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Variabilité aspectuelle et influence analogique dans le choix de l'auxiliaire avec les verbes intransitifs de changement d'état monter et descendre1

Published online by Cambridge University Press:  11 September 2012

MARA MANENTE*
Affiliation:
Université Ca’ Foscari de Venise
*
Adresse pour correspondance: Mara Manente, Université Ca’ Foscari de Venise, Dorsoduro 3246 - 30123, Venise, Italie, e-mail: mara.manente@unive.it
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Résumé

Cet article défend l'hypothèse qu'il existe une corrélation entre l'occurrence d'avoir avec les verbes scalaires de changement d'état monter et descendre et la possibilité de remplacer ces verbes avec leurs analogues augmenter et baisser dans leurs emplois intransitifs. Autrement dit, l'occurrence d'avoir avec ces verbes est analysée comme le résultat d'un effet d'analogie. En outre, l'analyse des corrélations entre la variation dans le choix de l'auxiliaire et l'information aspectuelle donnée par le contexte montre qu'avec ces verbes il n'est pas possible d'établir des inacceptabilités aspectuelles tranchées selon le type d'auxiliaire sélectionné car aussi bien l'auxiliaire être que l'auxiliaire avoir sont compatibles avec les deux lectures télique et atélique.

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Copyright © Cambridge University Press 2012 

INTRODUCTION

Dans leur étude sur la distribution des auxiliaires être et avoir avec les verbes intransitifs en français, Legendre et Sorace (2003) ont observé qu'il est possible d'opérer une distinction sémantique à l'intérieur de la classe des verbes intransitifs de changement d'état selon le type d'auxiliaire sélectionné. Plus précisément, les auteures ont observé que les verbes intransitifs de changement d'état sélectionnant l'auxiliaire être dénotent un changement de condition (mourir, naître, etc.), tandis que les verbes intransitifs de changement d'état sélectionnant l'auxiliaire avoir dénotent une modification orientée non bornée (faner, empirer, rougir, etc.).

Or, il s'avère que certains verbes appartenant à la classe des verbes de changement d'état admettent aussi bien l'auxiliaire avoir que l'auxiliaire être. Il s'agit, notamment, des verbes dénotant une modification orientée non bornée tels que monter et descendre et d'un certain nombre de verbes d'apparition tels qu’apparaître, disparaître et paraître (pour plus de détails voir Legendre et Sorace, Reference Legendre, Sorace and Godard2003: 195–196).

Plusieurs auteurs parmi lesquels Perlmutter, Reference Perlmutter1978; Burzio, Reference Burzio1986; Hoekstra et Mulder, Reference Hoekstra and Mulder1990; Sorace, Reference Sorace2000 et Legendre et Sorace, Reference Legendre, Sorace and Godard2003 ont observé qu'avec les verbes intransitifs qui sélectionnent aussi bien l'auxiliaire ‘être’ que l'auxiliaire ‘avoir’, la variation dans le choix de l'auxiliaire est attribuable à l'information aspectuelle donnée par le contexte. Plus précisément, ces auteurs observent que l'emploi de l'auxiliaire ‘être’ est corrélé à un aspect télique ou perfectif, c'est-à-dire à une éventualité délimitée par un point terminal (ou culmination), tandis que l'emploi de l'auxiliaire ‘avoir’ est corrélé à un aspect atélique ou imperfectif, c'est-à-dire à une éventualité non bornée par un point final.Footnote 2

La notion d'aspect veut rendre compte donc du fait que les événements ont une structure temporelle interne. On utilise couramment les adverbiaux ‘en x temps’ et ‘pendant x temps’ comme tests diagnostiques distinguant les procès téliques des procès atéliques. Suivant Smith (Reference Smith1991), ‘en x temps’, en tant qu'adverbial d'accomplissement, implique le caractère ponctuel de l'événement, tandis que ‘pendant x temps’ implique son caractère continu.

