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Pour commencer, il faut arrêter de décoder: plaidoyer pour une linguistique sans métaphysique

Published online by Cambridge University Press:  01 July 2008

PIERRE FRATH*
Affiliation:
Université de Reims Champagne-Ardenne
*
Adresse pour correspondance: Pierre Frath, Université de Reims Champagne-Ardenne, UFR des Lettres et Sciences Humaines, Département d'anglais, 57 rue Pierre Taittinger, 51096 Reims, France e-mail: pierre.frath@tiscali.fr
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Abstract

Dans cet article, l'auteur aborde des questions de fond sur la notion de codage et de décodage, si naturelle en linguistique. Il entend montrer qu'elle ne permet pas d'atteindre la langue car elle est fondamentalement métaphysique, le plus souvent à l'insu de ceux qui l'utilisent. Il illustre son propos par une étude du verbe commencer en contexte, dans un corpus électronique. L'explication en langue doit se faire à partir de l'observation des faits et sa généralisation en termes de ressemblances et de différences, et non grâce à la formulation de codes à l'existence chimérique.

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Articles
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Copyright © Cambridge University Press 2008

1 INTRODUCTION

Le Journal of French Language Studies a publié en 2004 un article de Bert Peeters sur le verbe commencer, qui faisait référence à un autre article publié par le JFLS deux ans plus tôt sur le même verbe (Frath, Reference Frath2002). Le propos de Peeters était l'approfondissement de sa description de ce verbe faite dans un article publié en Reference Peeters1993, à la lumière de l'évolution récente de la métalangue sémantique naturelle (MSN) d'Anna Wierzbicka, et en faisant usage du principe de métonymie intégrée de Georges Kleiber. Il estimait en effet que sa description ancienne, inspirée de la MSN, manquait de clarté, et d'ailleurs elle avait été attaquée, notamment par Georges Kleiber (Reference Kleiber1997, Reference Kleiber1998a, Reference Kleiber, Forsgren, Jonasson and Kronning1998b). Comme la plupart des linguistes, Peeters considère que la parole est encodée par le locuteur et décodée par l'allocutaire, une notion attaquée dans Frath (Reference Frath2002), ce que Peeters avait trouvé étrange. Nous réexaminons ici les arguments de ces différents auteurs et nous avançons que l'idée d'encodage/décodage, bien que très répandue, est en réalité une notion métaphysique qui ne permet pas d'atteindre l'explication en linguistique. Après une présentation rapide la MSN d'Anna Wierzbicka et du principe de métonymie intégrée (PMI) de Georges Kleiber, nous illustrons notre propos par une étude sur le verbe commencer en corpus.

2 LES UNIVERSAUX ET LA MÉTALANGUE SÉMANTIQUE NATURELLE D'ANNA WIERZBICKA

Anna Wierzbicka se situe dans la grande tradition des auteurs qui considèrent que le langage et la pensée reposent in fine sur un petit nombre d'universaux qui peuvent se combiner à l'aide de règles, c'est-à-dire d'un langage très restreint et très contrôlé. Cependant, lorsque des primitives sont proposées par des linguistes ou des philosophes, elles le sont le plus souvent sur des bases non empiriques. Ce n'est pas le cas d'Anna Wierzbicka (Reference Wierzbicka1996), qui les définit à l'aide d'une méthode expérimentale tout à fait remarquable: la comparaison entre les langues. Elle part de la constatation que si certains mots peuvent facilement être expliqués, par exemple, un chien est un petit mammifère domestique qui aboie, etc., ce n'est pas le cas de certains autres. Par exemple si ou penser sont compris très facilement, alors que leurs définitions (implication et activité mentale volontaire, respectivement) le sont bien moins aisément. Elle en tire la conclusion que chien n'est pas une primitive, au contraire de si et de penser, qui le sont peut-être. Ensuite, elle fait le raisonnement suivant: si penser est une primitive, il devrait y avoir un mot pour penser dans toutes les langues. Et c'est effectivement le cas dans l'échantillon très varié de langues européennes, américaines, africaines et australiennes qu'elle et ses collègues étudient. Sa méthode consiste donc à faire une hypothèse d'indéfinissable, puis de vérifier s'il existe dans un échantillon de langues. Elle parvient ainsi à établir des listes de primitives, en nombre croissant. Ces primitives se combinent au sein d'une métalangue sémantique, la Métalangue sémantique naturelle, pour constituer des sens complexes. La MSN rend compte, selon Anna Wierzbicka de la Lingua Mentalis, le langage de la pensée. Voici par exemple comment Anna Wierzbicka analyse distressed (affligé) en MSN:

    Distressed:

  • X feels something
    sometimes a person feels something like this
    something bad is happening to me now
    I don't want this
    because of this, I want to do something
    I don't know what I can do
    I want someone to do something
    because of this a person feels something
    X feels something like this

C'est de ce type de formalisme que Peeters s'est inspiré pour définir commencer à. Il s'est également servi du principe de métonymie intégrée (PMI) de Georges Kleiber pour résoudre certaines difficultés que la MSN ne peut pas, selon lui, résoudre directement.

3 LA MÉTONYMIE INTÉGRÉE DE GEORGES KLEIBER

Le PMI a été formulé par Georges Kleiber pour résoudre certaines difficultés liées à l'interprétation de phrases comme Les Américains ont débarqué sur la lune, Les Alsaciens boivent de la bière et Mon pantalon est sale. En effet, tous les Américains ne sont pas allés sur la lune, il y a des Alsaciens qui ne boivent pas de bière, et mon pantalon n'a pas besoin d'être entièrement maculé pour être déclaré sale: une petite tache suffit. Le PMI se définit ainsi: ‘certaines caractéristiques de certaines parties peuvent caractériser le tout’ (Kleiber Reference Kleiber1994: 155).

Pour bien comprendre le PMI, nous reprenons succinctement l'argumentation de Georges Kleiber telle qu'elle est exposée dans son ouvrage de 1994. Considérons les phrases:

  1. 1) Paul est bronzé

  2. 2) Paul est voûté

  3. 3) La peau de Paul est bronzée

  4. 4) Le dos de Paul est voûté

Le problème tel qu'il est généralement formulé est de savoir pourquoi nous comprenons que seule une partie du corps de Paul est concernée par les prédicats bronzé et voûté, à savoir respectivement sa peau et son dos. Les explications se font classiquement dans deux directions. La première, réductionniste et transformationnelle, considère que 1 et 2 sont en fait des formes abrégées et transformées de 3 et 4. Kleiber la réfute de diverses manières, parmi lesquelles l'évidence que 1/3 et 2/4 ne sont en fait pas du tout synonymes. La seconde direction consiste à postuler des mécanismes mentaux qui permettent de viser en discours telle ou telle partie d'un référent, par exemple, pour Langacker, des ‘zones actives’ qui pourraient servir de ‘cibles’ (Langacker Reference Langacker1984). Ainsi, dans Paul est bronzé, c'est en fait la peau qui est la ‘cible’ du locuteur. Kleiber rejette également cette conception, car il n'est pas clair comment les différentes parties (le dos, la peau, etc.) peuvent être individualisées et sélectionnées par Paul dans Paul est voûté ou Paul est bronzé, ni quel rapport le tout (Paul) entretient avec les innombrables parties (les cheveux, la bouche, les pieds, le visage, les mains, etc.) qui sont autant de ‘cibles’ potentielles que tel ou tel prédicat peut affecter. Il fait surtout remarquer que si on dit que Paul est bronzé ou voûté, cela affecte l'ensemble de Paul, et non juste sa peau ou son dos. C'est particulièrement vrai pour Paul est voûté: même si la voussure affecte seulement le dos, c'est bien l'ensemble de la silhouette qui est voûtée. Et si on dit de quelqu'un qu'il est bronzé, ce jugement ne concerne pas seulement sa peau, mais bien toute sa personne, à laquelle on veut peut-être associer d'autres caractéristiques du bronzage, les vacances, le soleil, la beauté, la santé, etc. Certaines caractéristiques de certaines parties peuvent ainsi, effectivement, caractériser le tout, ainsi que le stipule le principe de métonymie intégrée.

4 LA DESCRIPTION EN MSN DE COMMENCER

La description en MSN de commencer à + infinitif donnée par Peeters en Reference Peeters1993 était la suivante:

  1. 1) au moment t, X commence à Z =

    avant t, il n'y a pas de Z

    à t, il y a Z

    on ne peut savoir à t : il y aura plus de Z après maintenant

    on peut penser à t : il y aura plus de Z après maintenant

On voit que Z n'était pas spécifié dans la formule. Peeters dit avoir considéré Z plutôt comme un SN abstrait qu'un infinitif, pour éviter d'avoir à prendre en compte le sujet X. En effet, la formule marche bien pour L'orchestre commence à jouer:

  1. 2) Au moment t, l'orchestre commence à jouer

    avant t, l'orchestre ne joue pas

    à t, l'orchestre joue

    on ne peut pas savoir à t : l'orchestre jouera après maintenant

    on peut penser à t : l'orchestre jouera après maintenant

Il en va tout différemment pour Les coureurs commencent à arriver aux Champs-Elysées:

  1. 3) Au moment t, les coureurs commencent à arriver

    avant t, les coureurs n'arrivent pas

    à t, les coureurs arrivent

    on ne peut pas savoir à t : les coureurs arriveront après maintenant

    on peut penser à t : les coureurs arriveront après maintenant

En effet, les coureurs sont nombreux, et chacun n'arrive qu'une fois, et pas en même temps que les autres. Une solution est alors d'introduire des quantifieurs (aucun coureur, certains coureurs, d'autres coureurs), mais en vertu de quoi? Peeters s'était alors contenté de ne pas spécifier la catégorie grammaticale de Z, ce qui lui a permis de faire l'impasse sur les participants des verbes ou des déverbaux. Il a par la suite utilisé le principe de métonymie intégrée, qui autorise effectivement un relâchement des contraintes. Il peut ainsi affirmer que la représentation ci-dessus est correcte, car en vertu du PMI, ‘les sous-ensembles (‘certains coureurs’ et ‘d'autres coureurs’) sont intégrés à l'ensemble (‘les coureurs’) par métonymie (p. 153)’.

