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Claire Blanche-Benveniste (avec la collaboration de Philippe Martin pour l'étude de la prosodie). Le français. Usages de la langue parlée. Leuven, Paris: Peeters, 2010, 241 p. 978 90 429 2394 2 (Peeters Leuven), 978 2 7584 0115 5 (Peeters France)

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Claire Blanche-Benveniste (avec la collaboration de Philippe Martin pour l'étude de la prosodie). Le français. Usages de la langue parlée. Leuven, Paris: Peeters, 2010, 241 p. 978 90 429 2394 2 (Peeters Leuven), 978 2 7584 0115 5 (Peeters France)

Published online by Cambridge University Press:  06 October 2010

Françoise Gadet*
Affiliation:
Université de Paris Ouest Nanterre la Défense, Département de Sciences du Langage, 200 Avenue de la République, 92001 Nanterre Cedex, France e-mail: gadet@u-paris10.fr
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Abstract

Type
Book Review
Copyright
Copyright © Cambridge University Press 2010

Juste après sa disparition, fin avril 2010, Claire Blanche-Benveniste (désormais CBB) nous lègue un ouvrage sur le français parlé dans la collection « Les langues du monde » de la Société de Linguistique de Paris. « Parlé », car il ne fonctionne pas tout à fait comme le français écrit ni le français tout court, et même pas du tout pour certains faits.

CBB est largement reconnue pour son œuvre sur la description du français parlé, sur lequel elle a publié plusieurs ouvrages (dont un très utile manuel chez Ophrys, dont vient de paraître une troisième édition, malheureusement non réactualisée au-delà de la bibliographie), et de nombreux articles. Ici, il s'agit d'un véritable bilan d'une pensée, exposé dans des termes magistralement simples qui sont le signe sûr de la parfaite maîtrise d'une matière: agilité de circulation dans la langue parlée, familiarité de longue date avec ses corpus, maîtrise des exemples qui débordent et fascinent au contraire le néophyte.

Après une brève et assez superficielle première partie de « Description externe » (13 pages) sans doute imposée par l'éditeur, l'essentiel de l'ouvrage est constitué d'une grosse deuxième partie de « Description interne », à quoi sont adjointes deux petites parties finales, « Textes » (11 pages) et « Lexique » (12 pages), très suggestives malgré leur brièveté. La partie centrale de 180 pages, qui concerne ce à quoi CBB excelle, ne prétend pas à un plan original: trois chapitres « Phonétique et phonologie », « Morphologie » et « Syntaxe » – avec, comme attendu en relation avec « l'approche pronominale » (Blanche-Benveniste et al. 1984), un long développement « Syntaxe des constructions verbales », pp. 111–57. Un quatrième chapitre est moins prévisible, « Etude des énoncés », bienvenu et même espéré chez l'un des promoteurs de la macro-syntaxe (en parallèle et parfois en opposition avec Alain Berrendonner et le groupe de Fribourg). C'est là que sont traitées les modalités de relations entre les énoncés et la constitution des textes oraux (clivage, pseudo-clivage, dislocations droite et gauche dont l'apport à l'énoncé est tout à fait différent, parenthèses, symétries, corrélations, routines. . .).

CBB a été, depuis la fin des années 70, à l'initiative de grands recueils de corpus de français parlé avec le GARS (Groupe Aixois de Recherche en Syntaxe), ce qui n'est pas sans incidence sur la construction du livre. La plupart des exemples cités proviennent de Corpaix (1.500.000 mots, le plus gros corpus actuel de français parlé hexagonal), des collections de collaborateurs de longue date (José Deulofeu, Paul Cappeau, Mylène Blasco-Dulbecco. . .), ou encore d'énoncés saisis au vol en particulier à la radio, car CBB ne s'est jamais lassée d'être à l'écoute des faits oraux.

Le livre présente peu de références, avec seulement 87 titres en bibliographie: quelques références en notes, et peu de notes d'ailleurs. Inconvénient: occulter quelque peu 30 ans d'élaboration collective et le rôle joué par l'équipe qu'elle a animée, le GARS et la revue Recherche sur le Français Parlé – mais on comprend vite que ce n'est pas l'objet de cet ouvrage-là. Avantage, et il est de taille: la vedette est aux faits de langue et aux exemples qui émaillent l'ouvrage en nombre considérable, des plus brefs (de simples collocations) aux plus sophistiqués (exemples complexes ou textes longs). Ainsi, un décompte rapide me fait évaluer entre 600 et 700 les exemples du chapitre « Syntaxe », il est vrai le plus long (77 pages); et un grand nombre d'entre eux sont certainement aptes à aider à « infléchir l'image négative qu'a le grand public du français parlé » (p. 223).