Dans cet article j'analyserai la variation dans le choix de l'auxiliaire avec les verbes de changement d'état monter et descendre. Les faits à la source de ma recherche ont été récoltés auprès de quatre locuteurs natifs originaires de la France et de la Belgique ayant un âge compris entre cinquante et soixante ans et avec un niveau de scolarisation correspondant à un doctorat.Footnote 3

Comme le montrent les phrases en (1), les verbes de changement d'état monter et descendre sont compatibles aussi bien avec un contexte télique qu'avec un contexte atélique:

  1. (1)
    1. a. La température est montée/est descendue en deux minutes

    2. b. La température est montée/est descendue pendant deux minutes

    3. c. ?*La température a monté/a descendu en une heure

    4. d. La température a monté/?a descendu pendant deux joursFootnote 4

Plus précisément, les locuteurs natifs auxquels j'ai demandé d'indiquer leurs préférences dans le choix de l'auxiliaire dans les phrases en (1) ont remarqué qu'avec les verbes de changement d'état monter et descendre l'auxiliaire être est compatible avec les deux lectures aspectuelles (1a,b), tandis que l'auxiliaire avoir est corrélé plutôt à un effet atélique (1d) bien que son emploi dans un contexte télique ne soit pas complètement exclu (1c). Les données reportées en (1) ne confirment pas, donc, la généralisation aspectuelle formulée par Perlmutter, Reference Perlmutter1978; Burzio, Reference Burzio1986; Hoekstra et Mulder, Reference Hoekstra and Mulder1990; Sorace, Reference Sorace2000 et Legendre et Sorace, Reference Legendre, Sorace and Godard2003 (cf. supra).

Afin de rendre compte de la variation dans le choix des auxiliaires être et avoir avec les verbes de changement d'état monter et descendre, je préciserai, d'abord, le statut aspectuel de ces verbes. Ensuite, je présenterai l'échelle de sélection de l'auxiliaire élaborée par Legendre et Sorace (Reference Legendre, Sorace and Godard2003) concernant le changement d'être à avoir avec les verbes intransitifs en français.

Cette échelle ne tient pas compte, toutefois, de l'occurrence d'avoir avec les verbes de changement de lieu en français populaire et dans certaines variétés de français parlé en Amérique. Afin de rendre compte de ce fait, je décrirai l'hypothèse formulée par certains auteurs concernant l'intervention d'un effet d'analogie sur l'emploi d'avoir avec les verbes intransitifs de changement de lieu. Ensuite, en exploitant cette analyse, je formulerai l'hypothèse que l'occurrence d'avoir avec les verbes de changement d'état monter et descendre est le résultat de l'intervention d'un effet analogique à partir des emplois intransitifs de leurs synonymes augmenter et baisser avec lesquels ils peuvent être remplacés. Finalement, une dernière section récapitulera mes réflexions et mes conclusions.

Monter et descendre verbes scalaires de changement d'état

La compatibilité des verbes de changement d'état monter et descendre avec les deux lectures aspectuelles (cf. (1)) porte, à première vue, à admettre qu'ils sont doués d'une composante sémantique à la fois télique et atélique. Toutefois, cette conclusion entraîne un problème car on est conduit aussi à admettre l'appartenance de ces verbes à deux classes événementielles différentes selon l'information aspectuelle donnée par le contexte. Or, la compatibilité de monter et descendre avec les deux lectures aspectuelles est à ramener au type d'Aktionsart (aspect lexical) particulier associé à ces verbes.

La notion d'Aktionsart veut rendre compte du fait que les prédicats verbaux par leur sens lexical propre réfèrent à différents types de situations. En d'autres termes, l'aspect lexical est imposé par le sens du verbe et indique de quelle façon se déroule le procès qu'il exprime.

