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J’avoue, j’ai un compte en Suisse: Étude d’un marqueur parenthétique à la mode

Published online by Cambridge University Press:  19 February 2016

JULIETTE DELAHAIE*
Affiliation:
Université SHS Lille 3
*
Adresse pour correspondance: STL, CNRS – UMR 8163, Université SHS Lille 3, Bât. B4, Rue du Barreau – BP 60149, 59653 Villeneure d’Ascq Cedex, France e-mail: juliette.delahaie@univ.lille3.fr
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Résumé

J’avoue apparaît dans des usages peu traditionnels en français parlé contemporain, en incise : Moi j’avoue l’opéra ce n’est pas ma passion, ou bien, notamment dans le langage « jeune », pour exprimer un accord : Tu as vu il fait beau !/ J’avoue. S’agit-il d’un phénomène de mode passager ? Au contraire, on montrera que j’avoue s’inscrit dans des paradigmes linguistiques déjà largement documentés pour d’autres marqueurs comme je pense ou je crois. On étudiera ensuite la particularité de ce modalisateur : mettre en scène un ethos humble tout en conférant un nouveau poids aux paroles ainsi avouées.

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Copyright © Cambridge University Press 2016 

INTRODUCTION

J’avoue apparaît dans des usages peu traditionnels en français parlé contemporain, soit en incise:

  1. 1. c’est pareil la fête de la Musique ben j’avoue pour moi c’est un jour comme un autre donc (mm) ça veut dire que je j’vais pas euh (Corpus de Français Parlé Parisien)

soit pour appuyer un accord:

  1. 2.

    • - elle avait l’air très énervée cette dame dans le bus

    • - oui j’avoue (exemple authentique pris à la volée, locuteur de 10 ans)

  2. 3.

    • - t’as vu il fait beau. . .

    • - j’avoue (Facebook, j’avoue.com)

L’expression connaît un succès médiatique certain, et notamment depuis l’affaire Cahuzac: « j’avoue, j’ai un compte en Suisse » (02/04/2013); ces aveux ont été rapidement parodiés et détournés pour une publicité des Trois suisses quelques jours après sur la page Facebook de l’entreprise de vente en ligne: « J’AVOUE. . . moi aussi j’ai un compte aux 3 suisses (pas vous?) » (12/04/2013). Ce faisant, j’avoue n’a pas manqué de susciter l’intérêt des commentateurs en tous genres, remarqueurs « officiels » ou locuteurs curieux, qui expliquent et/ou stigmatisent des emplois considérés comme éloignés du sens premier du terme: j’avoue est en effet associé de manière quasi systématique au domaine religieux (on « avoue ses fautes, ses péchés ») ou féodal (avouer son seigneur, « reconnaître pour seigneur celui dont on tient son fief »). Pour explorer la question de la pérennité et de la pertinence d’une telle forme dans le français parlé contemporain, nous proposons un parcours qui vise à montrer comment j’avoue, à la fois marqueur parenthétique (Andersen, Reference Andersen2007) relativement « classique » et signe des temps, permet de construire une stratégie discursive particulièrement efficace. Nous commencerons par faire un état des lieux des emplois et représentations de j’avoue en français contemporain, en nous appuyant à la fois sur les commentaires épilinguistiques portant sur l’expression – et ils sont fort nombreux – et sur les usages répertoriés dans les corpus de français parlé contemporain (ESLO1 et ESLO2, CFPP, CLAPI). Ces deux sources mettent en évidence un j’avoue à deux vitesses: l’emploi de j’avoue en tant que marqueur parenthétique est à la fois beaucoup plus fréquent et beaucoup mieux accepté par une large communauté de locuteurs en France, alors que j’avoue d’assentiment appartient, dans une grande proportion, à un « parler jeune » (18–25 ans). Nous essaierons de montrer cependant que l’un et l’autre usage, loin de constituer un emploi « fautif » de la langue, relève de paradigmes linguistiques déjà largement documentés pour d’autres verbes dits « parenthétiques » ou à « rection faible » (Blanche-Benveniste et Willems, Reference Blanche-Benveniste and Willems2007) comme je pense, je crois, etc. Cela n’explique pas cependant pourquoi j’avoue, plutôt qu’un autre verbe parenthétique, connaît un tel succès aujourd’hui. Quelle est sa particularité, qu’est-ce qui fait son utilité en conversation ? C’est à cette question que nous tenterons de répondre dans une dernière et courte partie, en essayant encore une fois de montrer que j’avoue est à la fois nouveau et inscrit dans une tradition rhétorique relativement ancienne. Comme nous le montre l’actualité et comme l’écrivait déjà Girard en 1718, « on avoue seulement ce que l’on a eu envie de cacher » (1718: 18) . . . Si bien qu’avouer conférerait un poids supplémentaire aux mots prononcés.

1. J’AVOUE DANS SES EMPLOIS RÉCENTS: COMMENTAIRES ET RECENSEMENT QUANTITATIF

1.1. Remarqueurs officiels et jugement populaire: deux j’avoue différents

Pour étudier j’avoue, nous partirons des commentaires épilinguistiques que l’on trouve sur la toile et dans les journaux, en ligne ou papier. Utiliser ces données profanes en linguistique est quelque peu nouveau, du moins dans le champ des recherches françaises. Cependant Siouffi et al. (Reference Siouffi, Steuckardt and Wionet2012: 216) soulignent bien la pertinence de ces données lorsque l’on traite de phénomènes « émergents » en diachronie courte:

« parce que la langue commune est avant tout un objet d’usage, la prise en compte de la perception qu’en ont les locuteurs ordinaires pourra être vue comme un mode d’accès possible et légitime à cette caractérisation. Sans confondre le plan des usages avec celui des représentations, on pourra partir de l’idée que, parmi les usages potentiellement descriptibles comme émergents, une partie aura d’abord été identifiée par les locuteurs eux-mêmes. »

Or depuis quelques années, j’avoue a attiré l’attention d’un grand nombre de locuteurs avisés, curieux de l’évolution de ce terme. On peut dater l’engouement médiatique pour ce marqueur – et non son apparition – de l’année 2010, date à laquelle j’avoue est élu expression de l’année sur le site du journal Le Monde, qui la présente ainsi:

L’expression est utilisée pour signifier son assentiment aux propos de son interlocuteur. « Tu passes trop de temps sur Twitter! ». . . . « J’avouuuuuue. . . ».