5 LINGUISTIQUE ET METAPHYSIQUE

Qu'est-ce qui ne va pas avec ce genre d'analyses? se demande peut-être le lecteur. Après tout, tout cela est très courant et ne suscite généralement pas de remarques particulières.

Examinons cela de plus près. Anna Wierzbicka développe une linguistique cognitiviste, qui n'est pas issue du générativisme, pour lequel elle a parfois des mots très durs, mais qui est fondée sur les mêmes principes. On les retrouve aussi chez d'autres auteurs, qui, par-delà leurs différences, admettent tous que la pensée et le langage sont constitués d'un petit nombre d'éléments, sans doute universaux (même si on n'est pas parvenu à un accord sur une liste), qui s'associent grâce à un métalangage combinatoire, que ce soit la MSN d'Anna Wierzbicka, les transformations de Chomsky, les représentions graphiques de Culioli, de Talmy, de Langacker, ou encore les équations logico-algébriques de Pustejovsky ou des grammairiens logicistes. Le travail du linguiste consiste alors à faire des hypothèses de représentations dans le langage combinatoire postulé. Lorsqu'elles correspondent aux faits linguistiques étudiés, ces derniers sont alors réputés expliqués.

Mais avant de revenir à A. Wierzbicka, interrogeons-nous un instant sur des théories pour lesquelles des phénomènes constatés, notre usage de la langue, sont expliqués par des entités postulées dont on ne sait rien d'autre que les effets supposés de leur présence. Cela serait acceptable par transition, comme le font les physiciens, qui postulent des particules ou des forces pour leurs effets supposés, mais qui s'empressent ensuite de construire des accélérateurs pour en montrer in fine l'existence. En linguistique, rien de tout cela. Chaque auteur postule librement toutes sortes d'entités causales auxquelles il peut attribuer toutes les caractéristiques souhaitables sans se préoccuper de leur existence réelle. Comme il ne se préoccupe pas non plus des postulats de ses concurrents, le paysage théorique est rempli d'entités diverses et variées que les disciples des uns et des autres utilisent au sein de leurs chapelles respectives, dont aucune ne s'intéresse aux autres. D'ailleurs toute discussion un peu critique apparaît souvent comme inconvenante, comme si elle contrevenait aux bonnes mœurs. En 1980 déjà, G. Mounin écrivait dans l’Encyclopaedia Universalis: ‘On ne s'entre-lit plus guère, ou plus assez, sauf entre petits groupes trop fermés; on ne discute plus assez d'un groupe à l'autre’. Il regrette aussi que les concepts linguistiques soient les produits d'écoles de pensée avec des maîtres et des disciples, et conclut que tout cela devrait inquiéter.

C'est ainsi que le cognitivisme, par manque de confrontation des idées, est une survivance incongrue de la métaphysique cartésienne dans la pensée moderne, le plus souvent à l'insu de ses protagonistes. La place nous manque ici pour en parler en détail, mais le lecteur intéressé peut se reporter entre autres à Searle (Reference Searle1997, 1999), ou bien encore à Frath (Reference Frath2007), qui développe une argumentation structurée contre le cognitivisme.Footnote 1

Mais en quoi la MSN de Wierzbicka est-elle métaphysique, se demande peut-être le lecteur. Elle l'est d'une part par le caractère entièrement hypothétique de ses composants. La méthode wierzbickienne de collecte des universaux permet certes de mettre en évidence des ressemblances entre les langues, par exemple qu'il existe un mot dans toutes les langues pour dire je ou penser, mais de là à conclure à l'existence causale d'universaux, il y a un saut un peu rapide, et plus que problématique. Ensuite, il s'agit en réalité d'une quête de la substance, ce que Saussure refusait déjà, c'est-à-dire une quête essentialiste. L'idée est que la langue doit pouvoir être ramenée à des contenus, c'est-à-dire à autre chose qu'elle-même, à quelque chose qui la produit et donc l'explique. Dans ce cas, le travail du linguiste est de concevoir une représentation conceptuelle et un mécanisme mental, exprimés d'une certaine manière, par exemple dans la MSN, et de les faire coïncider avec le fait linguistique. J'entends donc, mettons, la phrase les coureurs commencent à arriver aux Champs-Elysées. Elle déclenche dans mon cerveau la formule en MSN proposée par Peeters (ou toute autre). Mais soudain mon cerveau se rend compte qu'il y a un problème: les coureurs arrivent chacun ponctuellement et ne peuvent ainsi pas commencer leur arrivée individuellement (ou quelque autre problème). Heureusement, le principe de métonymie intégrée (ou tout autre mécanisme de ce type) se met en route, et grâce à lui, mon cerveau sait maintenant que par les coureurs, on peut comprendre certains coureurs, d'autres coureurs, etc. Il y aurait donc une sorte de surveillant qui vérifierait systématiquement que ce que j'entends correspond bien à mes schémas mentaux, quitte à intervenir ici ou là. Des représentations accompagneraient ainsi notre expérience du monde de manière éventuellement inadéquate, comme une sorte d'ombre parfois déformée que certains mécanismes, comme le PMI, auraient la charge de rectifier. Tout cela repose sur un dualisme irrémédiable: c'est la problématique de l'homoncule cartésien aux commandes du cerveau, celle du fantôme dans la machine de Gilbert Ryle.

Heidegger avait opposé la métaphysique à l'ontologie. Pour lui, le recours à la métaphysique nous permet d'éviter de nous poser des questions sur l'être, trop angoissantes. Nous ne nous demandons pas ce que sont les choses, nous les expliquons avec autre chose, sans nous soucier de l'existence des entités explicatives, dans une fuite en avant sans fin. Pour Heidegger, le monde moderne, ses sciences et ses techniques sont entièrement métaphysiques, et peut-être cela est-il inévitable, peut-être cela fait-il partie de notre condition humaine. Peut-être cette inscription naturelle de la métaphysique dans notre mode de pensée explique-t-elle ce recours inconscient et sans états d'âme à l'explication par autre chose dont on ne sait rien, si courante en linguistique et dans d'autres sciences.

Mais comment faire autrement? Pour Cassirer, ‘tous les schèmes que la pensée théorique créé pour son propre usage, afin de repérer, d'articuler et d'embrasser l'être et la réalité des phénomènes par leur intermédiaire, ne sont finalement rien d'autre que de simples schèmes, de chimériques inventions de l'espritqui n'expriment pas tant la nature des choses que la manière qui lui est propre. Ainsi le savoir est-il aussi, comme le mythe, le langage et l'art, devenu une manière de fiction– une fiction qui se recommande par son utilité pratique mais à laquelle il ne faut pas appliquer le critère rigoureux de la vérité par crainte de le voir alors se dissoudre en néant’ (Cassirer, Reference Cassirer1953, 1973, p. 16). Il y a bien là la reconnaissance de nos limites. Pour cet auteur, la vérité n'est pas dans la fiction théorique que nous créons pour tenter de comprendre les choses, car comme le dit Wittgenstein, la vérité est hors du monde, et tout discours qui entendrait dire une vérité du monde ne serait que mythologie. La vérité ne peut être que dans le processus de construction de la fiction, dans l'accord anthropologique, presque biologique, qui se fait dans la langue.Footnote 2 Il conviendrait de garder cela à l'esprit lorsqu'on construit des fictions théoriques.

Peu d'auteurs pensent que leurs théories linguistiques décrivent véritablement la réalité, ce qui se passe effectivement dans le cerveau quand nous pensons et quand nous parlons.Footnote 3 C'est pourquoi ils rejettent assez facilement l'accusation métaphysique. Leurs formules et leurs schémas ne sont, dans leur esprit, que des tentatives pour approcher les phénomènes. Mais peut-être est-il utile au moins d'être conscient de ces limites, de reconnaître le métaphysique dans nos explications, tout en essayant de le réduire autant que faire se peut. Cela permettrait peut-être de ne pas sombrer dans les chausse-trapes les plus grossières, et de reconnaître, par exemple, dans ce goût des linguistes pour le codage et le décodage un avatar de la quête cartésienne de la Loi Divine. Comme le dit Richard Rorty à propos de littérature, ‘la croyance qui veut qu'un commentateur a découvert ce qu'un texte accomplit réellement – par exemple qu'il démystifie réellementun dispositif idéologique, ou qu'il déconstruit réellementles oppositions hiérarchiques de la métaphysique occidentale, au lieu de se voir simplement reconnaître la capacité d'être utiliséà ces fins – n'est pour nous pragmatistes qu'une forme d'occultisme de plus. Il s'agit d'une prétention supplémentaire tendant à faire croire que le code a été percé, et qu'on a ainsi découvert Ce qui se Passe Réellement’ (Richard Rorty, Reference Rorty and Eco1996: 94). Percer le code de la réalité linguistique, voir derrière les apparences de la parole Ce qui se Passe Réellement en langue, est-ce là le travail du linguiste?

