Isaïe, en particulier :

Franchissez, franchissez les portes,
dégagez le chemin du peuple,
remblayez, remblayez la chaussée…
Voici ton Salut qui vient …
(Is 62.10–11)

Et :

Dans le désert dégagez un chemin pour le SeigneurFootnote 14
(Is 40.3)

Selon la version qu'il a trouvée dans le texte de Marc (repris par Luc ; voir Lc 9.20), sitôt après la reconnaissance par Pierre de Jésus en tant que Messie, Jésus enseigne qu'il lui fallait souffrir beaucoup, être rejeté et mis à mort, et finalement ressusciter. Le rédacteur de Matthieu a modifié cette version, qui lui a servi de source, en omettant de mentionner le rejet (ἀποδοκιμασθῆναι) et en ajoutant les mots « (qu'il lui fallait) s'en aller à Jérusalem » (εἰς Ἱεροσόλυμα ἀπελθεῖν, Mt 16.21).

En effet, le rédacteur de Matthieu a rendu l'image d'un chemin barré plus évidente que ce qu'il a trouvé dans le texte de Marc,Footnote 15 puisque dans l'histoire de Matthieu, Jésus s'est mis en route depuis Césarée de Philippe sur la voie qui le mène à ce qui l'attend à Jérusalem (« À partir de ce moment, Jésus Christ commença à montrer à ses disciples qu'il lui fallait s'en aller à Jérusalem … »). Un tournant décisif fut atteint et son histoire prit une nouvelle direction. L'ajout du rédacteur dans Mt 16.23 fait partie de cette image : Jésus s'est mis en route mais il trouve son chemin barré par un obstacle (σκάνδαλον), à savoir Satan sous la forme de Pierre. Ainsi, pour le rédacteur l’« occasion de chute » (σκάνδαλον) et « Satan » fonctionnent comme des équivalents dans ce contexte, et c'est pour cette raison qu'il les met en apposition.

3.2 La parabole de l'ivraie

En outre, on trouve un lien direct entre « Satan » et σκάνδαλον dans la parabole de l'ivraie et son explication (Mt 13.24–30, 36–43) ; une parabole qu'on ne trouve que dans le texte de Matthieu. Ainsi, on suppose qu'il a adapté cette parabole de « M » (les sources connues de Matthieu seulement), bien qu'il puisse avoir créé lui-même l'explication (Mt 13.36–43).Footnote 16 Selon la parabole, un ennemi sème de l'ivraie (τὰ ζιζάνια) au milieu du champ de blé d'un certain homme. Pour éviter que le blé soit déraciné, l'homme décide d'attendre la moisson avant de les séparer. Selon l'explication, l'ivraie représente « les fils du Malin » (οἱ υἱοὶ τοῦ πονηροῦ, Mt 13.38). Ici, il faut comprendre « le Malin » comme titre (Jn 17.15 ; Ep 6.16 ; 1 Jn 2.13–14 ; 5.18–19, cf. Mt 5.37 ; 6.13), puisque l'ennemi qui l'a semée représente le diable (ὁ διάβολος, Mt 13.39).Footnote 17 Ainsi qu'on ramasse l'ivraie, à la fin du monde les anges ramasseront « toutes causes de chute » (πάντα τὰ σκάνδαλα, Mt 13.41)Footnote 18 pour les mettre hors du Royaume du Fils de l'homme. Si les « causes de chute » sont celles que le diable a semées, cela doit être « les fils du Malin », autrement dit, les fils du diable. L'usage de cette expression se fait l’écho de la terminologie eschatologique de la communauté de Qûmran (par ex., « fils de Bélial » ; « fils des ténèbres » ; « fils de la perversion » ; voir ci-dessous).Footnote 19 Autrement dit, l'ivraie (τὰ ζιζάνια), « les fils du Malin » (οἱ υἱοὶ τοῦ πονηροῦ), et les « causes de chute » (τὰ σκάνδαλα) sont tous équivalents dans ce contexte.Footnote 20 Il est évident que « les fils du Malin » et « Satan » ne fonctionnent pas comme équivalents exacts dans cet exemple, mais plutôt que le diable occasionne « toutes causes de chute ». En d'autres mots, chaque cause de chute provient de Satan.

4. Le diable et le concept de trébucher dans les sources qumraniennes

En résumé, dans le texte de Matthieu, Satan est non seulement celui qui fait trébucher directement (Mt 16.23), mais aussi celui qui provoque tout ce qui occasionne la chute (Mt 13.24–30, 36–43), cela veut dire, toute tentation de pécher. Ainsi, il est l'instigateur de chaque péché, directement ou indirectement, et il personnifie ce qu'il fait. Parmi les Manuscrits de la Mer Morte se trouve un concept équivalent, parfois exprimé en utilisant le même langage imagé.

4.1 Un commentaire eschatologique (4Q174)

Auparavant connu sous le nom de « 4QFlorilegium », 4Q174 a été rebaptisé « Midrach eschatologique » (« Der Midrasch zur Eschatologie »),Footnote 21 ou plus récemment « Commentaire eschatologique A » (« Eschatological Commentary A »),Footnote 22 tout en reconnaissant que l'auteur a regroupé des versets bibliques qui, d'après lui, parlent des Derniers Jours. Ainsi, 4Q174 fait partie d'une collection de commentaires eschatologiques, à laquelle appartiennent également 4Q177, un manuscrit très fragmentaire, et peut-être d'autres.Footnote 23 Le manuscrit date de la fin du 1er siècle av. n.-è. et le texte lui-même remonte probablement à environ un demi-siècle plus tôt.Footnote 24 Le texte reflète bien l'idéologie eschatologique de la communauté, selon laquelle elle lutte contre ses ennemis pendant une période de persécutions avant que l'eschaton ne survienne. Voici, la partie qui nous intéresse :

Quant à ce qu'Il a déclaré à David : « Je t’[accorderai] le [repos] face à tous tes ennemis » (2 S 7.11b), cela signifie qu'Il leur accordera le repos face à [tou]s les Fils de Bélial, qui les font trébucher (המכשילים אותמה) afin de l[es] détruire [par] leur [méchanceté] comme ils sont venus avec le dessein de [B]él[i]al afin d'amener les F[ils] de Lu[mière] à trébucher (להכשיל). Ils ont tramé contre eux de méchants desseins [afin qu'ils tombent entre les m]ains de Bélial à cause de (leur) offense (commis par) inadvertance משגת א[ש]מה).Footnote 25

(4Q174 Col. iii, Frag. 1, 21, 2 : l.7–9)

Il est fort possible que 4Q177, où on trouve également la forme מכשילים (« ils font trébucher », 4Q177 Col. ix, Frag. 11, 10, 26, 9, 20, 7 : l.7), exprime des idées semblables, mais le manuscrit est trop fragmentaire pour en tirer des conclusions solides.