Les verbes de changement d'état monter et descendre appartiennent à une classe importante de verbes qui dénotent des achèvements comportant une gradation et dont le sens de base est télique. Ces verbes sont appelés aussi verbes scalaires par Legendre et Sorace (Reference Legendre, Sorace and Godard2003).Footnote 5

Selon le contexte, les verbes scalaires peuvent référer au processus de changement dans sa totalité mais aussi à chacune des étapes du processus. Dans le premier cas, le changement qui affecte l'argument aboutit à un état fermé [non gradué], tandis que dans le deuxième cas il aboutit à un état ouvert [gradué].

Or, les verbes de changement d'état monter et descendre présentent les caractéristiques typiques des verbes scalaires. En effet, bien qu'ils aient un sens de base télique, ils sont compatibles avec l'adverbial atélique ‘pendant x temps’ dont la fonction est de mesurer la durée d'une étape intermédiaire du processus de changement graduel (cf. aussi Bertinetto et Squartini, Reference Bertinetto, Squartini, Bertinetto, Bianchi, Higginbotham and Squartini1995: 23, à ce propos):

  1. (2)
    1. a. La température a monté/?a descendu pendant deux jours

    2. b. La température est montée/est descendue pendant deux minutes

En outre, ces verbes sont compatibles avec l'adverbe comparatif de beaucoup (3a) et avec des compléments de mesure comme de deux mètres/de deux degrés (3b) qui permettent d'évaluer l'état d'avancement du changement par rapport à une étape précédente (cf. aussi Kennedy et Levin, Reference Kennedy, Levin, McNally and Kennedy2007, à ce propos):

  1. (3)
    1. a. L'eau est montée/descendue de beaucoup

    2. b. L'eau est montée de deux mètres/La température est descendue de deux degrés

Dans les pages qui suivent, je présenterai l'échelle de sélection de l'auxiliaire élaborée par Legendre et Sorace (Reference Legendre, Sorace and Godard2003) concernant le changement d'être à avoir avec les verbes intransitifs en français.

l'échelle de sélection de l'auxiliaire (Legendre et Sorace, Reference Legendre, Sorace and Godard2003)

Sorace (Reference Sorace2000) observe que dans un certain nombre de langues romanes et germaniques de l'Europe de l'Ouest, certains verbes intransitifs tendent à avoir un comportement cohérent concernant la sélection de l'auxiliaire aussi bien de langue à langue qu'à l'intérieur des langues, alors que d'autres admettent de la variation dans le choix de l'auxiliaire. Elle observe aussi que du point de vue de l'histoire des langues, le processus de changement de ‘être’ à ‘avoir’ s'est produit à partir des verbes scalaires dénotant un processus de changement d'état et s'est étendu, ensuite, à la classe des verbes intrinsèquement téliques dénotant un changement de lieu et non l'inverse. Comme l'observe l'auteure (2000: 188), parmi les langues romanes, l'espagnol et le roumain sont parvenus à une généralisation totale de l'auxiliaire ‘avoir’, tandis que l'italien montre encore beaucoup de variation dans le choix de l'auxiliaire avec les verbes de changement d'état et avec certains verbes de mouvement tels que correre ‘courir’, volare ‘voler’ et saltare ‘sauter’.

Sorace (Reference Sorace2000) parvient ainsi à l'élaboration d'une échelle de sélection de l'auxiliaire ‘Auxiliary selection Hierarchy’ (ASH) qui vise à classer les verbes intransitifs des langues analysées en groupes sémantiques homogènes selon leur degré de cohérence dans la sélection de l'auxiliaire.

