Plusieurs études aussi bien sur la confrérie des Mourides que sur son fondateur, Amadou Bamba, ont été publiées depuis le travail pionnier de Paul Marty, Études sur l'Islam au Sénégal (1917) qui proposent les premières esquisses biographiques des marabouts sénégalais. Internes, externes, administratives, ou académiques, écrites dans les langues coloniales ou en arabe et en Wolof (les sources orales et écrites mourides), recourant à la lettre arabe, elles ont tentés d'identifier et de décrire l'armature de la confrérie, son organisation économique et administrative, sa géographie sainte, et sa doctrine, qui assurent les conditions de son succès qui repose une extraordinaire flexibilité et une adaptabilité dans l'espace et le temps. Parmi les plus notables de cette abondante littérature historique, sociologique, anthropologique, et politique, on peut citer, dans le domaine universitaire, V. Monteil, D. Cruise O'Brien, J. Copans, et Fernand Dumont pour les travaux académiques et pour la production mouride, et la biographie de Cheikh Bachir MBacké et les deux volumes édités par Abdoul Ahad MBacké sur la vie et l'œuvre du fondateur du mouridisme.
Le travail de Cheikh Anta Babou est le travail historique et biographique le plus complet par son exploration soutenue, son exploitation systématiques, et sa lecture croisée et comparative des archives internes et externes. Il est aussi un remarquable engagement critique avec l'abondante littérature disponible. Babou prend en compte aussi bien les travaux des chercheurs que les discussions et controverses internes au débat confrérique sénégalais. En procédant de la sorte, il s'écarte dans la généalogie dominée par l'économie pour privilégier ‘les croyances religieuses et la spiritualité’, sans négliger de prêter une grande attention à l'économie politique du Sénégal colonial. Il nous offre ainsi une histoire intellectuelle rigoureuse du développement de la confrérie qui accompagne un portrait tout en finesse et du fondateur, de son enfance aux épreuves endurées, aux miracles et conflits familiaux. Emergent de ce travail richement documenté et intelligemment argumenté des portraits qui reflètent leurs multiples facettes de la confrérie mouride et de son fondateur. En lieu et place des analyses qui mettent l'accent sur le caractère centralisée, les formules prescriptives et l'autoritarisme, Babou insiste sur la ‘pédagogie Murid’ et l'accent sur la loyauté, la solidarité, et l'organisation, le pragmatisme au détriment des normes prescriptives, des ressources constamment mises a l'épreuve de nouvelles situations par les talibe. Contre les approches de Cruise O'Brien, qui affirme qu'‘Amadu Bamba's greatest contribution to the development of the new brotherhood was not in his organizational activity, or even in his teaching; but in his supernatural powers which the followers attributed to him, in Weber's term, his charismatic legitimacy’,Footnote 1 Babou oppose une légitimité construite sur l'enseignement, la piété, et la sainteté, non sur les miracles. Il reprend ainsi les qualifications de charismatique et de messiaque accolées à Amadu Bamba pour relire sa vie et son œuvre à la lumière de son ‘projet pédagogique’. Et c'est précisément autour de ce projet, de sa conception, de ses racines historiques et religieuses, de son déploiement autant idéologique, politique économique que géographique que le travail biographique de Babou est construit. Il suit à la trace son déroulement, ne négligeant aucun des aspects de la vie domestique d'Amadu Bamba, ses démêlés avec l'administration coloniale, la production de la bibliothèque, la constitution de son architecture administrative, et de ses lieux saints mourides.
Mieux, Babou réinscrit la biographie d'Amadu Bamba et de la confrérie Murid dans une histoire plus large, celle de l'Islam et du Sufisme pour dévoiler leurs contributions à l'économie générale de cette religion et à ses différentes manifestations spirituelles, pour remettre en cause et déplacer en même temps le débat désormais classique sur ‘ l'africanisation de l'islam’ et ‘ l'islamisation de l'Afrique’ et rejeter les thèses de ‘ l'islam noir’ qui continue de dominer les travaux sur l'Islam et les communautés musulmanes de l'Afrique au Sud du Sahara.
Fighting the Great Jihad est non seulement une contribution d'une très grande valeur à l'histoire du Sénégal, aux exercices historique et biographique. En plus, il offre des pistes qui aident à mieux comprendre la trajectoire passée, le présent, et le futur de la confrérie mouride.