Dans la littérature qumranienne Bélial joue grosso modo le même rôle que Satan dans le Nouveau Testament, bien que la littérature qumranienne ne le caractérise pas invariablement.Footnote 26 Ainsi, l'image de son rôle que l'on rencontre dans les cas de 4Q174, et qui s'accorde avec la vision du monde dualiste qui revient dans d'autres textes de la communauté qumranienne,Footnote 27 est assez proche de ce que l'on trouve dans la parabole de l'ivraie :Footnote 28 Bélial charge ses émissaires de provoquer la communauté (les Fils de Lumière) à pécher. En outre, les deux royaumes, celui des méchants et celui des justes (cf. « le bon grain, ce sont les sujets du Royaume ; l'ivraie, ce sont les sujets du Malin », Mt 13.38), resteront entremêlés pendant l’époque actuelle, bien qu'ils seront séparés à la fin (cf. « Laissez l'un et l'autre croître ensemble jusqu’à la moisson », Mt 13.30).

Ce que nous intéresse est naturellement la terminologie que l'auteur a choisi ici, celle de « trébucher ». La Septante et les révisions juives traduisent la racine hébraïque employée par l'auteur de 4Q174, כשל, plusieurs fois avec le substantif σκάνδαλον ou le verbe σκανδαλίζειν.Footnote 29 Selon James E. Harding, l'auteur de 4Q174 exploite un jeu de mots entre les racines כשׁל (en hifil « faire trébucher ») et שׂכל (en hifil « rendre intelligent »), que l'on trouve déjà en jeu dans Dn 11.33–5, pour distinguer sa communauté de ceux qui ne lui appartiennent pas. Harding soutient que ce jeu de mots est également présupposé plusieurs fois dans le Nouveau Testament, notamment où σκανδαλίζω et συνίημι sont mis en contraste (c.-à-d., Mt 13.21, 23, cf. Mt 13.51, 54, 57 ; 15.10, 21 ; 1 Co 1.18–25 ; 2 Co 11.29).Footnote 30 Ainsi, dans 4Q174 Bélial représente « an obstacle in God's plan for his people »,Footnote 31 tout comme Satan (sous la forme de Pierre) l'avait fait pour Jésus dans Mt 16.23.

4.2 Les Hymnes de Qumran

Le thème de la lutte contre les ennemis de la communauté est repris dans Les Hymnes de Qumran. Plusieurs copies sont conservées, dont la plus complète, le manuscrit 1QHodayota (1QHa), conserve 28 colonnes incomplètes d'un rouleau ; les autres (c.-à-d., 1QHb et 4QHa–f) sont tous fragmentaires. 1QHa, qui date de d'environ 30–1 av. n.-é., regroupe les hymnes, dont une partie s'exprime à la première personne (« je »). Que cette voix représente celle du Maître de Justice lui-même, chef de la communauté qumranienne, ou que cet usage ait une fonction purement rhétorique,Footnote 32 cela représente clairement une position sectaire. La partie qui nous intéresse appartient à ce groupe :

Je Te rends grâce, ô Seigneur, car Tu m'as mis dans le sachet des vivants (בצרור החיים), et Tu me protèges de tous les pièges de la fosse (מוקשי שחת).Footnote 33 Car des violents guettent mon âme, tandis que moi, je reste attaché à Ton alliance. Ils ont un conseil frauduleux (סוד שוא) et la congrégation de Bélial (ועדת בליעל)! Ils ne savent pas que mon poste vient de Toi!

(1QHa x.22–4)

La phrase « Je Te rends grâce, ô Seigneur » indique le commencement d'un nouvel hymne, dont l'imagerie évoque manifestement la chasse. Puisque le Seigneur l'a ramassé dans son sac (צרור ; voir 1 S 25.29), l'auteur ne tombera pas dans les pièges que « la congrégation de Bélial » lui a tendu. En fait, ce sont eux-mêmes finalement qui vont tomber dans les pièges (פחים) qu'ils ont tendu (1QHa x.31). Le mot clé, « piège » (מוקש), est le mot le plus fréquemment traduit par σκάνδαλον dans la Septante,Footnote 34 reflétant le sens fondamental du terme grec.Footnote 35

Comme cela était le cas dans 4Q174, le texte de 1QHa met en opposition deux groupes : d'un côté ceux qui appartiennent à la communauté sectaire et de l'autre côté leurs adversaires. Le texte envisage non seulement des adversaires spirituels, mais aussi des adversaires terrestres. Selon l'auteur, en entrant dans la communauté, on est sauvé de toutes ruses de Bélial,Footnote 36 et en adhérant fidèlement à l'alliance du Seigneur, on reste parmi les rachetés (x.30, cf. CD xiv.2 ; 4Q267 (4QD-b) 9 v.5).

4.3 La règle de la communauté

On a associé l'image de « trébucher » à la lutte entre deux « royaumes » opposés encore dans la charte de la secte, La règle de la communauté. En bref, La règle concerne la gouvernance du groupe, et non exclusivement le comportement des membres de la communauté, ou comment un postulant peut devenir membre à part entière, par exemple. Elle tente également d'exposer leur base idéologique, voire théologique.

Comme on pouvait s'y attendre, La règle partage le même dualisme que l'on a déjà remarqué dans les exemples précédents : le dualisme cosmique se manifeste par le dualisme sociétal. Cela veut dire que les croyants vivent dans une ère où Bélial dirige le monde (par ex., CDaiv.12 ; cf. Jn 14.30 ; 2 Co 4.4) et sa domination se manifeste par les activités des « hommes de perversité ». En contraste, le groupe se considère comme « un temple pour Israël … la précieuse pierre d'angle dont les fondations ne seront ni ébranlées ni déplacées … une maison de vérité et de perfection en Israël » (1QS viii.5–9). L'usage de la terminologie de la guerre est très marqué : la communauté se considère comme un ensemble de guerriers en alliance avec Dieu qui attendent la guerre finale.

L'Instruction sur les deux esprits

La partie de La règle qui nous intéresse d'abord est connu sous le nom de « L'Instruction sur les deux esprits » (1QS iii.13–iv.26). Cette section a un caractère assez différent du reste du texte, si bien que l'on doit conclure que, soit un rédacteur a intégré un texte indépendant dans La règle, soit cette section indépendante reflète une étape dans le processus éditorial. En outre, certaines questions continuent à diviser l'opinion : Présente-elle une unité littéraire ? Est-elle antérieure à la communauté qumranienne ? En bref, la genèse de l’Instruction sur les deux esprits, elle-même, demeure un sujet de débats.Footnote 37 Dans tous les cas, il paraît évident que le rédacteur de La règle l'a trouvée suffisamment en accord avec la théologie qu'exprime le texte dans son ensemble pour vouloir l'intégrer.

Voici la partie qui nous intéresse :

En la main du Prince des Lumières (est) la domination de tous les fils de justice : ils marchent dans les voies de lumière. Mais en la main de l'Ange des Ténèbres (מלאך חושך) (est) la domination des fils de l'injustice (בני עול) : ils marchent dans les voies des ténèbres. Par l'Ange des Ténèbres (est provoqué) l’égarement de tous les fils de justice : tous leurs péchés, leurs fautes, leurs culpabilités et les transgressions de leurs œuvres (s'effectuent) sous sa domination (בממשלתו), conformément aux mystères de Dieu, jusqu’à son terme. Et toutes leurs afflictions, et les moments de leur détresse (se passent) sous sa domination hostile ; et tous les esprits de son lot (רוחי גורלו) font trébucher (להכשיל) les Fils de Lumière ; mais le Dieu d'Israël et son ange de vérité viennent en aide à tous les Fils de Lumière.

