Considérations introductives
La déception suscitée par l’amputation,Footnote 1 à l’issue des travaux de la Commission du droit international (CDI) sur les crimes internationaux,Footnote 2 d’un projet visant une criminalisation complète de graves atteintes environnementalesFootnote 3 ne désarme pas l’ardeur des défenseurs d’une perception maximaliste soutenant la consécration d’un crime autonome d’écocide.Footnote 4 S’étant dès lors inscrite comme une base permettant d’orienter le combat pour l’inclusion de l’écocide dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), cette vision se concrétise de nos jours par l’élaboration d’une proposition d’amendements de ce texte conventionnel dans le cadre des travaux de la fondation Stop Ecocide. Cela constitue une étape décisive dans la lutte contre la criminalité verte. Face à une délinquance écologique pouvant affecter l’intégrité de la planète et à toutes ses conséquences néfastes sur l’humanité, une telle proposition vient à point nommé. À ce titre, point n’est besoin de rappeler l’actualité des limites planétaires et les conséquences résultant du dépassement de leur seuil pour se convaincre de l’intérêt de réfléchir sur une criminalisation écologique adéquateFootnote 5. Il en va notamment de l’urgence de rencontrer la vulnérabilité des États réputés écologiquement fragiles. Et que dire des catastrophes écologiques survenues çà et là au fil des années? Qu’il s’agisse de l’opération Ranch Hand au Vietnam, des catastrophes de Tchernobyl,Footnote 6 de Fukushima,Footnote 7 ou de l’affaire du Probo Koala,Footnote 8 les conséquences y relatives rappellent l’impératif de faire face à la factualité de l’urgence écologique.Footnote 9 L’imbrication de la criminalité environnementale avec le terrorismeFootnote 10 rend compte de l’urgence de la percevoir comme un danger global pouvant affecter la paix et la sécurité internationales.Footnote 11 Ceci est vraisemblable d’autant plus qu’un rapport du Conseil de sécurité relatif aux groupes armés et terroristes affirmait que ces derniers sont souvent financés au moyen de cette nouvelle industrie en essor.Footnote 12 Somme toute, cette perception holistique permet de motiver le besoin d’envisager, à la manière de ce projet d’amendements du Statut de Rome, une deuxième catégorie juridique visant notamment de graves atteintes écologiques perpétrées en temps de paix.
Consistant à amender le Statut de Rome pour y intégrer un crime écologique autonome, ce texte consacre l’écocide comme cinquième crime contre la paix et la sécurité de l’humanité.Footnote 13 Grâce à l’apport de douze experts-juristes issus aussi bien du système de la common law que du système romano-germanique,Footnote 14 l’élaboration de ce projet s’inscrit dans une perspective maximaliste visant l’incrimination de graves atteintes écologiques à travers la mission répressive de la CPI.Footnote 15 L’urgence qu’imposent les conséquences de la criminalité écologique justifie l’impératif de cerner avec netteté la teneur des comportements gravement attentatoires à l’environnement commis aussi bien dans le contexte de belligérance qu’en temps normal. Cette démarche se propose de combler le vide juridique laissé par l’article 8 du Statut de Rome Footnote 16 qui se limite à cerner les seuls dommages écologiques perpétrés en temps de conflit armé. Ceci est vraisemblable d’autant plus que la lutte contre cette délinquance singulière est par ailleurs conditionnée par l’intérêt d’imaginer un outil juridique en mesure de contrer l’impunité grandissante à l’épreuve de la multitude d’actes anti-écologiques émanant des multinationales et des “éco-mafias.” Il en va de la consécration d’une nouvelle incrimination aux fondements naturalistes. Cet outil juridique viendrait rééquilibrer les fondements épistémologiques d’une convention anthropocentrique par excellence en lui assignant une bonne dose d’éco-centrisme.
Présentée à l’occasion de la vingtième session de l’Assemblée des États parties au Statut de Rome (AEP),Footnote 17 cette proposition d’amendements revêt du coup un caractère officiel et solennel depuis sa soumission par le Vanuatu et les Maldives devant ce cadre interétatique.Footnote 18 Ainsi que l’a confirmé le Secrétaire général des Nations Unies,Footnote 19 ce projet d’amendements constitue la base en vertu de laquelle tout État peut à ce titre négocier la révision du Statut de Rome. Il est vrai que la présentation de ce projet à l’AEP n’implique pas grand-chose en termes des conséquences juridiques débouchant de la révision d’un instrument conventionnel. Elle constitue cependant une première étape au sens de l’article 121 du Statut de Rome: la proposition.Footnote 20
L’on notera, d’entrée de jeu, que ce projet de révision du Statut de Rome est l’œuvre d’un ensemble d’acteurs sociaux, venant des milieux tant universitaire qu’associatif, sur demande de quelques parlementaires suédois.Footnote 21 Constitué d’un panel de juristes spécialistes du droit international de l’environnement, du droit international humanitaire et du droit international pénal, ce groupe a convenu de partir sur des précédents référentiels posés par la justice pénale internationale.Footnote 22 Est-il besoin de préciser que ces précédents se fondent essentiellement sur l’interprétation par le juge des principes du droit international pénal adoptés à Nuremberg? Il n’en demeure pas moins illustratif d’une hégémonie du droit international pénal sur d’autres branches du droit. L’hégémonie pénaliste caractérisant cet exercice terminologique influence justement la composition de ce panel de juristes qui devrait outre mesure recourir à l’expertise de toutes les branches du droit touchant, ne serait-ce que sommairement, à l’objet de cette criminalisation. Il est dommage de constater que ce projet de criminalisation a été élaboré sans l’apport des spécialistes du droit pénal pur alors que nous savons combien cette branche du droit peut contribuer dans l’objectivation des éléments de définition du crime d’écocide.Footnote 23
Considérant le fait que la matérialisation d’une révision conventionnelle sur une question touchant à la criminalisation des forfaits écologiques requiert notamment une implication des États, la majorité des membres du panel a opté pour une approche réaliste lors de la conception du texte.Footnote 24 On ne peut pas, dans cet ordre d’idées, s’empêcher de relever que ce penchant réaliste est tributaire d’une vision restrictive de la criminalisation. À force de penser prévenir l’indifférence ou l’opposition des États censés avaliser la démarche en évitant telle ou telle orientation terminologique, les membres du panel vident cette incrimination de toute sa substance. Ils nous présentent un texte moins ambitieux, ne prenant pas en compte beaucoup d’éléments marqueurs de l’évolution du droit pénal, comme la culpabilité des personnes morales en droit.Footnote 25 L’autre épine légistique pouvant illustrer la faiblesse de ce projet d’amendements correspond à l’option définitionnelle devant guider la détermination de l’actus reus. Évitant de se trouver en position de citer certains éléments pouvant gêner l’adhésion des États, comme le changement climatique,Footnote 26 les membres de ce panel préfèrent une définition générique des actes physiques constitutifs du crime d’écocide au mépris de l’exhaustivité terminologique. Et qu’en serait-il alors si, en usant de son pouvoir interprétatif élargi,Footnote 27 le juge de la CPI assimilait au titre d’actes constitutifs d’écocide notamment les comportements d’atteinte au climat? Cette approche définitionnelle renforcerait en effet le pouvoir interprétatif des juges de la CPI au point de gêner la souveraineté législative des États parties au Statut de Rome. Cela ne peut aucunement rassurer la confiance des États. Tout ceci conforte sans doute l’option d’une définition “semi-fermée” et “semi-ouverte” au cœur de cette criminalisation.Footnote 28 Elle permettra de combiner les avantages renfermant ces deux tendances terminologiques.
