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Le monisme matériel de Franz Brentano

Published online by Cambridge University Press:  31 January 2020

GUILLAUME BUCCHIONI*
Affiliation:
Aix-Marseille Université
LAURENT IGLESIAS
Affiliation:
Aix-Marseille Université
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Abstract

Le but de cet article est de proposer un examen de l’ontologie matérielle de Franz Brentano. Nous soutenons ici la thèse selon laquelle Brentano défend un type original de monisme. Ce monisme peut être vu comme la conjonction de trois théories : le réisme (la thèse selon laquelle il n’existe que des choses individuelles concrètes), le monisme de priorité (la thèse selon laquelle il n’y a qu’une seule substance) et le super-substantialisme (la thèse selon laquelle cette substance est l’espace).

This article is a review of Franz Brenatno’s material ontology. We support the thesis that Brentano defends an original type of monism. This monism can be seen as the conjunction of three theories: reism (the thesis that there are only concrete individual things), priority monism (the thesis that there is only one substance), and supersubstantivalism (the thesis that this substance is space).

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Copyright © Canadian Philosophical Association 2020 

Introduction

Le but de cet article est de proposer un examen de l’ontologie matérielle de Franz Brentano. Par ontologie matérielle, nous entendons la théorie qui détermine le type, la nature et les relations qu’entretiennent entre elles les entités qui peuplent le monde matériel. Nous soutenons ici la thèse selon laquelle Brentano défend un type original de monisme. Ce monisme peut être vu comme la conjonction de trois théories : le réisme (la thèse selon laquelle il n’existe que des choses individuelles concrètes), le monisme de priorité (la thèse selon laquelle il n’y a qu’une seule substance) et le super-substantialisme (la thèse selon laquelle cette substance est l’espace).

L’ontologie du monde matériel de Franz Brentano est une partie de sa théorie métaphysique qui a été peu étudiée jusqu’à présentFootnote 1. Les études consacrées à Brentano se sont historiquement, et presque exclusivement, tournées vers sa psychologie descriptive et sa fameuse thèse de l’intentionnalité. Pourtant, la théorie ontologique du monde matériel développée par BrentanoFootnote 2 est intéressante au moins sous deux aspects (sans compter l’intérêt intrinsèque pour l’histoire de la philosophie). Tout d’abord, c’est une théorie originale qui n’a, à notre connaissance, nul équivalent, que ce soit avant ou après lui. En effet, Brentano développe une version originale du monisme, à savoir une théorie moniste qui «fusionne» le réisme et le super-substantialisme. En outre, cette théorie ontologique présente un véritable intérêt, car elle peut s’inscrire dans les débats contemporains en métaphysique, notamment ceux qui opposent les monistes aux pluralistesFootnote 3, les universalistes aux nihilistes de la compositionFootnote 4, ou encore les débats entre les super-substantialistes et les relationnalistesFootnote 5.

Avant de nous pencher plus précisément sur l’ontologie de Brentano, nous devons préciser un point important. Nous proposons ici un examen de son ontologie du monde matériel. Pour le dire autrement, les théories que nous allons examiner concernent exclusivement le monde physique et non le monde psychologique. Comme cela est bien connu, Brentano est un dualiste dans le sens où il considère qu’il existe deux types de substances : la substance matérielle et la substance mentale. Lorsque nous affirmons que Brentano est un moniste, nous n’affirmons pas qu’il affirme qu’il n’y a qu’un seul type de substance, ce qui est évidemment faux, mais qu’il n’y a qu’une seule substance matérielle. Le fait de défendre un monisme concernant le monde matériel est tout à fait compatible avec la défense d’un dualisme concernant les types de substancesFootnote 6. Notre analyse porte donc exclusivement sur le monde matériel et laisse de côté la théorie ontologique du monde psychologique de Brentano ainsi que le lien entre l’ontologie matérielle et l’ontologie psychologique.

Ceci étant précisé, nous pouvons passer à l’analyse proprement dite de l’ontologie matérielle de Brentano. Nous procéderons en quatre temps.

Nous proposons d’abord une analyse du réisme brentanien (section 1), puis nous examinons la conception brentanienne de la substance (section 2). Ensuite, nous montrons comment et pourquoi Brentano accepte les théories du monisme de priorité et du super-substantialisme (section 3). Enfin, nous examinons l’une des conséquences de cette ontologie, à savoir l’impossibilité du mouvement (section 4).

1. Le réisme

La première théorie constitutive de l’ontologie matérielle de Brentano est le réismeFootnote 7.

Le réisme est la doctrine selon laquelle il n’existe que des choses. Il existe plusieurs versions de cette doctrine, lesquelles se différencient par la définition de la notion de «chose». Il est à noter que Brentano n’utilise pas lui-même le terme de «réisme» pour qualifier sa théorie ontologique. En réalité, ce terme a été employé pour la première fois par Kotarbinski (1966 [1929]).

La théorie de Kotarbinski est la théorie réiste la plus développée. Son réisme est caractérisé par trois thèses :

  • Thèse 1 : Tout objet est une chose.

  • Thèse 2 : Aucun objet n’est un état de chose, une relation ou une propriété.

  • Thèse 3 : Une chose est un corps matériel, résistant et étendu (ibid.).

Kotarbinski définit donc une chose en opposition avec les notions d’état de chose, de relation et de propriété. Il ajoute aussi, et c’est le sens de la thèse 3, qu’une chose est un corps matériel. Le réisme de Kotarbinski est donc aussi un matérialismeFootnote 8. C’est essentiellement ce qui distingue sa théorie de celle de Brentano. En effet, Brentano accepte explicitement la thèse 1 et la thèse 2, mais rejette la thèse 3, car pour lui il existe des choses non-matérielles : les esprits.

Le réisme de Brentano peut être défini comme la thèse selon laquelle il n’y a que des choses individuelles concrètes. Pour désigner ces choses, Brentano utilise les termes d’entité réelle (ensreale) ou de concretum. C’est d’ailleurs à partir de ce dernier terme que Kotarbinski nommera son réisme : concrétisme. Tout ce qui n’est pas une chose individuelle concrète est considéré par Brentano comme un irrealia qu’il nomme aussi entité de raison (ensrationis) ou abstractum. Ces entités irréelles sont exclues de l’ontologie réiste.

Brentano ne propose pas de définition rigoureuse et précise des termes «chose», «entité réelle» et «concret». Cependant, à partir du Kategorienlehre, en 1933Footnote 9, nous pouvons faire plusieurs remarques. D’abord, il utilise ces termes de façon interchangeable, ce qui semble signifier qu’ils sont pour lui synonymes. De plus, pour Brentano, les êtres pensants (ou esprits) sont considérés comme des concrets, ce qui montre que Brentano utilise le terme «concret» de façon spécifique. Bien qu’il ne nous donne pas de définition précise de ces termes, les nombreux exemples proposés dans le texte nous permettent de comprendre à quoi ils font référence. Les choses, les entités réelles ou les concrets sont les corps physiques et les êtres pensants (ou esprits).