(1QS iii.20–5)Footnote 38

Selon L'Instruction sur les deux esprits, Dieu a assigné aux hommes deux esprits : l'esprit de vérité et celui du mensonge, respectivement sous le commandement du Prince des Lumières et de l'Ange des Ténèbres. Le rapport entre le dualisme cosmique et le comportement de tout individu est bien évident. Ainsi, les deux empires continuent d’être en conflit jusqu’à la « visitation » de Dieu.

Comme nous l'avons déjà noté, les textes sectaires parlent en général d'une ère où Bélial dirige le monde. Dans L'Instruction sur les deux esprits, c'est l'Ange des Ténèbres qui est son équivalent fonctionnel. Son rôle est bien semblable à celui de Bélial dans son conflit avec le Prince des Lumières dans l’Écrit de Damas (CD v.18 ; 4Q266 3 ii.5 ; 4Q267 2.1) ou l'Ange Michel dans le Rouleau de la guerre (1QM 17.6–7).Footnote 39 En outre, la terminologie de « domination (de Bélial / l'Ange des Ténèbres) », « Fils de Lumière », « lot (de Bélial / l'Ange des Ténèbres) », etc., que l'on trouve dans la partie de l'Instruction sur les deux esprits citée ci-dessus, est très répandue dans la littérature de la communauté qumranienne, et le même jeu de mots entre les racines כשׁל et שׂכל que Harding a observé dans 4Q174 (voir ci-dessus) revient dans L'Instruction sur les deux esprits.Footnote 40

4.4 Les sources qumraniennes : Résumé

Il existe d'autres exemples dans lesquels la terminologie est pertinente (par ex. « pierre d'achoppement » ; « trébucher » ; « Bélial ») et qui peuvent appartenir à ceux examinés ci-dessus, mais ils sont trop fragmentaires pour pouvoir en tirer des conclusions solides.Footnote 41 Ce qui est clair à partir des exemples ci-dessus, c'est que la littérature qumranienne a parfois choisi d'exprimer l'activité de Bélial (ou l'Ange des Ténèbres) en utilisant le langage de « trébucher » et « prendre au piège ». Bélial, comme Satan dans l’Évangile selon Matthieu, non seulement fait trébucher mais aussi provoque tout ce qui occasionne la chute. Il est le chasseur et le piège. Du point de vue anthropologique, la menace est extérieure : c'est une force contre laquelle on doit lutter.

5. Racines bibliques

L'association entre les concepts de « trébucher » et de « pécher » tient ses racines de la Bible hébraïque. Par exemple :

C'est pourquoi je vous jugerai, chacun selon ses chemins, maison d'Israël, oracle du Seigneur Dieu. Revenez, détournez-vous de toutes vos rébellions, et l'obstacle qui vous fait pécher (מכשול עון) n'existera plus.

(Ez 18.30, cf. 1 S 25.31 ; Is 57.14 ; Ez 7.19 ; Ps 119.165)

Quelquefois c'est l'idolâtrie que l'on identifie comme l'occasion de péché (par ex. Ez 14.3, 4, 7 ; 44.12 ; Sir 47.23). En bref, dans la Bible hébraïque la pierre d'achoppement – c'est à dire, tout ce qui fait trébucher – signifie le péché lui-même ou tout ce qui fait pécher (par ex., des idoles).Footnote 42

Parmi les Manuscrits de la Mer Morte, on peut également découvrir les textes qui parlent des idoles ou des dieux étrangers comme un piège, sans faire allusion à Bélial (par ex., 1Q22 i.7–8 ; 4Q216 ii.7, cf. 4Q368 2.4 ; 11Q19 ii.5 ; LXX Jg 2.3 et versions hexaplariques à Dt 7.16). Quelques exemples reprennent simplement le langage biblique. La règle de la communauté, par exemple, charge les prêtres et les Lévites de maudire des adhérents qui entrent dans l'Alliance puis deviennent ensuite apostats « par ses idoles (בגלוליו) et par la pierre d'achoppement de son péché (מכשול עוונו) » (1QS ii.11–17, cf. Ez 14.4, 7). Dans ce cas c'est l'individu lui-même – et pas Bélial ou un autre pouvoir externe – qui semble être responsable du péché qui le fait trébucher, même s'il appartient au « lot de Bélial » (גורל בליעל, voir 1QS ii.1–10).Footnote 43 Une idée semblable est exprimée dans Les Hymnes de Qumran, à savoir que ceux qui conçoivent les complots de Bélial (זמות בליעל יחשובו) mettent « la pierre d'achoppement de leur péché » avant eux, en cherchant Dieu « par les idoles (בגלולים) » (1QHaxii.13–15, 19).

Les Manuscrits de la Mer Morte témoignent clairement d'une période pendant laquelle on a commencé à transférer la responsabilité du péché aux pouvoirs externes (démons, mauvais esprits, Satan, Bélial, etc.).Footnote 44 Pour cette raison, on trouve non seulement la terminologie de « trébucher » employée dans son sens biblique, mais aussi l'imagerie biblique transférée aux pouvoirs externes, notamment Bélial. Même dans un seul texte, cette distinction peut s'estomper (par ex., 1QHa). Dans la Bible hébraïque, c’était généralement les idoles ou la faiblesse de l'esprit humain qui fait trébucher. Pour la communauté de Qumran, c’était généralement Bélial ou son équivalent, l'Ange des Ténèbres, qui occasionne chaque trébuchement.

6. La littérature péritestamentaire

L'emploi de l'image de « trébucher » pour caractériser des forces maléfiques externes ne se manifeste pas exclusivement dans la littérature sectaire. Ce motif, qui s'exprime clairement dans la littérature rabbinique plus tardive, comme nous le verrons plus loin, se reflète dans une certaine mesure également dans la littérature péritestamentaire. Par exemple, dans le livre des Jubilés, Moïse supplie Dieu pendant son séjour au sommet du mont Sinaï de ne pas permettre que son peuple tombe sous la domination de l'esprit de Béliar de peur qu'il les « prenne au piège » pour les détruire (Jub 1.20).Footnote 45 Une association avec l'idolâtrie et l'adoration de dieux païens s'impose selon le contexte : les dieux étrangers seront pour eux une « pierre d'achoppement » et un « piège », entre autres choses (Jub 1.9–11).Footnote 46 Dans le Testament de Reuben c'est la fornication (ἡ πορνεία), le thème central de ce testament, qui semble constituer « une occasion de chute à cause de(?) Béliar »Footnote 47 (πρόσκομμα τῷ Βελιάρ, T. Reub 4.7, cf. T. Reub 5.6–7 ; T. Sim 5.3 ; T. Dan 1.7 ; 3.6 ; 5.6–7 ; T. Benj 6.1 ; 7.1–2).Footnote 48

