La proposition participiale, en particulier sous sa forme détachée, apparaît au cours du moyen français, vers le quatorzième siècle, connaît son apogée au seizième et continue à exister aujourd’hui, surtout dans la prose journalistique et littéraire. Elle figure le plus souvent en début de phrase, où elle joue le rôle d’embrayeur syntaxique, se rapprochant par là des chevilles initiales et des connecteurs. Sans obligation de co-référence avec un autre élément, elle permet entre autres de rendre de façon brève une relation temporelle, comme dans l’exemple ‘La nuit venue, il brille de mille couleurs. . .’ (9). L’origine de cette construction – à ne pas confondre avec la construction absolue (18–19) – doit être mise en relation avec le sort de l’ablatif absolu latin; en effet, la proposition participiale commence à se manifester à une époque où se multiplient les traductions de textes latins, et souvent en tant que traduction d’un ablatif absolu, ce qui suggère un lien avec la vogue latinisante qui caractérise notamment la langue de la chancellerie et des chartes en vernaculaire.
L’objectif d’Anders Bengtsson est d’étudier les équivalents de l’ablatif absolu du latin dans une série de traductions datant du quatorzième au seizième siècle (chapitres 2 à 6), ainsi que les propositions participiales qui apparaissent dans des textes composés directement en français au cours de la même période (chapitre 7). Les traductions étudiées incluent celles de l’Epitoma rei militaris de Végèce (chapitre 2), texte traduit par Jean de Meun en 1284, par Jean de Vignay au premier quart du quatorzième siècle et par un traducteur anonyme autour de 1380; s’y ajoutent deux autres traductions de Jean de Vignay (chapitres 3 et 4), à savoir le Miroir historial (milieu du treizième siècle) et les Merveilles de la terre d’outremer (premier tiers du quatorzième siècle), de même que le Miroir historial (1388) de Jean de Noyal (chapitre 5) et deux traductions de Jean Miélot (chapitre 6), à savoir le Miroir de l’humaine salvation et Vie et miracles de saint Josse (1448 ou 1449). Les textes composés directement en français (chapitre 7), appelés ‘narratifs’ par commodité, sont la Cité des dames de Christine de Pizan (1405), la Belle Maguelonne (1438), les Mémoires de Philippe de Commynes (1489–1491), et Gargantua de François Rabelais (1534). Un chapitre supplémentaire est consacré à la formule voiant tous ou oiant tous telle qu’elle apparaît dans les différents textes étudiés.
L’examen minutieux des correspondants de l’ablatif absolu latin et des propositions participiales aboutit à des résultats intéressants. Tout d’abord, on peut constater que les ablatifs absolus reçoivent comme équivalents des propositions participiales – faisant preuve de calque de la construction latine – mais aussi des propositions temporelles, principales, relatives, ou parfois des syntagmes prépositionnels et certaines formules figées du type ces choses dites, ainsi fait, (i)ce fait, etc. La fréquence de la stratégie de traduction adoptée varie d’une traduction à une autre, et permet ainsi de caractériser le travail du traducteur (préfère-t-il rester proche de sa source latine ou fait-il plutôt preuve d’expérience?), voire de mettre en doute l’attribution d’une traduction. C’est ainsi que Bengtsson s’interroge sur l’attribution de la Chose de chevalerie à Jean de Vignay: le nombre extrême de propositions participiales et de calques et les caractéristiques stylistiques de cette traduction diffèrent fort des autres traductions du même auteur étudiées ici. Bengtsson pose prudemment la même question pour Vie et miracles de saint Josse, traduction attribuée à Jean Miélot mais qui s’écarte fort du texte source (un problème qui peut être dû à l’identification de la source exacte).
Pour ce qui est des textes dits ‘narratifs’, le nombre de propositions participiales va augmentant dans le temps; Rabelais en fait un usage abondant. Une différence frappante par rapport aux traductions concerne l’apparition de ce que l’auteur appelle ‘l’incidence nominale’ dans les propositions participiales relevées, où le sujet exprimé dans la participiale est répété dans la principale.
L’étude d’Anders Bengtsson constitue la synthèse d’une série de recherches effectuées depuis 2007. L’auteur livre une analyse très fine et minutieuse de l’apparition de la proposition participiale en français, qu’il met en relation avec la latinisation (notamment dans la chancellerie) et le calque linguistique, mais aussi avec la nominalisation. Appuyée par des données empiriques, l’étude est convaincante et constitue un apport précieux aux connaissances du développement de la syntaxe française, qui permet en outre d’aider à caractériser le style d’un auteur ou d’un traducteur. Si on peut regretter parfois, à côté d’une série de maladresses langagières et de coquilles, un certain manque de rigueur dans la structure des chapitres, dû semble-t-il à un désir de ne rien omettre de pertinent et de discuter l’ensemble des cas relevés, cela ne doit pas empêcher le linguiste qui s’intéresse au développement de la syntaxe française de découvrir cette étude qui viendra compléter utilement toutes les collections de linguistique diachronique.