En effet, selon Brentano, parmi les choses, c’est-à-dire parmi les entités réelles, nous trouvons les esprits, les corps, les parties des corps, les pluralités de corps, les substances et les accidents.

Parmi les entités irréelles, nous trouvons les événements, les états de choses, les propositions, les ficta, les objets intentionnels et les relations.

Ces deux listes nous ont convaincu de choisir le terme de «chose individuelle concrète» pour désigner les entités réelles. Les entités réelles sont des choses (donc ne sont pas des événements, des états de choses ou des processus), elles sont individuelles (donc ne sont pas des objets généraux ou des universaux), et sont concrètes (donc ne sont pas des relations, des objets intentionnels ou des ficta). Il est intéressant de noter que pour Brentano, les esprits sont des entités réelles alors que les idées et les objets intentionnels ne le sont pas.

Pour comprendre plus précisément le réisme de Brentano, nous devons d’abord nous pencher sur l’argument qu’il a fourni en faveur de cette théorie ontologique.

1.1. L’argument réiste

Cet argument est un argument psychologique qui a pour but de montrer que l’expression «quelque chose» est univoque et dénote toujours une chose réelle, c’est-à-dire une chose individuelle concrète :

La preuve repose sur le fait que le concept de présentation est un concept unitaire, que le nom aussi est univoque, et pas équivoque. Dans ce concept est inclus que chaque présentation présente quelque chose, et de ce fait, que si ce «quelque chose» n’était pas univoque, alors le nom «présentation» ne le serait pas non plus. Si ceci est à présent certain, il est alors impossible que sous le «quelque chose» soit une fois compris un réel (chose), et une autre fois quelque chose de non-réel; car il n’y a pas de concept possible qui soit commun aux réels et aux non-réels. Cette preuve est à mon avis absolument décisive (Brentano, Reference Brentano1930, p. 105-106).

Nous pouvons reconstruire l’argument brentanien comme suit :

  • Prémisse 1 : l’expression «penser» est univoque;

  • Prémisse 2 : si l’expression «penser» est univoque, alors l’expression «quelque chose» est univoque;

  • Conclusion : l’expression «quelque chose» est univoque.

Dans la prémisse 1, Brentano affirme que l’expression «penser» est univoque. Il justifie cette affirmation par le fait que l’expression «penser» dénote toujours un acte mental défini dirigé vers quelque chose. En clair, «penser» signifie toujours penser à quelque chose.

Dans la prémisse 2, Brentano affirme que puisque l’expression «penser» est univoque, alors l’expression «quelque chose» l’est aussi. Cela signifie que l’expression «quelque chose» dénote toujours une chose réelle, une chose individuelle concrète, et ne dénote jamais une chose non-réelle. Ceci est justifié par le fait que si ce quelque chose pouvait être tantôt un réel et tantôt un non-réel, alors la notion de pensée ne serait pas une notion unitaire, mais une notion renvoyant à quelque chose de morcelé qui serait sémantiquement homonymique. En outre, il n’y a pas de concept commun aux réels et non-réels, ce qui écarte de fait la possibilité de l’alternative.

L’expression «quelque chose» est donc univoque et dénote une chose réelle.

Brentano propose, dans les Kategorienlehre, une seconde version de son argument, qui est toujours fondée sur l’univocité de l’expression «quelque chose» :

Aussi différents que puissent être les objets de nos pensées, ils doivent tous tomber sous le même concept général, en l’occurrence sous celui de quelque chose, c’est-à-dire d’un réel. S’il n’en allait pas ainsi, le nom de penseur (= celui qui pense à quelque chose) serait équivoque (Brentano, 1981 [1933], p. 18).

L’argument en faveur du réisme peut être résumé ainsi : lorsque nous pensons, nous pensons toujours à quelque chose et ce quelque chose est toujours une chose réelle. C’est donc à partir de la psychologie que Brentano amène et donne ce qu’il nomme une «preuve» de son réisme. Cette preuve psychologique est encore plus nette dans le passage suivant extrait de la Classification des phénomènes psychiques :

Tout ce qui a une relation psychique à quelque chose, se rapporte aux choses. […]

Jamais autre chose que des choses, qui correspondent généralement à l’idée commune de ce qui est réel, ne peut constituer l’objet de relations psychiques. Rien de ce qui suit ne peut, dans aucun cas et pareillement à un réel, être quelque chose à quoi nous pourrions avoir une relation psychique comme à un objet : ni le présent, le passé, l’avenir... ni la nécessité, la possibilité ou l’impossibilité... ni le bien ou le mal... ni le dit «être actuel» ou «la forme», dont parle Aristote et auxquels correspondent d’habitude dans le langage des abstractions, comme par exemple la rougeur, l’apparence, la nature de l’homme, etc. (Brentano, Reference Brentano and de Gandillac1944 [1874], p. 302-305).

Toute relation psychique a pour objet une chose, et par «chose» nous devons comprendre une chose individuelle concrète. Le point essentiel, bien qu’étant sûrement le plus contestable de cet argumentFootnote 10, est le fait que nos relations psychiques ne peuvent jamais avoir pour objet des entités telles que le temps, la possibilité, le bien, le juste, la forme, la rougeur, l’être actuel ou encore l’essence. Ce que veut dire Brentano ici est qu’il nous est impossible de penser à des choses non-réelles telles que l’avenir, le bien ou le possible. Nous ne pouvons penser qu’à des choses individuelles concrètes comme à un livre, une forêt, un être humain. Nous ne pensons jamais au bien, mais plutôt à une chose bonne. Nous ne pensons jamais à la rougeur, mais à une chose rouge. Nous ne pensons jamais à la forme, mais à une chose qui a une certaine forme. Nous ne pensons jamais au possible, mais à une chose possible. Brentano ne justifie nulle part cette affirmation et semble plutôt la considérer comme une évidence, comme un fait psychologique avéré.

En fait, parmi les dix catégories aristotéliciennes, seules les substances premières (c’est-à-dire les choses individuelles concrètes comme un homme particulier ou un chat particulier) peuvent être l’objet d’une relation psychique et donc être considérées comme des choses réelles. Les autres catégories, à savoir la qualité (comme «blanc»), la quantité (comme «mesurant-deux-mètres»), le lieu («dans l’université»), la relation («plus grand que»), le temps («maintenant»), la position («assis»), la possession («chaussé»), l’action («marche») et la passion («coupé»), ne sont jamais des objets d’une relation psychique et par conséquent ne sont pas des choses réelles.

L’argument de Brentano en faveur du réisme part donc d’un point de vue psychologique et consiste à dire que nous pensons toujours à quelque chose, à une chose réelle, et jamais à autre chose. Donc être, c’est être quelque chose, c’est être une chose individuelle concrète. Mais alors que sont ces entités irréelles? Brentano donne la réponse à cette question : les entités irréelles sont des constructions du langage.