Or, en ce qui concerne le français, Legendre et Sorace (Reference Legendre, Sorace and Godard2003) montrent que cette langue apparaît comme relativement proche d'une élimination totale d'être comme auxiliaire en alternance avec avoir dans les emplois intransitifs des verbes de changement d'état: En observant l'échelle de sélection de l'auxiliaire reportée ci-dessus, on voit qu'en français les verbes de changement de lieu et les verbes dénotant un processus contrôlé sans mouvement présentent le degré de cohésion le plus élevé quant à la sélection de l'auxiliaire. Les premiers sélectionnent être et ils sont associés au plus haut degré de télicité, tandis que les seconds sélectionnent avoir et ils sont associés au plus haut degré d'agentivité. Au fur et à mesure qu'on s'éloigne des verbes placés aux deux extrémités de l'échelle, le degré de télicité et d'agentivité diminue jusqu'à s'annuler au centre de l'échelle. La variation dans la distribution des auxiliaires être et avoir se trouve en dehors des groupes de verbes placés aux extrémités de la hiérarchie et, plus précisément, à l'intérieur du groupe des verbes de changement d'état.Footnote 7

Or, parmi les verbes scalaires de changement d'état, monter et descendre sont les seuls à admettre aussi bien l'auxiliaire être que l'auxiliaire avoir. Plus précisément, le Tableau 1 montre que la variation dans le choix de l'auxiliaire avec monter et descendre relève de la télicité graduelle associée à ces verbes.

Tableau 1. (d'après Legendre et Sorace, Reference Legendre, Sorace and Godard2003)Footnote 6

Dans l'introduction j'ai observé aussi que l'emploi de l'auxiliaire avoir avec ces verbes est nettement corrélé à un effet atélique (1d), bien que son emploi ne soit pas complètement exclu dans un contexte télique (1c). Je répète les phrases (1d) et (1c) ci-dessous, respectivement, en (4a) et (4b):

  1. (4)
    1. a. La température a monté/?a descendu pendant deux jours

    2. b. ?*La température a monté/a descendu en une heure

Le degré différent d'acceptabilité de l'auxiliaire avoir selon l'information aspectuelle donnée par le contexte (comparer (4a) avec (4b)) peut être expliqué en supposant une échelle implicationnelle de type aspectuel de l'emploi d'avoir de sorte que les occurrences d'avoir se manifestent, d'abord, dans des contextes atéliques et s'étendent, ensuite, dans des contextes téliques et non l'inverse.

Or, certains auteurs supposent l'intervention d'un effet d'analogie sur l'occurrence d'avoir avec les verbes intransitifs sélectionnant l'auxiliaire être.

Dans les pages qui suivent, j'introduirai la notion d'analogie et je montrerai que les facteurs analogiques supposés par certains auteurs pour expliquer l'occurrence d'avoir avec les verbes intransitifs de changement de lieu sélectionnant l'auxiliaire être ne rendent pas compte de l'occurrence d'avoir avec les verbes intransitifs de changement d'état monter et descendre analysés dans cet article.

L'influence du facteur analogique dans l'occurrence d'avoir avec les verbes intransitifs sélectionnant être

En linguistique la notion d'analogie veut rendre compte du fait qu'il existe un certain nombre de régularités de la langue qui sont perçues comme non fortuites entre deux éléments. L'analogie sert souvent à expliquer le changement linguistique. Comme l'observent Dubois et alii (2001), on appelle ‘changement analogique’ toute évolution de la langue que l'on peut expliquer par un phénomène d'analogie.

Or, l'occurrence d'avoir dans les emplois intransitifs de certains verbes de changement de lieu sélectionnant l'auxiliaire être tels que, par exemple, partir, (r)entrer et sortir, est souvent expliquée par un phénomène d'analogie à partir des emplois transitifs de ces verbes (cf. Sankoff et Thibault, 1977, pour le français québécois; Canale et al., Reference Canale, Belanger, Mougeon and Suner1978, pour le français de l'Ontario; Esch, Reference Esch, Jones and Esch2002, pour le français populaire parlé en France)Footnote 8. Dans leur étude sur le français parlé à Montréal, Sankoff et Thibault (1977), (cf. aussi Esch, Reference Esch, Jones and Esch2002), observent, toutefois, que la transitivité ne constitue pas en soi une explication satisfaisante pour justifier l'occurrence d'avoir avec d'autres verbes intransitifs à auxiliaire être tels que, par exemple, arriver et venir. À la différence des verbes partir, (r)entrer et sortir, ces verbes n'ont pas, en effet, d'emploi transitif.

