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Giovanni Tallarico, La dimension interculturelle du dictionnaire bilingue (Lexica, Mots et Dictionnaires, 30.) Paris: Honoré Champion, 2016, 490 pp. 978 2 7453 2951 6 (broché), 978 2 7453 3468 8 (numérique)

Published online by Cambridge University Press:  23 May 2017

Annick Farina*
Affiliation:
Dipartimento di Lingue, Letterature e Studi Interculturali, Università degli Studi di Firenze, Via Santa Reparata, 93, 50129 Firenze, Italieannick.farina@unifi.it
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Abstract

Type
Book Review
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Copyright © Cambridge University Press 2017 

Pour rendre compte de cet ouvrage et de l'articulation de ses chapitres, nous donnerons la parole à son auteur et le citerons abondamment, espérant éviter ainsi qu'on puisse attribuer à la rédactrice de ce compte rendu l'impression de confusion qu'elle a ressentie à sa lecture. On pourrait certes nous accuser de confondre le style de la critique avec celui de la compilation, mais respecter un auteur c'est aussi rendre son style. C'est cette même raison qui nous a conduite à n'utiliser que de manière parcimonieuse la formule sic à l'intérieur des citations.

La première partie, ‘centrée sur une approche théorique à [sic] la problématique de la dimension (inter)culturelle dans les dictionnaires bilingues’ (16), se présente comme une somme mobilisant, sur une centaine de pages, plus d'un siècle de réflexion en linguistique générale, sémantique, pragmatique, lexicographie, lexicologie, terminologie et philosophie du langage, sans oublier la traductologie et l'ethnolinguistique. À un premier chapitre qui, comme la plupart des autres, emboîte des références et des citations d'une cinquantaine de linguistes, et dont le but est de ‘délimiter les notions de culture, d'interculturel et de dictionnaire’ (16), succède un deuxième, consacré à la relation langue/culture, lequel se concentre sur le relativisme pour conclure que ‘si le relativisme déterministe est à exclure, il est par contre possible de prendre en examen l'hypothèse de l'existence de traits culturels dans les langues’ (43). Dans son troisième chapitre, l'auteur propose un nouveau retour aux origines, celles ‘du dictionnaire bilingue, de son statut épistémologique et de ses rapports avec la linguistique’, se penchant en particulier ‘sur la description du sens dans les dictionnaires et sur les apories qui en dérivent notamment la mise en veilleuse de la dimension pragmatique’ (16). Le quatrième chapitre explore ‘les tropismes à l’œuvre dans la “boîte noire” où se produit le sens’ et entend ‘montrer transversalement comment les sens des mots se construisent, quel est leur traitement en lexicographie bilingue et, en définitive, ce qu'est un mot’ (57). Le chapitre suivant s'intéresse aux ‘écarts’ en partant de la notion d'anisomorphisme et des ‘implications sémantiques et pragmatiques de l’équivalence’. L'auteur se demande ensuite en quoi consiste la spécificité de la traduction dans les dictionnaires bilingues et quelle est la valeur des lacunes lexicales (chapitre 6), analysant les apports de la sémantique lexicale à la lexicographie bilingue et le ‘mythe de l'objectivité’ dans les chapitres 7 et 8. Il conclut que c'est ‘à travers [le] jeu d'identités partagées que la langue se construit comme véhicule, forme et miroir, pour passer d'un monde à l'autre, pour donner corps à nos pensées et pour se regarder dans ce que nous ne sommes pas’ (100). Arrive ensuite une analyse de la connotation dans les dictionnaires (chapitre 9), avant qu'un dixième et dernier chapitre résume ‘plusieurs approches aux [sic] traits de culture dans le lexique: les mots-clés, les mots à charge culturelle partagée, les scénarios culturels et l’épaisseur du langage’ (16).

À la vaste panoplie de théories linguistiques rassemblées dans la première partie manquent de manière évidente la linguistique de corpus et la phraséologie et leurs derniers développements, peut-être trop récents pour un ouvrage dont la gestation semble avoir été assez longue, comme le confirme le renvoi à un ‘numéro récent’ (112) de la revue ELA, paru en 2009. Leur prise en compte aurait permis d’éviter de considérer comme un ‘corpus linguistique’ l’échantillon d'entrées lexicographiques analysées dans la deuxième partie et reproduites en fin d'ouvrage, sur quelque 200 pages. Ce n'en est pas un. La pertinence linguistique de la sélection effectuée par Tallarico nous échappe. Tirées de dictionnaires bilingues français-italien et se rapportant toutes à des mots commençant par la lettre A, les entrées retenues se caractérisent par un ‘écart’ (‘sémantique’, ‘référentiel’, ‘morphologique’, ‘terminologique’ ou ‘dictionnairique’, typologie hétérogène s'il en est), et il y a écart ‘chaque fois qu'une entrée ou une acception est traduite par un nombre de signes supérieur à 1’ (127). Ce n'est pas ainsi qu'on étudie la ‘dimension interculturelle du dictionnaire bilingue’. Tout ce que l’échantillon retenu permet de mesurer, ce sont les limites de la lexicographie bilingue franco-italienne, appréhendées surtout grâce à la catégorie ad hoc des ‘écarts dictionnairiques’, qui indiquent non plus une différence entre ‘deux langues-cultures’, mais entre deux dictionnaires.

La remarque suivante de l'auteur illustre bien l'impossibilité pour son ‘corpus’ de revendiquer une valeur scientifique quelconque: ‘La constitution d'un corpus bilingue est évidemment possible pour les langues de spécialité [. . .]. En ce qui concerne la langue standard, la constitution d'un corpus bilingue est à notre avis infaisable. Voilà pourquoi nous avons l'impression que la rédaction du dictionnaire bilingue relève plus d'un artisanat que d'une science. [. . .] le croisement de deux langues, avec leur variation interne, une variation sujette elle-même à des conditions non spéculaires, et de deux cultures, avec des normes fluctuantes et parfois difficiles à saisir, fait en sorte que ce double (ou mieux quadruple) dynamisme fragilise toute prétention à la scientificité’ (98). L'aspect artisanal attribué à la matière analysée serait-il à la base de l'impossibilité de l’étudier autrement que de façon artisanale? Nous ne le croyons pas, et pensons au contraire que la ‘dimension interculturelle du dictionnaire bilingue’ méritait d’être étudiée en profondeur. Aussi avons-nous été déçue qu'elle n'ait fait l'objet que d'une analyse de surface, devenant simple prétexte à un exercice de style et d’érudition.

‘Rivarol, au XVIIIe siècle, affirmait “Ce qui n'est pas clair n'est pas français”. Des tentatives pareils [sic] qui définissent une identité a priori sont évidemment idéologiques et cachent la réalité de phénomènes tout à fait français, nous pensons notamment à la “langue de bois”’ (41). Contrairement à Giovanni Tallarico, et sans a priori idéologique, nous croyons pouvoir affirmer que si l'identité française réside dans la clarté, celle-ci n'est pas forcément partagée par tous ceux qui parlent français. Par contre, la ‘langue de bois’ est sûrement la chose du monde la mieux partagée: elle ne découle directement ni de notre usage de la langue ni, encore moins, de son ‘bon usage’ mais, le plus souvent, sert de masque, dans quelque langue que ce soit, à une analyse insuffisante.