1.2. Le réisme et le langage

Pour expliquer le lien entre les entités irréelles et le langage, Brentano distingue deux sens du terme être : être au sens strict et être au sens étendu. L’être au sens strict dénote uniquement les choses individuelles concrètes, que Brentano nomme aussi des concreta, alors que l’être au sens étendu dénote les entités irréelles, qu’il nomme aussi des abstracta.

Les abstracta sont en fait formés par le langage à partir des concreta :

Les ressources du langage nous permettent de former un abstractum pour chaque concretum. Pour le concretum ce qui est, il y a l’abstractum être; pour le corps, la corporéité; pour l’esprit, la spiritualité; pour l’amant, il y a l’amour; pour le connaissant, la connaissance; pour ce qui est formé, il y a la forme; et ainsi de suite. [...]

Si les abstracta étaient effectivement des parties des concreta, il n’y aurait aucune objection à les admettre parmi les choses qui sont au sens propre. Mais, en réalité, ils ne sont pas des parties. Une division du concretum en deux parties, dont l’une serait la forme correspondant à l’abstractum, est complètement impossible. Cette division est purement fictive […] (Brentano, 1981 [1933], p. 17).

Comme le souligne Brentano, il est possible de former des abstracta à partir des concreta. Pour reprendre ses exemples, nous pouvons, à partir du concretum. «ce qui est», former l’abstractum «être», à partir du concretum «l’esprit», former l’abstractum «la spiritualité», et à partir du concretum «ce qui est formé», former l’abstractum «la forme».

Pour le dire simplement, nous pouvons définir le concretum comme une chose individuelle concrète qui peut être pensée en elle-même, alors que l’abstractum est une entité abstraite qui ne peut être pensée en elle-même, mais qui a besoin d’un concretum pour être pensée. Ce qui fait que les abstracta ne sont pas des choses réelles, c’est qu’ils ne sont pas des parties des choses individuelles concrètes, mais plutôt des entités abstraites de ces choses. Prenons l’exemple d’une rose. Une rose est une chose individuelle concrète. Elle possède des parties qui sont aussi des choses (par exemple un pétale), et un bouquet de roses est aussi une chose car c’est une pluralité de roses. La rose, le pétale et le bouquet sont des concreta, car ils peuvent être pensés en eux-mêmes. Par contre, la rougeur de la rose n’est pas une partie de la rose, c’est un objet abstrait qui ne peut être pensé sans le concretum, la rose dont elle est la couleur. Lorsque nous disons qu’une chose individuelle concrète peut être pensée en elle-même, nous ne voulons pas dire qu’elle peut être pensée indépendamment de toute propriété. Ce que nous voulons dire est qu’elle peut être pensée indépendamment d’une propriété spécifique. Pour reprendre l’exemple de la rose rouge, nous pouvons penser à la rose indépendamment du rouge (si nous pensons à cette rose d’une autre couleur), mais nous ne pouvons pas penser à la rougeur de la rose indépendamment de la rose dans laquelle elle est instanciée. Nous reviendrons sur ce point dans la section 2 lorsque nous aborderons l’inséparabilité unilatérale de l’accident par rapport à la substance.

Les entités irréelles sont donc des constructions du langage. Brentano souligne qu’il est néanmoins possible d’éliminer ces irréels du langage à l’aide d’une méthode de paraphrase :

Quiconque aura examiné consciencieusement un cas quelconque, lorsqu’il sera tenté d’être de l’avis contraire, découvrira que seules les choses sont des objets de la pensée, et, ce qui est plus : pour chaque proposition qui, à première vue, a pour sujet ou pour prédicat quelque chose de la catégorie citée plus haut, il est possible de construire une proposition équivalente, où un réel occupera la place du sujet et du prédicat (Brentano, 1874 [1944], p. 305).

Selon Brentano il est possible de traduire les propositions faisant intervenir des abstracta en propositions ne faisant plus intervenir que des concreta. Cette paraphrase brentanienne est appelée par Chisholm «la théorie de la prédication concrète» (voir Chisholm, Reference Chisholm1982). Cette théorie consiste à remplacer tous les prédicats de notre langage qui font référence à des abstracta par des termes faisant référence à des choses individuelles concrètes. Par exemple, le prédicat «rouge» qui est un abstractum peut être remplacé par le terme «chose-rouge», qui est un concretum. De même, le prédicat «pense» peut être remplacé par le terme «chose-qui-pense» ou «penseur». Nous ne dirons donc plus «Les roses sont rouges» mais «Les roses sont des choses-rouges». De la même manière, nous ne dirons plus «Tous les hommes sont rationnels», mais «Tous les hommes sont des êtres-rationnels». Dire que «Les roses sont des choses-rouges», ce n’est pas attribuer la propriété «rouge» aux roses, mais plutôt mettre en relation deux choses : les roses et les choses-rouges. De fait, pour Brentano, un jugement affirmatif consiste à combiner des choses, alors qu’un jugement négatif consiste à séparer des choses.

La méthode de la paraphrase consiste donc à éliminer du langage les entités non acceptées par l’ontologie réiste.

1.3. Ce qui est

Terminons cette section par une description plus précise de ce qui est et de ce qui n’est pas suivant Bretano.

Considérons d’abord ce qui est dans le sens strict. Nous aurons toutes les choses individuelles, toutes les multiplicités de choses, toutes les parties d’une chose. Toute multiplicité de chose est une chose et toute partie d’une chose individuelle est une chose. Si nous concevons quelque chose en termes individuels, alors nous concevons une chose. Et si nous concevons quelque chose en terme général, alors nous concevons aussi une chose. Parmi les choses au sens strict, il y a alors toute substance, toute multiplicité de substances, toute partie d’une substance, et aussi tout accident (Brentano, 1981 [1933], p. 19).

L’ontologie de Brentano contient donc uniquement des choses concrètes individuelles. Parmi ces choses se trouvent des êtres pensants, des corps physiques, des parties de corps physiques, des multiplicités de corps physiques, des substances, des parties de substances, des multiplicités de substances et des accidents.

Brentano élimine ainsi toutes les autres entités, à savoir tout ce qui n’est pas une chose individuelle concrète. Il est possible de définir toutes ces entités négativement. Les irréels sont les entités i) qui ne sont pas des choses, ii) qui ne sont pas concrètes, et iii) qui ne sont pas individuelles.

  1. i) Parmi les entités qui ne sont pas des choses, nous trouvons les processus, les événements et les états de choses.

  2. ii) Parmi les entités non-individuelles, nous trouvons les propriétés universelles et les objets généraux (les objets géométriques comme le triangle, le cercle, le carré, etc.).

  3. iii) Parmi les entités qui ne sont pas concrètes, nous trouvons les ensembles ou les classes, les nombres, les pensées, les propriétés, les relations, etc.

