L’objet de la dissertation doctorale d’Hélène Stoye, soutenue à l’Université de Cassel (Allemagne), est d’étudier 146 connecteurs locutionnels commençant par la préposition à (par ex. à ce stade), la préposition de (par ex. d’abord), la préposition en (par ex. en ce sens), une préposition non localisante (par ex. malgré tout), une préposition temporelle (par ex. après que) ou une préposition spatiale (par ex. dans ce but). Le premier critère de classification est la forme du connecteur. Les différents éléments ‘supplémentaires’ (qui viennent se souder à la préposition) sont classés en fonction de la catégorie syntaxique et de la catégorie sémantique dont ils relèvent. Du point de vue syntaxique, il peut s’agir d’un syntagme nominal, d’un adverbe, d’une conjonction, d’une préposition ou d’un verbe; la catégorie sémantique, quant à elle, peut être déictique (par ex. au début), localisante (par ex. en deuxième lieu), métacommunicative (par ex. en conclusion) ou scalaire (par ex. en plus).
N’hésitant pas à recourir à des termes techniques anglais, l’auteur a en outre élaboré un système de ‘tags’, qui se regroupent en ‘tagsets’ ou ensembles de tags. Un premier ensemble réunit des tags désignant une catégorie fonctionnelle; il y en a trois (représentation, explicitation et interaction), mais la classification proposée est en fait plus fine, puisque les représentations, les explicitations et les interactions peuvent être soit ‘structurantes’, soit ‘argumentatives’, soit à la fois ‘structurantes’ et ‘argumentatives’. Deux autres ensembles regroupent des tags désignant soit une catégorie localisante (actualisation, addition, antériorité, point d’arrivée, point de départ, postériorité et simultanéité), soit une catégorie non localisante (cause, condition, conséquence, finalité, opposition). Un quatrième ensemble inclut les tags qui renvoient à une interprétation pragma-sémantique: parmi ceux-ci, il y en a qui précisent des tags classés ailleurs (responsabilité, motivation, preuve au sein du tag cause; résultat, déduction, conclusion au sein du tag conséquence; promouvoir et éviter au sein du tag finalité; déséquilibre et retournement de jugement au sein du tag opposition), alors que d’autres (compensation, illustration) sont autonomes. Finalement, il y a l’ensemble de tags des procédures (actualisation, amplification, commentaire, confirmation, impatience, interpellation, proposition, rectification, reformulation, soulagement; et un autre emprunt à l’anglais, ‘turn’).
Le livre est divisé en sept chapitres suivis d’une conclusion, de tableaux d’annexes et d’une bibliographie à la fois abondante et pertinente. Il n’y a malheureusement pas d’index rerum.
Les deux premiers chapitres constituent des états de l’art très extensifs portant respectivement sur les connecteurs et les prépositions.
Le chapitre 3 est consacré à des questions de linguistique de corpus et de linguistique textuelle. Hélène Stoye s’autorise de l’approche dite corpus-driven, qu’elle qualifie d’inductive: ‘le corpus est la source primaire de connaissance à partir de laquelle les linguistes extraient des données ou des phénomènes linguistiques’ (132–133). Cette méthode anti-hypothético-déductive est anti-scientifique; il faut savoir gré à l’auteur de ne pas l’avoir respectée jusqu’au bout – ce que prouvent des formules du type ‘une première démarche prévoyait’ et ‘cet essai a avorté car . . .’ (165). Deux types de corpus sont considérés: un corpus synchronique composé d’articles de journaux et de revues appartenant à différents genres (corpus Le Monde, corpus Sciences), de débats au Sénat et d’enregistrements d’oral; et un corpus diachronique de six œuvres (de La Chanson de Roland au Discours de la méthode). Ces corpus risquent d’être trop petits pour autoriser des généralisations suffisamment fiables: 39 des 146 connecteurs étudiés ont moins de trois occurrences dans l’ensemble du corpus synchronique, et seuls 66 d’entre eux en ont neuf ou plus.
Le chapitre 4 présente le système des différents ensembles de tags évoqués ci-dessus. Le but de la recherche de l’auteur est d’annoter le corpus au moyen de séquences de tags syntactico-sémantico-pragmatiques tels que ‘{Connecteur} {Interaction structurante argumentative} {Préposition non localisante} {Procédure: proposition}’ (pour une occurrence du connecteur par exemple, 305).
Les chapitres 5 et 6 s’intéressent aux ‘prépositions formatrices de connecteur’ dans le corpus synchronique. Le chapitre 5 tire d’un examen statistique des annotations de ce corpus un certain nombre de généralisations, notamment celle en vertu de laquelle ‘plus la préposition est concrète, plus le domaine d’action des connecteurs qui la contient est restreint; plus la préposition est abstraite, plus l’éventail pragmatique est déployé’ (258). Quant au chapitre 6, il tire des généralisations de l’examen de chacun des différents genres de corpus synchroniques.
L’aspect diachronique est abordé dans le chapitre 7; on y trouve l’histoire et l’analyse détaillée de deux couples de connecteurs: parce que et pour cela (que) d’une part; pourtant et cependant de l’autre.
Le travail d’Hélène Stoye s’appuie sur un nombre considérable d’articles et d’ouvrages concernant les prépositions et les connecteurs, tant dans les domaines de la syntaxe et de la sémantique que dans ceux de l’analyse textuelle et de l’analyse pragmatique. C’est ce qui en fait un ouvrage de référence important.