(http://www.lemonde.fr/a-la-une/visuel/2010/01/02/elisez-votre-expression-de-l-annee_1281857_3208.html)

On peut considérer qu’il s’agit ici de ce que Siouffi et al. (Reference Siouffi, Steuckardt and Wionet2012: 217) appellent un événement méta: l’observateur averti met sur la place publique un fait de langue, même s’il se trompe sur son interprétation, et le présente ainsi comme faisant partie de l’actualité linguistique. Il existe par ailleurs abondance de commentaires épilinguistiques sur l’expression, qui disent à la fois l’engouement et la perplexité pour un j’avoue dont le sens est vu comme dévoyé, du moins pour une certaine catégorie de remarqueurs. On séparera à ce titre les remarqueurs « officiels » des locuteurs avertis, parce que d’une part le contenu des commentaires est quelque peu différent, et d’autre part leur statut n’est pas le même, comme le signalent bien Siouffi et al. (Reference Siouffi, Steuckardt and Wionet2012: 217) : « tous les signalements ne peuvent être placés sur le même plan: le commentaire isolé de quelque obscur blogueur n’a probablement pas, pour l’instant du moins, le même impact que l’article d’un chroniqueur de presse patenté. »

Ce qui prédomine chez cette dernière catégorie c’est, de même que pour c’est vrai que étudié par Siouffi, Steuckardt & Wionet (Reference Siouffi, Steuckardt and Wionet2011), une tendance à voir toute innovation langagière comme la manifestation d’une perte de précision de la langue, comme le signe d’un déclin irrémédiable par rapport à une norme « puriste », un sens originel perdu et dévalué. C’est la thèse que défend Didier Pourquery dans un long billet fort intéressant sur l’emploi de j’avoue (chronique « Juste un mot », Le Monde en ligne, 09/07/2012). Le journaliste met en valeur l’éloignement du sens de l’expression par rapport à son sens prétendu d’origine, relié au domaine de la féodalité:

Le premier sens, l’origine d’avouer, c’est le terme de droit féodal avoer qui signifie : reconnaître pour seigneur celui dont on tient un fief. Avec « j’avoue », on se place en légère infériorité assumée. Oui, oui, allez-y et qu’on en finisse. J’avoue, je suis crevé. J’avoue tout ce que vous voulez. Lâchez-moi un peu.

Cette valeur constitue en effet la première entrée du dictionnaire du Littré (1863): « dans le langage de la féodalité, faire vœu à un supérieur, le reconnaître pour seigneur ou protecteur. » Didier Pourquery veut signifier par là même que l’expression contemporaine, si elle peut se rattacher à ce sens originel, est cependant employée à tort et à travers:

C’est un soupir, une douce incise qui exige qu’on prête l’oreille pour la repérer. Une manière de baisser les armes pendant un micromoment dans nos combats quotidiens. Le temps d’expirer, et on a lâché « j’avoue ». Et on y revient. On en remet. Si l’on n’y prend garde, dans certaines conversations, ces deux syllabes glissées s’installent avec chacune de nos phrases, sur l’expiration ; comme jadis, aux temps des Pères du désert la prière posée sur le souffle. J’avoue. . . Plus on est fatigué (ah, ces fins d’année où tout est tendu vers les vacances. . .), plus on est d’accord pour rendre les armes. On est prêt à être d’accord sur tout, d’ailleurs, à reconnaître toutes nos fautes, même imaginaires, et la supériorité des arguments qu’on nous oppose, même s’ils sont bidon.

Le deuxième sens auquel Pourquery rattache j’avoue comporte une coloration fortement religieuse (« les Pères du désert »), et l’on ne peut s’empêcher de penser au proverbe bien connu, Faute avouée est à moitié pardonnée.

Cependant chez les locuteurs contemporains, on avoue tout et n’importe quoi, même lorsqu’il n’y a pas lieu d’avouer. On peut questionner cette thématique de l’avilissement sémantique que les remarqueurs critiquent souvent dans l’usage contemporain de j’avoueFootnote 1, en partant d’un commentaire de Mara Goyet (Formules enrichies: les mots et les choses d’aujourd’hui, 2010, Flammarion)

Avant, avouer, c’était grave. VACHEMENT. L’aveu, c’étaient ceux qui avaient « parlé », c’était Phèdre qui déclare son amour en cascade, c’était Montand, acteur, avec ses lunettes noires.

Maintenant, c’est un tic de langage. « J’avoue. » Pour dire oui, pour dire non, pour rien, pour tout.

Là encore, j’avoue est considéré comme employé à tort et à travers parce qu’il ne renvoie plus à l’aveu d’une culpabilité, ce qui représente en réalité un seul des sens possibles du verbe avouer. Le sens général d’avouer selon le TLFi est en effet « reconnaître quelque chose comme vrai », mais pas forcément quelque chose de « blâmable ». Cependant l’usage a consacré l’aveu à tout ce qui relève d’un jugement axiologiquement négatif: on avoue ses fautes, ses péchés, sa culpabilité, ses erreurs, plus difficilement ses réussites, ses bonnes actions ou son honnêteté, car ces faits-là, on les clame plutôt, on les dit à haute voix, haut et fort. C’est que l’aveu est lié au secret, la première sous-entrée du verbe dans le TLFi donnant la paraphrase suivante : « Révéler quelque chose d’inconnu, de secret, le faire connaître, l’expliquer », or il semble que le secret, dans le cas de l’aveu, soit quelque chose de plus ou moins condamnable. Le site j’avoue.com, sorte de confessionnal moderne créé en 1998, permet par exemple à tout anonyme de se délivrer de ses fautes, hontes, désirs inavouables. Cette acception semble donc la plus courante et explique pourquoi le j’avoue contemporain est tant stigmatisé.