Un problème semble cependant se poser : que sont les accidents? En effet, Brentano accepte dans son ontologie à la fois les substances et les accidents. Ces deux entités sont donc des choses individuelles concrètes. Cependant, les accidents sont généralement considérés comme des entités abstraites. Comment devons-nous alors considérer le lien entre une substance et son accident? La réponse à cette question nous est donnée par la conception brentanienne de la substance.

2. La théorie brentanienne de la substance

Donnons pour commencer une définition générale de la substance, puis nous examinerons la version aristotélicienne du lien entre substance et accident, pour finir avec la conception brentanienne de ce lien. Notre interprétation des conceptions aristotélicienne et brentanienne de la substance est inspirée de l’analyse proposée par Barry Smith dans son article intitulé «The Substance of Brentano’s Ontology» (Smith, Reference Smith1987).

2.1. Définition générale de la substance

Aristote et Brentano acceptent tous deux une vision de la substance qui peut être définie par trois caractéristiques; x est une substance :

  1. i) x est un porteur d’accident;

  2. ii) x est un individuateur d’accident;

  3. iii) x est ontologiquement indépendant.

i) La substance joue d’abord le rôle de porteur d’accident. L’accident est défini par Aristote comme «ce qui est dit d’un sujet». On dira, par exemple, que Socrate est assis, armé, chaussé ou encore au Lycée. Dans chaque cas, l’accident est attribué (prédiqué) à Socrate, autrement dit la substance en tant que sujet de la prédication.

ii) La substance est ensuite un individuateur d’accidents. La substance permet d’individualiser deux accidents qualitativement identiques. Prenons l’exemple de deux roses d’un même rouge. Ce qui permet de distinguer le rouge de cette rose-ci du rouge de celle-là est le fait que chaque couleur est la couleur d’une substance différente. Ainsi la couleur universelle rouge, c’est-à-dire la qualité seconde d’Aristote, est-elle particularisée ou individuée par une substance première, la rose particulière dans notre cas.

iii) Enfin, la substance est ontologiquement indépendanteFootnote 11. Dire qu’une chose est ontologiquement indépendante, c’est dire qu’elle n’a besoin de rien pour exister. Si l’accident ne peut exister indépendamment de sa substance — le rouge de la rose ne peut exister sans la rose, l’être assis de Socrate ne peut exister sans Socrate, etc. —, la substance peut exister sans quelque chose d’autre : Socrate peut exister sans être assis. La substance est donc la seule entité ontologiquement indépendante et les neuf autres types d’entités dépendent d’elle.

Pour comprendre la conception brentanienne de la substance, nous devons nous arrêter sur ce qu’Aristote dit de la relation entre substance et accident.

2.2. La conception aristotélicienne de la substance (CAS)

La CAS peut être vue comme la conjonction de trois thèses :

  • TA1 : la substance et l’accident sont des êtres de sortes différentes.

  • TA2 : la relation entre la substance et l’accident est une relation d’inhérence.

  • TA3 : l’accident est unilatéralement inséparable de la substance.

TA1. Pour Aristote, une substance et un accident ne sont pas des entités de même sorte. Aristote conçoit en effet les substances comme des «êtres dans le sens premier (ou proéminent)» et affirme que les accidents existent «seulement dans un sens analogue (analogique)»Footnote 12. Les accidents ont en quelque sorte une existence dérivée par rapport à la substance dont ils sont les accidents. Aristote fait donc une distinction dans l’être entre la substance qui est une chose au sens premier du terme et l’accident qui est une entité inférieure ou dérivée et qui existe «dans» et «par» la substance. Le caractère dérivé ou inférieur de l’accident aristotélicien doit bien s’entendre au sens d’une existence affaiblie, d’un moindre degré d’être.

TA2. Ces deux sortes d’entités sont liées par une relation d’inhérence. Nous dirons alors que les accidents sont dans la substance. Cependant, cette relation d’inhérence, «être dans», n’est pas une relation tout/partie, mais une relation d’inséparabilité unilatérale. En effet, Aristote affirme que l’accident est «ce qui, ne se trouvant pas dans un sujet comme sa partie, ne peut être séparé de ce en quoi il est» (Aristote, Catégories, 1a 20-1b10).

TA3. Cette relation d’inséparabilité peut être comprise comme une relation de dépendance ontologique. Cela signifie que les accidents peuvent exister seulement grâce aux substances alors que les substances peuvent exister sans l’existence des accidents spécifiques qui lui sont liés. Comme le souligne Smith, «Les accidents sont, précisément, accidentels; ils ne sont pas nécessaires ou essentiels à l’existence de leurs porteurs. Les substances, par contre, peuvent parfaitement exister sans l’aide des accidents qu’elles portent» (1987, p. 42).

2.3. La conception brentanienne de la substanceFootnote 13 (CBS)

La CBS peut être vue comme la conjonction des trois thèses suivantes :

  • TB1 : La substance et l’accident sont des entités de même sorte.

  • TB2 : La relation entre la substance et l’accident est une relation de partie/tout.

  • TB3 : L’accident est unilatéralement inséparable de la substance.

TB1. Brentano ne peut accepter TA1, car son réisme ne lui permet pas de distinguer des sortes d’être : tout ce qui existe est une chose individuelle concrète. La substance et l’accident sont donc des choses dans le même sens du terme, c’est-à-dire des choses individuelles concrètes. Voilà comment il va définir le lien entre ces deux choses :

Pour notre part, nous dirons qu’un accident et une substance sont des choses dans le même sens. Nous pouvons défendre notre position contre Aristote, car nous avons montré qu’un tout qui contient une chose comme partie, et même un tout composé par plusieurs choses, est lui-même une chose, une entité. Cependant nous ne disons pas que la substance et l’accident ensemble sont une pluralité de choses. La substance est une chose et la substance enrichie par un accident est aussi une chose; mais la substance enrichie par l’accident n’est pas une chose qui est totalement différente de la substance; donc nous n’avons pas cette sorte d’addition qui produit une pluralité (Brentano, 1981 [1933], p. 48).

En accord avec son réisme, Brentano affirme qu’une substance et un accident sont des choses dans le même sens, à savoir des choses individuelles concrètes. L’erreur d’Aristote provient du fait que pour ce dernier, un agrégat de choses n’est pas une chose actuelle et que les parties des corps sont des choses seulement potentiellementFootnote 14. Nous avons vu que Brentano affirme au contraire qu’une chose, une pluralité de choses et une partie d’une chose sont toutes des choses dans le même sens. Puisque la substance et l’accident sont des choses de même sorte, les accidents ne peuvent plus être des entités «inférieures» existant dans la substance.