7. Développement dans la littérature rabbinique

On retrouve le développement que l'on a remarqué dans la littérature qumranienne clairement exprimé dans la littérature rabbinique plus tardive. Ainsi, on peut suivre la trace d'une trajectoire théologique – voire exégétique – des derniers siècles de la période du Second Temple jusqu’à la fin de l'Antiquité tardive, au milieu de laquelle se situe l'ajout rédactionnel de Matthieu.Footnote 49

Dans la littérature rabbinique, les Sages appliquent la terminologie de « trébucher » au « Penchant mauvais » (יצר הרע). Par exemple, le Talmud de Babylone (b. Sukkah 52a) a conservé une tradition selon laquelle le Penchant mauvais a sept noms, dont un est « pierre d'achoppement » (מכשול). Pour preuve, on cite Is 57.14 (« Remblayez la chaussée, dégagez le chemin, faites sauter tout obstacle du chemin de mon peuple »). Cette tradition est attribuée à R. Avira (amora palestinien des 3e–4e siècles) ou, selon certains (איתימא), à R. Joshua b. Levi (amora palestinien de la première moitié du 3e siècle et aggadiste très réputé).Footnote 50 L'attribution de la tradition exégétique à deux sages met en doute sa précision ; ainsi elle peut être un peu plus tardive que les sages nommés.Footnote 51

On retrouve une tradition semblable dans Pesiqta de Rav Kahana (24.17) :

Le Penchant mauvais est une grande pierre d'achoppement pour le monde [ou selon certains manuscrits : une pierre d'achoppement dans ce monde], mais ciselez-la petit à petit jusqu’à ce que l'Heure arrive puis je l'enlèverai du monde.Footnote 52

Cette tradition nous propose une interprétation d'Os 14.2b (« … car ta faute t'a fait trébucher ») attribuée à R. Simeon bar Yohai (tanna palestinien du 2e siècle). Selon le texte, R. Simeon cite Ez 36.26 pour soutenir son exégèse.Footnote 53 La date de Pesiqta de Rav Kahana, qui a des origines palestiniennes, reste très contestée : les estimations varient entre le 3e et le 6e siècle.Footnote 54

On retrouve également le concept de « trébucher » relié au « Penchant mauvais » dans un texte plus ancien, à savoir le Targum Jonathan. Le texte biblique de Is 62.10 se lit comme suit :

Franchissez, franchissez les portes,
dégagez le chemin du peuple,
remblayez, remblayez la chaussée,
pavez avec de la pierre,
dressez l’étendard face aux peuples

Le Targum a transformé le texte biblique en (les ajouts explicatifs targumiques en italique) :

Ô prophètes! Franchissez, et revenez par les portes,
tournez le cœur du peuple vers un bon chemin
Proclamez les bonnes nouvelles et consolations aux justes,
qui enlèvent la pensée troublante (הרהור) du Penchant (יצרא),
qui est semblable à une pierre d'achoppement (תקלא כאבן)!
Dressez l’étendard face aux peuplesFootnote 55
(Tg. Is 62.10)

Cette tradition targumique remonte probablement à la période tannaïtique et, en tant que telle, constitue peut-être le plus ancien témoignage de l'association entre le concept de « trébucher » et le Penchant mauvais.Footnote 56

Tout en admettant que le concept du Penchant mauvais a bien évolué au sein du Judaïsme de l'Antiquité,Footnote 57 il est à noter que les sages ont choisi de le nommer comme une « pierre d'achoppement » et que cette tradition remonte à la période tannaïtique. En outre, vers la fin de l’époque tannaïtique le « Penchant mauvais » a joué, dans la pensée rabbinique, un rôle semblable à celui que joue Bélial dans les textes de Qumran ou Satan dans la littérature chrétienne primitive.Footnote 58 Cela veut dire que le Penchant mauvais fut un pouvoir externe (c.-à-d. réifié) et démoniaque qui provoque le péché. C'est pour cette raison que Resh Lakish, amora palestinien du 3e siècleFootnote 59 (si on en croit l'attribution dans le Talmud de Babylone !) a pu tenir le Penchant mauvais et Satan pour équivalents : « Satan est le Penchant mauvais [et il] est [également] l'Ange de la Mort (הוא שטן הוא יצר הרע הוא מלאך המות) » (b. B. Bat. 16a).

8. Conclusion

Durant leurs échanges à proximité de Césarée de Philippe, Pierre est devenu l'adversaire de Jésus, son tentateur, et c'est à cause de cela qu'il est rebaptisé « Satan ». La plupart des commentateurs notent la résonance avec la tentation de Jésus, durant laquelle celui-ci réprimande le diable (Mt 4.10).Footnote 60 Ainsi, pourquoi le rédacteur a-t-il ajouté à la réprimande de Jésus les mots supplémentaires : « Tu es pour moi occasion de chute »? En les ajoutant, il a assurément élaboré le jeu de mots fondé sur le nom de Pierre, tout en utilisant un terme favorisé. Si on admet la solution de Schweizer, il s'est même inspiré d'une image bien connue d'Isaïe. Mais ces trois points décrivent l'effet plutôt que la cause. Pourquoi le mot « Satan » a incité le rédacteur à penser à une pierre d'achoppement?

Les textes qumraniens nous apportent un éclairage nouveau sur cette situation. Pour résumer, l'association entre les concepts de trébucher, l'idolâtrie, et le péché existe déjà dans la Bible hébraïque. Vers la fin de l’époque du second Temple, on a imputé progressivement la responsabilité de faire pécher aux pouvoirs externes (par ex., Satan, Bélial), en partie sous l'influence du dualisme. Pour décrire l'activité de ces pouvoirs externes, on a adopté le langage biblique de « trébucher ».Footnote 61 Tout en regroupant les textes qumraniens pertinents, on peut percevoir une trajectoire, qui s'exprime également dans la littérature péritestamentaire et rabbinique, selon laquelle le personnage diabolique (Satan, Bélial, l'Ange des Ténèbres, Penchant mauvais) occasionne toute chute directement ou au moyen de ses agents (comme dans la parabole de l'ivraie). Cette image de Satan comme un obstacle qui fait trébucher cadre parfaitement avec l'image d'un chemin barré qui est rendue plus claire par le rédacteur de Matthieu dans la scène à proximité de Césarée de Philippe.

Du point de vue méthodologique, on ne peut plus supposer que le rédacteur de Matthieu a connu les textes qumraniens et leur a directement emprunté certains éléments. Cela fait davantage penser à des formes littéraires (les béatitudes,Footnote 62 par exemple), à des croyances, à des méthodes d'exégèse communes, et à une expérience de l'hostilité sociale comparable, que les deux communautés (celle du rédacteur de Matthieu et celle de Qumran) ont éprouvé.Footnote 63 De toute façon, l'utilisation de l'imagerie de « trébucher » pour caractériser les pouvoirs maléfiques ne se limite à la littérature sectaire, comme les exemples tirés de la littérature péritestamentaire l'indiquent (tout en admettant que le Livre des Jubilés et les Testaments des Douze Patriarches présente de points communs avec des textes sectaires,Footnote 64 et également que leur origine demeurent l'objet de discussionsFootnote 65).