La présente étude a trois objectifs. Dans un premier temps, il s’agira de situer pareille entreprise de criminalisation dans l’évolution contextuelle de la mission répressive assumée par le droit international afin de s’interroger sur sa vocation au regard des acquis de Nuremberg. Dans un deuxième temps, procédant par une approche essentiellement critique, nous nous proposerons de cerner la teneur et la pertinence de ce projet au regard des enjeux socio-écologiques sous-tendant l’intérêt d’une telle démarche. Il sera question d’interroger, en troisième lieu, les facteurs pouvant militer en faveur d’une adhésion ou d’une réticence à la vision répressive imprimée par ce projet, et ce, après la présentation panoramique de cette réforme du Statut de Rome.
Contexte du projet à l’aune des standards de Nuremberg
L’idée d’incriminer les graves atteintes écologiques n’est certainement pas nouvelle. Elle remonte à la période postérieure aux procès de Nuremberg lorsqu’il se fit sentir le réel besoin d’aborder la protection pénale de l’environnement par rapport à sa valeur intrinsèque. C’est en substance à l’épreuve de la cruauté ayant illustré l’utilisation par l’armée américaine de l’Agent orange sur les forêts vietnamiennes qu’il est apparu nécessaire de cerner la portée criminogène de la destruction substantielle de l’environnement. Il s’imposait dès lors un réel intérêt à incriminer les graves atteintes écologiques perpétrées en temps normal au titre d’un cinquième crime autonome contre la paix et la sécurité de l’humanité. Cela répond par conséquent au besoin de marquer les fondements épistémiques d’une nouvelle incrimination éco-centrique sur les postulats d’une criminalisation par essence anthropocentrique.
construction terminologique de l’incrimination au fil du temps
L’édification terminologique d’une incrimination autonome visant les endommagements significatifs de l’environnement s’inscrit dans une perspective évolutive située à travers deux repères essentiels mettant en évidence l’apport des travaux précurseurs du Statut de Rome par rapport à la contribution de la doctrine postérieure à l’adoption de cet instrument.
Période antérieure à l’adoption du Statut de Rome
Partant d’une lecture essentiellement chronologique, il importe d’indiquer un repère identifiant l’évènement précurseur d’un droit international pénal contemporain: l’adoption du Statut de Rome. C’est au cœur des tâtonnements consécutifs à la concrétisation de cet idéal répressif universel que se construit la problématique de la criminalisation universelle des graves atteintes écologiques. Il convient de souligner à cet effet que la question de la criminalisation de graves atteintes écologiques prend forme à l’occasion de multiples études entreprises à la suite de la cruauté écologique vécue à l’occasion de l’opération Ranch Hand au Vietnam vers les années 70.Footnote 29 Il s’est dès lors imposé la nécessité de réfléchir à l’identité criminogène associée aux actes constitutifs de destruction substantielle de l’environnement. S’étant gravé par un entrainement des conséquences écologiques incalculables du fait de l’utilisation de l’Agent orange à la proportion de 70 millions de litres sur 36 pour cent des forêts du Vietnam, ces circonstances ne pouvaient laisser indifférente la curiosité scientifique de plus d’un observateur averti.Footnote 30 C’est ce qui a justement persuadé Arthur W. Galston à qualifier l’opération Ranch Hand d’écocide.Footnote 31 Conçu à ce titre par Galston, ce terme est pour une première fois repris à l’occasion de la Conférence de Stockholm par Olof Palme, le premier ministre suédois.Footnote 32
Au-delà, cette qualification en appelle à la responsabilité de plus d’un scientifique sur la définition juridique des implications criminelles pouvant en résulter. C’est le cas avec le projet de criminalisation conçu par Richard Falk en 1973.Footnote 33 D’une originalité évidente, ce texte ne distingue pas clairement les atteintes perpétrées en temps de guerre de celles commises en temps de paix. Même s’il s’est appliqué à situer cette criminalité à la réalité belliqueuse, ce projet de traité se préoccupe plus de l’identité criminogène des comportements: la détermination de l’écocide.Footnote 34 S’inscrivant dans le registre des stratégies visant à renforcer l’efficacité de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, la sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires envisage l’écocide sous trois angles: crime similaire au génocide, crime de guerre, prohibition d’agir sur l’environnement et le climat à des fins militaires.Footnote 35 L’opération Ranch Hand met en relief l’ampleur de la barbarie guerrière sur l’environnement, si bien que l’environnement n’était pas encore un intérêt juridiquement protégé en temps de belligérance. Bien plus, la survenance d’une catastrophe écologique à la hauteur de cet évènement interpellait à plus d’un titre sur l’urgence de règlementer cet aspect précis en droit humanitaire. C’est à ce titre qu’il s’imposait déjà, cinq années plus tard, de réfléchir sur la prohibition des techniques de modification de l’environnement à travers la Convention ENMOD. Footnote 36 Il importe de souligner par ailleurs que c’est dans le prolongement de cette idée que s’inscrivent les dispositions du Protocole I aux Conventions de Genève sur la protection de l’environnement.Footnote 37
Ce parcours terminologique prend corps à travers les travaux de la CDI sur les atteintes à la paix et la sécurité de l’humanité dans les années 80. C’est l’occasion de souligner que cette criminalisation s’inscrit dans une perspective dialectique devant répondre à la préoccupation de savoir s’il fallait inclure les graves atteintes écologiques dans la définition du crime de guerre, du crime contre l’humanité ou en constituer un crime autonome essentiellement éco-centrique. On est alors amené, en guise de précision, à noter que la deuxième version des travaux de la CDI sur la codification des crimes internationaux enrichit la mouture des années 50.Footnote 38 Elle vient ajouter, à côté des crimes consacrés par cette dernière,Footnote 39 un crime autonome visant les graves atteintes écologiques. Cette dynamique est sans doute consécutive aux études et débats nourris par les circonstances de la guerre vietnamienne. S’appuyant sur la teneur du troisième paragraphe de l’ancien article 19 sur la définition d’un crime international d’État,Footnote 40 la première matérialisation de cette démarche à travers la CDI est l’œuvre du groupe de travail coordonné par M. Doudou Thiam.Footnote 41 Ce groupe présente de manière globale une version corrigée de la codification de 1954 à travers une nouvelle maquette (en 1991) ayant notamment pour marque distinctive la perspective écologique des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité.Footnote 42 Toutefois, le souci de fédérer une union autour de la dimension écologique du projet justifie l’urgence d’instituer un groupe de travail censé réfléchir spécifiquement sur les crimes contre l’environnement. Ce problème tient des inquiétudes soulevées par certains États à propos du maintien ou de l’abaissement de l’élément moral de la nouvelle incrimination.Footnote 43
Sous la direction de Christian Tomuschat, ce comité accoucha d’une ébauche présentant avec lisibilité une solution partant d’une analyse sur les trois hypothèses et leur éventuelle cohabitation: une criminalisation à travers le crime contre l’humanité, le crime de guerre et une incrimination autonome de ces actes.Footnote 44 Il en résulta une proposition maximaliste en faveur d’un crime écologique autonome comme cinquième crime contre la paix et la sécurité de l’humanité. Fort malheureusement, le condensé du travail ne fut pas avalisé tel que proposé par ce groupe au niveau de la CDI.Footnote 45 S’inspirant de ce rapport, le président de la commission résolût en effet d’amputer la proposition en ne gardant qu’un de ses aspects liés aux forfaits perpétrés en temps de conflit armé pour l’inclure dans la définition des crimes de guerre.Footnote 46 C’est cette mouture qui fut bien adoptée dans le cadre du Statut de Rome à l’occasion de l’Assemblée des États parties en 2002.Footnote 47 Dès lors, seuls les dommages environnementaux perpétrés en temps de guerre sont saisis par le droit international pénal.Footnote 48 Il se révèle sans doute un vide juridique s’agissant de ceux commis en temps de paix. Ces actes sont donc restés impunis à ces jours.
