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Convergence, divergence et filiation linguistique: retour à l’étude panlectale de la variation en français

Published online by Cambridge University Press:  12 April 2016

ZSUZSANNA FAGYAL*
Affiliation:
Université de l'Illinois à Urbana-Champaign
*
Adresse pour correspondance: Department of French and Italian, University of Illinois at Urbana-Champaign, 2090 FLB 707 S. Mathews Avenue, Urbana, IL 61801, USA e-mail: zsfagyal@illinois.edu
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Les français parlés en milieux minoritaires au Canada sont probablement les français vernaculaires les plus étudiés en sociolinguistique francophone. L’étude comparée des locutions adverbiales de restriction rien que/juste/seulement/seulement que/ne que de Mougeon, Hallion, Bigot, et Papen publiée dans ce volume s'inscrit dans une longue tradition de recherches systématiques sur les structures grammaticales variables en milieux minoritaires, telles que la morphologie de l'auxiliaire aller (Mougeon et al. 1988; 2010), l'usage des futurs analytique et synthétique (Poplack et Turpin 1999, Nadasdi et al. 2003), la neutralisation des formes masculines de tout (Lemieux et Sankoff 1983; Bigot et Papen 2015) et les formes irrégulières de l'imparfait (Hallion Bres 2006; Papen et Bigot 2010), pour ne citer que quelques-uns des aspects les plus étudiés. La présente contribution de Mougeon et ses collègues à l’étude de la restriction dans quatre variétés de français originaires de l'expansion du français vers l'Ouest de la province du Québec possède, néanmoins, une portée bien plus large que la plupart des études préalables.

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Copyright © Cambridge University Press 2016 

Les français parlés en milieux minoritaires au Canada sont probablement les français vernaculaires les plus étudiés en sociolinguistique francophone. L’étude comparée des locutions adverbiales de restriction rien que/juste/seulement/seulement que/ne que de Mougeon, Hallion, Bigot, et Papen publiée dans ce volume s'inscrit dans une longue tradition de recherches systématiques sur les structures grammaticales variables en milieux minoritaires, telles que la morphologie de l'auxiliaire aller (Mougeon et al. Reference Mougeon, Beniak, Valli, Ferrara, Brown, Walters and Baugh1988; Reference Mougeon, Hallion Bres, Papen, Bigot, Leblanc, Martineau and Frenette2010), l'usage des futurs analytique et synthétique (Poplack et Turpin Reference Poplack and Turpin1999, Nadasdi et al. Reference Nadasdi, Mougeon and Rehner2003), la neutralisation des formes masculines de tout (Lemieux et Sankoff Reference Lemieux and Sankoff1983; Bigot et Papen Reference Bigot and Papen2015) et les formes irrégulières de l'imparfait (Hallion Bres Reference Hallion Bres2006; Papen et Bigot Reference Papen, Bigot, Leblanc, Martineau and Frenette2010), pour ne citer que quelques-uns des aspects les plus étudiés. La présente contribution de Mougeon et ses collègues à l’étude de la restriction dans quatre variétés de français originaires de l'expansion du français vers l'Ouest de la province du Québec possède, néanmoins, une portée bien plus large que la plupart des études préalables.

Pour commencer, les auteurs proposent « un nouveau courant de recherche qui revisite » et qui dépasse, tout en même temps, l'approche universaliste de la variation esquissée pour la première fois par Chaudenson, Mougeon, et Beniak (1993) dans leur ouvrage intitulé Vers une approche panlectale de la variation du français. Bien que la comparaison inter-dialectale soit également l'un des objectifs de la présente étude, son champ d’étude est considérablement plus restreint: plutôt que de s'interroger sur des questions de convergence et de divergence dans le contexte de la francophonie internationale, Mougeon et ses collègues limitent leur comparaison à une seule famille de français minoritaire: le français laurentien parlé hors Québec. Tout comme leurs prédécesseurs, les auteurs cherchent à « tirer parti de la variabilité du français dans l'espace francophone pour inventorier les phénomènes de variation sur les différents points de la structure du français » (Mougeon et al., ce volume), mais leur problématique est posée dans des termes plus précis que chez Chaudenson et al. (1993): les recherches sur le « français zéro », structure abstraite possédant « des aires de variabilité » et « des zones d'invariance » (idem: 6–7), cèdent la place à l’étude des facteurs internes (linguistiques) et externes (sociaux) dans quatre variétés locales du français laurentien.

Les grandes tendances dans l'usage des adverbes de restriction expliquées dans l'article sont claires en dépit des différences d’échantillonnage des corpus (voir Comeau dans ce volume) et des incertitudes sur le degré de bilinguisme des locuteurs (voir Tremblay dans ce volume): les locutions seulement que et rien que, caractéristiques des français québécois vernaculaires, sont désormais obsolescentes presque partout, alors que l'usage de l'adverbe juste, dont la montée fulgurante dans les zones urbaines comme Montréal est déjà attestée vingt ans auparavant (Massicotte Reference Massicotte and Sankoff1986), est majoritaire dans la plupart des communautés étudiées. On reconnaît aussi la validité des arguments des auteurs, par exemple, quant au conditionnement social de l'usage de ne. . .que: c'est la variante préférée des locuteurs les plus « standardisants » à Saint-Boniface (Manitoba) où le corpus utilisé devait nécessairement inclure une population bien éduquée. L'interprétation globale de la diversité des usages proposée dans l'article suscite, en revanche, quelques commentaires lorsqu'on cherche à situer l’étude dans la tradition des recherches sur les français dits « marginaux » (terminologie de Chaudenson. . .) et les créoles (terminologie de Chaudenson et al. 1993:79).