À la lumière de ces observations, Sankoff et Thibault (1977) préfèrent donc s'en tenir à l'hypothèse, soutenue aussi par Blanche-Benveniste (Reference Blanche-Benveniste1977) pour le français populaire en France, selon laquelle l'emploi de l'auxiliaire avoir avec les verbes partir, (r)entrer, sortir et arriver relève de l'ambiguïté aspectuelle de la forme en être+participe passé de ces verbes. Plus précisément, ces auteurs observent que la forme en être+participe passé de ces verbes est ambiguë entre une interprétation perfective et une interprétation d'état résultant et que l'occurrence d'avoir permettrait donc de distinguer l'interprétation perfective de celle d'état résultant:

  1. (5)
    1. a. Marie est sortie (= est dehors)   (état résultant)

    2. aʹ. Marie est sortie à huit heures   (aspect perfectif)

    3. b. Marie est partie (= est absente)   (état résultant)

    4. bʹ. Marie est partie à huit heures   (aspect perfectif)

    5. c. Marie est arrivée (= est là)   (état résultant)

    6. cʹ. Marie est arrivée à huit heures   (aspect perfectif)

    7. d. Marie est (r)entrée (= est dedans)   (état résultant)

    8. dʹ. Marie est (r)entrée à huit heures   (aspect perfectif)

Toutefois, cette analyse se révèle elle aussi peu satisfaisante car elle n'arrive pas à expliquer les occurrences d'avoir avec les verbes aller, venir et tomber dont le participe passé est exclu de l'emploi adjectival exprimant un état (voir aussi Manente, Reference Manente2009).

Or, en ce qui concerne l'occurrence d'avoir avec les verbes de changement d'état monter et descendre, il s'avère qu'elle ne peut pas être expliquée par l'entremise d'un effet analogique à partir des emplois transitifs de ces verbes. Les verbes de changement d'état monter et descendre ne sont pas en effet compatibles avec un emploi transitifFootnote 9. L'occurrence d'avoir ne peut pas être expliquée non plus en supposant une ambiguïté aspectuelle de la forme en être+participe passé de ces verbes. En effet, il s'avère que leur participe passé ne peut pas être employé comme un adjectif pour exprimer un état:

  1. (6)
    1. a. La température est plus haute par rapport à hier   (état résultant)

    2. aʹ. La température est montée par rapport à hier   (aspect perfectif)

    3. b. La température est plus basse par rapport à hier   (état résultant)

    4. bʹ. La température est descendue par rapport à hier   (aspect perfectif)

Dans les pages qui suivent, j'avancerai l'hypothèse que la présence des synonymes augmenter et baisser peut être considérée comme un facteur qui influence, par l'entremise d'un effet d'analogie, l'occurrence d'avoir avec les verbes de changement d'état monter et descendre dans leurs emplois intransitifs.

L'effet analogique des synonymes augmenter et baisser sur l'occurrence d'avoir avec les verbes monter et descendre

Rey (Reference Rey2000) observe que l'interprétation des verbes monter et descendre en tant que verbes de changement d'état est une extension d'emploi qui s'est modelée, respectivement, sur le verbe augmenter au sens de ‘atteindre un degré supérieur’ à propos d'une chose mesurable et sur le verbe baisser au sens de ‘atteindre un degré inferieur’.