Période postérieure à l’adoption du Statut de Rome
Si les travaux de la CDI ne débouchent pas à une perspective maximaliste postulant la criminalisation de graves atteintes écologiques, ils permettent néanmoins, à travers différentes discussions, de structurer une conscience au regard des comportements gravement attentatoires à l’environnement perpétrés par des multinationales et les éco-mafias.Footnote 49 Ainsi que pouvait insister René Provost,Footnote 50 une année après l’adoption du Statut de Rome Footnote 51 et trois ans avant son entrée en vigueur,Footnote 52 “l’émergence d’un crime international contre l’environnement est probable” à travers l’institutionnalisation d’une cour pénale internationale. N’était-ce pas là une interpellation sur la nécessité d’une perception maximaliste de l’incrimination des forfaits écologiques au lendemain d’une criminalisation somme toute incomplète à travers le Statut de Rome? Tout aussi paradoxal, il importe de souligner le fait que, vingt ans après l’entrée en vigueur du Statut de Rome, aucun comportement s’inscrivant dans la logique des crimes de guerre contre l’environnement n’a fait l’objet de procédures judiciaires devant la CPI.Footnote 53 Pourtant, il existe une disposition consacrant expressément l’incrimination des dommages gravement attentatoires à l’environnement, si bien que limitée à un contexte belliqueux. Il s’agit bien de l’article 8(2)(b)(iv) du Statut de Rome de la CPI qui considère “tout comportement intentionnel et disproportionné visant la partie adverse, en temps de conflit armé, susceptible d’endommager directement, et substantiellement, l’environnement” comme un crime de guerre. Cette disposition a le mérite de ressortir clairement les éléments constitutifs de ce qu’il conviendrait de baptiser par crime écologique de guerre.Footnote 54 L’affaire Al Bashir Footnote 55 relative à la destruction des puits de pétrole par l’armée soudanaise au Darfour et l’affaire Al Mahdi sur la destruction des mosquées de Tombouctou peuvent illustrer l’idée de la judiciarisation des atteintes écologiques perpétrées en temps de guerre, si bien qu’elles s’inscrivent dans la logique de génocide et de crime de guerre contre le patrimoine culturel.Footnote 56 Pourtant, nous conviendrons du fait qu’il se multiplie dès lors des comportements gravement attentatoires à l’environnement en contexte de paix. Pour ne citer que quelques-uns, évoquons les affaires Probo Koala en Côte d’Ivoire et Chevron/Texaco en Équateur.Footnote 57
Cela rend justement compte de l’écart abyssal pouvant exister entre les textes et les nouvelles formes de délinquance environnementale. Bien plus, ce constat nourrit quelques interrogations abordées dans des cadres militants et scientifiques. D’un apport considérable à la définition juridique de l’écocide, ces préoccupations alimentent une ardeur inlassable à mobiliser sur l’intérêt et le bien-fondé de la consécration d’un crime autonome d’écocide en droit international. C’est là justement l’occasion d’évoquer l’érudition de plusieurs auteurs et mouvements de la société civile, à l’image du procès du Tribunal Monsanto présidé par la juge Françoise TulkensFootnote 58 et l’action du mouvement End Ecocide on EarthFootnote 59 dirigé par Valérie Cabanes, en faveur de ce combat. Quatre auteurs apportent dans ce même ordre d’idées une nette clarification à la définition de l’incrimination et de la compétence judiciaire: Mishkat Al-Mounin,Footnote 60 Valérie Cabanes,Footnote 61 Polly HigginsFootnote 62 et Laurent Neyret.Footnote 63 Leurs écrits actualisent les problématiques jadis évoquées par bien d’auteursFootnote 64 d’avant l’adoption du Statut de Rome sur la question. Ces questions touchent à l’identification de l’élément moral en cas du crime d’écocide, à la subjectivation coupable, à la circonscription des actes physiques et à l’institutionnalisation de la compétence judiciaire. Devant principalement s’appuyer sur les prescrits de l’article 30 du Statut de Rome, la mens rea du crime d’écocide structure un état d’esprit fondé sur l’intention, la connaissance du contexte, l’imprudence, la négligence, etc. Si certains préfèrent se limiter aux standards subjectifs de Nuremberg,Footnote 65 d’autres entendent dépasser ce cadre du départ pour structurer la responsabilité pénale des personnes morales.Footnote 66 Au sujet du format institutionnel de la démarche, une tendance majoritaire plaide pour une extension de la CPI à cette criminalité singulière.