Si l'on soutient l'idée, comme le font les auteurs, d'une « unité sociolinguistique des parlers laurentiens » (voir Mougeon et al., ce volume), on soutient alors également (et nécessairement) l'idée d'une forte convergence entre les parlers diasporiques examinés. En effet, les divergences dans les données sont bien expliquées dans l'article, mais l'interprétation principale des résultats semble privilégier la convergence. On observe à ce propos que la notion de convergence adoptée dans l'article diffère de la tradition de Chaudenson et al. (1993) dont se réclament les auteurs. Telle qu'elle est définie par Mougeon et Beniak (1986: 295) et citée par Chaudenson et al. (1993:80), la convergence entre deux parlers serait la « tendance à supprimer celle des deux formes déjà en variation dans la langue en contact qui ne possède pas d’équivalent dans l'autre langue ». Or, dans la présente étude le contact entre les langues parlées dans les communautés n'est pas considéré comme une source de motivation des variations observées. La notion de la convergence est définie en termes de ressemblance et de standardisation dans deux questions orientant les recherches: « Les variétés diasporiques sont-elles semblables ou différentes les unes des autres? » et « Les variétés diasporiques sont-elles restées proches (ou se sont-elles éloignées) de la variété souche – le français québécois? » (voir Mougeon et al., ce volume).

Il ne s'agit pas, bien évidemment, de réclamer des définitions ou de privilégier certaines terminologies au détriment des autres. S'interroger sur la ressemblance entre les variétés laurentiennes géographiquement séparées et minorisées par l'anglais ainsi que sur leur filiation – continue ou discontinue – avec leurs variétés d'origine est une problématique de recherches non seulement légitime mais aussi fort bien défendue dans la présente étude. Il me semble, néanmoins, essentiel de revenir sur la question du contact – celle des influences inter-systémiques mutuelles – comme elle est définie par les travaux programmatiques de Chaudenson et ses collègues.

Le rôle de l'anglais semble essentiel à considérer en raison de la situation minoritaire des locuteurs dans les quatre communautés étudiées. Mais la situation sociologique et linguistique de la communauté de St. Laurent mérite aussi un commentaire. Les auteurs décrivent les particularités sociologiques linguistiques de cette communauté qui, comme ils le suggèrent, est « une des dernières, sinon la dernière, communauté francophone mitchive du Canada ». On apprend aussi que « cette communauté est menacée d'extinction faute de jeunes locuteurs capables d'assurer la transmission intergénérationnelle du français » et qu'en grande partie pour cette raison la communauté serait « en proie à l'assimilation ». Or, malgré cette hypothèse fort probable de l'assimilation, la variante observée dans la majorité des usages à St. Laurent n'est pas l'adverbe juste, la variante qui pourrait être « partagée » avec l'anglais. Au contraire, à la lumière du Tableau 5, St. Laurent se distingue des trois autres communautés par l'usage prédominant de la variante vernaculaire rien que qui, en moyenne, est plus de quatre fois plus fréquente à St. Laurent que l'adverbe juste, la variante qui est prédominante partout ailleurs. L'héritage sociolinguistique mitchif, si distinctif, aurait-il renforcé l’étiolement linguistique en cours tout en favorisant les traits vernaculaires plutôt que l'influence de l'anglais?

Les arguments de Chaudenson (1974) et de Chaudenson et al. (1993) en faveur de l’étude des facteurs inter-systémiques viennent alors à l'esprit. La survivance – et même prédominance – caractéristique des formes vernaculaires régionales du français est un phénomène connu dans beaucoup de créoles et de parlers diasporiques du monde francophone. S'il est « impératif de documenter le français mitchif en voie d'extinction », comme le suggèrent Mougeon et ses collègues dans la présente étude, il serait peut-être utile de s'interroger sur l'influence de cet héritage sociolinguistique sur le vernaculaire.

S'il y avait un seul commentaire général à faire sur l'article thématique de ce volume qui représente une étape importante dans les recherches sur les variétés diasporiques du français au Canada, ce commentaire prendrait la forme d'un vœu: examiner ‘la face cachée’ des facteurs externes (sociaux et inter-systémiques) que l'on prend parfois pour acquise en sociolinguistique variationniste et que cet article nous incite à examiner de manière plus critique. Il n'y a aucun doute que ce retour sur l'approche panlectale de la variation inspirera, et à juste titre, d'autres études comparatives ambitieuses.

References

RÉFÉRENCES

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