L’expression qui nous intéresse est donc particulièrement commentée, notamment pour les distorsions imposées au sens commun du verbe; elle est enfin considérée, dans certains de ses usages, comme relevant du langage des « jeunes ». Selon Didier Pourquery encore, les « jeunes » l’ont employée d’abord comme marque d’assentiment:

Comme souvent, ce sont les jeunes qui ont relancé cette vieille expression, comme une curiosité vintage. Au départ pour dire leur assentiment : « T’as vu, j’ai assuré grave. . . – Ouais, j’avoue. . . » Puis l’incise a proliféré.

Il n’est pas sûr que la remarque soit juste du point de vue de l’ordre d’apparition de l’un et l’autre emploi, mais elle invite en tout cas à investiguer dans une direction différente, celle de j’avoue comme marqueur d’un groupe générationnel et social, un groupe certes aux contours passablement flous, les « jeunes ». . . Et en effet, c’est bien à propos de cet emploi-là, j’avoue en tant que marque d’assentiment chez les jeunes, que les commentaires épilinguistiques sont les plus foisonnants. On en citera quelques-uns, par exemple Leparisien.fr qui répertorie j’avoue comme une nouvelle mode:

J’avoue. L’expression frise le tic de langage, tant elle émaille les conversations. Ce n’est jamais qu’un superlatif de « oui », « c’est vrai », « je suis bien d’accord ». Pour monter d’un cran dans l’échelle de l’acquiescement, on peut ponctuer par « pire » à la place de « j’avoue ». (Le parisien.fr, « Les nouveaux mots des djeuns », 24/10/2011)

De nombreux sites de commentateurs soulignent cette association entre un j’avoue marque d’assentiment et la génération des « jeunes ». Nous renvoyons ainsi au Dico des mots (10/08/2008), dictionnaire collaboratif en ligne sur des mots « imaginaires » « créés pour répondre à un besoin particulier » (www.dico-des-mots.com) ou au site collaboratif Keskiladi (23 juillet 2008), dictionnaire français de mots actuels, familiers et de la rue (argot, verlan, insultes. . .) (www.keskiladi.com), mais aussi à des commentateurs plus officiels comme Stéphane Ribero qui a écrit le Dictionnaire des ados français (2014, éditions First, Paris), ouvrage présenté dans un billet du journal Libération sous le titre « j’avoue, j’ai grave le seum » (30 octobre 2014).

Ces différents commentaires, aussi disparates soient-ils, disent donc quelque chose sur le sens des emplois de j’avoue en français contemporain. Ils donnent également des indications fort précieuses quant au caractère « émergent » du marqueur. Nous avons vu que le j’avoue marque d’assentiment est généralement considéré comme relevant d’un langage « jeune », tandis que j’avoue en incise semble avoir moins attiré l’attention des commentateurs sur ce point. Il s’agirait donc d’un tic de langage propre aux « ados », et qui par là même pourrait passer de mode. Se pose ainsi la question du développement des usages de j’avoue: en diachronie courte, est-ce qu’on peut retracer une évolution de j’avoue marque d’assentiment vers j’avoue incise ou inversement? De quand datent les deux usages? Quel type de locuteurs emploie j’avoue? Les données de français parlé fournissent à ce sujet des informations intéressantes et qui permettent de nuancer, en partie, les commentaires présentés.

1.2. J’avoue dans les corpus de français parlé

L’expression étudiée pose des problèmes certains d’un point de vue méthodologique: les commentaires plus ou moins officiels font florès, cependant les données orales qui font état de l’usage étudié ne sont pas nombreuses. On remarqueura d’ailleurs que la plupart des études sur les marqueurs émergents ont été faites sur l’écrit (voir par exemple Siouffi et al. Reference Siouffi, Steuckardt and Wionet2012 à propos de c’est vrai que et juste). La question est de pouvoir déterminer à partir de quel nombre d’occurrences un phénomène est digne d’intérêt pour la recherche. L’abondance des commentaires épilinguistiques ne peut pallier la faiblesse des données orales, aussi essaierons-nous de présenter ce qui en ressort, sans en tirer de conclusions trop générales ou péremptoires. Nous rappellerons cependant à quel point il est laborieux et long de recueillir des données orales, et combien manquent en France les corpus de français parlé. . . Pour j’avoue à l’oral, il est bien difficile de proposer une analyse quantitative sur plusieurs années, telle que l’ont faite par exemple Siouffi et al. (Reference Siouffi, Steuckardt and Wionet2012) à propos de juste à partir de la base de données Europresse. Si les données de l’oral en français parlé contemporain ne permettent pas de telles investigations, elles donnent néanmoins des pistes intéressantes.

Les corpus de français parlé permettent d’abord de dater plus ou moins précisément l’apparition de l’expression. Le « buzz médiatique » autour de j’avoue a connu son pic avec l’affaire Cahuzac, dans un sens certes très proche de son emploi « normatif » – puisqu’il s’agissait bien là d’avouer une faute! – ce qui ne veut pas dire que l’expression soit si récente que cela. En réalité, j’avoue est employé depuis un certain temps déjà en tant qu’inciseFootnote 2, et en tout cas dès les années 1960. On en trouve cinq occurrences dans le corpus d’Orléans (enregistré entre 1968 et 1974), dit ESLO1 :

  1. 4. et ce qui m’ a frappée surtout j’ avoue = c’ est d’ apprendre = que = presque toutes les personnes que j’ ai interviewées travaillent de très très longues heures = je suppose que moi-même je travaille = beaucoup

Et parmi ces cinq occurrences, un j’avoue qui serait presque un assentiment:

  1. 5. I- et vous avez des livres genre euh Larousse médical ou. . .