6 DÉNOMINATION ET USAGE

Cette quête du code est plus néfaste qu'il n'y paraît. Elle est à l'origine d'une attitude inconsciente, naturelle chez nombre de linguistes, selon laquelle nous construisons et reconstruisons en permanence notre langue à partir du code. Prenons l'exemple des proverbes, par exemple Qui vole un œuf vole un bœuf, et des unités phraséologiques, par exemple faire un canard. La plupart des travaux expliquent comment un proverbe peut signifier autre chose que ce qu'il dit littéralement. Pour ce proverbe-ci, Cadiot et Visetti font intervenir différents facteurs, parmi lesquels la proximité phonétique d'œuf et de bœuf, leur opposition sémantique sur le mode petit/ gros, la brièveté de la structure dupliquée, etc. (Cadiot et Visetti, 2006: 154–155). Ce qui est à la base de ce type d'analyse, c'est la notion très répandue que notre cerveau est une sorte de mécanique qui comprend aisément les énoncés non métaphoriques, car elles se décodent facilement grâce aux règles standard, mais qui est obligé de fournir un effort particulier pour décoder les énoncés où les mots employés réfèrent à d'autres entités que celles du stéréotype. Pour faire un canard, Marie-Luce Honeste (Honeste, Reference Honeste2000) fait intervenir une explication iconique selon laquelle l'action de tremper un sucre dans un alcool avant de le manger rappelle la manière caractéristique qu'ont les canards de plonger. G. Kleiber fait remarquer à juste titre que cette similitude ne règle pas le problème (Kleiber, Reference Kleiber2008, à paraître). D'abord, les plongeurs font le même mouvement sans qu'on dise faire un plongeur; ensuite, tremper un sucre dans de l’eau, ce n'est pas faire un canard, il faut que ce soit de l'alcool ou du café. En conséquence, la similitude iconique ou conceptuelle ne peut expliquer l'expression.

Il faut trouver autre chose. Un proverbe ou une unité phraséologique, ce sont des dénominations, c'est-à-dire la preuve pour moi, qu'il existe pour nous des objets de notre expérience commune qui peuvent être dénommés ainsi. Supposons que je ne connaisse pas le proverbe Qui vole un œuf vole un bœuf. Lorsque je l'entendrai pour la première fois en contexte, par exemple à propos d'un commerçant malhonnête, je n'aurai aucun mal à reconnaître qu'il s'agit là d'un proverbe, et non d'une phrase discursive. Je le saurai par sa forme générique caractéristique, et par le fait que justement, nous ne soyons en train de parler ni d'œufs ni de bœufs. Je saurai ainsi que mon interlocuteur a choisi une dénomination existant dans la langue plutôt qu'une phrase discursive comme Untel a commencé par voler des bonbons dans les rayons, et il a fini par partir avec la caisse. Ce faisant, il fait entrer le comportement du voleur dans du connu. Il me signale, grâce au proverbe, que ce type de comportement malhonnête (voler peu d'abord, puis beaucoup ensuite) a été répertorié dans la langue, et qu'il désigne donc un élément de notre expérience commune, ce qu'une phrase discursive ne peut pas faire. Dans ce cas, j'essaierai de comprendre consciemment pourquoi on me parle d'œufs et de bœufs dans une conversation sur la malhonnêteté d'un commerçant, et peut-être arriverai-je alors à l'opposition petit/grand, mentionnée par Cadiot et Visetti. Mais une fois le proverbe connu de moi, il suffit que je le reconnaisse. Il n'y a là aucune activité inconsciente du type de celles qui sont postulées par Cadiot et Visetti. C'est la même chose pour faire un canard. Si je connais l'expression, je n'ai aucun mal à la reconnaître; sinon, voyant que personne ne fait effectivement de canard, j'apprendrai par la situation, ou parce qu'on me l'explique, l'existence de cette petite particularité de la gastronomie française, ainsi que le nom qu'elle porte. Ce n'est qu'après cette révélation que je pourrai apprécier le coté facétieux de l'expression faire un canard. Le geste du canard a peut-être une motivation au moment de la néologie, mais il n'est pas causal en langue. En conséquence, l'explication iconique et représentationnelle ne tient pas.

Cette distinction entre le connu et l'inconnu, entre le dénommé et le discursif, est fondamentale, et elle a des conséquences philosophiques importantes. Elle nous évite de penser le langage comme un code mécaniquement mis en œuvre par notre cerveau: la langue n'est pas un ensemble de représentations symboliques, comme la MSN ou les structures profondes de Chomsky, qui ‘produisent’ la parole. Cette distinction nous amène aussi à considérer le sujet parlant comme une entité dotée d'un ego, ce qui est au fond assez banal. Le dualisme esprit / cerveau se résout ainsi en une distinction entre le moi, et tout ce que cela comporte d'intentionnalité, sans laquelle il n'y a pas de sens possible, le monde qui n'est pas moi, et le nous de la langue.

Pour en revenir au verbe commencer, il s'agit, là aussi, d'une dénomination, c'est-à-dire d'un mot existant dans la langue, différent de tous les autres, qui nous est donné avec son cortège d'usages pour référer à tel ou tel élément de notre expérience. S'il n'y a pas d’essence du sens, il y a en revanche un usage des mots, qu'on peut observer et analyser facilement grâce aux corpus électroniques, ce que nous avons fait entre autres pour le verbe commencer. Que nous révèle cette étude? Et quel est le statut des généralisations que nous pourrons éventuellement faire? Voici ce que Michel Bréal appelle loi dans son Essai de Sémantique (Reference Bréal1982, rééd.): ‘Nous appelons loi, prenant le mot dans le sens philosophique, le rapport constant qui se laisse découvrir dans une série de phénomènes. Un ou deux exemples rendront ceci plus clair. Si tous les changements qui se font dans le gouvernement et les habitudes d'un peuple, se font dans le sens de la centralisation, nous disons que la centralisation est la loi. [. . .] De même, si la grammaire d'une langue tend d'une façon constante à se simplifier, nous pouvons dire que la simplification est la loi de la grammaire [. . .] Il ne saurait être question d'une loi préalablement concertée, encore moins d'une loi imposée au nom d'une autorité supérieure’ (p. 9). La généralisation ne nous condamne pas au platonisme des entités irréelles: il est possible de construire une fiction explicative, comme dirait Cassirer, qui conserve sa validité tant que sa nature fictionnelle n'est pas oubliée, tant qu'on admet que la vérité n'est pas un attribut du monde, comme le veut une certaine tradition analytique, mais un accord qui se fait dans la langue, comme l'a dit Wittgenstein.

7 LE CORPUS

Le corpus étudié est un recueil de textes du journal Le Monde, relativement peu volumineux (1,26 méga-octet, soit environ 200 000 mots), et qui a livré un peu moins de 300 occurrences des diverses formes conjuguées du verbe commencer. Nous reconnaissons volontiers qu'il ne couvre pas tous les usages (aucun corpus ne le peut), mais les données étudiées ont l'avantage d'être réelles. Le logiciel utilisé est un concordancier, MicroConcord, un graticiel écrit par Mike Scott et Tim Johns (OUP).

Voici un échantillon brut des résultats produits, soit les 20 premières lignes de concordance. (Notons que MicroConcord permet d'avoir accès à des contextes plus importants, si besoin est.)

  1. 1 ? La campagne de dénigrement qui a commencésent trop la campagne électorale p

  2. 2 er dans cette voie. M. Balladur a commencépar ce qui est à la fois le plus fa

  3. 3 d et la France responsable qu'a commencéà évoquer Jacques Delors, les vent

  4. 4 vait eu des effets positifs, avait commencéà réveiller une société endormie, f

  5. 5 Bourse, j'ai l'habitude. Quand j'ai commencécomme jeune analyste en 1985, j'ai

  6. 6 uvelle: la loi de 1988, qui avait commencéà poser des règles en la matière, n

  7. 7 e le mitterrandisme? Et puis j'ai commencémon deuxième mandat avec Michel Ro

  8. 8 me réflexion: le bilan. Tout a été commencédans toutes les directions. Nous n

  9. 9 sont apparues et les habitudes ont commencéà changer. Les murs portent certes

  10. 10 s du régime d'assurance-chômage, a commencéà faire sentir ses effets. En 1993,

  11. 11 vait eu des effets positifs, avait commencéà réveiller une société endormie, f

  12. 12 ite le mitterrandisme: J'ai commencéle gouvernement de la France avec P

  13. 13 es compagnies et les mutuelles ont commencéà se plaindre auprès des pouvoirs p

  14. 14 tiquement les économies. Nous avons commencépar baptiser l'eau minérale, puis

  15. 15 depuis le découpage administratif commencépar le maréchal Pétain (décret Darl

  16. 16 difice lui même un autre dépecage a commencé: cheminées arrachées, glaces disp

  17. 17 role qu'à 21 h 05. L'émission ayant commencéà 20 h 40, elle n'a pu parler que

  18. 18 vait eu des effets positifs, avait commencéà réveiller une société endormie, f

  19. 19 e Enrique Granados, que nous avons commencénotre traversée atlantique pour New

  20. 20 continuera de gonfler comme elle a commencéà le faire, les voiles de la gauche

Que faire avec de telles données? Un simple coup d'œil persuadera aisément le lecteur qu'un formalisme de type MSN, ou tout autre formalisme, posera d'innombrables problèmes, dans presque chaque cas. Que faire par exemple de:

  1. 5 Bourse, j'ai l'habitude. Quand j'ai commencécomme jeune analyste en 1985, j'ai

  2. 14 tiquement les économies. Nous avons commencépar baptiser l'eau minérale, puis

  3. 17 role qu'à 21 h 05. L'émission ayant commencéà 20 h 40, elle n'a pu parler que

  4. 18 vait eu des effets positifs, avait commencéà réveiller une société endormie, f

