Le ‘petit glossaire’ que nous offrent Laurence Rouanne et Jean-Claude Anscombre fait suite au numéro 186 de la revue Langue française (‘Dire et ses marqueurs’, juin 2015), dirigé par Anscombre en collaboration avec Sonia Gómez-Jordana. Il comporte 15 contributions précédées d'une introduction (1–12) dans laquelle les éditeurs scientifiques expliquent l'idée générale de l'ouvrage, une étude linguistique dont les objectifs sont à la fois pratiques et théoriques. D'une part, ainsi que le précise le titre, on peut s'en servir comme d'un dictionnaire, puisqu’à travers l'analyse de divers corpus oraux et écrits, chaque contribution spécifie les principales propriétés distributionnelles des marqueurs étudiés et en décrit les différentes valeurs. D'autre part, l'orientation est théorique, chaque analyse contenant des postulats qui aident à expliquer le fonctionnement des marqueurs ainsi que leurs propriétés sémantiques et pragmatiques. Le double objectif du volume l'ouvre à différents destinataires: alors que les professeurs et étudiants en langue apprécieront les renseignements quant au fonctionnement des marqueurs et, en fin de volume, la liste de marqueurs étudiés, les linguistes tireront profit de l'analyse théorique et de la pluralité des approches (majoritairement le cadre de la théorie argumentative de Ducrot-Anscombre et l'analyse polyphonique). L'introduction présente enfin quelques considérations théoriques à propos du terme marqueur discursif (qui n'est plus discuté par la suite).
Malgré une terminologie foisonnante et une définition peu claire (vu l'hétérogénéité des éléments désignés comme marqueurs), les auteurs essayent de distinguer diverses propriétés des marqueurs discursifs en utilisant comme point de départ la notion de modalité. Parmi ces propriétés figurent l'attitude du locuteur (qui est incluse dans la valeur sémantico-pragmatique du marqueur), l'autonomie syntaxique, prosodique et sémantique, la perte du caractère référentiel de certains de ses composants, ainsi que le caractère partiellement non compositionnel. La sélection des marqueurs retenus étant le plus souvent basée sur des critères formels, les analyses soulèvent régulièrement le problème du rôle que jouent dans leur fonctionnement certains éléments morphologiques et celui de leur variation formelle (qui peut aller de pair avec une variation fonctionnelle).
Jean-Claude Anscombre (13–36) analyse la position du ON-locuteur dans les marqueurs comme on dit, on dirait, on dit, à ce qu'on dit. Le rôle du pronom et le problème de la variation des formes sont tout aussi importants dans l'analyse des expressions si on peut dire, si je puis dire, si j'ose dire proposée par Laurence Rouanne (271–292). Juliette Delahaie (37–58), quant à elle, soulève le problème de la variation et s'interroge sur le fonctionnement de la négation à travers l'analyse des expressions ne va pas me dire, ne me dis pas, cela va sans dire (qui semblent paradoxales). María Luisa Donaire (81–106) choisit d'interpréter le conditionnel dans les marqueurs je dirais, je ne saurais dire, comment dirais-je comme un marqueur de polyphonie, tout en discutant le degré de non-compositionnalité des trois expressions retenues. Sonia Gómez-Jordana Ferary (155–180) montre que les expressions contenant le pronom qui (à qui le dis-tu, c'est toi qui le dis, comme qui dirait) peuvent être opposées entre elles selon le référent du pronom qui (entité ou individu précis) ou selon l'aspect polyphonique du marqueur. Par ailleurs, la ressemblance formelle ne garantit pas la similitude fonctionnelle: Adelaida Hermoso Melado-Damas (181–204) montre que les locutions soit dit en passant et soit dit entre nous possèdent des propriétés sémantico-pragmatiques différentes et expriment deux attitudes énonciatives distinctes. L'analyse que propose Didier Tejedor (315–338) se situe toujours dans un cadre polyphonique: elle consiste à déterminer si les formes je te/vous l'avais bien dit, je te/vous dirais bien, je te/vous dirais que fonctionnent comme des marqueurs de médiativité.
Parmi les contributions adoptant des critères de sélection non formels, il y a celle de Sandrine Deloor (59–80), qui décrit les marqueurs autant dire, pour tout dire, disons-le en expliquant le type d'interaction mis en place avec les éléments de l'environnement discursif. Christiane Marque-Pucheu (205–228) examine le non-dit dans les exclamatives et dire que!, que n'a-t-on-pas dit!, qu'est-ce que tu veux que je te dise!, qu'est-ce que je te disais! et quand je te le disais! Laurent Perrin (249–270) caractérise les effets d'intensification associés aux formules je vous dis pas, c'est dire (si), y'a pas à dire, que dis-je, tu peux le dire.
Les autres angles théoriques présents dans l'ouvrage incluent en premier lieu celui de Jean-Jacques Franckel (131–154). Expliquant le fonctionnement des formes impératives disons, dis, dites (et de leurs variantes comme dis donc, dis-moi, non mais dites, etc.) à travers la caractérisation du verbe dire et des formes de l'impératif, Franckel montre comment le sens des expressions analysées se construit à travers les unités qui les composent. Sa contribution est la seule où sont traitées la sémantique du verbe dire et les raisons de son emploi dans un si grand nombre de constructions. La prise en compte de l'analyse de Franckel aurait pu donner une vision plus complète à la description d’Évelyne Oppermann-Marsaux (229–248), qui étudie la pragmaticalisation progressive (15e–18e siècles) des mêmes marqueurs; la description d'Oppermann-Marsaux est la seule d'ordre diachronique, encore que plusieurs autres contributions contiennent des notices diachroniques, suppléments utiles à la description. Adoptant les principes de la lexicologie explicative et combinatoire (Mel’čuk), Gaétane Dostie (107–130) propose une étude quantitative et qualitative de quatre corpus oraux de provenance différente et montre que le fonctionnement des marqueurs je veux dire et, en français québécois, t'sais (je) veux dire est influencé par les éléments (polysémiques) qui les composent. Agnès Steuckardt (293–314) se sert elle aussi de différents corpus (oral, écrit numérique, écrit); s'inscrivant dans une conception sociale de la langue et partant du concept de modalisation autonymique (Authier-Revuz), elle offre une description détaillée des conditions d'emploi du marqueur métalinguistique on va dire et de ses variantes on va dire ça comme ça et on va dire ça. Le terme marqueur métalinguistique apparait également dans l'analyse d'Hélène Vassiliadou (339–364) consacrée à la comparaison des marqueurs de reformulation (c'est-à-dire, autrement dit, ça veut dire).
Il va de soi que la discussion de données provenant de corpus distincts apporte des observations intéressantes. Dans l'ensemble, malgré l'hétérogénéité des approches différentes et des objectifs posés, l'ouvrage est une contribution importante à l’étude des marqueurs discursifs français, non seulement grâce à l'analyse des expressions retenues, mais aussi grâce à l'ensemble des problèmes théoriques posés et l’éventail de solutions et de pistes de réflexion proposées.