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Paveau Marie-Anne, L’analyse du discours numérique: dictionnaire des formes et des pratiques. Paris: Hermann, 2017, 397 pp. 978 2 7056 9321 3 (broché)

Published online by Cambridge University Press:  15 January 2019

Louise-Amélie Cougnon*
Affiliation:
Faculté des sciences économiques, sociales et politiques Media innovation and intelligibility lab Université catholique de LouvainB-1348 Louvain-la-NeuveBelgiquelouise-amelie.cougnon@uclouvain.be
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Abstract

Type
Book Review
Copyright
© Cambridge University Press 2019 

Présenté sous forme d’un dictionnaire de 31 entrées précédées d’une introduction, l’ouvrage de Marie-Anne Paveau appréhende son objet, le discours numérique, sous de nombreux aspects par rapport auxquels l’auteure n’hésite pas à se positionner. Fournissant à la fois un état de l’art scientifique et un état de la question sociétale, elle expose avec une précision admirable le lien entre chacun des outils, des matériaux et des réalités numériques envisagés, d’une part, et l’approche du chercheur, de l’autre. Elle envisage de sortir de l’élan actuel des analyses statistiques, informatiques et automatiques de données numériques, pour en revenir à une conception des sciences sociales qui se fonde sur le qualitatif et l’écologique, et qui prenne en compte l’ensemble de l’environnement dans lequel vit le discours. À cette fin, elle enrichit ses propos de recherches-exemples empruntés à ce qu’on appelle les « sciences humaines et sociales troisième génération », ce qui fait de l’ouvrage dans son ensemble une excellente référence dans le domaine du Web 2.0 (ou « web social »). Les doctorants aussi bien que les chercheurs chevronnés y trouveront leur bien et pourront s’en servir, que ce soit pour découvrir un panorama scientifique cohérent, pour s’imprégner des nombreuses définitions de concepts que Marie-Anne Paveau s’est appropriées, ou (pourquoi pas ? ) pour inscrire leur recherche dans ce nouveau paradigme.

On appréciera particulièrement le fait que l’auteure a su éviter le double piège de la francisation à outrance de termes anglophones d’ores et déjà bien établis et du recours débridé à des éléments allophones laissés plus ou moins intacts. Elle s’exprime de façon lucide, sans pour autant charger le texte d’éléments qui, d’une façon ou d’une autre, en crypteraient la lecture. La critique qu’elle fait de l’anthropocentrisme des sciences sociales prépare la voie à une science sociale du discours numérique qui met la machine au cœur de l’analyse. Visuellement, cette réhabilitation de la machine s’observe notamment dans la citation d’exemples, pratique qui est largement discutée et justifiée (voir le chapitre consacré à Twitter) ; l’auteure prend le parti d’exclure les exemples logocentrés (souvent utilisés par les auteurs scientifiques), pour inclure des éléments visuels et fonctionnels du discours numérique.

Une place non négligeable est accordée aux diverses positions des acteurs du discours numérique et à leur mouvance. Le producteur ou énonciateur numérique (le grammar nazi, le troll, l’énonciateur éditorial etc.), le digital native et ses réalisations concrètes, les victimes de la cyberviolence discursive : tous font l’objet de discussions stimulantes qui suscitent de nombreuses perspectives de recherche. Les chapitres sur le pseudonymat (c’est-à-dire la culture contemporaine de l’anonymat) et l’extimité (l’exposition de soi pour validation par autrui), en particulier, mettent en exergue les enjeux sociétaux que revêtent les discours numériques. L’auteure y récapitule le contexte historique qui a vu naître ces comportements et apporte des nuances et des définitions variées. Elle traite également des notions juridiques qui y sont liées, notamment par rapport à la propriété privée, la conception de la « privacy » (que les internautes reconfigurent) et la dissimulation d’identité, à la fois protectrice et propice à la transgression. Un chapitre entier est d’ailleurs consacré à l’éthique du discours numérique et aborde notamment la notion philosophique de la « vérité » sur internet.

Cela dit, on s’étonnera de la présence dans le dictionnaire de Marie-Anne Paveau de certaines entrées, très précises, portant sur ce qu’on pourrait appeler des « micro-objets » du discours numérique, tels que le commentaire, tandis qu’il n’y a pas d’entrée portant sur des « méga-objets » tels que les forums de discussion. Par ailleurs, la décision de privilégier certains canaux (par exemple Twitter) et outils discursifs (par exemple le hashtag) à d’autres (les messageries électroniques, Facebook ou les mentions @), pour lesquels il n’y a pas d’entrée, ne laisse pas de surprendre. On peut également regretter que les citations scientifiques soient franco-centrées, avec à vue d’œil au moins trois quarts sinon quatre cinquièmes de références francophones, phénomène souvent observé en dépit du fait que l’analyse du discours numérique est largement prise en main par nos collègues anglophones et hispanophones, ainsi qu’en Asie, pour ne citer que quelques exemples.

Au-delà de ces points d’amélioration superficiels, le volume offre un très bon condensé de ce qui est étudié, connu et à connaître dans le domaine du discours numérique. Marie-Anne Paveau propose aux usagers de son dictionnaire une somme de pistes dans lesquelles, sans aucun doute, chaque chercheur pourra trouver son intérêt.