Voici un rappel du formalisme MSN pour le verbe commencer à:

  • Au moment t, X commence à Z =

    avant t, il n'y a pas de Z

    à t, il y a Z

    on ne peut savoir à t : il y aura plus de Z après maintenant

    on peut penser à t : il y aura plus de Z après maintenant

Les phrases 5, 14 et 17 ne peuvent bien évidemment pas être représentées ainsi, car il n'y a pas de Z qui soit disponible de manière naturelle. Nous y reviendrons dans la suite du texte. Quant à 18, dont la forme complète est:

  • la difficile négociation sur le GATT avait commencéà réveiller une société endormie

on peut l'analyser ainsi en MSN:

  • Au moment t, la difficile négociation sur le GATT avait commencé à réveiller une société endormie

    avant t, elle ne réveillait pas une société endormie

    à t, elle réveillait une société endormie

    on ne peut savoir à t : elle réveillera une société endormie après maintenant

    on peut penser à t : elle réveillera une société endormie après maintenant

On voit bien que cette phrase n'entre pas bien dans le formalisme de la MSN. La valeur de une dans l'expression une société endormie semble assez difficile à représenter ainsi. L'auteur ne parle pas d'une société endormie parmi d'autres, mais bien de celle-ci, la nôtre, à laquelle on attribue une caractéristique particulière, à savoir qu'elle serait endormie. On peut la gloser ainsi:

  • la difficile négociation sur le GATT avait commencéà réveiller notre société, dont l'une des caractéristiques majeures, celle que je lui attribue en tant que locuteur, est d'être endormie.

La sélection effectuée par une porte donc sur endormie, et non sur société. Dans la représentation en MSN, en revanche, comme la phrase apparaît plusieurs fois, une semble porter sur société endormie, dont il existerait plusieurs occurrences, et dont une seule serait sélectionnée par une. On pourrait bien sûr proposer quelques aménagements syntactico-sémantiques:

  • Au moment t, la difficile négociation sur le GATT avait commencé à réveiller une société endormie

    avant t, elle ne réveillait pas notre société, qui était endormie

    à t, elle réveillait notre société

    on ne peut savoir à t : elle continuera à réveiller notre société après maintenant

    on peut penser à t : elle continuera à réveiller notre société après maintenant

Mais de tels aménagements ad hoc sont-ils acceptables? Quelle est la valeur d'un formalisme qu'on peut modifier au gré des circonstances?

8 CLASSIFICATION DES DONNÉES

Devant la masse de données produites par les corpus, le linguiste est bien inspiré de procéder comme Linnée avec les plantes et les animaux, à savoir de commencer par faire une classification des occurrences.

Le verbe commencer apparaît 272 fois dans les structures syntaxiques suivantes, que nous donnons à chaque fois avec deux ou trois exemples. Toutes les concordances ont été vérifiées et complétées, de manière à produire des phrases complètes. Dans certains cas, des phrases trop longues ont été simplifiées.

  1. 1) Commencer + à + infinitif (113 occurrences)

    1. 1. Le directeur de La Poste de Paris a commencé à faire des propositions.

    2. 2. les habitudes ont commencé à changer

  2. 2) Commencer + de + infinitif (8 occurrences)

    1. 1. les jeunes Européens doivent commencer de déchiffrer l'islam plutôt que le craindre

    2. 2. la production réelle ‘pourrait’, quant à elle, commencer de s'accroître au premier semestre

  3. 3) Commencer par (45 occurrences)

    • Commencer par + inf (13)

      1. 1. Quant au dollar, il a commencé par fléchir sur les premières indications filtrant à propos du programme du président Clinton

      2. 2. Nous avons commencé par baptiser l'eau minérale, puis nous avons cessé d'en acheter

    • Commencer par + N (15)

      1. 3. M. Balladur a commencé par ce qui est à la fois le plus facile et le plus délicat

      2. 4. le PCF est devenu le parti des ‘gens’. Cela a commencé, à ma connaissance, par une prise de parole d'André Lajoinie. . .

    • A commencer par + N (17)

      1. 5. il connaissait les difficultés à venir, à commencer par une situation économique et social en chute vertigineuse

      2. 6. Plusieurs dispositions devraient y conduire; à commencer par la promotion de l'intercommunalité

  4. 4) Sujet + commencer + objet (17 occurrences)

    1. 1. J'ai commencé le gouvernement de la France avec Pierre Mauroy et un programme de réformes extrêmement audacieux

    2. 2. C'est alors qu'Anaïs a commencé son Journal en français, poussée par sa mère

  5. 5) Sujet humain + commencer (4)

    1. 1. Quand j'ai commencé comme jeune analyste en 1985 (à la Bourse), j'ai vu Reagan mourir quatre ou cinq fois

    2. 2. Max Théret a commencé petit, dans la photo dite de charme

    3. 3. Dans les disputes enfantines, et même chez les adultes, il s'agit de déterminer qui a commencé.

  6. 6) Sujet locatif + commencer (6 occurrences)

    1. 1. Si ‘l'Europe commence à Sarajevo’, pour moi, elle s'arrête à Belfast

    2. 2. un slogan mobilisateur : ‘L'Europe commence à Kigali’

  7. 7) Sujet temporel + commencer (9 occurrences)

    1. 1. l'année a commencé comme les professionnels le craignaient

    2. 2. Ainsi, la semaine avait très bien commencé. Lundi, le marché repartait franchement. . .

  8. 8) Commencer au passif (14 occurrences)

    1. 1. C'est adossé à une longue présidence commencée il y a treize ans . . . que le Chef de l'Etat entend s'adresser aux Français

    2. 2. depuis le découpage administratif commencé par le maréchal Pétain

  9. 9) Commencer ergatif (49 occurrences)

    1. 1. La campagne de dénigrement qui a commencé sent trop la campagne électorale pour. . .

    2. 2. Sur l'édifice lui-même, un autre dépeçage a commencé : cheminées arrachées, glaces disparues

  10. 10) Commencement (7 occurrences)

    1. 1. Au commencement de la guerre, les femmes furent employées à remplacer les hommes à la production. . .

    2. 2. Commencement de l'aile du Midi, du bassin de Neptune et de la pièce d'eau des Suisses

Une telle liste ne peut en elle-même constituer une explication. On constate toutefois que la situation globale est plus complexe que ne l'imaginent les théories a priori. Les structures 1) commencer à et 2) commencer de apparaissent 121 fois, soit près de 45% des occurrences. Quant à la structure 4) Sujet + commencer + objet, elle apparaît 17 fois, soit un peu plus de 6%, dont seulement 5 occurrences d'un objet non-procédural, soit 1,5%. Les voici:

  • quand il commence ‘Le singe’, à l'automne de 1943, sur un lit d'hôpital

  • Archimède commençait ses lettres par ‘Joie!’, je commencerai celle-ci par ‘Honte!’.

  • C'est alors qu'Anaïs a commencé son Journal en français, poussée par sa mère

  • Dans trois mois, il commence la place des Victoires à Paris.

Ensemble, ces deux structures constituent environ 50% des occurrences, et c'est sur elles seulement que se concentrent généralement les théories a priori, laissant souvent dans l'ombre une demi-douzaine d'autres structures très intéressantes. En outre, elles mettent face à face une structure très fréquente, commencer + à/de + inf avec une autre statistiquement inexistante, commencer + N non-procédural, comme si elles étaient à égalité.Footnote 4

9 OBSERVATION ET ANALYSE DES DONNÉES

  1. A) Commencer à + infinitif: phrases actives transitives et phrases actives transitives réflexives

Voici un échantillon de phrases choisies dans le groupe le plus nombreux (1. commencer à) pour leur variété. On constate que les sujets sont de type animé direct (Chiraquiens et Balladuriens, les bénéficiaires), de type animé par métonymie (cinq avions, la France, le (Crédit) Lyonnais, le Groupe Rossignol), de type procédural (l'attente, les prélèvements), de type réel (les capitaux), de type abstrait (l'intelligence). Quant aux verbes sur lesquels porte commencer, ils sont de tous les types.

  1. 1. en fin d'après-midi, cinq avions ont commencé à bombarder des petites communautés indiennes

  2. 2. Chiraquiens et Balladuriens peuvent commencer à compter les points.

  3. 3. les capitaux commencent à rentrer au Danemark

  4. 4. M. Giscard d'Estaingcommence, déjà, à montrer les insuffisances des propositions de Jacques Chirac

  5. 5. le groupe Rossignolcommence à concurrencer Salomon

  6. 6. Rien n'est donc plus pernicieux pour l'intelligence que de commencer à s'imaginer que les non-croyants détiendraient la raison alors que les croyants l'auraient perdue

  7. 7. les bénéficiaires de dispositifs publicscommencent à diminuer

  8. 8. la Francecommence à aller mieux

  9. 9. Le climat politique? Ça commence à devenir pesant

  10. 10. l'attente de l'émission . . . commence à être longue

  11. 11. Une procédure dont le Lyonnaiscommence à avoir une certaine pratique

  12. 12. les prélèvements collectifscommencent à reculer.

Il ne semble donc pas y avoir de restrictions sémantiques quant aux caractéristiques sémantiques des participants de commencer à. Nous avons cependant regroupé ces 12 occurrences en deux catégories, et peut-être le lecteur sera-t-il d'accord pour identifier des phrases transitives, où le sujet commence à accomplir une action qui affecte un autre objet (1à 5), et des phrases transitives réflexives, où le sujet est affecté lui-même par l'action commencée (6 à 12).

  1. B) Sujet + commencer + objet (N): phrases actives transitives

  1. 1. J'ai commencé le gouvernement de la France avec Pierre Mauroy et un programme de réformes extrêmement audacieux

  2. 2. Le fonds immobilier commencera ses opérations en mars.