    T- non j’ai pas

    I- ah oui ah bon

    T- parce qu’on m’a dit que c’était pas utile comme je me fais souvent de la bile = donc je me on je me trouverais toutes les maladies

    I- oui j’avoue ça c’est vrai il suffit d’y regarder pour trouver qu’on est malade

    T- oui = on m’a dit ça

    I- quand on est à la page cinquante on a la maladie de page cinquante

C’est cependant j’avoue non incident et suivi d’une complétive qui est le plus employé, avec 46 occurrences sur l’ensemble du corpus:

  1. 6. JSM- et que pensez-vous du franglais? des mots comme snack bar building parking

    4001- oh j’avoue que ça me gêne pas beaucoup enfin

    JSM- oui enfin vous

    4001- non euh ça me gêne pas beaucoup

Le corpus de français parlé accessible en ligne ESLO2, constitué à partir de 2008, permet de voir à quel point l’usage a changé. Le tableau ci-dessous répertorie les trois usages, dans les deux corpus:

En presque 50 ans, les emplois de j’avoue se sont diversifiés, j’avoue d’incise ayant de plus en plus de poids par rapport à l’emploi « classique » avec une complétive. Dans ESLO2, j’avoue marque d’assentiment commence à avoir une réalité tangible, mais uniquement parmi les locuteurs jeunes. En effet, les 7 occurrences de j’avoue marque d’assentiment sont le fait de locuteurs qui ont entre 15 et 25 ans, dans des énoncés de ce type:

  1. 6.

    • - tu te rends compte qu’il y a quand même 40% qui sont contre hein

    • - j’avoue

    • - c’est ouf hein?

Figure 1. Les différents emplois de j’avoue dans les corpus ESLO1 et ESLO2

Si j’avoue marque d’assentiment fait partie du « parler jeune », cela expliquerait pourquoi il n’apparaît pas dans le Corpus de Français parlé parisien des années 2000, qui comprend seulement 5 occurrences de j’avoue en incise et 14 occurrences de j’avoue que. Dans cette série d’entretiens, les locuteurs ont tous plus de 25 ans. Le fait que ESLO1 ne comporte pas d’enregistrements de locuteurs « jeunes » ne permet cependant pas de savoir si, à la fin des années 1960, j’avoue marque d’assentiment était employé ou non. Tout ce que l’on peut remarquer, c’est que dans les corpus de français parlé récents, j’avoue marque d’assentiment fait partie du « parler jeune ». La base de données Clapi corrobore ce constat, puisque parmi les sept occurrences de j’avoue sur l’ensemble des données accessibles en ligne, 6 j’avoue sont prononcés par des locuteurs âgés de 17 et 18 ans, en 2007, lors de sessions de jeux vidéos:

  1. 7. Luc- faute faute

    Rap- normal attends j’vais porter un joueur

    Luc- oh putain = allez allez allez allez allez on la récupère là maintenant

    Rap- qu’est-ce qu’il a fait lui

    Luc- je sais pas

    Rap- il nous a fait une belle merde = démarque-toi un peu = voilà

    Luc- hop c’est bon allez fais tourner là-bas

    Rap- yeah salaud

    Luc- ah belle ah belle

    Rap- ben j’avoue c’était c’était belle (rire) non mais =

    Luc- euh j’avoue c’était joli

Les données orales sur j’avoue sont donc restreintes, mais elles mettent bien en valeur un j’avoue à deux vitesses: l’emploi en tant qu’incise ne date pas d’aujourd’hui, même s’il se développe dans les années 2000 (ESLO2), tandis que j’avoue marque d’assentiment semble relativement récent et uniquement, du moins dans les corpus accessibles, chez les « jeunes ». Les données écrites renforcent cette constatation: ainsi l’on trouve j’avoue en incise dans les données de Frantext, la première occurrence datant de 1959:

  1. 8. Elle sait que sa mort est proche, elle m’a dit qu’elle sentait que ses forces baissent, qu’elle vieillit, et puis voilà: toute l’angoisse ramassée en elle se fixe là, sur cet éclat, ces trous dans le bois, tout est là, concentré en un seul point – c’est un paratonnerre, au fond. . . moi-même, j’avoue, au bout d’un moment je frottais, repeignais, rabotais avec acharnement, je luttais contre quelque chose de menaçant, pour rétablir une sorte d’harmonie. . . (N. Sarraute, 1959)

On mentionnera également une expression proche de j’avoue marque d’assentiment employée en Moyen français, j’avoue Dieu, signifiant « je jure par Dieu »:

  1. 9. Les paillars pouacres infames,

    Ilz donroient aux dyables leurs ames

    Premier qu’ilz ne fussent larrons.

    Ses rappors la ne sont pas bons,

    Car c’est toute pures mensonges,

    De la grandeur d’ung viel tonneau

    Ne boit point la moitié tant d’ eau

    Que feroient de vin ces yvrongnes.

    LE PREMIER.

    Tant plus on les regarde es trongnes

    Tant plus les treuve enluminez.

    LE SECOND.

    J’avoue Dieu, ilz ont sur le nez

    Ung aulne de rouge esquarlate.

    (Anonyme, Sottie des rapporteurs, 1480, Frantext)

Le passage d’une forme à l’écrit, comme j’avoue en incise, signale une acceptabilité croissante, or j’avoue marque d’affirmation n’y apparaît pas encore. On sent bien cependant dans le dernier exemple que j’avoue Dieu est bien proche de la marque d’assentiment contemporaine, comme le premier sens de advouer dans le dictionnaire de l’ancienne langue française de Godefroy (1881):

reconnaître qqn, qqch pour sien; approuver:

Je tiens et aveue detenir les choses qui s’ensuient. (1315, Fiefs des ctes de Blois, A. N. P 1478, f° 14 v°.)

La parenté n’est pas réellement étonnante, et l’on a vu d’autres tournures médiévales resurgir dans le parler des « jeunes », comme l’adverbe intensif trop pour très: « elle est trop belle ta robe! ».