Les sources qumraniennes et l’Évangile selon Matthieu reflètent une trajectoire théologique commune (le transfert de la responsabilité du péché aux pouvoirs externes), qui a été enracinée dans l'imagerie biblique (« trébucher », « pierre d'achoppement », « piège »), auparavant associée avec l'idolâtrie et l'adoration de dieux païens, et qui se manifeste dans des sources juives diverses.

Ainsi, c'est cela qui a incité le rédacteur à penser au concept de « trébucher » en lisant le mot « Satan », et c'est pour cela qu'il a introduit le terme « occasion de chute » (σκάνδαλον). Cela représente un indicateur supplémentaire des origines juives du rédacteur de l’Évangile selon Matthieu.

Footnotes

Cet ouvrage a été soutenu par « The Arts and Humanities Research Council » du Royaume-Uni (grant number: AH/P005969/1).

References

1 Le messianisme av. J.-C. souligne le rôle du messie comme guerrier et libérateur politique ; pour un résumé voir par ex., Oegema, G. S., The Anointed and his People : Messianic Expectations from the Maccabees to Bar Kochba (JSPSup 27 ; Sheffield : Sheffield Academic Press, 1998) 39195Google Scholar; Piovanelli, P., ‘Les figures des leaders « qui doivent venir ». Genèse et théorisation du messianisme juif à l’époque du second Temple’, Messianismes : Variations sur une figure juive (éd. Attias, J.-C., Gisel, P. et Kaennel, L. ; Religions en perspective 10 ; Genève : Labor et Fides, 2000) 3158Google Scholar. Concernant le concept d'un Messie souffrant av. J.-C., Novenson, voir M. V., The Grammar of Messianism : An Ancient Jewish Political Idiom and its Uses (Oxford : Oxford University Press, 2017), surtout 161–86Google Scholar, 193–6. Cf. D. Hamidović, David, éd., Aux origines des messianismes juifs : actes du colloque international tenu en Sorbonne, à Paris, les 8 et 9 juin 2010 (Supplements to Vetus Testamentum 158 ; Leiden : Brill, 2013).

2 Toutes les traductions bibliques sont celles de La Bible : Traduction Œcuménique (Villiers-le-Bel : Bibli'O – Société biblique français/Paris : Les Éditions du Cerf, 2010), modifiées le cas échéant.

3 Humbert, A., ‘Essai d'une théologie du scandale dans les Synoptiques’, Bib 35 (1954) 128Google Scholar, ici 14.

4 Konradt, Voir M., Israel, Church, and the Gentiles in the Gospel of Matthew (trad. Ess, K. ; Waco, TX : Baylor University Press/Tübingen : Mohr Siebeck, 2014 [2007]) 355–67Google Scholar; M. Konradt, ‘Matthäus im Kontext : Eine Bestandsaufnahme zur Frage des Verhältnisses der matthäischen Gemeinde(n) zum Judentum’, Konradt, M., Studien zum Matthäusevangelium (éd. Euler, A.; WUNT 358; Tübingen : Mohr Siebeck, 2016) 342CrossRefGoogle Scholar.

5 Pour un résumé, voir W. D. Davies et D. C. Allison Jr., A Critical and Exegetical Commentary on the Gospel according to Saint Matthew, vol. i :Introduction and Commentary on Matthew i–vii (ICC ; Edinburgh : T. & T. Clark, 1988) 72–126 ; Nolland, J., The Gospel of Matthew : A Commentary on the Greek Text (NIGTC ; Grand Rapids : Eerdmans, 2005) 410Google Scholar.

6 Les arguments sont résumés par Davies et Allison, Matthew, i.127–47 ; Konradt, Israel, 364 ; Nolland, Matthew, 14–19.

7 G. R. Osborne, Matthew (Zondervan Exegetical Commentary on the New Testament 1 ; Grand Rapids : Zondervan, 2010) 534. Cf. G. Claudel, ‘La confession de Pierre’ (2 vols. ; Thèse de Doctorat d’État ; Université de Strasbourg, Faculté de Théologie Catholique, 1986) i.340–1 ; W. D. Davies D. C. et Allison Jr., A Critical and Exegetical Commentary on the Gospel according to Saint Matthew, vol. ii ;Commentary on Matthew viii–xviii (ICC ; Edinburgh : T. & T. Clark, 1991) 664 .

8 À savoir, Mt 13.41 ; 16.23 ; cf. l'usage du verbe σκανδαλίζω sans parallèles en Mt 15.12 ; 17.27 ; 24.10.

9 Comme Lagrange l'a déjà bien remarqué : « loin d'adoucir le reproche extrêmement vif qui qualifie Pierre de Satan, il ajoute σκάνδαλον εἶ ἐμοῦ » (Lagrange, M.-J., Évangile selon saint Matthieu (Paris : J. Gabalda et Compagnie, 1927 3) 331Google Scholar). Gundry, Voir également R. H., Peter : False Disciple and Apostate according to Saint Matthew (Grand Rapids : Eerdmans, 2015) 28–9Google Scholar, surtout n. 44.

10 Vögtle, Voir A., ‘Messiasbekenntnis und Petrusverheißung : Zur Komposition Mt 16, 13–23 (Teil 1)’, BZ 1 (1957) 252–72Google Scholar et ‘Messiasbekenntnis und Petrusverheißung : Zur Komposition Mt 16, 13–23 Par. (Teil 2)’, BZ 2 (1958) 85–103.

11 Par ex. Lagrange, Matthieu, 331 ; G. Stählin, ‘σκάνδαλον, σκανδαλίζω’, TDNT vii.345, 348 ; Schweizer, E., The Good News according to Matthew (trad. Green, D. E. ; Atlanta : John Knox, 1975) 345Google Scholar; Meier, J. P., The Vision of Matthew : Christ, Church, and Morality in the First Gospel (New York : Paulist, 1979) 117–19Google Scholar; Claudel, ‘La confession de Pierre’, i.341 ; Davies et Allison, Matthew, ii.663–6 ; Keener, C. S., A Commentary on the Gospel of Matthew (Grand Rapids : Eerdmans, 1999) 434Google Scholar, répété dans Keener, C. S., The Gospel of Matthew : A Social-Rhetorical Commentary (Grand Rapids : Eerdmans, 2009) 434Google Scholar; France, R. T., The Gospel of Matthew (NICNT ; Grand Rapids: Eerdmans, 2007) 635Google Scholar.

12 Schweizer, Matthew, 345. Cf. Stählin, ‘σκάνδαλον’, 353–5. Cette hypothèse est acceptée par plusieurs commentateurs, par ex., Goulder, M. D., Midrash and Lection in Matthew (London : SPCK, 1974) 168–9Google Scholar, 391 ; Luz, U., Matthew 8–20 : A Commentary (éd. Koester, H. ; trad. Crouch, J. E. ; Hermeneia ; Minneapolis : Fortress, 2001) 382Google Scholar; Blomberg, C. L., ‘Matthew’, Commentary on the New Testament Use of the Old Testament (éd. Beale, G. K. et Carson, D. A. ; Grand Rapids : Baker Academic, 2007) 1110Google Scholar, ici 55 ; Nolland, Matthew, 689. La proposition de Dahlberg, à savoir que le rédacteur fait allusion à Jer 1.17–18, n'est pas persuasive (Dahlberg, B. T., ‘The Typological use of Jeremiah 1.4–19 in Matthew 16.13–23’, JBL 94 (1975) 7380Google Scholar, ici 80).