Beaucoup des faits présentés ont donné lieu à des publications ciblées, même si ce mode de réflexion n'a pas atteint le grand public. Ce n'est donc pas au niveau des faits qu'il faut chercher les aspects les plus novateurs, mais dans la position de surplomb sur tout un champ de recherche. Un exemple parmi d'autres, l'ouverture du chapitre sur la syntaxe. Y sont synthétisés en 4 pages et 4 rubriques les préalables à prendre en compte pour entrer dans l'objet « français parlé », qui ne se donne pas en évidence (p. 81): 1) bribes, recherches lexicales, incises, 2) prosodie, 3) les schèmes syntaxiques restreints par le lexique (collocations et locutions figées), 4) variabilité des usages (au-delà des situations, registres et genres). Que l'objectif crucial soit la prise en considération des pratiques des locuteurs, c'est ce dont attestent à la fois le sous-titre (insistance sur usages), et de nombreuses remarques au fil du texte, comme l'importance de la mise au point des désignations par touches successives (entre autres, p. 139); ainsi que la partie « Textes », où il est montré comment les énoncés enchaînent avec ce qui précède. Une grande importance est ainsi accordée à la différence attesté/potentiel et aux fréquences, qui évidemment ne font sens qu'à partir de la masse d'un corpus, qui permet de dégager des tendances (par exemple, sur dont, p. 102, ou sur le nom question, p. 109). C'est aussi le cas de l'insistance sur les différences d'organisations selon les genres discursifs: conversations, récits, argumentations, explications, cours radiodiffusés, exposés publics ou didactiques. . ., qui aboutit dans la conclusion à un appel à continuer ou même intensifier la collecte de corpus oraux (p. 223). Bien souvent, CBB démonte avec une parfaite simplicité quelques idées reçues ou poncifs sur l'oral, comme la confusion avec le spontané ou le simple, l'idée que l'oral privilégierait les énoncés sans verbe (p. 187), ou la prétendue rareté des passés simples (p. 206). Derrière les exemples, ce sont donc les locuteurs et leurs pratiques (pour ne pas dire leurs stratégies, problématique probablement trop psychologisante pour la démarche de CBB) qui sont au centre du livre. Comme le montrent la récurrence de certains termes, comme formule (et formulaire), routine, principe iconique, effet d'attente, suspension, prégnance, recherche du mot juste, rupture, répétitions, continuité thématique ou matériau composite; et ceux qui débouchent sur la variation (terme absent), comme fluctuant.

Je n'ai qu'un petit regret (pour mes propres intérêts, mais il gênera sûrement moins d'autres lecteurs, comme les enseignants de français): l'absence d'exposé systématique de données non-standard et non centrales. Si l'exposé des successions de clitiques après l'impératif tire parti des usages dits populaires, si sont présentés des « usages non normatifs des auxiliaires » (p. 126), ou des exemples d'usages régionaux (p. 124), ou des réflexions sur les doublets lexicaux si typiques du français (p. 217), l'évocation des français parlés hors de France demeure marginale.

CBB revient régulièrement au fil du texte sur des remarques sur la prosodie, et un long passage est consacré à l'étude d'un enregistrement d'un professeur au Collège de France - 36, qui vient rappeler à quel point il peut y avoir décalage entre syntaxe et prosodie. Cette systématicité constitue d'ailleurs une tendance évolutive par rapport aux travaux antérieurs. CBB montre ainsi toute la richesse d'une perspective syntaxique à l'intersection entre - au moins - analyse de discours, énonciation, sémantique, pragmatique et sociolinguistique (ce dernier terme n'apparaissant jamais).

Un remarquable petit livre – qui n'est d'ailleurs pas si petit, c'est la facilité et le plaisir avec lesquels il se lit qui laissent cette impression lumineuse de brièveté. Claire Blanche-Benveniste manquera à tous les linguistes francisants.

References

RÉFÉRENCES

Blanche-Benveniste, C. (2010). (3e Ed.), Etude de la langue parlée en français, Paris, Ophrys [1996].Google Scholar
Blanche-Benveniste, C., Deulofeu, J., Stéfanini, J. et van den Eynde, K. (1984). Pronom et syntaxe. L'approche pronominale et son application au français, Paris, SELAF.Google Scholar