1.3. Une réflexion sociolinguistique: j’avoue, mode et/ou émergence?

Le fait que j’avoue marque d’assentiment fasse partie d’un « parler jeune » – de 10 à 25 ans en tout cas si l’on se réfère aux données de ESL02 – peut certes être analysé comme un emploi fautif, le signe d’une déperdition de la langue française malmenée par ces locuteurs turbulents. Mais l’on peut aussi voir dans ces nouvelles réalisations le signe d’un changement en cours. Selon différentes recherches en sociologie et sociolinguistique portant sur le changement langagier, l’émergence d’un mot et son inscription éventuelle dans le code langagier commun passent par plusieurs étapes. Siouffi (Reference Siouffi, Bertrand and Schaffner2011) fait une revue fort documentée des approches sur le sujet, et donne ainsi un certain nombre de clés de lecture pour comprendre le phénomène qui nous intéresse. J’avoue pourrait s’expliquer dans le cadre du modèle de Milroy (Reference Milroy1992). Pour ce dernier (ibid.: 219–226), il faut faire une distinction entre speaker innovation et linguistic change: l’innovation est à relier à une initiative individuelle, datable, et à un univers de discours particulier. On ne parle de changement que lorsque cette innovation est adoptée par un nombre significatif de locuteurs, lorsque l’innovation devient alors un « fait social » (Shapiro, Reference Shapiro1991: 11–13). Ces innovators, dotés d’une capacité de créativité supérieure à la moyenne, jouent donc un rôle moteur dans le changement linguistique, or il se pourrait bien que j’avoue marque d’assentiment soit justement dans la phase de l’innovation prise en charge par des locuteurs dont la créativité linguistique ne cesse à la fois d’agacer et de fasciner, les « jeunes » (18–25 ans). Labov (Reference Labov2001: 537), qui décrit le phénomène du leadership dans le domaine de la mode comme un modèle possible pour la représentation du changement linguistique, montre bien que ce leadership de certains locuteurs, moteur du changement linguistique, diminue avec l’âge. Le fait que j’avoue en incise soit employé par un nombre élargi de locuteurs, dans des situations de communication variées et même à l’écrit, indique en revanche que cet emploi est passé dans une étape ultérieure du changement linguistique. Reste à savoir si l’ensemble de ces réalisations vont s’inscrire dans la durée. Il ne sera pas question ici de jouer le rôle du prophète, mais nous montrerons néanmoins que j’avoue, dans ses emplois les plus récents, s’inscrit en partie dans un paradigme de réalisations déjà largement documentées d’un point synchronique, les « marqueurs parenthétiques ».

2. J’AVOUE, VERBES FAIBLES ET MARQUEURS PARENTHÉTIQUES

Est-ce que, à un niveau sémantico-pragmatique, on peut expliquer le passage de j’avoue verbe plein à l’emploi actuel, que l’on illustrera de nouveau par les trois exemples suivants:

  1. 10.

    • - Chéri, tu m’as trompée!

    • - J’avoue/Je l’avoue

  2. 11. J’avoue, elle est relou ma mère.

  3. 12.

Dans les exemples (11) et (12), j’avoue a en partie un fonctionnement proche de celui des verbes parenthétiques du type je crois, je pense, je trouve. On rappellera la définition première du verbe parenthétique née d’une observation de Urmson (1952) et reprise par Blanche-Benveniste (Reference Blanche-Benveniste1989) pour définir les « verbes recteurs faibles ». Il s’agit de verbes qui peuvent être utilisés dans deux types de constructions: en tête de construction suivis d’une « que-phrase », ou en incise (médiane ou finale), après une séquence p:

  1. 13.

    1. a. Je pense qu’il fait beau demain.

    2. b. Il fait beau, je pense, demain.

    3. c. Il fait beau demain, je pense.

Dans tous les cas, la proposition p apporte l’information principale, et le verbe parenthétique a une fonction de modalisation ou d’atténuation (de la valeur de vérité de p), liée à un affaiblissement du sens plein ou « fort » du verbe. J’avoue répond partiellement à ces critères, et peut occuper toutes les places syntaxiques du parenthétique:

  1. 14.

    1. a. J’avoue que la ville de Lille est très belle.

    2. b. La ville de Lille est, j’avoue, très belle.

    3. c. La ville de Lille est très belle, j’avoue.

Cependant, j’avoue diffère des parenthétiques parce que contrairement à ces derniers, il peut être utilisé dans une incise antéposée, sans complétive introduite par que:

  1. 15.

    1. a. J’avoue, la ville de Lille est très belle.

    2. b. et j’avoue j’ai jamais emmené mes enfants aux fêtes de Jeanne d’Arc et je saurais pas vous expliquer pourquoi (ESLO 2_ENT_1049)

Willems et Blanche-Benveniste (Reference Blanche-Benveniste and Willems2007) rajoutent une construction possible pour les verbes parenthétiques, celle où ils servent à marquer un assentiment:

  1. 16.

    • - Pierre est parti?

    • - oui, je pense/je pense

Nous avons justement vu que j’avoue constituait une marque d’assentiment, mais pas pour tout type d’énoncé; en effet, l’expression peut difficilement remplacer je pense en (17), j’avoue servant en fait principalement à répondre à une assertion exprimant un opinion, comme dans cet exemple tirés de ESLO2:

  1. 17. CC423- et après ça elle a fait euh des études en céramique à Vierzon c’est c’est pas tout près mais (rire)

    DC528- j’avoue y a plus proche non?

    CC423- il paraît que Vierzon a une réputation d’être une ville de paumés

    (ESLO2_ENTJEUN_1235. Locuteurs de moins de 25 ans)

J’avoue répond donc seulement en partie à la définition « classique » des parenthétiques ou verbes faibles, notamment du point de vue syntaxique, mais cette définition « prototypique » doit moins servir de modèle que de point de départ réflexif, et elle a déjà fait l’objet de critiques très constructives (voir Gachet, Reference Gachet2009). L’expression se rapproche de plus de ce que Andersen (Reference Andersen2007) appelle les « marqueurs discursifs parenthétiques »; Andersen montre en effet que des verbes recteurs faibles comme je crois, je pense ou je trouve peuvent se trouver antéposés, insérés ou postposés à l’oral, et qu’ils jouent le rôle de véritables « marqueurs discursifs propositionnels » partageant les traits suivants avec les marqueurs discursifs mono-syllabiques (ibid.: 13–14): invariabilité morphologique, optionalité sur le plan syntaxique, position relativement libre par rapport à un énoncé dans lequel ils sont insérés, aucune contribution au contenu propositionnel de l’énoncé, aucune modification de la valeur de vérité de l’énoncé, sens subjectif ou intersubjectif.