13 Lagrange, Matthieu, 331 ; Hagner, D. A., Matthew 14–28 (WBC 33B ; Dallas, TX : Word Books, 1995) 480Google Scholar.

14 Cf. aussi « Remblayez la chaussée, | dégagez le chemin, | faites sauter tout obstacle du chemin de mon peuple » (Is 57.14).

15 Ainsi Osborne appelle l'ajout dans le texte de Matthieu une « explanatory gloss » (Osborne, B. A. E., ‘Peter : Stumbling-Block and Satan’, NovT 15.3 (1973) 187–90, ici 188Google Scholar). Cf. Claudel, ‘La confession de Pierre’, i.341.

16 Jeremias, J., Les Paraboles de Jésus (trad. Hübsch, B. ; Le Puy/Lyon : Xavier Mappus, 1962) 88Google Scholar; Davies et Allison, Matthew, ii.426–7 ; Hagner, D. A., Matthew 1–13 (WBC 33A ; Dallas, TX : Word Books, 1993) 392Google Scholar; Nolland, Matthew, 558. Cf. De Goedt, M., ‘L'explication de la Paraboles de l'Ivraie (Mt. xiii, 36–43)’, RB 66 (1959) 3254Google Scholar.

17 Voir, par ex., Bonnard, P., L’Évangile selon Saint Matthieu (Neuchatel : Delachaux et Niestlé, 1970 2), 205Google Scholar; France, Matthew, 531 n. 2, 535 ; Turner, D. L., Matthew (BECNT ; Grand Rapids : Baker Academic, 2008) 350–1Google Scholar; Osborne, Matthew, 533.

18 Allusion à Ps 140.9 LXX. Cf. So 1.3, où Symmaque emploie le mot σκάνδαλον, voir Stählin, ‘σκάνδαλον’, 344–6 ; cf. France, Matthew, 536–7.

19 France, Matthew, 533; Davies, W. D., The Setting of the Sermon on the Mount (Cambridge : Cambridge University Press, 1964) 230–3Google Scholar.

20 Stählin, ‘σκάνδαλον’, 346–7, cf. 356. Cf. H. Frankemölle, Matthäus Kommentar, vol. ii (Düsseldorf : Patmos, 1997) 229.

21 A. Steudel, Der Midrasch zur Eschatologie aus der Qumrangemeinde (4QMidrEschata.b) (STDJ 13 ; Leiden : Brill, 1994). Cf. Allegro, J. M., ‘Fragments of a Qumran Scroll of Eschatological Midrāšîm’, JBL 77.4 (1958) 350–4Google Scholar; Habermann, A. M., Scrolls from the Judean Desert (Jerusalem : Machbaroth Lesifurth Publishing House, 1959) 173Google Scholar.

22 Brooke, G. J., ‘From Florilegium or Midrash to Commentary : The Problem of Re-Naming an Adopted Manuscript’, The Mermaid and the Partridge : Essays from the Copenhagen Conference on Revising Texts from Cave Four (éd. Brooke, G. J. et Høgenhaven, J. ; STDJ 96 ; Leiden/Boston : Brill, 2011) 129–50CrossRefGoogle Scholar.

23 Steudel, Der Midrasch zur Eschatologie, 127–57.

24 Steudel, Der Midrasch zur Eschatologie, 7, 202–10.

25 Toutes les traductions des Manuscrits de la Mer Morte prennent pour base celles de M. Wise, Abegg, M. Jr. et Cook, E., Les Manuscrits de la Mer Morte (trad. Israël, F. ; Paris : Plon, 2004)Google Scholar, en les modifiant le cas échéant.

26 Steudel, A., ‘God and Belia’, The Dead Sea Scrolls Fifty Years after their Discovery (éd. Schiffman, L. H. et al. ; Jerusalem : Israel Museum, 2000) 332–40Google Scholar ; Dimant, D., History, Ideology and Bible Interpretation in the Dead Sea Scrolls : Collected Studies (FAT 90 ; Tübingen : Mohr Siebeck, 2014) 135–51CrossRefGoogle Scholar (en particulier, 151 n. 92) ; Daoust, F., ‘Belial in the Dead Sea Scrolls : From Worthless to Stumbling Block to Archenemy’, New Vistas on Early Judaism and Christianity From Enoch to Montréal and Back (éd. DiTommaso, L. et Oegema, G. S. ; JCT 22 ; London/New York : Bloomsbury T&T Clark, 2016) 217–33Google Scholar.

27 Dimant, History, Ideology and Bible Interpretation in the Dead Sea Scrolls, 274, 283–84 ; Brooke, G. J., Exegesis at Qumran : 4QFlorilegium in its Jewish Context (JSOTSup 29 ; Sheffield : JSOT, 1985, 194–7Google Scholar.

28 Davies, The Setting, 232. Cf. Bonnard, Matthieu, 204–5.

29 LXX : Lv 19.14 ; 1 S 25.31 ; Ps 118[119].165 ; Dn 11.41 ; Aquila : Ps 63[64].9 ; Pr 4.12 ; Is 8.14 ; 40.30 ; 57.14 ; 63.13 ; Ez 3.20 ; 7.19 ; 14.3 ; Dn 11.41 ; Symmaque : Is 8.14 ; Ez 3.20 ; 7.19 ; Ml 2.8 ; Théodotion : Is 8.14 ; Ez 3.20 ; Ml 2.8.

30 Harding, J. E., ‘The Wordplay between the Roots כשל and שכל in the Literature of the Yaḥad’, RevQ 19/73 (1999) 6982Google Scholar.

31 Daoust, ‘Belial in the Dead Sea Scrolls’, 226.

32 Newsom, Voir C. A., The Self as Symbolic Space : Constructing Identity and Community at Qumran (STDJ 52 ; Leiden : Brill, 2004) 287346CrossRefGoogle Scholar. Cf. Harkins, A. K., ‘Who is the Teacher of the Teacher Hymns? Re-Examining the Teacher Hymns Hypothesis Fifty Years Later’, A Teacher for all Generations : Essays in Honor of James C. VanderKam, vol. i (éd. Mason, E. F. et al. ; JSJSup 153/1 ; Leiden : Brill, 2012) 449–67Google Scholar. Pour un résumé des arguments voir Schuller, E. M., ‘Recent Scholarship on the Hodayot 1993–2010’, CurBS 10.1 (2011) 119–62Google Scholar, ici 123, 139–42 et Hasselbalch, T. B., Meaning and Context in the Thanksgiving Hymns : Linguistic and Rhetorical Perspectives on a Collection of Prayers from Qumran (EJL 42 ; Atlanta : SBL, 2015) 312CrossRefGoogle Scholar, 28, 72–4.