TB2. Brentano va alors proposer une théorie dans laquelle il conçoit l’accident non comme une entité existant «dans un sens analogue» à côté de la substance, mais comme la substance elle-même augmentée d’une certaine façon. L’accident est une extension qualitative de la substance. La notion de substance enrichie dénote une chose individuelle concrète qui est une substance qualitativement étendue. Brentano va aussi définir de façon nouvelle la relation qu’entretiennent la substance et son accident. Il affirme de manière originale que la substance est une partie propre de l’accident. Il substitue donc à la relation d’inhérence celle de partie propre. Ce n’est pas l’accident qui est dans la substance, mais la substance qui est dans l’accident. De plus, chose importante, l’accident ne possède pas d’autre partie propre que la substance. En d’autres termes, il ne possède qu’une seule partie propre, sa substance. Ce qu’il faut comprendre ici, c’est que la relation de partie qui lie la substance à son accident n’est pas la relation traditionnelle de partie telle qu’elle est définie par la méréologie extensionnelle classiqueFootnote 15. C’est ce que signifie la distinction faite par Brentano entre la substance enrichie et une pluralité de choses. Cette différence est expliquée par le fait que dans le cas d’une pluralité de choses, le principe de supplémentation faible est valide, alors qu’il ne l’est pas pour la substance enrichie.

Ce principe est le suivant :

Principe de Supplémentation faible (WSP) : (∀xy) [(x << y) ⊃ (∃z) [(z << y) ∧ (zƖ x)]]Footnote 16

Il signifie que tout objet qui possède une partie propre en possède une autre disjointe de la première. Ce principe correspond à la conception traditionnelle de partie propre. Si l’on supprime une partie propre d’un objet, il y a un reste qui correspond à la différence entre cet objet et la partie supprimée. Le rejet de ce principe va caractériser la substance enrichie. En effet, pour Brentano, il n’y a pas d’entité qui serait la différence entre la substance et l’accident. Si l’on supprime la substance de l’accident, on supprime en même temps l’accident.

Prenons deux exemples qui nous permettront de comprendre plus clairement cette relation : le cas de la couleur rouge et du concept de couleur. Le concept de couleur est une partie propre de la couleur rouge. Pour le dire en termes réistes, la chose colorée est une partie propre de la chose rouge. Cependant nous ne pouvons pas trouver une autre chose que nous pourrions ajouter à la chose colorée pour former la chose rouge. La chose rouge est une substance qualitativement étendue qui possède comme unique partie propre la chose colorée.

Il en va de même pour la relation entre l’âme pensante et l’âme. L’âme est une partie propre de l’âme pensante et il n’y a rien que nous puissions ajouter à l’âme pour constituer l’âme pensante. L’âme pensante est une substance qualitativement étendue qui possède comme unique partie propre l’âme. Brentano précise :

Parmi les choses qui ont des parties, il y a certains touts qui ne sont pas composés d’une multiplicité de parties. Un tel tout semblerait être une chose qui est telle que l’une de ses parties a été enrichie, mais non pas de telle manière que le tout ait acquis une seconde partie. Un exemple d’une telle entité est une âme pensante. Lorsqu’elle cesse de penser elle reste la même âme. Mais lorsqu’elle recommence à penser aucune seconde chose n’a été ajoutée à cette entité qu’est l’âme. Ainsi, ce que nous avons ici n’est pas la même chose que ce que nous avons lorsqu’une pierre est disposée à côté d’une autre ou encore lorsque nous doublons la taille d’un corps. Dans ce dernier cas, le corps augmenté (élargi) est composé de deux choses, l’une desquelles est la partie ajoutée et qui ne contient pas l’autre. Par opposition, l’âme pensante contient l’âme de façon essentielle, tout comme la différence spécifique rouge contient le concept couleur conceptuellement. Ce fait est facilement mal compris. Ainsi a-t-on été amené à dire que la chose activement pensante est ajoutée à cette chose qu’est l’âme (Brentano, 1981 [1933], p. 53).

Cette conception diffère radicalement de celle d’Aristote. Une autre différence importante entre la théorie aristotélicienne et celle de Brentano est que ce dernier admet l’existence d’accidents d’accident :

Le concept de substance n’est pas épuisé par le fait d’être le sujet de quelque chose d’autre, puisque, comme nous l’avons déjà dit, il y a également des accidents qui sont sujets d’autres accidents (Brentano, Reference Brentano and Smith1988, p. 151).

Un accident d’accident a pour unique partie propre sa substance. La rose rouge pâle est un tout, autrement appelé accident par Brentano, qui a pour unique partie propre cette rose. Et le pâle ou la pâleur du rouge est un accident du rouge lui-même.

TB3. Il y a cependant un point commun entre Aristote et Brentano, qui est que la substance est unilatéralement séparable de ses accidents dans le sens où elle peut survivre même si elle cesse d’être qualitativement étendue d’une certaine manière alors que l’accident cesse d’exister si sa substance (son unique partie propre) est détruite. Cette relation d’inséparabilité unilatérale de l’accident par rapport à sa substance implique une sorte d’essentialisme méréologique. L’accident est ontologiquement dépendant de sa substance et, du fait qu’elle est son unique partie propre, il est ontologiquement dépendant de sa (ses) partie(s). Il ne peut donc changer de partie sans cesser d’exister. Il en va de même pour les accidents d’accident.

3. Le monisme de priorité et le super-substantialisme

Nous souhaitons maintenant montrer que Brentano accepte deux autres thèses ontologiques : le monisme de priorité et le super-substantialisme.

3.1. Le monisme de priorité

La seconde thèse de l’ontologie brentanienne est le monisme de priorité. Le monisme de priorité est la thèse selon laquelle il existe un et un seul objet concret basique : l’Univers. Cette thèse a été précisément développée et défendue par Jonathan SchafferFootnote 17.

Par «objet basique», nous entendons un objet ontologiquement indépendant, ontologiquement prioritaire, ou encore un objet fondamental qui fonde les objets dépendant de lui. Il y a une priorité ontologique de l’objet basique sur les objets fondés par lui. La notion d’objet basique correspond à la notion de substance au sens où l’objet basique est ontologiquement indépendant des autres objets alors que les objets fondés par l’objet basique sont ontologiquement dépendants de ce dernier. Nous retrouvons alors la relation d’inséparabilité unilatérale.

Selon le monisme de priorité, il existe une seule substance, l’Univers, qui est composée d’une pluralité de particuliers concrets qui sont ses parties propres, et ces parties propres sont ontologiquement dépendantes de l’Univers.

Dans le passage suivant, Brentano pose explicitement l’hypothèse selon laquelle l’Univers est l’unique substance et selon laquelle l’Univers possède des parties propres.

Et donc nous pouvons faire l’hypothèse selon laquelle la totalité de la matière serait une unique substance corporelle stationnaire qui, comme le fluide homogène de Kelvin contenant ici et là des vortex, serait, çà et là atteinte de certains accidents particuliers […]. Cette substance unitaire prendrait la place de l’éther. Et, en lieu et place de ce qui fût considéré comme la substance de la matière corporelle, il y aurait des accidents adhérents à la seule substance, se transmettant d’une partie à l’autre (Brentano, 1981 [1933], p. 209 [nous soulignons]).