Les critères qui permettent de définir la classe des verbes recteurs faibles ou verbes parenthétiques, et celle des marqueurs discursifs, sont surtout intéressants pour j’avoue dans la mesure où ils permettent de distinguer les deux emplois en tant qu’incise et en tant que marque d’assentiment. Ainsi, contrairement aux verbes recteurs faibles, dans j’avoue que p, ou j’avoue, p, la proposition est substituable par un pronom (voir Apothéloz, Reference Apotheloz2003: 243):

  1. 18.

    1. a. J’avoue que la ville de Lille est très belle, oui je l’avoue.

    2. b. J’avoue, la ville de Lille est très belle, oui je l’avoue.

Les pronoms de reprise avec j’avoue d’incise sont possibles et relativement fréquents dans un corpus de français écrit comme Frantext:

  1. 19. Walter, lui, avait une raison supplémentaire, il

    rêvait de s’acheter une voiture neuve et inégalable, d’où

    son passage à Paris et sa visite au Vésinet. Moi-même,

    je l’avoue, j’aurais bien aimé en avoir une pareille, au

    lieu de mes tacots américains d’occasion. (S. Doubrovsky, 2011)

Ce qui est beaucoup plus difficile à faire, c’est d’introduire un pronom qui reprenne la proposition antérieure avec j’avoue marque d’assentiment:

  1. 20.

    • - La ville de Lille est très belle hein

    • - oui j’avoue/?? oui je l’avoue

Du moins peut-on dire qu’il n’en existe aucune occurrence attestée dans les corpus. Cela est possible lorsque j’avoue est employé en tant que verbe au sens plein:

  1. 21.

    • - avoue que tu as trompé ta femme

    • - oui, je l’avoue

J’avoue marque d’assentiment partage en fait cette propriété avec les marqueurs discursifs issus d’un verbe, comme regarde/allons/allez, etc., ce qui est une indication forte de leur degré de figement. Enfin, on utilisera un dernier critère qui est l’acceptation ou non de modificateur. Les marqueurs discursifs, à la différence du verbe, n’admettent pas de modificateur. Ce dernier critère est repris de Sirdar-Iskandar (Reference Sirdar-Iskandar1983) qui fait ainsi la différence entre voyons dans son emploi verbal et son emploi interjectif (ibid.: 112) à l’aide du modificateur un peu. Cette caractéristique permet cette fois de faire la différence entre j’avoue verbe plein et l’incise:

  1. 22.

    1. a. - ?j’avoue franchement, le cassoulet de ta mère n’est pas le meilleur.

    2. b. - je l’avoue franchement, le cassoulet de ta mère n’est pas le meilleur.

    3. c. - le cassoulet de ta mère n’est pas le meilleur, je l’avoue franchement.

    4. d. - ?le cassoulet de ta mère n’est pas le meilleur, j’avoue franchement.

J’avoue d’incise peut être accompagné d’un modificateur, mais il semble, d’après une recherche sur Google, que ce soit obligatoirement avant l’expression:

  1. 23. franchement j’avoue c’est moche, ça fait du bruit et tout, mais au moins tu peux bouger (à propos de la voiture sans permis)

    (https://twitter.com/nassimabenaicha/status/259213262443388928)

Certes l’on pourra nous objecter qu’un tel usage est susceptible d’être « fautif », mais il s’agit là aussi d’une particularité des études en diachronie courte: les associations et emplois sont parfois difficilement prévisibles et peu intuitifs, et l’humble travail du linguiste revient parfois à collecter des usages sans a priori négatif. Dans le cas qui nous occupe, le changement de place de l’adverbe est intéressant dans la mesure où il permet de distinguer les deux emplois de j’avoue, du verbe au sens plein au verbe parenthétique.

Quant à j’avoue marque d’assentiment, l’expression semble refuser une quelconque modification, mais la nouveauté de la forme ne nous permet cependant pas de faire des tests linguistiques fiables. Tout au plus peut-on dire que l’on n’a jamais rencontré de modificateurs dans le corpus étudié, mais une association avec oui, toujours en première position:

  1. 24.

J’avoue verbe parenthétique et j’avoue marque d’assentiment ont donc subi un processus de figement par rapport à l’emploi plein du verbe. Nous ne poserons pas ici la question de leur pragmaticalisationFootnote 3, ce modèle explicatif ne permettant pas vraiment d’étudier ce qui nous intéresse ici, à savoir la question de leur sens et de leur pertinence par rapport à des catégories déjà existantes. Nous avons voulu montrer ici que l’un et l’autre usage de j’avoue se rattache de manière plus ou moins fidèle à la catégorie des verbes parenthétiques. Nous nous limiterons donc à présenter j’avoue comme un marqueur parenthétique qui peut avoir plusieurs emplois. Si l’on peut en tout cas identifier deux usages d’un point de vue syntaxique, qu’en est-il de leur sens? et quel rapport entretiennent nos j’avoue avec le sens du verbe plein?

3. J’AVOUE OU LA CONSTRUCTION D’UN ÉTHOS DISCURSIF PARTICULIER

Sur le plan syntaxique, j’avoue est caractérisé par des constructions particulières, mais que dire de sa valeur sémantique? Faut-il souscrire au sentiment général d’un appauvrissement du sens du mot, utilisé « à tort et à travers »? Faut-il y voir un phénomène de subduction sémantique propre justement au phénomène de pragmaticalisation (voir par exemple Dostie Reference Dostie2004)? Nous n’irons pas dans ce sens, et nous essaierons de mettre en valeur toutes les potentialités sémantiques d’une expression qui colle si bien à l’air du temps.

