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Detey Sylvain, Racine Isabelle, Kawaguchi Yuji et Eychenne Julien (dir.), La prononciation du français dans le monde : du natif à l'apprenant. Paris: Clé International, 2017, 264 pp. 978 2 0903 8241 9

Published online by Cambridge University Press:  26 March 2018

Li Junkai
Affiliation:
Faculté des langues étrangères, Université Sun Yat-sen, 135, Xingangxi Road, 510275, Guangzhou, Chinelijunkai5@mail2.sysu.edu.cn
Yin Yi
Affiliation:
UMR7018-LPP, Université Sorbonne Nouvelle Paris 3, 19 rue des Bernardins, 75005 Paris, Franceyinyi8201@gmail.com
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Abstract

Type
Book Review
Copyright
Copyright © Cambridge University Press 2018 

Ayant plus de 247 millions de locuteurs et 49 millions d'apprenants dans le monde entier, le français joue un rôle essentiel dans la communication tant endolingue qu'exolingue. Sa prononciation constitue un aspect important à ne pas négliger pour l'intelligibilité, la compréhensibilité et la construction de l'identité à la fois individuelle et sociale. L'objectif du présent ouvrage, auquel ont collaboré des dizaines de chercheurs, est de sensibiliser le lecteur à la variété et à la variabilité des prononciations du français dans l'espace francophone ainsi qu’à l'influence de la langue source sur l'interlangue des apprenants du français langue étrangère.

L'ouvrage comporte trois parties, dont la première (chapitres A et B) se veut une introduction à la prononciation des français natifs et à la variation phonétique dans le monde francophone. Le chapitre A s'interroge notamment sur la notion de « norme » dans l'enseignement/apprentissage des langues et le terme français standard, auquel il est proposé de substituer l'appellation français de référence. Le chapitre B fait le point sur la variation phonético-prosodique au sein de la francophonie. Les voyelles nasales à appendice consonantique représentent ainsi le trait le plus caractéristique de la prononciation du français méridional. L'allongement de certaines voyelles est typique du français de Belgique, comme l'est l'accentuation des syllabes pénultièmes du français de Suisse. La diphtongaison des voyelles longues et l'affrication de /t/ et /d/ devant /i/, /y/, /j/ et /ɥ/ caractérisent la prononciation du français canadien. En français louisianais (États-Unis), les liquides /l/ et /ʀ/ tombent systématiquement après une obstruante et le mot lexical domine dans l'accent tonique. Les français de l'Afrique subsaharienne sont loin d’être homogènes ; les neutralisations vocaliques (par ex. entre /ø/ et /œ/), l'affaiblissement des consonnes en position finale et le transfert de tons des langues sources vers les variétés locales du français y sont toutefois relativement répandus. Les différentes façons de prononcer le /ʀ/ constituent la caractéristique la plus saillante du français de la Guadeloupe et de la Réunion, alors que l'assibilation est un trait marquant pour le français parlé en Martinique, comme au Québec. Les progrès technologiques récents ayant favorisé les études de la prononciation des français natifs sont mis en évidence en guise de conclusion : il faut mentionner tout particulièrement la phonologie de laboratoire, qui exploite les avantages d'un environnement contrôlé, et la linguistique de corpus, qui élucide les effets de fréquences et de distribution sur la variation phonétique. Le renouvellement des méthodes et des données recueillies reformule les questions de recherche et engendre de nouvelles orientations.

