L'historien Raffael Scheck a su utiliser ses compétences et les moyens octroyés lui permettant de consulter à la fois les archives américaines, allemandes et françaises. C'est un atout important permettant de compléter utilement des travaux antérieurs sur cette captivité singulière des originaires des colonies et d'Afrique du Nord. Toutefois le titre surprend car les Nord-Africains ne sont pas considérés comme des prisonniers de guerre coloniaux. Grâce aux archives conservées en Allemagne, Raffael Scheck peut retracer plus en détail le début de la captivité et le transfert vers les Frontstalags en France. De même le développement sur la propagande allemande et le comportement des Allemands à leur égard est particulièrement riche. Le chapitre consacré à l’état de santé des prisonniers fourmille de références archivistiques mais l'absence de consultation de la série RH 12-23 (Bundesarchiv-Militärarchiv) concernant les recherches menées sur la tuberculose par les médecins allemands fausse l'analyse sur les expérimentations potentielles.
Si assurément Raffael Schek sait trouver des archives, le problème majeur de cet ouvrage réside sur des préjugés qui sont confortés par une compréhension partiale des documents d'archive. Ce n'est pas tant la démonstration d'une attitude en quelque sorte bienveillante des Allemands à l’égard des prisonniers ‘indigènes’ qui pose problème mais cette propension à présenter ces hommes en captivité sur le sol français comme n'ayant pas compris tout le bien que le régime de Vichy leur voulait. Ainsi dans sa conclusion sur la diplomatie franco-germanique qu'il qualifie de bénéfique, il prend comme illustration la libération de 1,200 prisonniers malgaches. C'est par une simple déduction sur la diminution du nombre de Malgaches en captivité entre 1941 et 1942 que Raffael Scheck soutient qu'ils ont été libérés grâce aux efforts diplomatiques. Il omet de donner le chiffre des Malgaches encore en captivité en 1943 et 1944 qui était en fait bien plus important. Les prisonniers de guerre africains ont connu également une diminution de près de 50 per cent qui n'est pas consécutive à une libération mais à des évasions, une mortalité importante et des rapatriements sanitaires.
Autre exemple qui peut choquer les lecteurs avec le remplacement des sentinelles allemandes par des officiers des troupes coloniales dans certains camps de travail. Raffael Scheck essaie de normaliser un accord contraire au statut même du prisonnier de guerre et évite de l'analyser comme une application de la collaboration d'Etat. Il n'y a pas que les PG qui se sont sentis trahis par ce dispositif, l'ambassadeur aux prisonniers de guerre Georges Scapini et des officiers des troupes coloniales ont désavoué cette mesure qui a eu comme seul mérite de favoriser des évasions spectaculaires.
La partie consacrée au massacre de Thiaroye, événement emblématique d'une fin de captivité particulière du fait des relations privilégiées avec la population autochtone et d'une forme de travail forcé en métropole, est l'expression même d'une volonté de maintenir et transmettre une histoire officielle pourtant largement discréditée en 2014, date de publication de l'ouvrage.
Ces hommes rapatriés sur leur terre natale étaient effectivement en colère après avoir été gardés par leurs propres officiers et pour n'avoir pas perçu les rappels de solde. Raffael Scheck a indéniablement consulté beaucoup d'archives mais n'a pas questionné les sources et ne s'est pas intéressé au procès des prétendus ‘meneurs’. Ainsi il prend pour vrai des rapports d'officiers écrits sur ordre pour camoufler un massacre prémédité et la spoliation des soldes de captivité. Il ne prend aucune précaution dans la présentation du fait en parlant de mutinerie, de rébellion. Il estime que ces hommes étaient en colère pour de mauvaises raisons, qu'ils n'avaient donc pas compris toute la bienveillance tant des Allemandes, que du gouvernement de Vichy puis de la France libre. Raffael Scheck s'obstine à refouler la machination qui s'est opérée pour condamner des innocents et camoufler l'horreur et l’étendue du massacre.
Il débute et achève son livre par une hagiographie de Senghor qui comporte au moins une erreur: ce n'est pas Léopold Sédar Senghor qui a initié la demande d'amnistie des condamnés de Thiaroye mais le député Sylvandre.
En histoire, il faut rester humble, ne pas cesser de questionner les archives ou l'absence d'archives et ne jamais oublier que des manquements à cette indispensable rigueur galvaudent la mémoire de ces hommes.