Brentano affirme que «la totalité de la matière serait une unique substance». Il y a donc bien une seule substance matérielle qui est le tout composé de la totalité de la matière. De plus, cette substance possède des accidents. Ce sont même ces accidents, leurs changements et leurs interactions qui seraient, selon lui, l’objet des lois aussi bien de la physique, de la chimie que de la physiologie. Comme le souligne Brentano, cette unique substance matérielle possèderait des parties propres qui pourraient être «traversées» par les accidents. Selon Brentano il y aurait donc une seule substance matérielle qui posséderait des parties propres qui instancieraient des accidentsFootnote 18.

Faisons donc le lien avec le réisme. Comme nous l’avons vu, pour Brentano, il n’y a que des choses individuelles concrètes et les accidents sont en réalité des objets concrets qualitativement étendus. Nous proposons donc de définir les différentes entités de cette façon :

Il y a une et une seule substance : l’Univers, qui est une chose individuelle concrète. Les parties de cette substance sont aussi des choses individuelles concrètes. Elles possèdent des accidents qui sont aussi des choses individuelles concrètes. Si l’on ajoute la CBS, la substance possède donc des parties propres qui sont des choses individuelles concrètes qualitativement étendues.

Brentano ne dit rien explicitement sur la relation qu’entretiennent la substance et ses parties propres. Cependant, si l’on considère la définition traditionnelle de la substance (acceptée par Brentano) selon laquelle la substance est une entité fondamentale ou ontologiquement indépendante, alors les parties de la substance sont ontologiquement dépendantes d’elle. En effet, si ce n’était pas le cas, alors la substance dépendrait de ses parties propres et de ce fait ne serait pas ontologiquement indépendante et ne serait pas une substance. En clair, une substance ne pouvant pas être fondée, si elle possède des parties propres, elle doit fonder ses parties propres. D’ailleurs, chez Aristote, la substance est ontologiquement indépendante dans la mesure où ses parties sont en puissance et non en acteFootnote 19.

Il existe donc un unique objet concret basique, l’Univers, qui est composé et qui fonde ses parties propres qui sont des choses individuelles concrètes qualitativement étendues.

Si nous voulons comprendre les avantages de cette théorie nous devons maintenant examiner plus en détail quelle est la nature de cette substance.

3.2. Le super-substantialisme

Étant donnée l’hypothèse selon laquelle l’Univers est la seule substance (matérielle), nous avons trois possibilités pour le caractériser :

  1. i) l’Univers est la totalité de la matière;

  2. ii) l’Univers est la totalité de la matière plus l’espace que cette matière occupe;

  3. iii) l’Univers est l’espace.

Ces trois possibilités correspondent respectivement aux théories du relationnalisme, du substantialisme et du super-substantialismeFootnote 20. Nous pouvons définir ces trois théories ainsi (nous donnons ici des versions spatiales et non spatio-temporelles de ces théories) :

Le relationnalisme : il existe une et une seule sorte de substance, les objets matériels. L’espace est une abstraction faite à partir des relations de distances spatiales entre les objets matériels.

Le substantialisme : il existe deux sortes de substances distinctes, l’espace et les objets matériels. Ces deux sortes de substances sont liées par une relation fondamentale d’occupation.

Le super-substantialisme : il existe une et une seule sorte de substance, l’espace. Les objets matériels sont des propriétés ou attributs de cette unique substance.

Nous soutenons que Brentano accepte le super-substantialisme, et ce, pour plusieurs raisons.

La première raison est que Brentano accepte l’existence de régions d’espace vides :

Nous pouvons aussi accepter que les portions de la substance entre ses accidents sont elles-mêmes libres d’accidents (Brentano, 1981 [1933], p. 209).

Il écrit ailleurs :

On pourrait cependant concevoir l’éther comme étant la vraie et seule substance et le corps, incluant les électrons, comme étant ses modes qui passent d’une partie de la substance à l’autre, et qui sous-tendent à leur tour des propriétés. De la même manière, les rayons lumineux et les courants électriques seraient conçus comme des modes qui se propagent d’une partie à l’autre de l’éther (Brentano, Reference Brentano1968, p. 421-422 [nous soulignons]).

Dans le premier passage, Brentano accepte le fait qu’il y a des portions de la substance qui ne possèdent pas d’accidents. Puis, dans le second, il affirme que nous pouvons considérer les électrons, les rayons lumineux ou encore les courants électriques comme des modes de la substance. Il semble donc bien accepter que l’espace est la substance et que les corps matériels puissent être des modes, c’est-à-dire des accidents de la substance.

La seconde raison est plus forte. C’est en fait un argument que Brentano a clairement formulé en faveur de la substantialité des localités. Cet argument est présenté ainsi :

Une autre question est celle de savoir si [la localisation et l’étendue] sont des déterminations substantielles. À ce propos, les avis sont partagés. Descartes voit dans l’extension spatiale l’essence de la substance corporelle. Cependant, il n’a apparemment pas conçu le changement de lieu comme un changement substantiel, ce qui contredit sa première assertion dans la mesure où l’extension, aussi sûrement qu’elle est spatiale, inclut la localité dans son concept tout comme une longueur de temps inclut le concept de temporalité. Et, il juge de façon non moins hasardeuse lorsqu’il établit l’essence de l’esprit dans la pensée sans accepter le changement de pensée comme un changement de substance (Brentano, Reference Brentano and Smith1988, p. 150).

Pour montrer que la localisation est la détermination substantielle, et par là que les localités sont des substances, Brentano prend d’abord appui sur Descartes. Il est d’accord avec ce dernier sur le fait que l’extension est l’essence de la substance matérielle. Cependant, ce que Descartes n’a pas vu est que le concept d’extension contient celui de localisation. Pour Brentano, c’est donc bien la localisation qui est la véritable détermination substantielle.

Nous pouvons résumer son argument ainsi :

Le concept de substance n’est pas réductible au critère du sujet puisque, comme nous l’avons vu, Brentano admet qu’un accident puisse être le sujet d’autres accidents. Le concept de substance se détermine donc par le critère du sujet dernier : ne pas avoir, soi-même, d’autre sujet. Le critère pour assurer cette position est similaire à celui qu’Aristote emploie dans l’étude de l’acception de la substance comme sujet dans le troisième chapitre de Métaphysique Z : enlevons des déterminations et considérons si la chose peut continuer à exister. Or, une chose localisée qui n’existerait dans aucun lieu est inconcevable, inacceptable. Par conséquent la localisation est la détermination substantielle du corps et par là, c’est bien la localité et donc l’espace qui est la substance.

Si les localités sont bien substantielles, elles sont également individuantes, remplissant ainsi les deux fonctions primordiales de la substance. Ce caractère individualisant des localités est lié à une autre propriété, celle de l’impénétrabilité des corps. Brentano propose un argument indirect afin d’établir ce caractère individuateur des localités. Son point de départ est la question de l’établissement du théorème de l’impénétrabilité des corps.

Pour quelles raisons devrait-il y avoir une contradiction dans la pénétration de deux corps? Nous avons deux réponses possibles :

Réponse 1 : il n’y aurait pas contradiction s’il y avait une deuxième série (en plus de la spatialité) appartenant à la nature du corps et qui, combinée avec l’autre, co-déterminerait l’individualité de chaque substance.