La deuxième partie (chapitre C) présente l'interlangue française des apprenants allophones de dix-neuf langues différentes et s'occupe de l'enseignement/apprentissage de la prononciation du français aux apprenants non natifs. Pour chacune des langues retenues, il y a une introduction au système phonético-phonologique de la langue source et un aperçu de la prononciation de la langue cible (le français langue étrangère). Les difficultés les plus évidentes pour les apprenants des langues romanes (italien, espagnol, portugais) incluent le nombre relativement pauvre de voyelles, le manque de voyelles nasales et de voyelles antérieures arrondies, l'opposition floue entre les fricatives sourdes /s/, /ʃ/ et sonores /z/, /ʒ/ et la difficulté d'accentuation et d'intonation dues aux langues à accent de mot. Pour les apprenants dont la langue première est germanique (anglais, danois, allemand, néerlandais, norvégien et suédois), c'est l'absence de voyelles antérieures arrondies et de voyelles nasales qui pose des problèmes. Les consonnes fricatives /ʃ/, /z/, /ʒ/ ne sont parfois pas bien réalisées. La diphtongaison et la prosodie causent également des inquiétudes. Les langues balto-slaves (russe, bosnien, croate, monténégrin et serbe) font l'objet des sections suivantes, où il est noté que les voyelles antérieures arrondies /y/, /ø/ et les voyelles nasales ne sont pas réalisées de la même façon que chez les Français natifs. La réalisation des /y/, /ʒ/, /ʃ/ et des syllabes fermées en fin de mot constituent la plus grande difficulté pour les apprenants dont la langue première est le grec moderne. Cependant, les difficultés ne sont pas les mêmes pour les Grecs et les Chypriotes. En arabe, le nombre de voyelles est plutôt restreint, comme dans d'autres langues sémitiques. Il s'ensuit que les apprenants arabophones éprouvent des difficultés à produire des voyelles antérieures arrondies, des voyelles moyennes antérieures et postérieures et des nasales. Le voisement des consonnes est une autre source de malaise. Les difficultés syllabiques et prosodiques varient en fonction des dialectes de l'arabe, et un transfert négatif causé par le système d’écriture de l'arabe peut provoquer des erreurs de production en français. Au carrefour de l'Europe et de l'Asie, les difficultés des apprenants turcophones concernent principalement la réalisation des voyelles nasales. Les apprenants asiatiques possèdent des spécificités distinctives. Pour les Coréens, les consonnes voisées sont excessivement difficiles, car elles font défaut dans leur langue première, et la diphtongaison des voyelles du français constatée chez les apprenants coréanophones est due à l'abondance de diphtongues en coréen. Les apprenants nippophones, quant à eux, distinguent mal les groupes consonantiques. Les apprenants malaisophones ne réussissent pas à produire les voyelles arrondies /y/, /ø/, /œ/ et les voyelles nasales sont absentes de leur système phonologique. Sous l'influence phonologique des langues austroasiatiques, dont le vietnamien, les Vietnamophones dénasalisent les voyelles nasales du français, et /g/, /ʒ/ et /ʃ/, absents de leur système phonologique, engendrent des difficultés d'articulation, tout comme les enchaînements et les liaisons. Finalement, les apprenants chinois nasalisent les voyelles orales et se débrouillent plutôt mal avec l'opposition entre consonnes sourdes et sonores. En outre, la consonne uvulaire /ʀ/ constitue pour eux une difficulté majeure.

Les chapitres D à F montrent en quoi l'enseignement/apprentissage de la prononciation du français langue étrangère peut bénéficier de certains progrès scientifiques récents. Le chapitre D fait le point sur les approches les plus importantes ayant contribué au développement de la didactique de la prononciation. Les courants organo-génétique et phonotechnique, la phonologie fonctionnelle, la méthode verbo-tonale etc. restent des instruments de travail efficaces pour les enseignants, qui peuvent également tirer profit des progrès des sciences de la parole, de la psychologie et des neurosciences. L'importance de la perception sonore et de la correction phonétique en classe est également soulignée. Le chapitre F est consacré à la présentation des méthodologies linguistiques permettant de travailler davantage sur la prononciation des apprenants. Il y a tout d'abord la phonétique expérimentale ; des techniques de recherche fondamentale sur la prononciation des apprenants et leur perception de la langue cible sont suggérées, les trois aspects abordés étant l'aspect articulatoire, l'aspect acoustique et l'aspect perceptif. Des indications précises sont ainsi fournies concernant le degré de l'acquisition de nouveaux phonèmes par l'apprenant. Par ailleurs, l'hypothèse de la « période sensible » pour l'acquisition d'un nouveau système phonologique est confirmée. Cependant, l’évolution des capacités cognitives et des facteurs linguistiques peut également interférer avec la recatégorisation phonémique tant segmentale que suprasegmentale de la langue cible. La prosodie étant l'aspect de la prononciation qui aboutit le plus à la perception d'un « accent étranger », il est admis que l'acquisition de celle-ci peut être entravée par des difficultés spécifiques qui touchent à la fluidité, à l'accentuation, au rythme et au sandhi ainsi qu’à l'intonation. De nombreuses hypothèses restent à valider au niveau des modèles de description prosodique, de la construction de l'interlangue, des relations entre la perception et la production prosodique et des aspects neurocognitifs de l'acquisition. Enfin, la prise en charge didactique de l'expressivité multimodale dans la communication en face-à-face et dans des contextes exolingues est conseillée, car les variations expressives sont affectives et transmises non seulement par la voix, mais aussi par des indices faciaux, gestuels, propositionnels et socioculturels.

Ce volume est le fruit de neuf ans de recherches dans vingt-six pays du monde. Il nous rappelle l'ampleur des variations de la prononciation des natifs, longuement négligée et marginalisée notamment en didactique du français langue étrangère. L'ouvrage est une référence tant linguistique que pédagogique qui doit permettre aux enseignants-chercheurs et aux apprenants du français de tenir compte de la diversité des prononciations dans l'espace francophone et de découvrir les traits de prononciation des langues premières influant sur l'acquisition phonético-phonologique de la langue cible.