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Economy and Society: Selected Writings KARL POLANYI Textes colligés par MICHELE CANGIANI et CLAUS THOMASBERGER Cambridge, Polity Press, 2018, vi + 340 p.

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Economy and Society: Selected Writings KARL POLANYI Textes colligés par MICHELE CANGIANI et CLAUS THOMASBERGER Cambridge, Polity Press, 2018, vi + 340 p.

Published online by Cambridge University Press:  02 August 2019

YVES LABERGE*
Affiliation:
Université d’Ottawa
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Abstract

Type
Book Review/Compte rendu
Copyright
Copyright © Canadian Philosophical Association 2019 

Figure emblématique de l’étude et de la critique des théories économiques, mais également penseur influent de la philosophie politique au milieu du XXe siècle, Karl Polanyi (1886-1964) demeure un auteur très cité encore de nos jours par les critiques du néolibéralisme et de ses avatars — pensons à Alain Caillé et Jérôme Maucourant. S’inspirant du marxisme, les écrits de Polanyi peuvent fournir des munitions aux pourfendeurs des excès du capitalisme ambiant. Son parcours personnel a été celui de plusieurs intellectuels d’Europe centrale nés à la fin du XIXe siècle — pensons par exemple à Karl Mannheim (1893-1947) : jeunesse passée dans son pays natal, en l’occurrence la Hongrie, exils nombreux puis, à partir de 1933, fuite du nazisme en raison de ses origines juives. À la fin de la Deuxième Guerre mondiale, en pleine guerre froide, Polanyi se voit refuser la citoyenneté étatsunienne (son épouse avait auparavant adhéré au Parti communiste) et il doit se résigner, à contrecœur, à s’établir à Toronto, où il mourra en 1964 (p. 7). En dépit de ces contrariétés, il enseignera longtemps à l’Université Columbia, au nord de New York (près de Harlem). Certains des travaux de Polanyi sont disponibles en français, notamment son livre La grande transformation (1983 [1944]), mais le présent ouvrage regroupe des écrits divers et quelques inédits composés à diverses périodes de sa vie. Il existe bien un recueil de textes traduits en français, paru au Seuil sous le titre Essais de Karl Polanyi (2008), mais les extraits retenus ne sont pas les mêmes que ceux choisis pour le présent ouvrage par les professeurs Michele Cangiani et Claus Thomasberger.

Répartis en six sections thématiques et non chronologiques, les 23 chapitres de cette édition de Economy and Society pourraient en réalité être regroupés autour de trois thèmes principaux : des textes généraux de philosophie politique, des pamphlets plus brefs proposant une dénonciation du fascisme, et enfin des écrits théoriques proprement économiques, mais composés selon une méthodologie qualitative, sans jamais recourir aux statistiques ou aux formules mathématiques. Pour des raisons évidentes, la présente recension couvrira essentiellement les textes de la première catégorie portant sur la philosophie. Comme l’écrivent les codirecteurs de la publication dans leur excellente introduction, les travaux de Polanyi ont été redécouverts lors de la crise économique de 2007-2008, non pas tant parce qu’il l’avait prédite, mais bien parce qu’il nous aide à mieux en saisir les causes et les tenants et aboutissants, notamment à partir de concepts comme «l’utopie libérale» et les «structures d’intégration» (p. 1).

S’inspirant entre autres du Contrat social de Jean-Jacques Rousseau, mais aussi des derniers écrits de Marx (on reconnaît les idées contenues dans Le capital), le premier chapitre, datant de 1927, traite d’emblée de la liberté; selon Polanyi, celle-ci est inséparable des responsabilités que chacun devrait assumer quant aux conséquences de ses actes, surtout s’il détient un certain pouvoir ou une certaine autorité (p. 22). Revenant sur sa réflexion autour des conséquences des actions de chacun, Polanyi invoquera de nouveau la liberté pour écrire dès 1947, dans une formule restée célèbre, que «la mentalité de marché est obsolète» (p. 209).

Bien que ces concepts n’apparaissent pas dans l’index thématique, certains textes abordent la question des idéologies ou encore de la culture (pp. 22, 194, 196). Polanyi déconstruira la conception bourgeoise de la liberté — désignée comme une idéologie — voulant que chacun puisse agir sans contraintes et sans éprouver le poids de ses responsabilités face aux conséquences de ses actes (p. 22). Contre toute attente, le dernier texte du recueil aborde le célébrissime Hamlet de Shakespeare. Karl Polanyi y traite à nouveau de la liberté, mais surtout de cette fâcheuse tendance des hommes à toujours vouloir reporter à plus tard les moments où le bonheur semblerait à notre portée (p. 313).

Naturellement, le lecteur francophone non initié à l’œuvre de Polanyi pourra par ailleurs se référer aux traductions parues dans notre langue; cependant, les universitaires déjà familiers avec ses travaux trouveront ici un certain nombre d’essais inédits ou jamais encore traduits du hongrois ou de l’allemand. L’ensemble donne un bon aperçu des travaux de ce théoricien très critique des systèmes économiques, qui en outre a fait revivre les approches marxiennes à une époque (le milieu du XXe siècle) où celles-ci étaient impopulaires, méconnues ou mal vues, notamment aux États-Unis. Il s’agit là d’un point fort de cet ouvrage.

Sur le plan de l’édition, on pourrait reprocher à Michele Cangiani et Claus Thomasberger d’avoir choisi un titre — Economy and Society — déjà employé pour de nombreux auteurs, notamment pour un ouvrage classique de Max Weber; on ne compte plus sur Internet ou dans les catalogues des bibliothèques les ouvrages portant ce même titre! De plus, la datation de certains chapitres peut parfois sembler trompeuse : ainsi, la préface de l’ouvrage posthume La subsistance de l’Homme. La place de l’économie dans l’histoire et la société (reproduite ici sous son titre originel anglais, The Livelihood of Man) porte la mention de 1977, soit treize ans après la disparition de Polanyi. À quand exactement remonterait la rédaction réelle de cette préface (p. 251)? Était-ce la préface à la première édition, ou à une réédition? Les directeurs de la publication ne donnent pas la réponse. Autre problème éditorial, les indispensables notes en fin de volume — celles de Polanyi, mais aussi celles des coresponsables de cette édition — auraient dû se retrouver en bas de page, car celles-ci sont abondantes et toujours pertinentes.

Avec l’économiste et philosophe Friedrich von Hayek (1899-1992), nommé Prix Nobel d’économie en 1974 (d’ailleurs cité ici, p. 209), Karl Polanyi demeure un penseur transdisciplinaire important, pour qui l’économie n’était qu’une manière efficace de critiquer les injustices sociales et les dérives du capitalisme en invoquant des arguments éthiques.

References

Références bibliographiques

Caillé, Alain 2011 «Préface», dans Jérôme Maucourant, Avez-vous lu Polanyi? Paris, Flammarion (coll. «Champs»).Google Scholar
Polanyi, Karl 1983 La grande transformation : aux origines politiques et économiques de notre temps [1944], Paris, Gallimard.Google Scholar
Polanyi, Karl 2011 La subsistance de l’Homme. La place de l’économie dans l’histoire et la société (trad. de The Livelihood of Man), Paris, Flammarion (coll. «La bibliothèque des savoirs»).Google Scholar
Polanyi, Karl 2008 Essais de Karl Polanyi, Paris, Seuil.Google Scholar
Weber, Max 2019 Economy and Society, Cambridge (MA), Harvard University Press. Pour une traduction française : Économie et société, 2 tomes, Paris, Pocket, 2003.CrossRefGoogle Scholar