Bien plus, ces écrits insistent sur l’utilité de l’incrimination de l’écocide à travers la révision du Statut de Rome. Il s’impose à ce titre de se poser ces interrogations: pourquoi seulement le faire à travers un amendement du Statut de Rome? Et pourquoi ne pas souscrire à une autre approche institutionnelle qui envisagerait par exemple la création d’un tribunal pénal international de l’environnement, à la manière de la Charte de Bruxelles Footnote 67 ou la mise en œuvre de la compétence universelle ou territoriale par le biais d’une consécration conventionnelle?Footnote 68 L’idée d’instituer une nouvelle juridiction répressive universelle se butera sûrement à des difficultés d’ordre logistique impliquant le recrutement du nouveau personnel et la construction ou l’aménagement de nouvelles infrastructures.Footnote 69 S’inscrivant à titre complémentaire, la mise en œuvre de la compétence territoriale ou universelle en vue de l’application d’une convention relative à la prévention et la répression de l’écocide ne gêne pas l’une de ces hypothèses:Footnote 70 créer une nouvelle juridiction universelle pour ce faire ou carrément élargir la compétence de la CPI à ces crimes. Elle requiert plutôt l’adoption des mesures administratives et législatives visant à matérialiser l’idée de prévenir et de réprimer les comportements constitutifs d’écocide. Il en va d’ailleurs de la thèse soutenue par Laurent NeyretFootnote 71 et Darryl RobinsonFootnote 72 qui voient l’écocide à travers une démarche prospective passant par une reconnaissance conventionnelle. L’idée d’élargir la compétence de la CPI à l’incrimination des dommages écologiques perpétrés dans le contexte de paix à travers l’amendement du Statut de Rome a le mérite de s’imaginer sur une hypothèse réaliste. Fort de sa longue expérience sur la répression des crimes internationaux et de sa logistique infrastructurelle, la CPI peut mieux réprimer cette criminalité écologique à travers deux crimes: le crime d’écocide et le crime de guerre.Footnote 73 On serait tenté de s’appuyer sur l’institution de la juridiction pénale de la Cour africaine des droits de l’homme sur deux crimes écologiquesFootnote 74 pour soutenir l’idée de réprimer l’écocide à travers l’extension des compétences matérielles des juridictions régionales des droits de l’homme à ces fins. Une telle proposition fait penser aux multiples obstacles liés aussi bien à la lourdeur fonctionnelle pouvant résulter de plusieurs attributions qu’aux difficultés d’ordre structurel. L’ajout de cette compétence pénale aux attributions préexistantes inhérentes à la protection des droits de l’homme présage un risque d’alourdissement fonctionnel. Aussi, cette hypothèse nécessitera, en plus de l’aménagement infrastructurel, de recruter des juges spécialistes des questions pénales et environnementales.
les acquis de nuremberg à l’épreuve de l’incrimination de l’écocide
Bien qu’orienté à la tendance pénaliste du discours, cet intitulé appelle à une réflexion participant à la mise en perspective de l’hybridation caractéristique de cette criminalisation:Footnote 75 lequel, d’entre le droit international pénal et le droit international de l’environnement emprunte à ce titre de l’autre ses postulats? Cela remet à la surface la question de l’ancienneté de l’une de ces branches du droit international public par rapport à l’autre. Pour mémoire, si le droit international de l’environnement apparait et se développe à partir des années 1970Footnote 76 dans un contexte de globalisation des enjeux environnementaux, l’idée d’un droit international pénal émerge déjà à partir de 1872Footnote 77 à l’occasion de la proposition de Gustave Moynier relative à la création d’une juridiction pénale internationale. S’il faut partir des procès de Nuremberg en 1945,Footnote 78 il se confirme davantage l’ascendance temporelle du droit international pénal sur l’idée de protéger l’environnement par le droit international. C’est ce qui conforterait, à première vue, l’idée de partir des principes de NurembergFootnote 79 pour scruter les fondements épistémologiques de l’incrimination de l’écocide. Pourtant, cette criminalisation est censée participer à l’effectivité d’une branche qui doit sa ratio legis à l’observation d’un certain nombre de principes et concepts singuliers par rapport à la réalité sociologique ayant guidé le droit international pénal. C’est là justement l’intérêt de penser à une démarche dialectique tendant à concilier les fondements épistémiques de la protection de l’environnement et les principes coutumiers de Nuremberg. Il s’impose dès lors l’idée de parcourir les principes généraux de droit pénal à la lumière du contexte de la commission du crime d’écocide avant de cerner les caractéristiques générales de la protection de l’environnement au miroir de cette criminalisation.
Principes généraux de droit pénal
Appréhendés en droit international, les principes généraux de droit pénal sont une source formelle participant à la formation de ce dernier. Sous cet intitulé, le chapitre III du Statut de Rome reprend les principes généraux de droit pénal appliqués au droit international pénal et les principes coutumiers de Nuremberg. Essentiellement centrées sur la protection de l’individu, les normes postulant la répression de crimes supranationaux infèrent une gamme de principes dont la teneur ne serait toujours pas adéquate par rapport à l’objectif d’incriminer les conduites sévèrement attentatoires à l’environnement. L’un d’entre les sept principes existantsFootnote 80 mérite d’être analysé à la lumière de la singularité caractérisant les crimes environnementaux: la responsabilité pénale de l’individu en droit des gens. Les six autres principes s’appréhendent comme tels à la lumière de la réalité inhérente à la répression de graves atteintes écologiques. Si ceux postulant l’humanité et l’imprescriptibilité des crimes internationaux riment avec l’idée de réprimer les graves atteintes écologiques, celui relatif à la subjectivation de la responsabilité pénale ne permet pas de rencontrer les réalités subjectives pouvant résulter de la commission de l’écocide. Il s’observe de nos jours que le crime d’écocide est souvent le fait de personnes morales de droit, en l’occurrence des sociétés multinationales. Pourtant, partant de l’axiome societas delinquere non potest nec puniri,Footnote 81 le Statut de Rome ne consacre pas la responsabilité pénale des personnes morales.
Le crime d’écocide vise en principe l’individu criminel pris comme personne privée. Il agit en tant que simple particulier, sans aucun lien organique. À observer à travers plusieurs illustrations, cette forme de responsabilité est rarement envisageable en cas d’écocide. La plupart des actes matériels constitutifs d’écocide sont souvent perpétrés dans un contexte associatif ou collectif. Il s’observe donc que la commission solitaire des actes d’écocide est vraiment rare. C’est pourquoi il importe de considérer les implications de la participation criminelle. Ainsi, l’écocide peut être appréhendé en tant que crime d’association à travers l’interprétation des dispositions sur la participation criminelle, en particulier l’article 25 du Statut de Rome Footnote 82 selon lequel le fait d’un groupe est imputé aux individus le constituant. Les dispositions de cet article se réfèrent ainsi à deux modes de participation: la complicité et la coaction. On se trouve là devant une association criminelle ou une collectivité criminelle. Au-delà de sa dimension associative, ces postulats subjectifs du droit international pénal ne permettraient pas de saisir à juste titre l’imputabilité associative des éco-mafias. Cela nécessite justement un apport des mécanismes pensés en cas de criminalité organisée.Footnote 83 Cette affirmation est correcte d’autant plus que le crime d’écocide renferme bien des fois les éléments de la criminalité transnationale écologique.Footnote 84
Il importe, dans cet ordre d’idées, de réfléchir à l’adéquation du principe général de l’imprescriptibilité des crimes supranationaux à la réalité de la répression de graves atteintes écologiques. L’adéquation du principe d’imprescriptibilité à la réalité juridique postulant la répression de l’écocide repose sur l’idée de combattre l’impunité criminelle.Footnote 85 Si ce principe suppose dans sa perspective anthropocentrique combattre l’oubli et le pardon,Footnote 86 il sous-entend à l’aune de la protection environnementale un bénéfice plus que symbolique. Il participe de ce fait à la protection des droits subjectifs des générations futures sur le patrimoine écologique. Il renforce l’équité trans-générationnelle dans la mesure où sa substance habilite les générations futures dans la jouissance et la réclamation des biens communs planétaires.Footnote 87 Cette idée met en exergue le principe de l’humanité qui est le substrat philosophique du droit international pénal. Ceci est d’autant plus vrai que l’idée de l’humanité postule plus qu’une appréhension anthropocentrique. Elle permet de structurer d’autres finalités participant à la protection de l’environnement. Cette thèse est correcte d’autant plus que l’idée de protéger l’environnement entraine également la protection de l’humanité trans-spatiale et trans-temporelle.Footnote 88 C’est dans cette perspective que la définition du crime contre l’humanité permet également d’illustrer les atteintes contre l’environnement.
