Mélange populaire de conseils normatifs et d'anecdotes métalinguistiques, les chroniques de langage qu'intègrent, jusqu’à la fin du vingtième siècle (et parfois plus récemment), les grands journaux français, mais également une partie de la presse francophone belge et québécoise, couvrent un spectre assez large allant du purisme dur d'un Abel Hermant jusqu'aux attitudes plutôt anti-normatives prônées par Marcel Cohen dans L'Humanité. Avec l'intérêt croissant porté désormais vers la linguistique dite « populaire », un courant de recherches venu du monde anglo-saxon et germanique qui se consacre aux activités métalinguistiques hors du cercle clos des sciences du langage académiques, elles méritent l'attention des chercheurs autant que tout autre type de réflexion métalinguistique « hors du temple » (Achard-Bayle et Paveau, Reference Achard-Bayle and Paveau2008). L'ouvrage de Mary Munro-Hill, issu d'une thèse de doctorat défendue en 1993 à l'Université de Hull, trace le portrait de l'un des chroniqueurs de langage les plus influents de la deuxième moitié du vingtième siècle, l’écrivain Maurice Chapelan, mieux connu sous son nom de plume Aristide, auteur de 1961 jusqu’à sa mort en 1992 de chroniques de langage pour Le Figaro. Hormis une introduction (1–6) et une conclusion (209–222), il comporte un chapitre biographique (7–30), une présentation générale des chroniques de Chapelan (31–54) et plusieurs sections où sont expliqués les aspects variationnels (Le bon usage, 55–84), orthographiques (Spelling, 85–106), syntaxiques (Syntax, 107–128), morphosyntaxiques (Agreements, 129–154) et lexicaux (Le mot juste, 155–174) des normes d’Aristide. Un dernier chapitre (175–208) est consacré aux commentaires que le chroniqueur réserve à la langue des médias, des campagnes publicitaires (notamment de la SNCF) et des discours spécialisés.
L'essentiel du livre ayant été rédigé avant 1994, à l'exception notamment de quelques remarques dans la conclusion, la valeur de cette publication ne réside pas dans son actualité, mais dans la richesse des informations, des anecdotes et des réflexions fournies sur un des acteurs les plus influents du débat métalinguistique en France. La présentation bénéficie d'une connaissance intime de la situation de travail de Chapelan. L'auteure ne cache nulle part ni son affection pour la personne ni sa sympathie pour les idées du chroniqueur, à qui elle était liée jusqu'au bout par des liens d'amitié. Les prises de position d'Aristide sont généralement présentées comme raisonnables, même si, dans une perspective fonctionnaliste, il est légitime de se demander si l'idéalisation du beau langage du dix-huitième siècle ne favorise pas une certaine sclérose de la langue contemporaine.
Observatrice et analyste consciencieuse de la pensée de Chapelan, Munro-Hill arrive à cerner avec précision la pensée métalinguistique de Chapelan en décrivant ses particularités par rapport à d'autres chroniqueurs de langage comme Jacques Cellard, Maurice Grevisse, et les susdits Marcel Cohen et Abel Hermant. Elle montre que les chroniqueurs défendaient pour la plupart des positions puristes, sans que cela exclue une certaine tolérance pour les évolutions internes de la langue française. Le lecteur attentif apprend ainsi que, tout en défendant le rôle et le positionnement plutôt traditionaliste de l'Académie française, Chapelan se prononçait en faveur de la féminisation des titres, grades et noms de métier.
Même si l'auteure de ce livre biographique n'est pas forcément familiarisée avec les débats scientifiques sur les différentes traditions de la casuistique linguistique en France, sa présentation témoigne d'une grande sensibilité pour les zones intermédiaires entre sciences du langage et discours métalinguistiques destinés au grand public. Elle souligne notamment qu'Aristide reconnaissait la différence entre linguiste et grammairien. C'est précisément cette distinction qui a permis aux linguistes – en France plus que dans d'autres pays – de quitter leur rôle de stricts observateurs des faits de langue et de jouer un rôle public au-delà du cercle clos de la linguistique universitaire. La notoriété de linguistes comme Henriette Walter, Alain Rey ou Claude Hagège dans des débats publics portant sur des questions de langage s'explique en partie par cette longue tradition de discours métalinguistiques bien médiatisés. Les non-linguistes comme Maurice Chapelan ont ainsi en quelque sorte ouvert la voie aux linguistes « scientifiques », leur permettant de se faire entendre d'un plus grand public.
Le livre de Mary Munro-Hill contribue à faire comprendre l'immense succès des chroniques de langage, du moins jusqu'aux années 1990. Il illustre bien l'ambivalence des rapports entre chroniqueur et lecteurs : alors que les remarques amusées que consacre Aristide aux fautes de langue observées auprès d'hommes politiques, de journalistes et de publicitaires peuvent créer une certaine complicité avec son lectorat, les discussions interactives sur la langue « correcte » sont souvent révélatrices de conflits sous-jacents. L'auteure montre que, de toute évidence, de telles discussions existaient dès avant l’ère d'internet et l’établissement des réseaux sociaux. À l’ère analogique, c’était la presse quotidienne qui relayait de tels débats tandis qu'aujourd'hui les logophiles et autres amateurs de la langue tirent le plus grand profit des opportunités qu'offrent les technologies modernes.
Un autre attrait de l'ouvrage est que l'auteure regarde attentivement les textes, c'est-à-dire les chroniques d'Aristide, aussi bien que les circonstances des débats métalinguistiques de l’époque. Le chapitre dédié à l'orthographe reconstruit ainsi de façon convaincante le débat sur les propositions de réforme du gouvernement de Michel Rocard au début des années 1990. On peut toutefois regretter l'absence de renvoi aux études de Nina Catach (Reference Catach1980, Reference Catach2001) sur l'histoire de l'orthographe française, car c'est notamment dans ce type de discours normatif – décrit par Catach – que s'insèrent les chroniques d'Aristide.
En résumé, l'ouvrage de Munro-Hill présente une source quasi inépuisable de témoignages métalinguistiques assez typiques du courant dominant des discours normatifs sur le français au cours de la deuxième moitié du vingtième siècle. La personnalité fascinante de Maurice Chapelan, son rôle comme chroniqueur de langage et le contexte historique des discours métalinguistiques destinés au grand public sont dûment pris en considération. Malgré son côté un peu subjectif, cette monographie a une valeur incontestable pour toute recherche sur les discours normatifs de la langue française contemporaine et constitue un outil précieux pour la connaissance de ce genre textuel.