Réponse 2 : il y aurait contradiction si l’individualité de la substance était uniquement déterminée par la spatialité — la contradiction étant assurée par le principe de l’identité des indiscernables. En effet, l’assertion de la pénétration (que deux corps occupent la même place) reviendrait à dire qu’ils sont deux tout en n’étant pas distinguables, ce qui est absurde.

En résumé, le caractère individuateur du lieu est logiquement déterminé à partir du principe des indiscernables et l’impénétrabilité à partir de ce dernier. Rappelons qu’il y a, et doit y avoir, contradiction dans la pénétration de deux corps. Or, il y a contradiction lorsque seules les déterminations locales (spatiales) sont considérées comme individuantes. En effet, en ce cas, «deux corps dans un même lieu» (la pénétrabilité) est une assertion contradictoire en vertu du principe de l’identité des indiscernables. Les deux corps ne deviendraient pas un corps parce qu’ils se trouveraient dans un même lieu, mais seraient indiscernables, ce qui est absurde étant donné le principe de l’identité des indiscernables. Par conséquent, le caractère substantiel et individuant du lieu est nécessaire et suffisant à l’individualité des choses corporelles. Seul le lieu détermine donc l’individualité de chaque substance corporelle. S’il en est ainsi, alors, en suivant la double fonction de la substance comme support et comme individuateur, toute autre détermination s’entendra comme accident de la substance.

En faisant maintenant le lien entre le réisme, la conception brentanienne de la substance, le monisme de priorité et le super-substantialisme, nous pouvons alors décrire l’ontologie matérielle de Brentano comme suit.

Il n’y a qu’une seule substance, c’est-à-dire un seul objet concret basique, l’espace. Cette substance possède des parties propres qui sont des localités qualitativement étendues. Ces parties propres sont ontologiquement dépendantes de cette seule substance.

Nous souhaitons terminer notre examen de l’ontologie brentanienne en mettant en lumière une conséquence originale de cette théorie : le mouvement n’existe pas.

4. L’impossibilité du mouvement

L’une des conséquences de la thèse selon laquelle les localités sont les substances est l’impossibilité du mouvementFootnote 21. En effet, puisque les corps sont des accidents de l’espace, nous devons penser le mouvement comme un déplacement d’accident d’une localité à une autre. Cependant, puisque les localités sont les substances des accidents et que ces derniers sont ontologiquement dépendants de leur substance, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent continuer d’exister sans leur substance, ils ne peuvent changer de lieu sans cesser d’exister. Aucun accident ne peut se mouvoir d’un lieu à un autre, car changer de lieu c’est changer de substance et donc cesser d’exister.

Tout ceci est résumé dans le passage suivant :

Lord Kelvin a récemment eu l’idée de remplacer les atomes par des remous ou vortex, à l’intérieur d’un fluide complet. Ces vortex furent sans aucun doute conçus comme des parties substantielles continuellement changeantes du fluide, mais dont l’image globale résultante serait très différente. Tandis qu’antérieurement, la substance de l’atome restait la même dans le cours des déplacements continus, le mouvement vorticiel de Lord Kelvin, en tant qu’il se communique d’un lieu à un autre, se communique lui-même à différentes parties de la substance fluide. Et, puisque le sujet substantiel est constamment remplacé dans le cours de ces transitions, le vortex se déplaçant lui-même ne reste pas individuellement le même (Brentano, 1981 [1933], p. 209).

Il y a une analogie entre la théorie de Kelvin et celle de Brentano.

Pour Kelvin, le monde matériel est une substance fluide à l’intérieur de laquelle nous trouvons des vortex, c’est-à-dire des remous, des tourbillons. Les vortex sont conçus pour remplacer les atomes. Ces vortex se déplacent «sur» la substance fluide, c’est-à-dire qu’ils se meuvent d’une partie à une autre de la substance. Cependant, comme le souligne Brentano, «le sujet substantiel est constamment remplacé dans le cours de ces transitions» (ibid.). Le sujet substantiel est la substance fluide, ou plus exactement une partie de la substance fluide sur laquelle se trouve le vortex. Puisque le vortex change de substance, alors il cesse d’être lui!

L’analogie avec la théorie de Brentano est claire. Pour Brentano, le monde matériel est une substance, l’espace, qui possède des accidents. Ces accidents sont les corps physiques. Ces accidents se déplacent dans l’espace, c’est-à-dire qu’ils se meuvent d’une partie à l’autre de la substance. Cependant, comme la localité est la substance des accidents, un accident ne peut changer de lieu sans cesser d’exister. Le mouvement est par conséquent impossible.

Conclusion

Si ce que nous avons montré est vrai, alors l’ontologie matérielle de Brentano peut être résumée ainsi :

  1. i) Il n’y a qu’une seule substance, l’Univers qui est l’espace;

  2. ii) cette substance possède des parties propres : des localités qualitativement étendues;

  3. iii) ces localités sont ontologiquement dépendantes de la substance;

  4. iv) et le mouvement n’existe pas.

Footnotes

1 Pour une description de cette ontologie, voir Kriegel (2015, 2016 et 2017), Simons (Reference Simons1988) et Smith (Reference Smith1987).

2 Brentano développe son ontologie matérielle (le réisme et le monisme) dans la deuxième partie de son œuvre. Le réisme de Brentano est souvent associé à l’idée d’un «tournant». Le philosophe autrichien aurait d’abord soutenu que les objets auxquels la pensée se rapporte pouvaient être des objets non existants, avant de se dédire et de modifier sa théorie en destituant la relation intentionnelle en faveur d’une «quasi-relation» et en admettant uniquement des «choses» comme objets des rapports psychiques. Ce tournant se trouve dans les suppléments posthumes à la Classification des phénomènes psychiques, parus dans l’édition de 1924 de la Psychologie d’un point de vue empirique. Dans une dictée de 1911 (tout premier appendice), Brentano exprime clairement que l’objet auquel la pensée se rapporte est toujours une chose : «Tout rapport psychique se réfère à des choses» (Psychologie du point de vue empirique, 2008, p. 302). L’argumentation en faveur du réisme se retrouve dans plusieurs lettres, notamment dans celle que Brentano adresse à Oskar Kraus le 31 octobre 1914, ou encore dans la Kategorienlehre (dictée de mars 1916).Le monisme matériel de Brentano apparaît dans le cadre d’une dictée datée du 30 janvier 1915 et titrée «La nature du monde physique à la lumière de la théorie des catégories» (Appendice à la Kategorienlehre, Brentano, Reference Brentano1933, p. 296-301. Pour la traduction, voir Brentano, 1981 [1933], p. 208-211).

3 Pour une présentation du débat entre monistes et pluralistes et les différentes versions de ces théories, voir Schaffer (2007a, 2007b, 2010 et 2012).