Caractéristiques de la protection environnementale
Il importe de souligner avant tout la posture dialectique censée guider cette démarche de criminalisation. La mixité des objectifs censés orienter le besoin de réprimer les graves atteintes écologiques recommande une conciliation de l’essence singulière de certaines caractéristiques guidant la protection de l’environnement avec les principes de Nuremberg. Il en va de la prise en compte du risque environnemental dans l’appréciation des faits criminels, des connaissances scientifiques en vue de la détermination du seuil de gravité au regard de la délinquance écologique, et de la valeur suprême censée fonder la protection de l’environnement. Transposée dans le champ du droit répressif, l’idée du risque environnemental induit la prise en compte du modèle anticipatifFootnote 89 dans l’appréciation de l’identité criminogène des comportements gravement attentatoires à l’environnement. En effet, elle met à l’évidence le caractère proactif recommandant aux acteurs industriels une vigilance pointue dans la gestion de toute activité potentiellement attentatoire aux vertus écologiques.Footnote 90 Sous-tendant la survenance d’un péril éventuel ou prévisible, ce modèle anticipatif permet de mesurer l’importance d’un danger en associant à l’évaluation de la probabilité d’apparition d’un évènement indésirable, l’évaluation de ses effets ou conséquences.Footnote 91 Cela participe en effet à la construction d’un nouveau paradigme dans le champ du discours répressif international avec l’évocation d’une omission de précaution qui illustre en fait l’infraction de mise en danger. Située dans ce débat, la mise en danger s’illustre par des conséquences néfastes sur l’intégrité de l’environnement dues par le fait du défaut d’anticipation dans l’entreprise industrielle. Cette infraction peut se fonder sur l’imprudence ou la négligence.
L’incrimination de l’écocide présuppose en effet la préservation d’une valeur suprême à vocation éco-centrique à travers l’idée des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité. Il en résulte une destinée dépassant la seule mission de protéger les droits intangibles de l’homme. Structurée sur fond d’une hégémonie naturaliste, la sûreté de la planète s’impose alors comme référence pouvant guider la criminalisation de l’écocide d’autant plus qu’elle entend protéger l’environnement pour un intérêt intrinsèque.Footnote 92 Se référant à deux idées essentielles illustrant les communs planétaires et services écosystémiques dont dépend la biodiversité, cette valeur inscrit notamment une bonne dose d’humanisme lorsqu’elle perçoit l’humain à travers la diversité biologique.Footnote 93 Elle lie notamment le caractère criminogène à la circonscription des conséquences humaines résultant des atteintes écologiques.
Enfin, la spécificité de cette démarche d’incrimination dépend de la mesure d’appréciation de la gravité censée fonder l’identité attentatoire à l’ordre public de la société humaine.Footnote 94 Ceci est correct d’autant plus que pour qu’une atteinte environnementale soit constitutive d’écocide, il doit en résulter des dommages graves, durables et étendus. Bien que reflétant l’esprit du Statut de Rome, cette terminologie n’est pas un héritage de Nuremberg.Footnote 95 La gravité des crimes définis à l’occasion de ce procès s’illustre essentiellement à l’unité de mesure contextuelle: la guerre,Footnote 96 la systématicité et la massificationFootnote 97 ainsi que le contexte destructeur de l’identité sociologique.Footnote 98 C’est par rapport aux atteintes écologiques perpétrées aussi bien en temps de paix qu’en temps de guerre qu’il a paru opportun de cerner la hauteur de ces comportements pour ne pas justement confondre les atteintes simples et celles qui sont graves. À ces indicateurs illustrant l’étendue temporelle et spatiale des dommages, certains écrits estiment nécessaire d’ajouter le caractère collectifFootnote 99 et significatif de l’endommagement, à même de bien révéler cette gravité.Footnote 100 En tout état de cause, cela requiert une démarche d’objectivation à mesure de situer la hauteur des conséquences de ces actes dans un trajectoire temporel et l’impact destructeur de ces comportements sur l’intégrité des biens environnementaux exposés par ce fait. Il va falloir dès lors mesurer le seuil de cette irréversibilité ou de cette durabilité en fonction des connaissances scientifiques partant de la géologie, de l’écologie, de la géographie, de la chimie, de la physique, de la météorologie, de la climatologie, etc.Footnote 101
Incrimination de l’écocide dans la proposition d’amendements du Statut de Rome
Concevoir un crime d’écocide dans le Statut de Rome revient à envisager une dialectique épistémique postulant un réel équilibre consistant à percevoir une criminalisation à vocation éco-centrique dans un texte conventionnel guidé par un destin anthropocentrique. Dans le prolongement des postulats posés au premier point de cette réflexion, le deuxième point, que constitue la présente analyse, s’assigne pour objet de restituer la quintessence du raisonnement ayant guidé cette criminalisation. Il faut d’emblée reconnaitre que, butée par l’indifférence suscitée par l’instinct souverainiste caractérisant bien des États à l’épreuve d’une démarche essentiellement supranationale, la majorité des membres de ce groupe de travail ne pouvait qu’opter pour une piste réaliste de la démarche. C’est ainsi qu’il s’imposait de rassurer les États censés avaliser ledit projet, par ratification conventionnelle, à travers des orientations moins contraignantes de la souveraineté pénale. Le choix d’une définition générique des actes matériels constitutifs du crime d’écocide s’inscrit justement dans cet ordre d’idées. Cette option n’est pas sans susciter des remous par rapport au principe cardinal postulant la légalité des délits et des peines.
validité du raisonnement ayant orienté cette criminalisation
Cette démarche repose plus fondamentalement sur une vision dialectique des postulats idéalistes et réalistes à l’appui des précédents répressifs internationaux pouvant participer à la construction de l’idée consistant à criminaliser les comportements gravement attentatoires à l’environnement en vue d’en réprimer les potentiels auteurs.Footnote 102 L’agencement de ce raisonnement a ainsi tourné autour d’une faisabilité légistique reposant sur quelques principes du droit international pénal hérités des procès de Nuremberg, dont notamment la mens rea, l’élément axiologique, le sujet de l’infraction, l’élément matériel, etc. Il convient en passant de souligner que le cadre offert par la fondation Stop Ecocide permet de fédérer les avis dispersés à travers bien des projets de criminalisationFootnote 103 sur les options pénales que soulève la problématique. Le texte fini de la proposition reprend les éléments retenus à l’issue des discussions qui ont présidé à des conclusions que nous estimons discutables.
