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Kerbrat-Orecchioni, Catherine, Les débats de l'entre-deux-tours des élections présidentielles françaises : constantes et évolutions d'un genre. Paris : L'Harmattan, 2017, 367 pp. 978 2 343 11657 0 (broché), 978 2 140 03461 9 (PDF), 978 2 336 78697 1 (ePUB) - Lamizet, Bernard, Les mots et les voix : le discours des candidats à l’élection présidentielle de 2017 en France. Paris : L'Harmattan, 2017, 225 pp. 978 2 343 11755 3 (broché), 978 2 140 03464 0 (PDF), 978 2 336 78700 8 (ePUB)

Published online by Cambridge University Press:  18 June 2018

Julien Longhi*
Affiliation:
Université de Cergy-Pontoise, Laboratoire AGORA, 33 Boulevard du Port, 95011 Cergy-Pontoise, Francejulien.longhi@u-cergy.fr
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Abstract

Type
Book Review
Copyright
Copyright © Cambridge University Press 2018 

Au printemps 2017, en pleines présidentielles, deux chercheurs s'inscrivant dans des domaines distincts ont publié, chez le même éditeur, des ouvrages d'analyse du discours politique ayant des objectifs différents et adoptant une démarche qui leur est propre.

L'ouvrage de Catherine Kerbrat-Orecchioni, professeure honoraire à l'Université Lumière Lyon 2 et spécialiste de pragmatique, d'analyse du discours et d'analyse des interactions verbales, porte sur les débats politico-médiatiques d'entre-deux-tours, genre « unique en son genre » (8) dont le caractère « exceptionnel » (quatrième de couverture) justifie selon l'auteure qu'on en fasse une étude spécifique. Il propose une synthèse très développée des principales caractéristiques des six débats constitutifs du corpus (de 1974 à 2012, le débat de l’élection 2017 n'ayant pas encore eu lieu au moment de la rédaction). Traitant de la scénographie et des stratégies argumentatives, l'auteure met en évidence non seulement une certaine stabilité s’étalant sur près de quatre décennies mais aussi des variations d'un débat à l'autre et d'un/e débatteur/e à l'autre, ainsi que certaines évolutions. Une analyse qualitative des débats est proposée, avec des transcriptions « techniques » qui servent à analyser minutieusement les interactions, tout en offrant un comptage et un examen précis de phénomènes langagiers et pragmatiques spécifiques.

La méthodologie mobilisée pour l'analyse des débats d'entre-deux-tours pouvant rendre service à tout chercheur qui s'intéresse aux interactions verbales, Kerbrat-Orecchioni fournit des clés pour l'analyse du débat dans toutes ses formes, en tant que genre (dont l’évolution apporte des éléments de compréhension historiques et médiatiques) aussi bien qu'en tant que cadre d'une argumentation. De ce cadre, le chapitre 2 développe les aspects stylistiques et rhétoriques, allant de la phonétique au lexique en passant par la morphosyntaxe, avec une attention particulière prêtée à des phénomènes énonciatifs tels que les questions rhétoriques et l'humour (qui pourront plus largement intéresser les linguistes travaillant sur des phénomènes langagiers diversifiés situés dans une pratique d'interaction) et à des aspects liés à la multimodalité et à la rhétorique (qui seront particulièrement instructifs pour qui s'intéresse au discours politique et à l'analyse des médias). Le chapitre 3 est consacré à l’« affrontement » : il considère la manière dont les candidats mettent en valeur les points de désaccord, par certains procédés de mise en valeur, donnant à ces débats un caractère fondamentalement conflictuel. Le chapitre 4, quant à lui, propose une analyse du corpus à la lumière des « trois registres de la persuasion » : logos, ethos, pathos. L'auteure montre notamment que malgré ce qu'affirment certains travaux, « le logos n'est pas le parent pauvre de ces débats » (312), mais que les prises de position sont argumentées dans le feu d'un échange de plus en plus vif.