33 Cf. CD xiii.22 ; 4Q267 9 v.5.

34 LXX Jos 22.13 ; Jg 2.3 ; 8.27 ; 1 S 18.21 ; Pss 68[69].23 ; 105[106].36 ; 139[140].6 ; 140[141].9.

35 Stählin, ‘σκάνδαλον’, 339–43 ; Luz, Matthew 8–20, 432.

36 Selon Delcor les Hymnes n'emploient pas le terme בליעל comme nom propre. Selon lui, le terme conserve encore le sens de la Bible hébraïque, c.-à-d. qu'il qualifie des personnes ou des êtres mauvais ou sans valeur (voir M. Delcor, Les Hymnes de Qumran (Hodayot) (Paris : Letouzey & Ané, 1962) 37, 44–5). Son argument n'a pas été généralement admis. Les Hymnes conservent les deux sens du mot.

37 Les arguments sont résumés et évalués par Hempel, C., ‘The Treatise on the Two Spirits and the Literary History of the Rule of the Community’, Dualism in Qumran (éd. Xeravits, G. G. ; LSTS 76 ; London : T&T Clark, 2010) 102–20Google Scholar. Cf. Coulot, C., ‘L'instruction sur les deux esprits (1QS iii, 13–iv, 26)’, RevScRel 82.2 (2008) 147–60Google Scholar.

38 Selon la traduction de J. Duhaime dans J. H. Charlesworth, éd., Rule of the Community : Photographic Multi-Language Edition (Philadelphia : American Interfaith Institute, 1996).

39 Martone, C., ‘Evil or Devil? Belial between the Bible and Qumran’, Hen 26.2 (2004) 115–27Google Scholar, ici 120–6 ; Brand, M., Evil Within and Without : The Source of Sin and its Nature as Portrayed in Second Temple Literature (JAJSup 9 ; Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht, 2013) 257–62CrossRefGoogle Scholar.

40 Harding, ‘The Wordplay’.

41 Par ex. 1Q38 Frag. 1, l.2 cf. 1Q40 Frag. 9. Dans 2Q23 (Frag. 1) on trouve אבן פנת « pierre d'angle », le verbe כשל « trébucher », à côté du terme שעירים. Selon Schneider (M. Schneider, ‘שעירים שדים ומלאכים: עיונים בחזון ברוך / Goats, Demons and Angels : Observation on the Apocalypse of Baruch’, Tarbiz 80.3 (2012), 347–61) le mot שעירים signifie les démons sous la forme de boucs (cf. b. Ber 3a ; 3 Bar 2.3 ; 3.3) mais la reconstitution du texte qu'il propose est douteuse, voire erronée. Cf. aussi « les trois filets de Bélial », CD iv.15–17.

42 Stählin, ‘σκάνδαλον’, 342.

43 D'où la description de cette section comme un « Belial-less Belial passage » (Brand, Evil Within and Without, 248).

44 Voir Brand, Evil Within and Without.

45 Les mots ont été perdues en 4Q216, cf. Ps 51.10 ; Dt 9.26, 29 ; 1QS 1.24. Cf. aussi la tradition rabbinique (NumR 12.3) attribuée à R. Yehudah b. R. Simon (amora palestinien du 4e siècle) selon laquelle Ps 91.3 (« tu marcheras sur le lion et la vipère, tu piétineras le tigre et le dragon ») assure à Moïse que Dieu le protégerai contre les démons (מזיקין).

46 Les mots clés ont été perdues en 4Q216. Cf. Dt 32.17 ; 2 Ch 28.3 ; Ez 20.31 ; 1 En 99.7.

47 La relation entre les différents éléments dans la clause reste ambiguë (καὶ γὰρ πολλοὺς ἀπώλεσεν ἡ πορνεία· ὅτι κἄν γέρων ᾖ τις, κἂν εὐγενής, κἂν πλούσιος, κἂν πένης, ὀνειδισμὸν ἑαυτῷ φέρει παρὰ τοὺς υἱοὺς τῶν ἀνθρώπων καὶ πρόσκομμα τῷ Βελιάρ). Le datif (τῷ Βελιάρ) peut-être exprimer ici la possession (cf. l'hébreu -ל) ou cause (cf. Rm 11.20, 30 ; Ga 6.12). Cf. les variantes textuelles : περὶ τοῦ Βελιάρ, παρὰ τοῦ [ou : τόν] Βελιάρ ; De Jonge, voir M., The Testament of the Twelve Patriarchs : A Critical Edition of the Greek Text (PVTG i.2 ; Leiden : Brill, 1978)Google Scholarad loc. προσκόπτειν = la racine כשׁל LXX Prov 4.19 ; LXX Dn 11.14, 19, 33 ; נגף LXX Jg 20.32 ; LXX Ps 90[91].12 ; LXX Prov. 6.23 ; LXX Jer 13.16. πρόσκομμα = מוקשׁ LXX Ex 23.33 ; 34.12 ; נגף LXX Isa 8.14. Cf. 1 Hén. 15.11 dans lequel « les esprits des géants » (τὰ πνεύματα τῶν γιγάντων), sont définis comme « les esprits qui font trébucher » (προσκόπτοντα πνεύματα).

48 Sur le rôle de Beliar dans les Testaments des douze patriarches voir De Jonge, M., ‘The Testaments of the Twelve Patriarchs and the “Two Ways”’, Biblical Traditions in Transmission (éd. Hempel, C. et Lieu, J. M. ; JSJSup 111 ; Leiden : Brill, 2006) 179–94Google Scholar ; Twelftree, G. H., ‘Exorcism and the Defeat of Beliar in the Testaments of the Twelve Patriarchs’, VC 65.2 (2011) 170–88CrossRefGoogle Scholar ; Wallace, J. B., ‘Spirit(s) in the Testament of the Twelve Patriarchs’, The Holy Spirit and the Church according to the New Testament (éd. Dragutinović, P. et al. ; WUNT 354 ; Tübingen : Mohr Siebeck, 2016) 309–40Google Scholar, ici 316–25.

49 Comme Osborne l'a déjà suggéré (Osborne, ‘Peter : Stumbling-Block and Satan’, 189–90). Pourtant, son traitement des textes rabbiniques a été naïf du point du vue historique et il a fait omission des textes de Qumran.

50 Pour leurs bibliographies voir Z. Kaplan, ‘Avira’, EncJud ii.740 ; Z. Kaplan, ‘Joshua ben Levi’, EncJud xi.453–4.

51 Stemberger, Voir G., Einleitung in Talmud und Midrasch (Münich : C. H. Beck, 9th rev. edn, 2011), 222–3CrossRefGoogle Scholar.

52 יצר הרע מכשול גדול הוא לעולם אלא סתתו בו קימאה קימאה עד שתבוא השעה ואני מעבירו מן העולם (selon l’édition de B. Mandelbaum, éd., Pesikta de Rav Kahana (2 vols. ; New York : Jewish Theological Seminary of America, 1962)).

53 Cf. Lévitique Rabba (Vilna) 35.5, une autre source palestinienne de l’époque des Amoraïm. Les thèmes de Pesiqta de Rav Kahana (c.-à-d., Dieu enlèverai la pierre d'achoppement, c.-à-d. le Penchant mauvais, dans l'avenir) et les textes de preuves bibliques (c.-à-d., Is 57.14 ; 62.10 ; Ez 36.26) réapparaissent dans Nombres Rabba (Vilna 15 / Nb 10.2), un texte postérieur à l’époque des Amoraïm (cf. Traité mineur Kalla Rabbati 3.1).

