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Fuchs Catherine , La comparaison et son expression en français. (Collection L’Essentiel français.) Paris: Ophrys, 2014, 208 pp. 978 2 7080 1409 1 (broché)

Published online by Cambridge University Press:  25 June 2015

Claude Rivière*
Affiliation:
Professeur émérite, Université Paris-Diderot Paris 7ncriv@hotmail.com
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Abstract

Type
Book Review
Copyright
Copyright © Cambridge University Press 2015 

Allant bien au-delà des formes de comparatif traditionnellement considérées, Catherine Fuchs présente un inventaire détaillé des divers moyens dont dispose le français pour exprimer la comparaison d’égalité et d’inégalité. Son ouvrage, sans précédent, prend place dans la collection L’Essentiel français de la maison Ophrys et comprend de nombreuses aides à la lecture, parmi lesquelles une présentation claire de la problématique (19), un encart terminologique des termes spécifiques au problème (22), des synthèses d’introduction et de conclusion des chapitres, un glossaire de termes linguistiques (201) et un index (205). Le livre comporte deux grandes parties portant respectivement sur la comparaison quantitative et la comparaison qualitative. Alors que la comparaison quantitative se fonde sur la syntaxe classique des constructions comparatives (plus, moins, aussi/autant . . . que), la comparaison qualitative fait appel à des évaluations contrastées (valoir mieux . . . que, plutôt . . . que), à des ressemblances ou des analogies (comme) et à la relation d’identité/altérité (même, autre).

Dans la première partie (comparaison quantitative), l’auteure souligne, parmi autres choses, que le caractère subjectif de l’échelle de gradation n’empêche pas sa quantification. Il ne faut donc pas se tromper sur la notion de comparaison quantitative. Cela est particulièrement net quand le paramètre est un adjectif: ‘La gradation explicite . . . est une quantification évaluative et indéterminée: la mesure exacte de la quantité reste non spécifiée. Dans très aimable, plus aimable, la propriété amabilité est quantifiée grâce à l’indication (subjective) qu’il s’agit d’une quantité grande (au regard d’une norme implicite)’ (40). Quand le paramètre est un verbe d’activité, la quantification semble plus évidente: Pierre travaille plus que son frère signifie ‘plus longtemps’ ou ‘plus souvent’ et peut s’opposer à la qualification Pierre travaille mieux que son frère. Côté syntaxe, Fuchs entre dans la controverse sur le rôle de que et de ce qu’il introduit: ‘le marqueur que articule syntaxiquement deux relations prédicatives’ (59). Ceci implique bien sûr un recours indispensable, et pratiquement constant, à l’ellipse: Pierre est plus grand que Paul (n’est grand).

Le détournement de la comparaison quantitative est étudié dans le détail (52–53). Ainsi, l’ajout d’adverbes peut renforcer ou atténuer l’égalité (‘Sur scène, il a toujours autant de succès qu’autrefois’ vs. ‘Le Brésil est presque aussi inégalitaire qu’en 2003, mais moins pauvre’; Google). Il en est de même pour l’inégalité (‘La France est à la veille d’un choc autrement plus brutal que les précédents’; Le Monde). Le renforcement peut aller jusqu’au paradoxe, comme dans cet exemple emprunté à Pierre-Simon marquis de Laplace (1813): ‘La terre est un globe dont le rayon n’est pas de sept millions de mètres; le soleil est incomparablement plus gros’.

L’utilisation de la comparaison pour atteindre un haut degré absolu fait elle aussi l’objet d’un traitement détaillé (80–86). Plutôt qu’une véritable comparaison entre deux entités, on est en présence d’une ‘prédication à valeur intensive à propos du sujet’ (80). L’auteure distingue plusieurs configurations: l’effet parangon (‘L’amour est plus doux que le miel’, Lamairesse), la pseudo-incomparabilité (mieux que quiconque, plus que jamais), le dépassement notionnel (un concours plus que difficile, un sourire plus blanc que blanc), la comparaison mutuelle (ils sont plus grands l’un que l’autre), la comparaison ‘de déviation’ par utilisation d’antonymes (‘La nuit fut aussi douce, aussi calme [. . .] que la journée avait été chaude et animée’, Barrès), et le renforcement par un adverbe associé à l’utilisation de termes antonymes (ce roman est encore plus long que cette nouvelle est brève). Dans les deux premiers cas (effet parangon et pseudo-incomparabilité), l’ordre de comparaison peut être inversé (effet parangon: ‘Le jour n’est pas plus pur que le fond de mon cœur’, Racine; pseudo-incomparabilité: rien n’égale ma douleur). Alors que le dépassement notionnel est très répandu dans le domaine de la publicité, tous les procédés mentionnés sont abondamment utilisés dans la langue courante.

Il est impossible de rendre justice à la très riche deuxième partie sur les comparaisons qualitatives. On y trouve une exploration détaillée de divers marqueurs: valoir mieux, aimer mieux, plutôt (comparaison valuative), comme, tel, ainsi que, de même que, aussi bien que (comparaison similative), et enfin même et autre (comparaison d’identité et d’altérité). Contentons-nous de relever une seule observation, particulièrement judicieuse: il existe, selon l’auteure, des cas où l’opposition identité/altérité se neutralise. Fuchs en donne un exemple à la fois troublant et réjouissant: ‘un consommateur [. . .] peut [. . .] dire indifféremment, en montrant son verre vide: Garçon, une autre! ou Garçon, la même!’ (192). L’identité qualitative (même sorte de bière) et l’altérité quantitative (un autre verre de bière) se rejoignent. L’anglais Same again! pratique les deux opérations dans un énoncé unique.

L’ouvrage de Catherine Fuchs profitera aussi bien aux linguistes qu’aux enseignants et étudiants de français langue étrangère. Sa structure et son style le rendent abordables pour un large public. L’auteure n’hésite pas à mentionner des formes habituellement jugées peu acceptables (par exemple plus universel/plus anglais que lui, tu meurs) et montre comment elles s’intègrent dans le système. Évitant tout excès de technicité ou de prise de position théorique trop fermée, ce livre est appelé à devenir un ouvrage de référence dans le domaine.