En français, les verbes monter et descendre peuvent donc remplacer, respectivement, les verbes augmenter et baisser dans leurs emplois intransitifs:Footnote 10

  1. (7)
    1. a. Les prix ont augmenté

    2. aʹ. Les prix ont monté/sont montés

    3. b. La température/La fièvre a augmenté

    4. bʹ. La température/La fièvre a monté/est montée

    5. c. Les prix ont baissé

    6. cʹ. Les prix ?ont descendu/sont descendusFootnote 11

    7. d. La température/La fièvre a baissé

    8. dʹ. La température/La fièvre ?a descendu/est descendue

Les locuteurs auxquels j'ai soumis les phrases en (7) ont observé, toutefois, qu'avec certains champs sémantiques tels que marée, (niveau de) l'eau et ton seulement l'emploi du verbe monter est possible, tandis que celui du verbe augmenter est exclu:

  1. (8)
    1. a. *La marée a augmenté

    2. aʹ. Depuis tout à l'heure, la marée a monté/est montée

    3. b. *Le niveau de l'eau a augmenté depuis dimanche

    4. bʹ. Le niveau de l'eau a monté/est monté depuis dimanche

    5. c. *Personne ne semblait d'accord, le ton a augmenté, et ça s'est fini en bagarre

    6. cʹ. Personne ne semblait d'accord, le ton a monté/est monté, et ça s'est fini en bagarre

Les mêmes locuteurs ont observé que les verbes de changement d'état descendre et baisser sont, en revanche, toujours interchangeables et également compatibles avec ces champs sémantiques:

  1. (9)
    1. a. La marée a baissé depuis tout à l'heure

    2. aʹ. La marée ?a descendu/est descendue depuis tout à l'heure

    3. b. Le niveau de l'eau a baissé pendant la canicule

    4. bʹ. Le niveau de l'eau ?a descendu/est descendu pendant la canicule

    5. c. Finalement le ton a baissé et l'atmosphère s'est détendue

    6. cʹ. Finalement le ton ?a descendu/est descendu et l'atmosphère s'est détendue

Comme le montrent les exemples ci-dessus, à la différence des verbes monter et descendre, les verbes augmenter et baisser ne sélectionnent que l'auxiliaire avoir. Étant donné l'alternance des verbes de changement d'état monter et descendre avec leurs synonymes augmenter et baisser, j'envisage l'hypothèse de l'intervention d'un effet analogique sur les occurrences d'avoir avec monter et descendre à partir des emplois intransitifs d'augmenter et baisser. Or, comme je l'ai déjà observé dessus, l'analyse élaborée par Legendre et Sorace (2003) permet de décrire l'occurrence d'avoir indépendamment de la possibilité de l'intervention d'un effet analogique sur les emplois intransitifs des verbes monter et descendre. Les auteures supposent, en effet, que l'occurrence d'avoir avec les verbes intransitifs sélectionnant être est due à un processus diachronique de changement de l'auxiliaire à partir des verbes avec un degré de télicité faible (verbes de changement d'état) pour aboutir, ensuite, aux verbes intrinsèquement téliques (verbes de changement de lieu) (cf. le Tableau 1). Or, une analyse de type diachronique n'est pas en conflit avec l'hypothèse de l'intervention d'un effet analogique sur l'occurrence d'avoir. En effet, comme je l'ai déjà observé (cf. supra), l'analogie est souvent employée pour expliquer le changement linguistique et, donc, l'évolution de la langue.

CONCLUSION

Legendre et Sorace (2003) supposent que l'occurrence de l'auxiliaire avoir avec les verbes intransitifs sélectionnant être est due à un processus diachronique de changement de l'auxiliaire à partir des verbes avec un degré de télicité faible pour aboutir, ensuite, aux verbes intrinsèquement téliques.

Or, parmi les verbes de changement d'état, monter et descendre sont les seuls à admettre aussi bien l'auxiliaire être que l'auxiliaire avoir. Ces verbes ont un sens de base télique et ils présentent les caractéristiques typiques des verbes scalaires. Ils peuvent en effet référer au processus de changement dans sa totalité mais aussi à chacune des étapes du processus. L'analyse des corrélations entre la variation dans le choix de l'auxiliaire et l'information aspectuelle donnée par le contexte a montré qu'avec ces verbes il n'est pas possible d'établir des inacceptabilités aspectuelles tranchées selon le type d'auxiliaire sélectionné car aussi bien l'auxiliaire être que l'auxiliaire avoir sont compatibles avec les deux lectures télique et atélique.