  3. 3. et c'est en 1914 que nous avons commencé notre traversée atlantique pour New-York

  4. 4. Louis Leboucher avait commencé sa carrière comme instituteur, puis comme professeur à l'école normale

  5. 5. qu'il avait commencé sa campagne pour le non au référendum

  6. 6. M. Chirac a commencé un voyage de trois jours en Alsace

  7. 7. Dans trois mois, il commence la place des Victoires à Paris.

  8. 8. C'est alors qu'Anaïs a commencé son Journal en français, poussée par sa mère

  9. 9. quand il commence ‘Le singe’, à l'automne de 1943, sur un lit d'hôpital

  10. 10. Archimède commençait ses lettres par ‘Joie!’, je commencerai celle-ci par ‘Honte!’.

Le sujet est le plus souvent de type humain, mais pas uniquement (voir 2). Les N objets sont le plus souvent des déverbaux (gouvernement, opérations, traversée), donc des N dont l'aspect procédural est inscrit dans la forme verbale du mot. Ils peuvent être des N dont l'aspect procédural est attaché sémantiquement au mot (carrière, voyage, campagne), ou des N dont l'aspect procédural (journal, lettre, livre (Le singe), place) n'est pas a priori le plus saillant, mais qu'ils possèdent du fait de leur nature d'artefacts, donc d'objets qui ont été produits.

Rappelons ici la distinction opérée par Georges Kleiber entre un sens de parcours du verbe commencer (elle commence un livre – dans le sens de lecture), et un sens de faire exister (elle commence un livre – dans le sens d'écriture). Les observations faites ici confirment celles de Frath (Reference Frath2002) pour le verbe to begin: toutes les occurrences en corpus de cette structure possèdent le sens de faire exister. Il semble bien que le sens de parcours ne soit pas affecté spontanément à des phrases de ce type, bien que nous les acceptions si un linguiste nous pose la question, comme pour elle commence un livre, que nous acceptons facilement dans le sens de lecture. Mais dans il commence la place, on ne comprend pas traverser (un parcours), mais bien plutôt un processus de création comme construire, refaire, paver, etc. Retenons donc que dans les phrases de type commencer + N, le sujet commence à faire exister un processus, ou un objet procédural, exprimé par un N.

  1. C) Commencer au passif: phrases passives transitives

  1. 1. C'est adossé à une longue présidence commencée il y a treize ans . . . que le Chef de l'Etat entend s'adresser aux Français

  2. 2. depuis le découpage administratif commencé par le maréchal Pétain

  3. 3. Tout a été commencé dans toutes les directions.

Ces phrases sont du même type que B ci-dessus. L'objet commencé est toujours mentionné (présidence, découpage, tout), mais l'agent ne l'est que rarement (Pétain). Il peut parfois être récupéré dans le contexte (le Chef de l'Etat), mais même s'il ne l'est pas (phrase 3), sa place syntactico-sémantique existe.

  1. D) Commencer ergatif: phrases ergatives

  1. 1. La campagne de dénigrement qui a commencé sent trop la campagne électorale pour. . .

  2. 2. Cette politique des petits pas a commencé en septembre 1992.

  3. 3. la campagne présidentielle n'a pas encore commencé

  4. 4. Sur l'édifice lui-même, un autre dépeçage a commencé: cheminées arrachées, glaces disparues

  5. 5. Le roman commence très bien

Nous examinons ici l'autre grand emploi du verbe commencer, à savoir la structure ergative. Le sujet est un N du type de ceux qui peuvent être objets dans la structure commencer + N, à savoir des N procéduraux déverbaux (dépeçage), à aspect procédural (politique) ou des artefacts (roman). Leur position de sujet leur confère la capacité de se créer eux-mêmes, sans intervention d'un agent. Certes, nous savons tous que les objets auxquels réfèrent ces N sont nécessairement créés par des agents, mais ces derniers n'ont pas de place dans la structure syntaxique, au contraire de la forme passive examinée ci-dessus. Dans un autre dépeçage a commencé, tout se passe comme si l'objet procédural auquel réfère le N commence à se faire exister lui-même. Cette capacité créatrice de commencer est proche de la capacité réflexive recensée ci-dessus à propos de certaines phrases avec commencer + infinitif.

La distinction transitif/ergatif se retrouve dans les occurrences de commencement.

  1. 1. Au commencement du populisme, en effet, il y a le mal de vivre

  2. 2. Commencement de l'aile du Midi, du bassin de Neptune et de la pièce d'eau des Suisses

Au commencement du populisme peut être paraphrasé en une structure ergative, le populisme a commencé, mais la phrase 2 ne peut être transformée en l'aile du Midi, le bassin de Neptune et la pièce d'eau des Suisses commencent. Un agent est clairement impliqué dans 2 (Le Nôtre, en l'occurrence). Il s'agit donc d'une expression passive: 2 accepterait un complément d'agent introduit par par (commencement par Le Nôtrede. . .), au contraire de 1.

  1. E) Commencer avec des sujets temporels ou locatifs: phrases ergatives

  1. 1. l'année a commencé comme les professionnels le craignaient

  2. 2. Ainsi, la semaine avait très bien commencé. Lundi, le marché repartait franchement. . .

  3. 3. Si ‘l'Europe commence à Sarajevo’, pour moi, elle s'arrête à Belfast

  4. 4. un slogan mobilisateur: ‘L'Europe commence à Kigali’

Dans les phrases ergatives, commencer ne peut en aucun cas être considéré comme une sorte d'auxiliaire modal comme dans les structures avec un infinitif, sur lequel commencer exercerait une action inchoative. Il est utilisé avec un sens plein, comme n'importe quel autre verbe. Dans Le roman commencetrès bien, commencer ne signifie que cela, commencer à exister, ici d'une certaine manière (bien). C'est le cas aussi des phrases avec un sujet temporel ou locatif, qui fonctionnent ainsi de manière ergative. Il n'y a là aucun mystère: il n'est nul besoin de postuler un mécanisme cognitif qui assimilerait l'espace et le temps à des processus, comme le font certains auteurs. On constate simplement l'existence de phrases de ce type, et leur ressemblance avec les phrases ergatives est flagrante.

  1. F) Sujet humain + commencer: phrases actives non transitives

  1. 1. Quand j'ai commencé comme jeune analyste en 1985 (à la Bourse), j'ai vu Reagan mourir quatre ou cinq fois

  2. 2. Max Théret a commencé petit, dans la photo dite de charme

  3. 3. Dans les disputes enfantines, et même chez les adultes, il s'agit de déterminer qui a commencé.

  4. 4. Il faut être aujourd'hui plus directif. Nous aurions sans doute pu commencer plus tôt lorsqu'il est apparu évident que la croissance ne permettait plus à elle seule de faire baisser le chômage

Là encore, commencer est utilisé avec son sens lexical plein. On pourrait admettre l'existence d'objets en 1 (ma carrière), peut-être en 2 (sa carrière) et en 3 (les disputes, à se disputer), qu'on pourrait considérer comme sous-entendus, mais force est de constater que le locuteur ne les a pas employés. D'ailleurs Max a commencé petit et Max a commencé sa carrièrepetit n'ont pas le même sens. Dans le premier cas, Max est concerné tout entier, et seulement du point de vue de sa carrière dans l'autre. Tout comme dans les phrases passives la place de l'agent est disponible mais pas nécessairement utilisée, ici la place de l'objet existe bel et bien, mais elle n'est pas occupée. En 2, petit peut être considéré comme un attribut du sujet (Max était petit quand il a commencé) ou un adverbe (Max a commencé petitement). En 4, on est bien en peine de proposer quelqu'objet que ce soit, même si on ‘sent’ son existence syntaxique.

  1. G) Commencer par: phrases actives non transitives ou phrases ergatives

C'est aussi le cas pour les phrases actives 1 à 4 ci-dessous. On ne sait pas ce qui est commencé, mais on sait que l'objet, quel qu'il soit, commence par quelque chose qui est introduit par la préposition par.

  • Phrases actives non transitives

    1. 1. Quant au dollar, il a commencé par fléchir sur les premières indications filtrant à propos du programme du président Clinton

    2. 2. Nous avons commencé par baptiser l'eau minérale, puis nous avons cessé d'en acheter

    3. 3. M. Balladur a commencé par ce qui est à la fois le plus facile et le plus délicat

    4. 4. Les grandes surfaces ont commencé par l'informatique ludique avec Amstrad, Atari, Commodore

Ce ‘quelque chose’ est exprimé par un verbe ou une entité nominale. Dans le cas où il s'agit d'un verbe, un objet est impossible:

  • *le dollar a commencésa chute par fléchir. . .

mais la phrase suivante serait bonne:

  • le dollar a commencésa chute par un fléchissement

Cependant, si on fait le total des phrases nominales avec par (comme 3 et 4 ci-dessus) et des phrases avec commencer + N, soit un total de 26, seule la suivante possède à la fois un objet et un complément introduit par par:

  • Archimède commençait ses lettres par ‘Joie!’, je commencerai celle-ci par ‘Honte!’.

Il faut en tirer la conclusion que commencer est naturellement employé sans qu'on ait besoin d'en spécifier d'N objet, le plus souvent parce que c'est inutile (si le dollar fléchit, c'est qu'il est en chute; le rapport entre les grandes surface et l'informatique ne peut être que la vente). Parfois on a même du mal à formuler un N objet. Voici le contexte de la phrase 3:

Pour asseoir son image d'homme capable de représenter la France sur la scène internationale, il se doit de continuer dans cette voie. M. Balladur a commencé par ce qui est à la fois le plus facile, car il en maîtrise parfaitement les dossiers, et le plus délicat, tant le sujet a toujours divisé la droite: l'Europe

  • Phrases ergatives

    1. 5. La seconde (guerre) a commencé par le passage du Rhin, le 12 juin 1667

    2. 6. le PCF est devenu le parti des ‘gens’. Cela a commencé, à ma connaissance, par une prise de parole d'André Lajoinie. . .