Au regard des éléments de subjectivation et de définition
Comme l’annonce bien son intitulé, ce point se propose d’examiner le raisonnement des rédacteurs de ce projet d’amendements du Statut de Rome au regard de la personnification du crime et de la définition du crime d’écocide à travers cette criminalisation. On ne pourra s’empêcher de s’inspirer au cours de la réflexion d’autres propositions de criminalisation de l’écocide. Se voulant en effet réaliste, ce texte de projet souffre d’une faiblesse notable en rapport à l’évolution de la question sur la subjectivation en droit international pénal. Il consacre, au mépris de la responsabilité pénale des personnes morales, la seule responsabilité des personnes physiques.Footnote 104 À l’heure où les discussions sur la question penchent de plus en plus à la faveur de la subjectivation des personnes morales en droit international pénal, il est cependant curieux de constater qu’une proposition de criminalisation portant sur l’écocide opte pour la seule responsabilité individuelle. Est-il besoin de rappeler que la grande majorité des comportements constitutifs d’écocide émane des personnes morales: les multinationales? Il transparait une tendance sobre s’inscrivant dans la perspective d’un texte voulu moins ambitieux en vue d’inspirer la confiance des États censés pourvoir à son acceptation. Bien des instruments s’adaptent pourtant à cette évolution en vue de saisir à juste titre la criminalité des sociétés multinationales. Citons le projet de la CDI sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanitéFootnote 105 et le Protocole de Malabo portant amendements du protocole instituant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuplesFootnote 106 qui inscrivent dans leurs textes la responsabilité pénale des personnes morales. On ne peut s’empêcher, à ce titre, d’évoquer la proposition française visant, à l’occasion des discussions sur l’adoption du Statut de Rome, à consacrer à travers cet instrument la responsabilité des personnes morales de droit. Force est de souligner qu’à ces jours aucune d’entre ces consécrations ne revêt un statut juridique certain dans la mesure où ces textes ne peuvent emporter une quelconque opposabilité dans l’ordre international. Il s’avère plus que jamais opportun de confirmer cette évolution législative à travers un tel projet d’amendements. C’est sur cette lancée que s’inscrivent notamment les deux projets de criminalisation de graves atteintes écologiques. Mentionnons les projets conçus sous le label de la fondation End Ecocide on Earth et sous la direction de Laurent Neyret. Ces propositions prévoient aussi bien la responsabilité pénale des personnes physiques que la responsabilité pénale des personnes morales en droit. La proposition conçue sous le label de la fondation End Ecocide on Earth se veut beaucoup plus ambitieuse en ce qu’elle prévoit la responsabilité des personnes morales de droit public et de droit privé.
Quant à sa définition, ce texte aborde bien des questions liées à la caractérisation du crime contre l’environnement à la manière de celles qu’on se propose d’analyser: l’appellation générique de l’incrimination et la définition du terme environnement. Il valait la peine de s’entendre sur l’appellation du crime constitutif d’atteintes graves à l’environnement avant d’aborder la quintessence de sa définition juridique: les discussions ont porté sur le choix entre les termes “crime environnemental contre l’humanité” et “crime d’écocide.”Footnote 107 Buté à la diversité d’opinion, ce panel a carrément décidé de procéder par des enquêtes de terrain en vue de sonder le commun des mortels à ce sujet. Les enquêtes faites concluent à un penchant clair en faveur de l’expression crime d’écocide qui frappe l’imaginaire collectif.Footnote 108 Est-il besoin de souligner que la démarche devrait s’inscrire dans le sens de la conception d’une infraction éco-centrique illustrant les comportements sévèrement attentatoires à l’environnement? Or, l’appellation “crime environnemental contre l’humanité” a tendance à mettre à l’évidence l’appréhension anthropocentrique du comportement criminel, présupposant les conséquences humaines pouvant résulter d’une destruction significative de l’environnement.Footnote 109 Cela rejoint justement un débat important lié à l’énonciation même de l’incrimination: faudrait-il l’inclure comme élément constitutif du crime contre l’humanité ou du crime de génocide ou l’énoncer comme crime autonome à côté de quatre crimes préexistants dans le Statut de Rome?Footnote 110 S’étant entendu sur la nécessité d’une incrimination autonome au titre d’un cinquième crime contre la paix et la sécurité de l’humanité, ce panel s’est tout de même permis d’argumenter ce choix sur le fait que les deux autres hypothèses ne permettraient pas de cerner à juste titre l’essence éco-centrique censée guider à la base cette démarche.