Les recherches sur les verbes recteurs faibles permettent déjà de donner quelques précieuses indications. Ces derniers sont en effet généralement vus comme des modalisateurs. On donnera une définition de la modalisation, empruntée à Haillet: « on s’accorde généralement à considérer comme modalisés les énoncés qui expriment telle ou telle attitude adoptée par le locuteur » (Reference Haillet2004: 3). Cette modalisation s’effectue essentiellement en ce qui concerne le degré de prise en charge de la proposition par le locuteur, et donc en ce qui concerne aussi le degré de croyance du locuteur par rapport à une proposition p. Les verbes parenthétiques ont généralement une valeur de « mitigation »: ils affaiblissent la valeur de vérité de la proposition sur laquelle ils portent, la proposition sans verbe faible étant souvent vue comme trop forte. Plus précisément, les verbes parenthétiques permettent de jouer avec différents degrés de prise en charge de la proposition p par le locuteur : il paraît marquerait ainsi une absence de prise en charge, tandis que je crois, je pense, je dirais ou je trouve indiqueraient que la proposition p est prise en charge par le locuteur seul. Ainsi selon Benveniste (1966/Reference Benveniste1958: 264), « en disant je crois (que. . .), je convertis en une énonciation subjective le fait asserté impersonnellement, à savoir le temps va changer, qui est la véritable proposition. » On pourrait également rapprocher ces constructions des expressions d’opinion forte (selon moi, à ce que je crois); pour Borillo (Reference Borillo2004: 39), « le recours à l’un de ces adverbes d’opinion forte peut traduire – et traduit assez souvent – le désir du locuteur de minimiser ou d’atténuer l’effet trop catégorique ou trop direct qu’il pourrait avoir par son discours. » En faisant appel à sa subjectivité, le locuteur précise que la pensée qu’il exprime n’est qu’une opinion personnelle, un jugement parmi d’autres.

La question est donc de savoir comment j’avoue modalise l’énoncé sur lequel il porte. Certes, nous avons vu que les usages étudiés le rapprochaient des verbes parenthétiques, mais la modalisation qu’il opère n’a pas de lien avec l’atténuation qui peut être considérée comme une sous-catégorie de la modalisation. Avec j’avoue, on est dans un discours explicitement subjectif dans lequel l’énonciateur s’avoue comme la source de l’assertion, mais de quel type d’assertion exactement? C’est peut-être ici que les choses se compliquent, et que les différentes strates sémantiques de j’avoue tendent à se superposer et s’entremêler, si bien qu’il semble difficile de faire une partition claire entre les emplois de j’avoue en tant que verbe parenthétique, et ses emplois comme marque d’assentiment. Dans le cas qui nous occupe, il n’y a pas de superposition entre syntaxe et sémantique, et l’on mettra simplement en valeur deux significations particulières de j’avoue.

On distinguera ainsi un premier j’avoue, que l’on appellera j’avoue 1, proche du sens plein du verbe, et qui correspond bien à un acte de confession, c’est le j’avoue verbe parenthétique de Jérôme Cahuzac: « j’avoue, j’ai un compte en Suisse ». Le locuteur aurait bien voulu le cacher, mais il se trouve contraint de révéler au grand jour un fait hautement condamnable.

Dans ce cadre, la prise en charge de p par le locuteur du tout est totale. On remarquera d’ailleurs que j’avoue ne peut pas dans ce cas être accompagné de « mitigateurs », mais au contraire d’adverbes qui disent l’aveu total:

  1. 25.

    1. a. ??Un peu /j’avoue /un peu, j’ai un compte en Suisse.

    2. b. Honnêtement j’avoue, j’ai un compte en Suisse.

    3. c. Franchement j’avoue, j’ai un compte en Suisse.

Ce premier j’avoue 1 n’est bien sûr pas à négliger d’un point de vue sociologique, il dit bien quelque chose de l’air du temps, de cette tentation de la transparence: transparence du pouvoir, des relations sociales et du discours politique, comme arme contre la corruption. Il s’agit là aussi d’une stratégie discursive redoutablement efficace, et qui n’est pas récente. On pourrait pour s’en convaincre, citer les premiers mots des Confessions (1889) de Rousseau:

« Dans l’entreprise que j’ai faite de me montrer entier au public, il faut que rien de moi ne lui reste obscur ou caché. »

Selon Starobinski (Reference Starobinski1971: 16), « le scandale du mensonge » est le fil directeur de toute la réflexion philosophique de Rousseau, mais il s’incrit également dans une thématique propre au siècle des Lumières, celui de la lutte contre les apparences trompeuses, les faux-semblants et les masques. Or la communication est justement le lieu de discordance le plus flagrant entre être et paraître, entre actes et paroles, et elle est l’un des enjeux de ce que l’on appelle de nos jours « l’idéologie de la transparence » (voir Alloa & Guindani, Reference Alloa and Guindani2011), la transparence érigée au rang de valeur, de projet social et philosophique. Sur le plan de l’analyse argumentative, Breton (Reference Breton1996: 131) affirme que la transparence est « le lieu du préférable », c’est-à-dire une valeur sur laquelle on peut s’appuyer pour convaincre: « le vocabulaire de la communication politique par exemple est aujourd’hui largement traversé par ce lieu de la transparnce, comme lieu du préférable. » Autrement dit, la bonne foi (financière, morale, politique) passe par les aveux, par cette mise à nu à laquelle semblent vouloir se plier au moins les locuteurs « publics » de France. On peut donc supposer que dire j’avoue 1 fait partie de la construction de l’ethos de soi, l’éthos étant « l’image que l’orateur construit de sa propre personne pour assurer sa crédibilité » (Amossy, Reference Amossy2014: 13), et en sciences du langage, on dira « l’image que le locuteur construit de sa propre personne dans le discours ». Or « le retravail de l’éthos peut être tentative de réorientation et de transformation – en particulier dans les cas où l’image est inadéquate, négative ou détériorée » (ibid.: 24). Le « j’avoue » de Cahuzac a été une entreprise de ce genre. On est en quelque sorte, avec j’avoue 1, dans une rhétorique de la transparence, or c’est bien cette notion qui parcourt un certain nombre de discours médiatiques. Dans ce cadre, le destinataire de j’avoue 1, l’interlocuteur fictif ou réel, la France entière ou l’individu particulier, a de plus un statut particulier: il fait office de juge, ou de prêtre. Le rapport instauré entre locuteur et allocutaire est donc hiérarchiquement inégalitaire, et avec j’avoue 1, on confère à son interlocuteur un statut hiérarchiquement supérieur. Ce sens se retrouve aussi lorsque j’avoue sert à la fois à marquer un assentiment et à exprimer un réel aveu:

  1. 26. Et c’est seulement quand ce grand échalas tellement brillant s’agita vers le départ, qu’il aperçut le livre qui dépassait de son sac. Une édition originale du Delirious New York.

