Le linguiste russe Valéry Debov peut être considéré comme le chercheur ayant dépouillé avec le plus de ferveur les chansons de rap français afin d'y relever le lexique verlanisé. Après deux dépouillements précédemment publiés en Russie (Debov Reference Debov2008, Reference Debov2010), voici enfin, à deux ans d'intervalle de la dernière version russe, une version revue et augmentée, éditée entièrement en français et publiée chez la Maison du dictionnaire.
Dans son compte rendu des deux ouvrages russes précités, Hornsby (Reference Hornsby2012) avait signalé – et déploré – la brièveté des introductions de Debov (trois pages dans l'ouvrage de Reference Debov2008 et une seule dans celui de Reference Debov2010), ce qui ne permettait pas de dévoiler avec suffisamment de clarté les prémisses fondamentaux desdits travaux. Debov ayant apparemment pris conscience de cette lacune, la version française de 2012 présente quelques informations supplémentaires. On apprend ainsi que ‘plus de 600 unités lexicales verlanisées ont été recueillies suite au dépouillement systématique de textes composés par 175 interprètes ou groupes de rap français d'aujourd'hui’ (11). Parmi eux figurent des noms tels que Zaho ou Pierpoljak, sans doute à cause des ‘featurings’ sur les albums de ces rappeurs. Cependant, à d'autres égards, le lecteur reste toujours sur sa faim. Il n'y a aucune indication sur qui énonce les mots en verlan. Par ailleurs, on s'attendait à ce que les pages 241–243 contiennent également une liste des albums parcourus par l'auteur, ce qui n'est pas le cas.
La présente version est enrichie par une préface de cinq pages de Christophe Rubin (5–9). À la différence de Debov, Rubin fournit non seulement des références bibliographiques concrètes, comme cela est d'usage, mais surtout une réelle synthèse de l'approche versologique de Debov et des enjeux de l'ouvrage – qui, malgré ses nombreuses rééditions, n'a toujours pas de table des matières susceptible de guider le lecteur et de l'informer notamment de l'existence de deux annexes intéressantes, à savoir le classement structurel des rimes verlaniques (binaires, ternaires ou quaternaires; 245–259) et le répertoire des rimes les plus fréquentes dans le rap français (261–315). Remarquons cependant sur ce dernier point que la notion de fréquence n'est pas explicitée avec des chiffres, aspect pourtant crucial pour que le présent travail de dépouillement méticuleux puisse être considéré comme un véritable ouvrage de référence. Debov fait cependant preuve d'un engagement permanent dans ce domaine et d'un désir de perfectionnement de son approche, ce dont témoigne son dernier ouvrage (Debov Reference Debov2015), paru récemment chez L'Harmattan.
À la différence de Rubin et de Debov, nous ne sommes pas persuadée que, sans autres précisions, les éléments de ce lexique verlanisé puissent être étiquetés comme d'authentiques ‘néologismes lexicaux’. Rappelons à cet égard le manque de datations et de fréquences, signalé ci-dessus, auquel il convient d'ajouter l'absence d'enquêtes réellement ‘socio-lexicologiques’ aussi bien auprès des créateurs que des auditeurs à propos de leur sentiment de néologicité des lexèmes retenus. Il semble que ceux-ci puissent se placer sur l'axe de la diffusion entre l'hapax idiolectal d'un rappeur et l'argotisme bien répandu, tout au moins en Île-de-France, centre traditionnel de production et de diffusion du lexique verlanisé. Malgré ce petit désaccord terminologique, nous tenons à souligner que le Diko des rimes en verlan dans le rap français ouvre une brèche pour de nouvelles études en poétique, en lexicométrie et dans bien d'autres disciplines qui ‘se frottent’ à l'heure actuelle de plus en plus près à ce genre musical en constant essor.