    3. 7. Ce dessin en quatre croquis fut réalisé en 1831 par Philipon. Il commence par un portrait fidèle du roi Louis-Philippe, qui, insensiblement, se métamorphose en poire.

    4. 8. il connaissait les difficultés à venir, à commencer par une situation économique et sociale en chute vertigineuse

Les phrases ergatives (5 à 8) ne fonctionneraient pas toujours sans le complément introduit par par. Comparer

  1. 1. La seconde (guerre) a commencé par le passage du Rhin, le 12 juin 1667

  2. 2. La guerre a commencé

  3. 3. Devenir le parti des gens a commencé par une prise de parole d'André Lajoinie

  4. 4. Devenir le parti des gens a commencé

  5. 5. Le dessin commence par un croquis

  6. 6. Le dessin commence

  7. 7. Les difficultés à venir commencent par une situation économique et sociale en chute vertigineuse

  8. 8. Les difficultés à venir commencent

  9. 9. Les difficultés commencent

La phrase 2 est bonne, mais 4, 6 et 8 sont problématiques. Guerre a sans doute un sens suffisamment procédural pour qu'on puisse dire qu'une guerre commence, en quelque sorte par elle-même. En revanche, un dessin ne peut commencer par lui-même sans qu'on indique une première étape (par un croquis) ou bien quelque autre caractéristique remarquable, par exemple le dessin commence bien. A noter qu'il en va de même pour notre exemple Le roman commence bien. Le roman commence ne serait pas acceptable. Mais le caractère procédural n'est pas seul en cause. Devenir est bien un processus, pourtant 4 ne fonctionne pas. L'explication est ici à rechercher dans l'usage: commencer ne prend pas d'infinitif comme sujet, sauf avec par. La transformation du PC en parti des gens a commencé est, en revanche tout à fait acceptable. Concernant difficultés, la phrase 9 est bonne, mais pas 8. Sans doute y a-t-il un conflit entre à venir et commencer, le commencement d'une chose à venir ne pouvant être envisagé au moment de l'énonciation (sauf si on indique par quoi). Ce que nous savons des choses dont nous parlons, c'est-à-dire la référence, est ainsi un facteur décisif dans l'explication linguistique.

10 CONCLUSIONS DE L'ANALYSE

Avons-nous progressé dans notre compréhension du verbe commencer? Nous le croyons, essentiellement parce que nous avons observé un ensemble réel de données, qui ne peuvent certes pas prétendre à l'exhaustivité, mais qui permettent néanmoins une approche que l'intuition seule ne permet pas. Notamment, on perçoit bien l'importance relative des phénomènes, ce qui évite de mettre face à face, comme si elles étaient équivalentes, des occurrences très nombreuses (commencer à + inf), avec d'autres très peu fréquentes (commencer + N non-procédural), tout en négligeant des structures très utilisées, notamment l'ergative. La méthode des corpus, qui permet d'embrasser l'ensemble des phénomènes, facilite ainsi l'éclairage réciproque des structures et permet à l'imagination d'envisager des explications que l'examen d'une ou deux structures isolées ne permet pas.

Mais que nous montre l'éclairage réciproque des usages de commencer? Ce verbe lexical peut accepter, comme les autres verbes, un certain nombre de participants, deux en l'occurrence, un agent et un patient. Les deux ne sont pas toujours présents: certaines structures font l'impasse sur l'agent, d'autres sur le patient. Dans certains cas, la place syntaxique du participant absent est disponible, mais pas utilisée (passif; sujet humain + commencer); dans d'autres, une des places disparaît totalement (à l'ergatif, disparition de l'agent; avec par, disparition du patient, dans la plupart des cas). Le côté sui generis du faire exister de la forme ergative (la campagne commence) se retrouve parfois dans la forme avec l'infinitif (la France commence à aller mieux), où le sujet est modifié par le processus commencé. C'est sans doute une caractéristique lexicale du verbe, qu'on peut peut-être retrouver dans d'autres verbes ergatifs. Il y a donc une continuité dans l'usage des diverses structures syntaxiques de commencer, et non une rupture, avec les emplois transitifs d'une part, et les usages ergatifs d'autre part.

Un autre résultat est la révélation, si on peut dire, que commencer est un verbe lexical au sens plein, et non cette sorte d'opérateur cognitif qui permet de saisir le début d'un processus exprimé ou caché, postulé par certains auteurs. Cette réalité est particulièrement visible dans les structures qui ne sont en général pas prises en compte dans l'analyse, à savoir les 50% d'occurrences qui comprennent entre autres les structures ergatives. Commencer possède un sens bien identifiable, même si sa définition reste problématique. Il n'est pas facile, en effet, d'en donner une paraphrase définitoire qui ne fasse pas appel à des synonymes. Dans la théorie d'Anna Wierzbicka, commencer ferait un bon candidat au statut de primitive.

Si nous avons rejeté le recours aux primitives et aux règles pour cause de métaphysique, quelle est alors l'alternative? C'est bien évidemment l'observation de l'usage, une idée développée par Wittgenstein. ‘Pourquoi, se demande-t-il, confrontons-nous toujours l'usage des mots à un usage qui se conformerait à des règles strictes? La réponse ne serait-elle pas que nous essayons ainsi de résoudre des énigmes qui proviennent justement de notre façon de considérer le langage?’ (Wittgenstein, Reference Wittgenstein1965: 79). On verra plus loin que certains des problèmes du verbe commencer proviennent effectivement des présupposés métaphysiques de l'approche par le code. L'observation de l'usage a pour le linguiste la même valeur, ou devrait l'avoir, que celle du sol pour un géologue ou des organismes vivants pour un biologiste. Pourquoi ‘notre façon de considérer le langage’ serait-elle différente de notre façon de considérer les autres objets de notre curiosité scientifique? Les usages sont, et aucun code ne les produit, car le code, lui, n'est pas (ou alors il faudrait le montrer). Mais si les usages sont, que sont-ils? Ils ont été listés et décrits ci-dessus. Peut-être cette description est-elle incomplète, voire fausse, mais même dans ce cas, la méthode reste valable: un autre linguiste pourra peut-être observer d'autres faits dans d'autres corpus.

11 QUELQUES SOLUTIONS à QUELQUES PROBLÈMES

Mais que vaut cette compréhension du verbe commencer qu'il nous semble avoir produite? Un bon moyen pour le savoir est de voir si elle permet de résoudre des problèmes notoires. Rappelons les thèses en présence. Elles sont de deux types: celles de l'ellipse et du prédicat caché, et celles de la transformation métonymique ou métaphorique.

11.1 La thèse de l'ellipse et du prédicat caché

Les phrases comme Paul commence un livre sont abordées de plusieurs manières dans la littérature. Pour certains, il s'agit d'une construction elliptique du verbe: le lecteur comprend que Paul a commencé à lire (ou à écrire, selon le contexte) le livre. En somme, commencer + N est une version abrégée de commencer + inf. + N. Le problème est qu'il n'est pas toujours facile d'insérer un verbe entre commencer et l'objet. Par exemple, dans Le cimetière qu'ils ont commencé l'an passé est déjà plein, on a du mal à nommer un processus que l'on puisse insérer (remplir? construire?).

D'autres, comme Godard et Jayez (Reference Godard and Jayez1993), postulent un prédicat abstrait intercalé qui accompagnerait le verbe commencer, et qui pourrait éventuellement prendre telle ou telle valeur, par exemple lire ou écrire. Le problème est que dans ce cas on devrait comprendre écouter dans L'auditoire commence la symphonie. Or ce n'est pas le cas. On postule alors une contrainte supplémentaire selon laquelle le sujet doit avoir le contrôle de l'objet. L'auditoire n'a aucun contrôle sur la symphonie, et ne peut pas donc la commencer; ceci n'est pas le cas de l'orchestre, et c'est pourquoi on comprend jouer dans L'orchestre commence la symphonie. Mais alors, pourquoi est-ce que Le chef d'orchestre commence la symphonie ne passe pas très bien la rampe, alors que son contrôle sur la symphonie est total?

Nos observations ci-dessus et d'autres faites pour to begin, permettent d'emblée de résoudre ce problème: il n'y a ni ellipse de l'infinitif, ni prédicat caché. Reprenons la liste des phrases en commencer + N.

  1. 1. J'ai commencé le gouvernement de la France avec Pierre Mauroy et un programme de réformes extrêmement audacieux

  2. 2. Le fonds immobilier commencera ses opérations en mars.

  3. 3. et c'est en 1914 que nous avons commencé notre traversée atlantique pour New York

  4. 4. Louis Leboucher avait commencé sa carrière comme instituteur, puis comme professeur à l'école normale

  5. 5. qu'il avait commencé sa campagne pour le non au référendum

  6. 6. M. Chirac a commencé un voyage de trois jours en Alsace

  7. 7. Dans trois mois, il commence la place des Victoires à Paris.

  8. 8. C'est alors qu'Anaïs a commencé son Journal en français, poussée par sa mère

  9. 9. quand il commence ‘Le singe’, à l'automne de 1943, sur un lit d'hôpital

  10. 10. Archimède commençait ses lettres par ‘Joie!’, je commencerai celle-ci par ‘Honte!’.