En effet, si un dommage significatif à l’environnement peut illustrer le crime contre l’humanité ou le crime de génocide, toute atteinte écologique, soit-elle grave ou non, n’est pas nécessairement négatrice de l’humanité ou destructrice d’un groupe identifiable. L’identité criminogène de ces catégories juridiques procède du contexte négateur de l’humanité illustré par l’inhumanité des comportements, pour ce qui est des crimes contre l’humanité, et la destruction identitaire s’agissant du génocide. Il est bien vrai que, à travers l’interprétation évolutive et extensive de certains actus reus constitutifs de crime contre l’humanité ou de génocide, le juge peut notamment considérer certains dommages contre l’environnement. De là, il n’est cependant pas prudent de poser cette incrimination sur fond des concepts qui sous-tendent des bases essentiellement humanistes, de peur que les finalités éco-centriques postulant cette démarche soient avalées par la dominante tendance anthropocentrique que sous-tend le Statut de Rome. L’humanité n’est pas l’unique valeur exposée par le fait des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité. La sûreté de la planète l’est également, d’autant plus qu’elle permet d’aménager un espace sécurisé pour l’humanité. C’est à juste titre que les auteurs comme Mireille Delmas-Marty, Laurent Neyret, Isabelle Fouchard et Emanuela Fronza ne souscrivent pas à l’idée d’incriminer les graves atteintes écologiques à travers la définition du crime contre l’humanité, comme l’avait proposé certains travaux de la CDI. Ils estiment qu’une telle extension du crime contre l’humanité risquerait de bouleverser la cohérence des finalités assignées à celui-ci, en ce qu’il faudrait imaginer à ce titre une définition qui mêlerait à la fois des intérêts des humains et des intérêts de non-humains.Footnote 111
C’est sur cette base que ce panel décide de pencher en faveur d’une criminalisation de l’écocide comme crime à part entière dans le champ conceptuel des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité. S’inspirant du crime contre l’humanité et des crimes de guerre, ce texte ressort une tendance prononcée en faveur d’une vocation éco-centrique de la démarche. Si cette définition s’inspire de la structure terminologique de l’article 7 du Statut de Rome sur le crime contre l’humanité,Footnote 112 plusieurs aspects sur son contenu sont tirés de l’idée sur la criminalisation des dommages écologiques perpétrés en temps de conflit armé.Footnote 113 Ainsi que le souligne l’article 8ter dudit projet en son point 1, on entend par crime d’écocide des actes illicites ou arbitraires commis en connaissance de réelle probabilité que ces actes causent à l’environnement des dommages graves qui soient étendus ou durables.Footnote 114
Faisant l’objet de plusieurs définitions, le terme “environnement” saisit une réalité complexe et insaisissable du fait d’une vocation vaste et en perpétuelle évolution. De quel environnement s’agit-il aux fins d’une protection juridique à travers l’incrimination de graves atteintes écologiques? L’organisation Stop Ecocide Foundation définit le terme en ayant ressort à une dimension beaucoup plus globale. Elle fait allusion à tous les éléments de la nature et toutes les conséquences pouvant résulter de leur interaction. Allant dans le sens de la Cour permanente d’arbitrage,Footnote 115 cette définition englobe la catégorie des biens visés par différents textes nationaux et internationaux relatifs à la protection substantielle de l’environnement. Il en va de la protection des espèces biologiques et de l’assurance de l’équilibre découlant de leur interaction. L’organisation définit le concept comme englobant “la Terre, sa biosphère, sa cryosphère, sa lithosphère, son hydrosphère et son atmosphère, ainsi que […] l’espace extra-atmosphérique.”Footnote 116
Au regard des éléments constitutifs du crime
Même si le point 2 de l’article 8ter s’applique, à la manière du crime contre l’humanité, à élucider la teneur de certains termes qu’il renferme aux fins d’un éclairage terminologique,Footnote 117 cette incrimination de l’écocide recèle à certains égards quelques soucis liés à la circonscription de l’élément matériel du crime. Si les épithètes “graves,” “durables” et “étendus,” censés déterminer la hauteur des forfaits, permettent de bien situer les dimensions spatio-temporelles et destructrices de l’endommagement,Footnote 118 certains adjectifs devant déterminer la teneur de ces actes soulèvent bien des interrogations en rapport avec l’élucidation criminogène des atteintes écologiques visées: les épithètes “illicites” et “arbitraires” censés définir la nature des actes.
Le terme “illicites” souligne sans doute un lien existentiel entre l’essence criminelle des dommages écologiques et l’illicéité pouvant illustrer l’activité industrielle ou humaine à la base de ces derniers. Cette expression suppose donc que la culpabilité des comportements d’atteinte écologique doit résulter de l’illicéité de l’activité à la base du dommage. Pourtant, les graves atteintes écologiques sont aussi le fait d’un dommage résultant des activités licites.Footnote 119 Il nous suffirait pour s’en convaincre d’évoquer à ce titre les multiples cas de pollution à grande échelle réalisés à l’occasion d’une exploitation industrielle régulière. Cela rend compte de l’impératif de reprendre à coté de cette dernière expression un concept traduisant l’hypothèse d’une culpabilité sur la base d’une activité régulière. Les rédacteurs de ce projet pensent s’appuyer sur la traduction française de l’adjectif wanton pour ce faire. Bien des dictionnaires traduisent ce terme par arbitraire, injustifié ou exagéré. S’il faut le considérer comme illustrant l’arbitraire au sens littéral du terme, on conviendrait du coup que la définition du crime d’écocide dans ce cas précis perd tout son sens. À bien scruter la définition du concept wanton, il se trouve que ce concept se rapproche des termes “injustifié” et “exagéré” illustrant la dis-proportionnalité de l’acte au regard des avantages sociaux et économiques attendus.
Cette expression ne corrobore pas clairement l’hypothèse d’un crime perpétré dans le contexte d’une activité licite. Il se trouve sans doute que cette orientation terminologique s’inspire de l’énonciation des crimes de guerre à travers les articles 8(2)(a)(iv) et 8(2)(b)(iv) du Statut de Rome. Il semble pourtant péjoratif d’évoquer l’illicéité écologique postulant certains comportements criminels sans clairement souligner le fait que cette identité criminogène peut aussi résulter du fait de conduites réalisées dans le cadre d’une activité licite.Footnote 120 La contextualisation de cette mise en balance rend compte du conflit pouvant exister entre l’objet de l’activité (industrielle ou humaine) et les intérêts environnementaux protégés. Il semble pleinement indiqué de s’appuyer sur le principe de précaution comme élément d’appréciation d’un comportement résultant d’une activité à la base licite. La proportionnalité peut par ailleurs permettre de circonscrire l’état d’esprit animant l’auteur de l’acte, s’agissant des crimes commis dans le cas d’une activité licite. Il n’est dès lors pas important de faire ressortir cet élément dans la définition du crime. Ces adjectifs semblent être de trop ou inutiles dans cette énonciation. Il vaudrait mieux reprendre les termes “comportements” ou “comportements illicites ou licites” en lieu et place de l’expression “actes illicites ou arbitraires.”