En outre, en exploitant les analyses élaborées par Sankoff et Thibault (1977), Canale et alii (1978) et Esch (Reference Esch, Jones and Esch2002), j'ai essayé de montrer que la variation dans le choix de l'auxiliaire avec les verbes intransitifs de changement d'état monter et descendre est attribuable, entre autre, à un effet d'analogie. Plus précisément, l'hypothèse que j'ai défendue ici établit que la présence des synonymes augmenter et baisser peut être considérée comme un facteur qui influence les occurrences d'avoir avec les verbes de changement d'état monter et descendre dans leurs emplois intransitifs.

Footnotes

1

Je tiens à remercier Mme Anne Zribi-Hertz, qui a été un soutien précieux au cours de l'élaboration du travail, ainsi que quatre relecteurs anonymes du Journal of French Language Studies pour leurs suggestions et critiques pertinentes.

2 Vet (Reference Vet1980: 46) observe que, généralement, ‘on définit l'aspect imperfectif comme présentant une situation dans sa continuation (donc sans commencement et sans fin) et l'aspect perfectif comme présentant une situation comme une totalité, ayant un commencement et une fin déterminés'.

3 Les lieux d'origine de ces quatre locuteurs sont, respectivement, Paris, Nice, Metz et Louvain en Belgique.

4 Les locuteurs auxquels j'ai soumis les phrases en (1) ont exprimé une préférence d'emploi pour l'auxiliaire être par rapport à l'auxiliaire avoir avec le verbe descendre, tandis qu'avec le verbe monter les deux auxiliaires semblent être également acceptés. La variation dans le choix de l'auxiliaire avec les verbes de changement d'état monter et descendre est décrite aussi par Grevisse (Reference Grevisse2004: 1181–1182) qui observe que ‘l'usage fait prévaloir être, nettement pour descendre’, tandis qu'avec monter l'auxiliaire ‘avoir l'emporte nettement s'il s'agit de choses (prix, cours d'eau, température, etc.)’.

5 Bertinetto et Squartini (1995) adoptent l'étiquette ‘gradual completion verbs' pour décrire le processus de changement dénoté par les verbes scalaires de changement d'état. Un relecteur anonyme me fait observer que cette étiquette et la traduction que j'en avais proposée, c'est-à-dire ‘verbes à accomplissement graduel', n'est pas appropriée puisqu'un accomplissement est par définition graduel. Ce relecteur propose donc d'adopter les termes ‘achèvement graduel' ou ‘achèvement de degré’. Or, la même étiquette (‘degree achievements') est employée aussi par Hay et alii (1999: 143, note 1) qui observent, toutefois, que cette étiquette ne permet pas de cerner l'aspect des prédicats scalaires car, statutairement, le terme ‘achievement’ est employé pour dénoter un événement à déroulement rapide dont le point final coïncide idéalement avec son point initial. l'étiquette suggérée par le relecteur semble donc poser les mêmes problèmes, mais à l'inverse, que celle qui avait été proposée.

6 6 Les astérisques à l'intérieur du tableau indiquent la variation dans le choix de l'auxiliaire.