On est bien en peine de proposer le moindre infinitif que ce soit. Ce serait impossible en 1 et en 10, inutile dans 2 à 6 (on ne pourrait placer qu'un verbe très général comme faire), ou redondant en 7 (construire) et en 8 et 9 (écrire). Le plus surprenant est l'impossibilité en 10: *Archimède commençait à écrire ses lettres parJoie!’, ce qui montre bien que les phrases avec infinitif et celles avec un N ne peuvent pas être réduites les unes aux autres. Il faut se rendre à l'évidence: le cas général est l'inutilité ou l'impossibilité de récupérer un procès dans le contexte.

Il semble donc bien que le locuteur ait au moins deux structures à sa disposition, à savoir commencer + infinitif et commencer + N. Il choisit naturellement celle qui convient le mieux à ce qu'il veut et peut dire. S'il ne prononce pas de phrases comme l'auditoire commence la symphonie, c'est qu'il est sûr qu'il ne sera pas compris, pour la bonne et simple raison que cette phrase ne veut rien dire. Mais pourquoi ne veut-elle rien dire? Disons d'abord que le linguiste n'a pas à expliquer toutes les impossibilités, car sa tâche serait alors sans limite, et sans intérêt. Pourquoi s'attarder sur l'impossibilité par exemple de mange le la souris chat? Le géologue n'étudie pas le cas hypothétique où le calcaire pourrait ne pas être une roche sédimentaire. C'est une roche sédimentaire; et la question que ce pourrait être une roche volcanique ne l'effleure même pas: elle est absurde.

Mais admettons un instant la nécessité de l'explication. On pourrait vouloir expliquer à un apprenant étranger pourquoi l'auditoire commence la symphonie n'est pas acceptable. Examinons donc les exemples suivants:

  1. 1. il commence un livre (écrire: sens de faire exister, ou FE)

  2. 2. il commence un livre (lire: sens de parcours, ou P)

  3. 3. il commence la chambre (peindre: FE)

  4. 4. *il commence la chambre (traverser: P)

  5. 5. l'orchestre commence la symphonie (jouer: FE)

  6. 6. *l'auditoire commence la symphonie (écouter: P)

Il y a un parallélisme entre 1 et 2, qu'on ne retrouve pas pour les couples suivants. La phrase 4 est correcte, mais est interprétée sur le mode du faire exister (peindre, tapisser, . . .); quant à 6, elle est inacceptable, sauf à construire un contexte ad hoc.

Observons maintenant les dix exemples de commencer + N donnés au début de cette section: aucun ne présente le sens de parcours. C'est d'ailleurs le cas de tous les corpus français et anglais dans lesquels nous avons recherché commencer + N (ou begin(ning) + N), et qui n'ont jamais livré la moindre ligne de concordance ayant le sens de parcours, y compris lorsqu'il s'agit d'un objet qu'on peut lire.

Le choix du locuteur entre les deux structures se fait donc sur le critère suivant: le sujet peut-il faire exister l'entité désignée par le N objet? Si oui, commencer + N est utilisable, sinon, on emploie un infinitif. C'est pourquoi la phrase 4 ne peut être comprise que dans le sens de faire exister; quant à 6, si elle était prononcée, c'est que le contexte serait tel qu'elle serait interprétable sur le mode de faire exister, le mode de parcours (écouter) étant totalement exclu. Voici d'autres exemples, pris dans Peeters (2004):

  • *La rouille commencele fer de la balustrade (à ronger)

  • *La pierre commencele bois (le bois commence à se pétrifier)

  • Jean-Luc a commencéun dictionnaire

Il est clair que la rouille ne peut normalement faire exister le fer, ni la pierre le bois, ce qui justifie l'impossibilité. Mais encore une fois, si ces phrases étaient véritablement prononcées (en dehors d'un ouvrage de linguistique), c'est que le contexte aurait construit la possibilité d'un faire exister. Quant à Jean-Luc, on comprend qu'il écrit un dictionnaire, et non qu'il le consulte. Il n'y a donc pas, dans les occurrences réelles, de choix entre le sens de parcours et celui du faire exister, et le problème de l'interprétation de l'auditoire commence la symphonie dans le sens d'écouter ne se pose pas, pas plus que celui de l'agrammaticalité de mange le la souris chat.

Il reste que nous acceptons le sens de parcours pour il commence un livre, si on nous pose la question. On peut supposer que les exemples de type commencer + livre, présentant à la fois le sens de parcours et celui de faire exister, sont en fait très minoritaires, mais que la proximité de la chose écrite avec notre expérience quotidienne a amené les linguistes à croire qu'ils représentaient le cas général alors qu'ils constituent une exception.

Wittgenstein parlait d'énigmes qui proviennent [. . .] de notre façon de considérer le langage. Notre désir d'expliquer l'impossibilité de l'auditoire commence la symphonie provient justement de l'a priori du codage/décodage. Si nous attribuons des contenus sémantiques fixes au lexique (sèmes, primitives, concepts, etc.) et si nous supposons l'existence de mécanismes syntaxico-sémantiques qui les agencent, alors nous sommes ‘naturellement’ amenés à penser que le sens du tout se calcule à partir du sens des parties, que l'énoncé est une sorte de construction ‘causée’ par un code sous-jacent, que l'impossibilité de l'auditoire commence la symphonie est ‘produite’ par une erreur de codage interne qu'il s'agit de découvrir.

Or une explication de ce type néglige la véritable raison de notre activité linguistique: si nous parlons, c'est pour penser et communiquer notre expérience. Les objets dont nous parlons, nous ne sommes capables de les saisir en pensée qu'avec des mots et des énoncés. Nous avons l'habitude de parler de telle ou telle chose de telle ou telle manière, en tenant compte de ce que nous en savons. Nous disposons d'une part d'une structure avec commencer + N qui fonctionne sur le mode du faire exister. Nous en avons une autre qui permet de commencer n'importe quoi de n'importe quelle manière à la condition qu'on précise le procès mis en œuvre à l'aide d'un infinitif. Or nous savons que l'auditoire ne peut faire exister la symphonie. Nous n'employons donc pas cette structure. Si un jour les pensées musicales d'un auditoire pouvaient par quelque mécanisme électronique se transformer en une symphonie, alors nous pourrions parler d'auditoires qui commencent des symphonies sans la moindre hésitation, et sans le moindre changement de code. Ce qui compte en langue, c'est la référence, notre désir de parler des choses, et non un hypothétique mécanisme d'appariement entre la pensée et la langue.

11.2 Les explications par la métonymie et par la métaphore

Certains auteurs n'acceptent pas le postulat des prédicats cachés, et proposent d'autres pistes. Les uns, comme Pustejovsky, explorent celle de la métonymie; d'autres, comme Kleiber, celles de la métaphore.

  • La piste métonymique: la coercition de type

Pour Pustejovsky (Reference Pustejovsky and Pustejovsky1993, Reference Pustejovsky, Saint-Dizier and Viegas1995), la multiplicité des sens lexicaux doit pouvoir être expliquée par des mécanismes génératifs généraux. L'hypothèse est que chaque lexème possède un certain degré d'ambiguïté, appelé polysémie logique, et qu'il existe des mécanismes prédicatifs généraux qui permettent la sélection des différents sens en contexte. Par ailleurs les mots comme livre sont définis par une structure de rôles appelés qualia par l'auteur; en l'occurrence, livre y est défini comme un objet physique. Si commencer porte toujours sur un événement, il suffit alors d'admettre que livre change de type, qu'il cesse d'être un objet pour devenir un événement. Pour que cela soit possible, Pustejovsky postule un mécanisme de coercition de type qui permet au verbe de ‘coercer’ le type de l'objet s'il ne convient pas, à savoir, en l'occurrence, de le transformer en événement. Il faut bien sûr que cette possibilité soit prévue dans la structure qualia du mot, ce qui est le cas ici, puisqu'un des rôles (télique) de livre prévoit qu'un livre peut être lu, et qu'un autre (agentif) prévoit qu'il peut être écrit. Un des problèmes est que cette théorie ne permet pas d'expliquer Paul commence un livre qui fait 300 pages, où livre est à la fois un événement et un objet (pour d'autres problèmes, se reporter entre autres à Kleiber Reference Kleiber1999).

  • La piste métaphorique: transfert du modèle temporel à un objet matériel

Dans son ouvrage de 1999, G. Kleiber développe l'idée que commencer peut également s'appliquer à un argument de type matériel comme livre, et pas seulement à un processus comme lire ou lecture. Pour que cela soit possible, ‘il faut que le modèle temporel de commencer puisse se convertir en modèle matériel’ (p. 200). Mais quel est donc le modèle temporel de SN1 + commencer + à inf. + SN2? L'auteur distingue cinq propriétés (p. 201–202).

  1. (i) L'événement dénoté par inf. présente une dimension temporelle qui peut être commencée.

  2. (ii) Le temps est une quantité homogène et massive.

  3. (iii) Commencer marque la première étape d'un parcours orienté et homogène.

  4. (iv) L'action de commencer sur son argument est incrémentielle et consiste en sa création. Après cette première étape, le procès dénoté par inf. est partagé en deux: une étape accomplie, qui a modifié l'objet, et une autre virtuelle. Ces deux parties ne sont donc pas symétriques.

  5. (v) Ces deux parties sont homogènes et massives en raison de (ii).