54 Voir Stemberger, Einleitung in Talmud und Midrasch, 327–8.

55 Selon l’édition de J. Ribera Florit, Targum Jonatan de los Profetas Posteriores en Tradicion Babilonica : Isaias (Textos y Estudios « Cardenal Cisneros » 43 ; Madrid : Consejo Superior de Investigaciones Cientificas, 1988).

56 Sur son exégèse et sa date voir H. M. Patmore, ‘An Evil inclination in early Targums to the Pentateuch and Prophets ?’, The Origins of Evil in Early Judaism and Christianity (éd. J. K. Aitken, H. M. Patmore and I. Rosen-Zvi ; Cambridge : Cambridge University Press, prévu 2020). Il faut éviter la tentation d'assimiler sans nuance « l'impulsion à pécher » (יצר אשמה) qui, agissant de concert avec « l’œil lubrique » (עני זנות), a fait beaucoup trébucher (נכשלו בם), et est présente dans l’Écrit de Damas (CD ii.14, cf. 4Q266 (4QD-a) 2 ii.17 et 4Q270 (4QD-e) 1 i.2), au concept rabbinique de « Penchant mauvais » (יצר הרע) ; voir H. Lichtenberger, Studien zum Menschenbild in Texten der Qumrangemeinde (SUNT 15 ; Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht, 1980) 149–50 ; Rosen-Zvi, I., Demonic Desires : Yetzer Hara and the Problem of Evil in Late Antiquity (Philadelphia : University of Pennsylvania Press, 2011) 4453Google Scholar ; Brand, Evil Within and Without, 76.

57 Rosen-Zvi, Demonic Desires ; The Origins of Evil, éd. Aitken, Patmore et Rosen-Zvi.

58 Voir Rosen-Zvi, Demonic Desires ; N. Ellis, The Hermeneutics of Divine Testing : Cosmic Trials and Biblical Interpretation in the Epistle of James and Other Jewish Literature (WUNT ii/396 ; Tübingen : Mohr Siebeck, 2015) 127–35.

59 Pour sa biographie voir M. Beer, ‘Simeon ben Lakish’, EncJud xviii.597–8.

60 Par ex., « Satan offered Jesus the kingdom without the cross at Jesus’ temptation (4.8–9) ; Peter now offers the same temptation and encounters the same title (4.10) », Keener, Commentary on the Gospel of Matthew, 433–4, répété dans Keener, Social–Rhetorical Commentary, 434. Également, par ex., Humbert, ‘Essai d'une théologie du scandale’, 9 ; Bonnard, Matthieu, 248 ; Stählin, ‘σκάνδαλον’, 348 ; Frankemölle, Matthäus Kommentar, ii.228 ; France, Matthew, 634–5 ; Turner, Matthew, 411 ; Osborne, Matthew, 636 ; Gundry, Peter, 22, 28, 99.

61 Humbert, ‘Essai d'une théologie du scandale’, 14.

62 Charlesworth, Voir J. H., ‘The Qumran Beatitudes (4Q525) and the New Testament (Mt 5.3–11, Lk 6.20–26)’, RHPR 80.1 (2000) 1335CrossRefGoogle Scholar. Cf. Van Cangh, J.-M., ‘Les béatitudes de Matthieu et des manuscrits de la mer Morte’, Béatitude eschatologique et bonheur humain (éd. Pesch, O. H. et Van Cangh, J.-M. ; Bruxelles : Académie Internationale des Sciences Religieuses, 2005) 7791Google Scholar.

63 Voir, par exemple, Akio, I., ‘Matthew and the Community of the Dead Sea Scrolls’, JSNT 48 (1992) 2342Google Scholar ; Kampen, J., ‘The Significance of the Scrolls for the Study of the Book of Matthew’, The Dead Sea Scrolls Fifty Years after their Discovery : Proceedings of the Jerusalem Congress, July 20–25, 1997 (éd. Schiffman, L. H. et al. ; Jerusalem : Israel Exploration Society, 2000) 157–69Google Scholar ; Brooke, G. J., ‘Aspects of Matthew's Use of Scripture in Light of the Dead Sea Scrolls’, A Teacher for All Generations : Essays in Honor of James C. VanderKam, vol. ii (éd. Mason, E. F. et al. ; JSJSup 153/2 ; Leiden : Brill, 2012) 821–38Google Scholar ; Brooke, J. G., ‘New Perspectives on the Significance of the Scrolls for the New Testament and Early Christian Literature’, DSD 23 (2016) 267–9CrossRefGoogle Scholar.

64 Quant aux Testaments des Douze Patriarches, Philonenko, voir M., Les interpolations chrétiennes des Testaments des Douze Patriarches et les manuscrits de Qoumrân (Cahiers de la revue d'histoire et de philosophie religieuses 35 ; Paris : Presses universitaires de France, 1960)Google Scholar ; Williams, P. H., ‘The Watchers in the Twelve and at Qumran’, Texts and Testaments (éd. March, W. E. ; San Antonio : Trinity University Press, 1980) 71–9Google Scholar ; Jonge, M. De, ‘The Testaments of the Twelve Patriarchs and Related Qumran Fragments’, For a Later Generation (éd. Argall, R. A. et al. ; Harrisburg : Trinity, 2000) 6377Google Scholar. Quant au Livre des Jubilés, Regev, voir E., ‘Jubilees, Qumran, and the Essenes’, Enoch and the Mosaic Torah : The Evidence of Jubilees (éd. Boccaccini, G. et Ibba, G. ; Grand Rapids : Eerdmans, 2009) 426–40Google Scholar ; Werman, C., The Book of Jubilees : Introduction, Translation, and Interpretation (Jerusalem : Yad Izhak Ben-Zvi, 2015 [en Hébreu]) 4869Google Scholar.

65 Quant aux Testaments des Douze Patriarches, le débat est résumé en A.-M. Denis et al., Introduction à la littérature religieuse judéo-hellénistique, vol. i (Turnhout : Brepols, 2000) 267–87. Voir également H. W. Hollander et De Jonge, M., The Testaments of the Twelve Patriarchs (SVTP 8 ; Leiden : Brill, 1985) 186Google Scholar ; deSilva, D. A., ‘The Testament of the Twelve Patriarchs as witnesses to pre-Christian Judaism : a re-assessment’, JSP 23.1 (2013) 2168Google Scholar. Le Livre des Jubilés remonte probablement du 2e siècle av. n.-é. mais sa composition – et surtout le caractère (soi-disant) secondaire de son premier chapitre – reste l'objet d'un débat, voir Werman, The Book of Jubilees, 44–8 ; Tigchelaar, E. J. C., ‘The Qumran Jubilees Manuscripts as Evidence for the Literary Growth of the Book’, RevQ 26.4 (2014) 579–94Google Scholar ; VanderKam, J., ‘Jubilees as the Composition of one Author?’, RevQ 26.4 (2014) 501–16Google Scholar.