7 À la différence du français standard, certaines variétés de français parlé en Amérique comme le français québécois (cf. Sankoff et Thibault, 1977) et le français acadien (cf. King et Nadasdi, 2005) sont parvenues à une généralisation presque totale de l'auxiliaire avoir pour former les temps composés avec tous les verbes intransitifs (cf. aussi Canale et alii, 1978, pour le français de l'Ontario et Russo et Roberts, 1999, pour le français du Vermont). Ce phénomène se vérifie aussi en français populaire en France (voir, à ce propos, Esch, Reference Esch, Jones and Esch2002, et Blanche-Benveniste, Reference Blanche-Benveniste1977, entre autres). Je remercie Marie-Thèrese Vinet et Luc Baronian (c.p.) pour m'avoir fourni les exemples ci-dessous sur le français québécois:

  1. (i)
    1. a. J'ai tombé à terre

    2. b. J'ai arrivé à la maison de bonne heure

    3. c. On a sorti de bonne heure

    4. d. J'ai sorti par la porte d'en arrière

    5. e. J'ai rentré dans ma maison

    6. f. J'ai venu pour le dire pis je me suis arrêté

    7. g. Il a allé au stade en trois minutes

    8. h. Il a entré dans la salle en un second

    9. i. J'ai parti en deux minutes

    10. j. Il a retourné à la maison en deux minutes

8 Je donne ci-dessous des exemples d'emplois transitifs des verbes partir, (r)entrer et sortir:

  1. (i) partir: partir (= démarrer) la voiture (français québécois)

  2. (ii) rentrer: rentrer la voiture, rentrer la clé dans la serrure

  3. (iii) entrer: entrer un meuble par la fenêtre

  4. (iv) sortir: sortir la voiture

9 Les verbes de changement d'état monter et descendre sont en revanche compatibles avec une construction transitive causative complexe en faire + infinitif:

  1. (i)
    1. a. *Les pluies tombées pendant ces derniers jours ont monté le niveau de l'eau des rivières

    2. aʹ. Les pluies tombées pendant ces derniers jours ont fait monter le niveau de l'eau des rivières

    3. b. *La crise économique a monté les prix

    4. bʹ. La crise économique a fait monter les prix

  2. (ii)
    1. a. *La canicule de ces derniers jours a descendu le niveau de l'eau des rivières

    2. aʹ. La canicule de ces derniers jours a fait descendre le niveau de l'eau des rivières

    3. b. *La crise économique a descendu les prix

    4. bʹ. La crise économique a fait descendre les prix

10 Un relecteur me fait observer que la substitution de descendre par baisser est soumise à des contraintes sur le type de SN sujet sélectionné, lequel doit être inanimé. Cette restriction, qui s'applique aussi aux verbes monter et augmenter, relève du fait que les verbes augmenter et baisser peuvent s'interpréter seulement comme des verbes de changement d'état. Par conséquent, comme le montrent les exemples en (i) et en (ii) ci-dessous, augmenter et baisser ne peuvent pas être employés en alternance avec les verbes monter et descendre dénotant un changement de lieu et sélectionnant un SN sujet animé:

  1. (i)
    1. a. Jean/Le chien est descendu au deuxième étage

    2. b. *Jean/Le chien a baissé au deuxième étage

  2. (ii)
    1. a. Jean/Le chien est monté au deuxième étage

    2. b. *Jean/Le chien a augmenté au deuxième étage

11 Un relecteur m'exhorte à expliquer la préférence d'emploi pour l'auxiliaire être plutôt que pour l'auxiliaire avoir avec le verbe descendre (7c’) par rapport à son antonyme monter (7a’) (cf. aussi la note 3 supra). À ce propos, je crois qu'il faudrait établir, à partir d'un corpus, les fréquences d'emploi des verbes descendre et monter par rapport à leurs homologues baisser et augmenter. On pourrait en effet envisager que la fréquence d'emploi du verbe baisser dans les contextes où aussi bien baisser que descendre sont acceptés influence, de quelque manière, la préférence plus faible pour l'auxiliaire avoir avec descendre. Il serait intéressant de vérifier cette hypothèse. Toutefois, cette analyse dépasse le but de cet article.

References

RÉFÉRENCES

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Tableau 1. (d'après Legendre et Sorace, 2003)6