4 Pour une présentation des différentes théories de la composition et des différents arguments, voir Markosian (Reference Markosian1998) et van Inwagen (Reference van Inwagen1990).

5 Pour une présentation des théories du substantialisme, du super-substantialisme et du relationnalisme, voir Arntzenius (Reference Arntzenius2012) et Schaffer (Reference Schaffer2009b).

6 Il serait intéressant d’éclaircir si, en ce qui concerne le monde psychologique, Brentano soutient un pluralisme substantiel (i.e., l’existence de plusieurs substances pensantes) ou un monisme substantiel (i.e., l’existence d’une unique substance pensante).

7 Le réisme est une doctrine ontologique qui a été explicitement développée et popularisée par Kotarbinski. Cette théorie a été principalement étudiée au sein de l’école polonaise de philosophie, l’école Lvov-Varsovie (voir Wolenski, Reference Wolenski1989). Le réisme a subi plusieurs critiques importantes, notamment de la part d’Ajdukiewicz (voir Ajdukiewicz, Reference Ajdukiewicz and Wojtasiewicz1966 [1930]).

8 Pour une analyse détaillée du réisme de Kotarbinski, voir Smith (Reference Smith and Wolenski1990).

9 Voir Brentano (1981 [1933], p. 15-22).

10 Pour une analyse critique de l’argument de Brentano, voir Terrel (Reference Terrel1966).

11 Pour une analyse de l’indépendance ontologique de la substance, voir Bucchioni (Reference Bucchioni2015).

12 C’est la thèse de la plurivocité de l’être. Aristote explicite dans quelle mesure cette plurivocité doit s’entendre : «L’être se prend en plusieurs acceptions, mais c’est toujours relativement à un terme unique [πρὸςἕν], à une même nature» (Métaphysique Γ, 2, 1003a33-34). Pour une discussion par Brentano des différents sens de l’être chez Aristote, voir Brentano (1862, 1975 [1862]).

Le lien entre le sens premier et les sens dérivés est établi par le principe de l’homonymie pros hen avec l’exemple de la «santé», un exemple analogue à l’«être». De même que tout ce qui est sain se rapporte à la santé, en dépit de sa plurivocité, les divers sens de l’être se rapportent à un sens premier, à savoir la substance : «Telles choses, en effet, sont dites des êtres parce qu’elles sont des substances, telles autres parce qu’elles sont des affections de la substance, telles autres, parce qu’elles sont un acheminement vers la substance [...] des qualités de la substance [...]» (Métaphysique Γ, 2, 1003b6-9).

Aussi ténu qu’il puisse être, le lien qui unit les différents sens de l’être au sens premier n’en implique pas moins un rapport de dépendance de toute non-substance à la substance. Si, dans le passage cité du livre gamma, Aristote met en place la grande distinction entre l’être au sens propre et ses différents sens analogues, c’est au tout début du livre Z qu’il réduit la distinction afin d’ouvrir son enquête sur la substance : «L’être se prend en plusieurs acceptions [...]. Il signifie, en effet, d’un côté, l’essence et l’individu déterminé, d’un autre côté, qu’une chose a telle qualité, ou telle quantité, ou chacun des autres prédicats de cette sorte. Mais, parmi ces sens si nombreux de l’être, on voit clairement que l’être au sens premier est l’essence, qui indique précisément la substance. [...] Les autres choses ne sont appelées êtres que parce qu’elles sont ou des quantités de l’être proprement dit, ou des qualités, ou des affections de cet être, ou quelque autre détermination de ce genre [...]. [A]ucun de ces états n’a par lui-même une existence propre, ni ne peut être séparé de la substance [...]» (Métaphysique Ζ, 1028a10-24).

Le livre Ζ inaugure une recherche particulière; il sera question de déterminer ce qu’est la substance. La distinction entre être au sens propre et être en un sens «analogue» est au fondement même de cette investigation.

13 Pour une analyse détaillée de la théorie de la substance de Brentano, voir Smith (Reference Smith1987; Reference Smith1994).

14 D’après une expression formée par Barry Smith (Reference Smith1994), la thèse du potentialisme méréologique désigne l’une des idées maitresses de l’ontologie d’Aristote, que nous pouvons résumer ainsi : deux entités en acte ne peuvent pas constituer une seule et unique entité en acte, et une entité en acte ne peut pas être composée d’une multiplicité d’entités en acte. Aristote admet le potentialisme méréologique d’après le principe suivant lequel l’actualité sépare les entités : «On pourrait surtout être tenté de supposer que les parties des êtres animés, aussi bien que les parties correspondantes de l’âme sont en entéléchie aussi bien qu’en puissance, par ce fait qu’elles possèdent des sources de mouvement à partir d’un endroit qui se trouve dans les articulations […]. Toutefois, toutes les parties existeront seulement en puissance quand il y aura unité et continuité naturelle, mais non si c’est le fait de la violence ou d’une connexion naturelle incomplète, car ce n’est alors qu’une mutilation» (Métaphysique Z, 16, 1040b10-5).

15 Pour une description du système de méréologie extensionnelle classique, voir Bucchioni (Reference Bucchioni2016), Simons (Reference Simons1987) et Varzi (Reference Varzi and Zalta2009).

16 Dans cette formule, «<<» est le symbole signifiant «est une partie propre de» et «Ɩ» est le symbole signifiant «est disjoint de».

17 Voir Schaffer (2007b, 2009a et 2010).

18 Uriah Kriegel a proposé une reconstruction et une explication très claire de l’argument brentanien en faveur du monisme (Kriegel, Reference Kriegel2016, p. 72-75).

19 Selon Aristote, l’actualité (ou entéléchie) «sépare». Le principe en est relativement intuitif. Prenons la syllabe BA. Pour que la syllabe et le son «BA» soient un, il semble évident qu’aucune des deux lettres (éléments) composantes ne puisse être séparée du tout sonore qu’elles contribuent pourtant à former. Si d’aventure le son «B» devait se «détacher» de la syllabe, autrement dit s’actualiser pleinement et donc se séparer, il n’y aurait tout bonnement plus de syllabe BA. Les lettres A et B ne peuvent donc être contenues que de façon purement potentielle dans la syllabe. Comme l’écrit Aristote, «Il est impossible qu’une substance provienne de substances qu’elle contiendrait comme en entéléchie, car des êtres qui sont ainsi deux en entéléchie ne seront jamais un seul être en entéléchie. Mais si ces êtres sont deux en puissance ils pourront être un : par exemple, la ligne double se compose de deux demi-lignes, mais seulement en puissance, car l’entéléchie sépare» (Métaphysique Z, 13, 1039a3-7).

20 Pour une analyse de ces trois théories, voir Arntzenius (Reference Arntzenius2012). Jonathan Schaffer examine le lien entre le super-substantialisme et le monisme de priorité dans Schaffer (Reference Schaffer2009b).

21 Pour une analyse critique de la thèse de l’impossibilité du mouvement chez Brentano, voir Simons (Reference Simons1988).

References

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