La conclusion de l'ouvrage de Kerbrat-Orecchioni dégage à la fois les constantes et les évolutions du genre, tout en cherchant à mettre en valeur l'intérêt et la qualité des débats. Les arguments ont une portée indéniable puisque les analyses nombreuses, fines et complexes proposées tout au long du texte, sur la base de transcriptions réalisées avec une technique qui fait ressortir toute la richesse des interactions, prouvent, à chaque démonstration et pour chaque phénomène ou candidat, qu'il y a une réelle complexité dans les échanges aussi bien que dans la construction d'une argumentation qui s'appuie sur un grand nombre de ressources linguistiques et de compétences communicationnelles. La conclusion contribue à réhabiliter le discours politique en contexte électoral, dont on voit finalement qu'il véhicule, dans le cadre de ce genre, une réelle richesse, et cela malgré le contexte et les enjeux de l'interaction.

Dans son ouvrage à lui, Bernard Lamizet, professeur émérite de sciences de l'information et de la communication à Sciences Po Lyon, présente des analyses de discours de candidats à la Présidentielle 2017 (parfois de candidats potentiels, ou de candidats éliminés aux primaires). Son texte se veut une « introduction méthodologique à l'analyse du discours politique et à la mise en œuvre des sciences de l'information et de la communication et, en particulier, de la sémiotique, au champ politique » (quatrième de couverture). La démarche est centrée davantage sur la compréhension politique rendue possible par l'analyse des discours que sur l'analyse linguistique de ces discours et de leurs particularités. Les discours, les articles de presse contemporains et les programmes des candidats constituent l'essentiel du matériau de l'analyse, puisque Lamizet n'a recours ni à un outillage théorique ou conceptuel (contrairement à Kerbrat-Orecchioni) ni à une démarche de citation de références scientifiques, ce qui est susceptible de donner à son analyse une portée, et un lectorat, plus large.

Lamizet a organisé son ouvrage en quatre chapitres, dont le premier porte sur la période avant la campagne et est lié à la « scansion » du temps politique (sondages, désignations des candidats, information). Des confrontations des candidats avec leurs discours, leur ancrage et leurs concurrents (par exemple dans le cadre des primaires, dans le cadre plus large de la droite libérale, de la gauche, de la société civile) figurent dans le chapitre 2, qui, pour appuyer l'analyse politique et communicationnelle, offre une lecture analytique de différents discours par prélèvement de citations, d’éléments lexicaux, de spécificités argumentatives. Les deux derniers chapitres sont comparatifs. Le troisième compare la campagne 2017 à la précédente (2012), projetant un regard politique sur les forces en présence, les revendications (une forme d'identité nationale en 2012), les sujets (rigueur et dette en 2012) et les thèmes (écologie, politique internationale), ce qui donne un point de comparaison intéressant après la lecture du chapitre 2. Le quatrième et dernier chapitre, quant à lui, apporte des éléments de comparaison avec des campagnes contemporaines dans d'autres pays. L'organisation de l'ouvrage n'est pas dénuée d'intérêt car elle combine les analyses de discours et les extraits du chapitre 2 (qui constitue l'essentiel de l'ouvrage) avec une contextualisation portant non seulement sur les évènements politiques, l'actualité, les thèmes présents, mais aussi sur leur impact dans la scénarisation de la campagne. Les discours peuvent ainsi être appréciés à la lumière de ces informations.

Catherine Kerbrat-Orecchioni et Bernard Lamizet ont tous deux marqué le champ, chacun de sa propre façon. Leurs ouvrages respectifs permettent d'appréhender les élections présidentielles à la lumière d'une analyse distanciée. Si l'ouvrage de Kerbrat-Orecchioni ne s'intéresse pas directement aux élections de 2017, il prend néanmoins appui sur ce contexte électoral pour établir le bilan de travaux sur un genre très spécifique, qui s'accompagne d'une méthode et d'une théorisation qui intéresseront à la fois les linguistes investis dans la pragmatique, l’énonciation, la rhétorique, les interactions; mais aussi les spécialistes de communication politique, grâce à la finesse des analyses et la minutie de l'appareillage théorique développé. L'ouvrage de Bernard Lamizet pourrait être considéré comme complémentaire: s'intéressant au discours politique de manière plus large, il est également plus accessible aux non-linguistes, puisqu'il valorise un prisme plus politique et communicationnel. Le travail par exemplification et collecte de marqueurs analysés par la suite donne du corps aux résultats avancés par l'auteur. Les deux ouvrages fournissent des éléments de compréhension pour le discours politique, tout en livrant des clés théoriques et méthodiques aux étudiants comme aux chercheurs en analyse du discours politique.