  2. - Toujours dans votre période batave, je vois. . .

    L’autre se mit à balbutier comme un gamin pris les doigts dans la confiture :

  3. - Oui, j’avoue, je. . . Ce type me fascine. . . vraiment. . . et. . .

  4. - Et comme je vous comprends !

    (Anna Gavalda, La Consolante, 2008)

J’avoue verbe parenthétique ou marque d’assentiment peut aussi avoir une autre valeur, lorsque le verbe ne sert plus vraiment à révéler un fait ou une action blâmables. On l’appellera j’avoue 2. Les enchaînements dialogaux permettent de montrer certaines propriétés de j’avoue 2. Il s’agira néanmoins uniquement de suppositions fortes, l’intuition du linguiste ne suffisant pas ici à traiter la sémantique d’un emploi aussi récent. Il semble cependant que j’avoue renvoie obligatoirement à un discours antérieur auquel il s’oppose. Imaginons qu’un ami me demande mon avis sur un film (repris de Ducrot 1980), je pourrais difficilement employer j’avoue:

  1. 27.

    • - Comment tu as trouvé ce film?

    • - ?J’avoue qu’il est intéressant.

    • - ??J’avoue, il est intéressant.

    • - Je trouve qu’il est intéressant.

Si j’avoue est possible, c’est parce que mon interlocuteur m’en a déjà parlé avant, et dans ce cas, j’avoue est la reprise d’une assertion précédente de l’interlocuteur: « ce film est intéressant », avec lequel je n’étais pas vraiment auparavant d’accord. J’avoue 2 permet également d’introduire une évaluation paradoxale, c’est-à-dire, qui ne correspond pas aux supposées attentes de l’interlocuteur:

  1. 28.

    • - Comment tu as trouvé ce film?

    • - J’avoue, je me suis bien ennuyé.

En fait dans les deux cas, j’avoue 2 ne peut se comprendre qu’en référence à un énoncé virtuel, et auquel il s’oppose, comme si la réponse non marquée à « comment tu as trouvé ce film » avait été obligatoirement positive. Ce qui dès lors est conservé dans ce j’avoue 2, c’est l’idée de la révélation plus ou moins contrainte d’un fait, qu’il s’agisse de l’expression d’une soumission à l’opinion d’autrui (27), ou de l’expression d’une opinion paradoxale (dans le sens d’inattendu) (28), réflexion qui « coûte » et qui est une preuve, alors, de sincérité du locuteur. Ces exemples inventés permettent en fait de mettre en valeur le procédé à l’œuvre dans l’exemple (17) tiré de ESLO2: dans les deux cas, le locuteur de j’avoue se soumet à l’opinion d’autrui.

On comprend dès lors que j’avoue 2 comme marque d’assentiment n’est pas quelconque. J’avoue 2 ne semble pouvoir servir à marquer l’accord après une vraie question, mais plutôt après une assertion ou une demande de confirmation portant sur une évaluation:

  1. 29. PROF_Maryse- en fait c’est un peu trop facile pour vous ça

    ELEV_CM2- bah oui euh ouais j’avoue

    (ESLO2_ECOLE_1279. Locuteur de moins de 25 ans)

  2. 30. KR001- ça va Johanna? tu as beaucoup de cernes hein

    NW958- c’est vrai tu as raison

    ZD520- j’avoue tu es pas belle

    (ESLO2_REPAS_1261. Locuteurs de moins de 25 ans)

J’avoue 2 est donc un modalisateur axiologiquement marqué qui consiste à exprimer de manière forte, à la fois sa subjectivité mais aussi son adhésion à l’opinion d’autrui. Là encore, on retrouve une stratégie discursive intéressante dans la co-construction du discours à l’oral de manière consensuelle, et dans la conception de la politesse linguistique à la française: dire j’avoue 2 revient à donner à son interlocuteur la préséance, à lui attribuer la paternité d’une opinion (la sienne propre ou celle de la doxa) tout en marquant une adhésion personnelle forte.

CONCLUSION

J’avoue pourrait constituer une marque de subjectivité si forte qu’elle en deviendrait en quelque sorte dérangeante puisque justement ce que l’on avoue, dans l’usage courant, ce sont choses normalement blâmables. Cependant, Kerbrat-Orecchioni (Reference Kerbrat-Orecchioni1999: 170–171) souligne l’ambiguïté des termes subjectif/objectif: « l’on peut même estimer que le statut du sujet parlant étant par essence (assujetti qu’il est aux contraintes de son appareil perceptif, de sa localisation spatio-temporelle, de ses compétences linguistique, culturelle, idéologique, etc.) d’être subjectif, le discours « subjectif » est en quelque sorte plus « naturel » que le discours « objectif », qui ne peut être que le produit « artificiel » d’une transformation opérée à partir de données subjectives ». Autrement dit, assumer une subjectivité forte permettrait d’accéder à une pratique langagière plus saine et plus honnête. J’avoue semble un modalisateur adéquat pour une telle entreprise, d’autant plus qu’il s’inscrit dans un paradigme linguistique identifié, les verbes parenthétiques.

Footnotes

1 Voir par exemple aussi la critique de Judith Aquien, dans une présentation radiophonique en date du 5 avril 2013 sur la radio Le mouv’. Il s’agirait d’un mot « utilisé à tort et à travers pour marquer l’approbation la surprise ou l’absence totale d’inspiration pour répondre de manière construite à quelqu’un »

2 Nous donnons ici une définition générale de l’incise, empruntée à Beyssade (Reference Beyssade2012), elle-même inspirée notamment de De Cornulier (Reference Cornulier1978); les propositions incises – ou parfois appelées incidentes- sont des propositions insérées à l’intérieur d úne autre proposition, sans coordonnant ni subordonnant.

3 On définira la « pragmaticalisation » comme le processus de grammaticalisation qui voit des unités lexicales ou grammaticales migrer, au cours des siècles, vers la sphère pragmatique du discours, sans qu’il y ait obligatoirement changement de catégorie grammaticale.

References

RÉFÉRENCES

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Figure 0

Figure 1. Les différents emplois de j’avoue dans les corpus ESLO1 et ESLO2