L'hypothèse est que, si commencer agit directement sur un objet non temporel, le modèle temporel ci-dessus doit être transférable à l'objet dénoté par le SN2-objet. Si l'une ou l'autre des conditions ci-dessus n'est pas respectée, alors l'interprétation est impossible. Examinons ce transfert en détail. Pour G. Kleiber, comme nous l'avons déjà mentionné, il y a deux modes de fonctionnement de commencer avec un SN2-objet, celui du faire exister (par exemple écrire), et celui de parcours (par exemple lire). Pour Paul a commencé un nouveau livre, l'interprétation d'écriture fonctionne sans problème sur le mode de la création de l'objet (condition iv). Mais il y a des cas où l'objet existe déjà, et ne nécessite donc pas d'être créé, comme dans Elle a commencé un livre dans le sens de lire. Il faut alors faire intervenir les dimensions spatiales de l'objet. Ces dimensions peuvent correspondre aux propriétés (i), (ii) et (iii), à la condition que le sujet effectue un parcours sur la longueur, la surface ou le volume de l'objet. Mais il y a une difficulté dans le sens de lecture: ‘la partie déjà lue semble identique à la partie qui reste à lire’ (p. 206), ce qui contrevient à la condition (iv). Pour résoudre cette difficulté, l'auteur suggère que la dimension qui entre en jeu ici n'est pas la longueur (la linéarité de l'écrit), mais l'épaisseur: la pile de pages déjà lue est différente de la pile non encore lue.

Frath notait en Reference Frath and Murguia2002 que cette interprétation est de toute évidence contre-intuitive, mais Peeters fait remarquer que la question des piles de pages qui augmentent ou qui diminuent ne doit pas être prise au pied de la lettre, qu'il ne s'agit que d'un prototype qui peut s'interpréter, et qu'il y bien quelque chose qui change quand on lit un livre. Il a raison.

Mais au fond, qu'avons-nous expliqué quand nous avons ramené le commencer spatial au commencer procédural? Nous montrons simplement par là que nous pensons que le sens procédural est premier, et que l'autre ne peut alors qu'être second, donc qu'il y a un noyau dur univoque et des règles de transformation. Il faut remarquer que l'économie de l'explication est faible: ramener (avec peine) un seul phénomène à un autre ne justifie peut-être pas l'investissement. En outre, rien dans les occurrences observées ne nous permet d'établir cette hiérarchie. Les contextes montrent que ces deux usages existent, et il n'y a aucune raison de penser qu'en synchronie l'un dérive de l'autre.

12 EN GUISE DE CONCLUSION

Ce n'est pas le lieu ici de développer les notions de référence, de dénomination et d'usage qui constituent des alternatives à la notion de code dans l'explication linguistique. Le lecteur intéressé pourra se référer à d'autres publications, notamment celles de Georges Kleiber, un des chefs de file de ce point de vue, et tout particulièrement (Kleiber Reference Kleiber1994 et Reference Kleiber2001). Mais pour l'illustrer et tenter d'en montrer l'intérêt, je voudrais prendre un exemple dans le livre de Milan Kundera, L'immortalité. L'auteur y parle à plusieurs reprises de gestes que différents personnages font à différents moments de l'Histoire. L'un d'entre eux est décrit ainsi: ‘elle a posé ses mains sur sa poitrine, puis les a lancées en avant’ (p.198). Ce geste est effectué à notre époque par Laura, une des héroïnes parisiennes de l'histoire, et il signifie, selon Kundera ‘se sacrifier, s'offrir au monde, envoyer son âme vers les lointains bleutés, telle une blanche colombe’. Il le nomme ‘le geste du désir d'immortalité’. Ce geste avait déjà été fait près de deux siècles auparavant, selon Kundera, par Bettina Brentano, une jeune femme qui s'était entichée d'un Goethe déjà âgé, qu'elle a poursuivi de ses assiduités tout le reste de la vie du poète. Il semble que Goethe, qui pourtant était un grand séducteur, n'ait pas profité des avances sexuelles de la jeune femme, ou très peu, lui ayant juste demandé un jour de se dénuder la poitrine, et qu'il s'en soit au contraire toujours méfié. Car il a perçu, par-delà l'amour affiché par Bettina, le désir de celle-ci de se servir de lui, et contre lui, comme d'un marchepied vers la gloire et l'immortalité, ce qu'elle a du reste réussi à faire, puisque l'épisode (qu'elle a abondamment décrit dans ses ouvrages) est régulièrement commenté, et que l'attitude distante de Goethe est généralement condamnée (mais pas par Kundera). A propos d'un autre geste qu'Agnès, un autre personnage du roman, a l'habitude de faire, et qu'elle voit un jour fait par sa petite sœur, Kundera dit qu’ ‘elle était surtout troublée que ce geste fût à la disposition de tout le monde, et nullement sa propriété’.

Ce qui est vrai des gestes est vrai des mots. Les deux préexistent à notre naissance, sans raison, et sans lien de contenu avec ce qu'ils expriment. C'est ce qu'on appelle communément l'arbitraire du signe. Il n'y a pas de gestes privés, pas plus qu'il n'y a de langage privé:Footnote 5 ils sont à la disposition de tous. Nous reprenons à notre compte les gestes et les mots de notre communauté.Footnote 6 A noter pour le geste un phénomène qui est moins visible pour les mots, mais tout aussi réel: le geste et l'objet auquel il réfère ne doivent leur existence individuelle qu'à leur existence mutuelle. Ils se confondent. Sans ce geste, il n'y a pas cet objet, et vice-versa. Pour quelle raison Laura ferait-elle ce geste s'il n'avait pas de sens? Et si elle le faisait effectivement, sans lui attribuer de sens, nous ne le remarquerions pas, nous le prendrions pour quelque gesticulation due peut-être à une démangeaison ou au désir de se dégourdir les bras. Inversement, comment dirions-nous ce désir d'immortalité sans la possibilité de lui donner corps de quelque manière, qui ait un sens reconnaissable, que ce soit par un geste ou à l'aide de mots? Le sens est nécessairement collectif, et il est donné d'emblée, en un seul morceau. Que le linguiste puisse après coup effectuer des subdivisions sémantiques et des regroupements catégoriels est une autre affaire: ce seront des chimères théoriques, bien utiles parfois pour la compréhension, mais sans pouvoir causal. Il n'y a pas de concepts préexistant au langage, seulement, comme pour les animaux, des intentions, des habitudes, des sensations, . . .

Mais, objectera-t-on, il arrive bien un moment où nous sommes confrontés pour la première fois à un geste (ou à un mot). Que se passe-t-il alors? Comment pouvons-nous comprendre globalement un geste ou un mot inconnu de nous? Notons d'abord que d'éventuelles subdivisions ne nous seraient utiles que si nous savions où faire les découpages et que nous connaissions le sens des unités découpées. Mais l'hypothèse componentielle est inutile. Lorsque nous commençons à nous interroger sur le sens d'un geste ou d'un mot, cela signifie que nous les avons déjà identifiés et isolés comme porteurs de sens.Footnote 7 Quelque chose, dans ce geste, nous signale qu'il est significatif, qu'il ne s'agit pas d'une gesticulation. Quand nous avons compris cela, nous savons déjà une chose importante: il existe un objet de notre expérience collective auquel cette forme sémiotique a été donnée. La première fois que j'entends le mot prolégomènes, je sais qu'il ne s'agit pas d'un bruit aléatoire, qu'il s'agit bien d'un mot qui a un sens pour nous, même si moi je ne le connais pas. Souvent cela me suffit. Dans l'expression Les prolégomènes d'Ibn Khaldoun, si je sais qu'Ibn Khaldoum est un auteur, j'en conclus facilement, et consciemment, qu'il s'agit de quelque création de l'esprit. Si je veux en savoir plus, je peux interroger quelqu'un ou consulter un dictionnaire, et j'apprendrai qu'il s'agit des notions préliminaires à une science. Les philosophes du Moyen-Âge appelaient le signe la denominatio et son objet la suppositio, ce qui est supposé exister en relation avec la dénomination. Toute dénomination n'existe qu'en tant qu'elle réfère, et ce couple prend vie dans l'usage.

Le verbe commencer nous est livré par notre communauté linguistique en même temps que des objets commençables, au sein d'unités phraséologiques qui nous permettent de comprendre et communiquer notre expérience.Footnote 8 Nous apprenons rapidement que toutes sortes de choses peuvent être commencées, et cet usage génère d'autres usages, essentiellement par métaphore et par métonymie: nous commençons (ou pas) telle ou telle chose parce nous y trouvons une ressemblance (ou pas) avec des choses que nous ou d'autres ont déjà commencées par le passé. L'auditoire commence la symphonie ne ressemble à aucun usage connu de nous, et c'est pourquoi son emploi n'est pas même envisagé, pas plus que n'est envisagé un Comment ça va? joyeux comme signe de condoléances lors de funérailles. Il n'y a pas de calcul, pas de codage, juste des habitudes et des intentions.

Footnotes

1 On lira aussi avec intérêt le roman de l'écrivain britannique David Lodge, Think, où l'auteur aborde le problème du cognitivisme en mettant plaisamment en scène un spécialiste des sciences cognitives.

2Est vrai et faux ce que les hommes disent l'être; et ils s'accordent dans le langage qu'ils emploient. Ce n'est pas une conformité d'opinion, c'est une forme de vie’, dit Wittgenstein dans ses Investigations philosophiques, §241

3 En réponse à une question orale sur la valeur ontologique de ses formalismes algébriques, James Pustejovsky les justifia par le fait que ‘ça marche’, qu'on peut décrire ainsi certains aspects de la langue.

4 Même remarque dans Frath (Reference Frath2002) pour le verbe to begin

5 Voir Ludwig Wittgenstein et Gilbert Ryle sur ce point.

6 Sauf dans le cas, rare et soumis à conditions particulières, de la néologie.

7 Voir l'argument pour les proverbes et les unités phraséologiques plus haut dans ce texte.

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