Cette affirmation rejoint la question sur les comportements coupables d’autant plus que le crime d’écocide n’est pas seulement une infraction par action. Il se réalise aussi par une omission coupable. Évoquons le cas d’un agent commis à la surveillance environnementale qui omet de dénoncer un comportement de pollution maritime dont il est pourtant bien informé. Il ressort de la lecture de l’amendement proposé que seule l’action coupable est mise en évidence. C’est le commentaire du texte qui vise à rattraper ce vide en soulignant le fait que le concept “actes” englobe aussi bien l’action que l’omission coupable.Footnote 121 Pourtant, on conviendrait du fait qu’il est bien plus aisé d’énoncer clairement dans le cadre d’une définition le comportement négatif en plus du comportement positif constitutif de l’actus reus du crime. Qu’en est-il, par ailleurs, de la planification coupable? Il est sans doute important de faire constater que le crime d’écocide est aussi le fait d’une planification criminelle. Il nous suffit d’évoquer les péripéties qui ont entouré le largage des déchets hautement toxiques à Abidjan dans le contexte de l’affaire Probo Koala pour s’en convaincre. Les méthodes et étapes de réalisation de ce déversement des déchets permettent sans doute de valider cette affirmation.Footnote 122 Il importe de souligner dans cet ordre d’idées que l’une des caractéristiques de la criminalité environnementale est la dimension transnationale qui se distingue par l’aspect planificateur définissant le caractère organisé de certaines graves atteintes écologiques. Ceci est illustré par les circonstances entourant la réalisation par les éco-mafias d’actes d’abattage d’arbres en vue d’un commerce illégal.Footnote 123 La planification à travers les crimes des éco-mafias s’inscrit dans une logique de réseautage traversant plusieurs États et infiltrant même les circuits institutionnels des États.Footnote 124 Ici, la portée criminogène s’apprécie en fonction de l’étape encourue. Un acte de préparation peut ainsi revêtir l’identité criminelle. Cette affirmation rapproche la planification coupable de la mise en danger dans la mesure où l’identité criminogène se cristallise déjà dans la trajectoire temporelle entre la commission de l’acte et l’obtention du résultat criminel. La mise en danger dans le cas du crime d’écocide s’entend ainsi comme le fait de la création d’une situation dangereuse nonobstant la certitude d’un préjudice matériel certain.Footnote 125 Elle repose sur un probabilisme évident.Footnote 126
Qu’à cela ne tienne, cette construction logique de l’actus reus dans ce projet s’appuie sur une mens rea qui de notre point de vue semble équilibrée et adaptée à la singularité de la réalité de ces genres de crime. En vue de réduire l’écart pouvant se produire manifestement entre les conséquences attendues comme résultat de l’acte criminel et la réalité aussi éloignée révélant ledit forfait, ce panel préfère proposer un élément moral construit sur la probabilité de la réalisation d’un danger environnemental. Cet état d’esprit repose sur la représentation que l’auteur peut se faire à propos des dangers très probables pouvant résulter de son comportement. Il en résulte une conscience déduisant une négligence coupable ou un dolus eventualis. Footnote 127 Cette proposition présente une mens rea plus lourde en vue de garantir que seules les personnes affichant un degré de culpabilité significatif pour avoir causé des dommages graves à l’environnement seront tenues responsables.Footnote 128 Cet élément psychologique se rapproche de la mens rea des crimes contre l’humanité dont la teneur repose sur la présomption de la connaissance éclairée du contexte criminel.Footnote 129 Ces passages de l’affaire Kayishema et Ruzindana sont très illustratifs: “[…] l’auteur du crime doit être conscient du contexte plus large dans lequel il est commis […] L’accusé devrait par conséquent être conscient de ce degré de gravité pour être tenu responsable desdits crimes.”Footnote 130 Ils permettent de lier la connaissance du contexte à une conscience de la probabilité réelle du danger. Bien qu’ils illustrent le crime contre l’humanité, ces passages se rapprochent de l’esprit des rédacteurs de ce projet. La conscience de la réelle probabilité du danger présuppose une connaissance éclairée du contexte criminel. Ainsi que le souligne d’ailleurs Amissi Melchiade Manirabona à propos du largage des déchets hautement toxiques à Abidjan par la societé Trafigura, il est difficile pour cette société de prétendre n’avoir pas un niveau suffisant de connaissance des circonstances ayant entouré le déversement de ces déchets en pleine ville habitée par plus d’un quart de la population du pays.Footnote 131 Cet exemple met en relief l’hypothèse d’une négligence coupable dans la mesure où les circonstances mettent en lumière la probabilité élevée d’un danger que l’accusé est censé savoir en agissant. L’obstination de l’auteur malgré la connaissance du contexte général présageant la conscience d’une probabilité de danger atteste une négligence. C’est fort de tout ce qui précède qu’il importe d’inscrire cette criminalisation dans une perspective terminologique mixte postulant à la fois une définition générique et une définition spécifique des éléments constitutifs.
option définitionnelle au tournant du principe de la légalité criminelle
Tiraillé entre l’impératif droits-de-l’hommiste postulant la légalité des délits et des peines et l’idéal légistique visant à renforcer le pouvoir interprétatif du juge, le droit international pénal doit s’inscrire derrière l’une de ces tendances terminologiques: la définition générique ou la définition spécifique des éléments constitutifs du crime. Pourtant, l’équilibre recommande de tirer bénéfice des vertus que peuvent renfermer ces deux inclinations. Pour sa part, ce texte du projet d’amendements du Statut de Rome postule une énonciation illustrative des conduites devant élucider la nature du crime d’écocide.Footnote 132 D’une consistance abstraite et souple, cette définition ne fixe que les limites extérieures du crime sans se préoccuper du fond dans la mesure où elle ne comporte pas de liste des actes pouvant constituer le crime.Footnote 133 À travers une description générale des comportements pouvant porter gravement atteinte à l’environnement, ce texte se propose de cerner quelques éléments jugés nécessaires pour illustrer la nature des dommages écologiques et la teneur de sa gravité. La particularité de cette définition réside dans l’utilisation de termes assez imprécis et pas toujours prédéfinis. La consistance de cette description se trouve confinée dans la teneur des termes tout aussi imprécis comme “actes illicites ou arbitraires.”Footnote 134 On peut schématiquement assimiler la définition de certains termes dans le corps du texte à un exercice d’élucidation. Sa consistance requiert pourtant une certaine référence à des actes précis rentrant dans la qualification de tel ou tel élément matériel du crime. Ceci peut par absurde nous ramener à l’éclairage conceptuel censé expliciter la teneur de certains termes liés à la description de l’élément matériel du crime. C’est le cas par exemple du point 2 de l’article 8ter de ce projet qui s’applique à définir certains concepts liés à la compréhension du crime d’écocide.Footnote 135 La gamme des définitions proposées à ce titre ne sert pas à pourvoir à ce vide terminologique. Elle ne pourra servir à suppléer le défaut énonciatif constaté à travers le premier point. Cette disposition permet, comme c’est le cas avec l’article 7 du Statut de Rome sur le crime contre l’humanité, d’élucider quelques termes contenus dans l’énonciation du premier point dont l’éclairage contribue à la compréhension des éléments de l’actus reus. Footnote 136
Tout compte fait, cette définition renferme tout de même quelques vertus. Son essence générique permet ainsi de compenser l’obsolescence pouvant ressortir d’une énonciation. Ceci est d’autant plus vrai dans la mesure où elle justifie l’idée de relier la teneur du texte à une réalité évolutive. C’est dans cette perspective que le juge se trouve être l’artisan d’un effort interprétatif à même de lier une disposition à des casuistiques révélant l’évolution contextuelle.Footnote 137 Il appartiendra de ce fait à l’autorité judiciaire de cerner la teneur des termes imprécis ou prédéfinis contenus dans ce projet de criminalisation à une réalité factuelle illustrant notamment ladite évolution. Partant, le juge ne se contente plus de la legis-dictio pour trancher et orienter les comportements de la société; il étend ses fonctions à la juris-dictio: créateur et interprète en même temps.Footnote 138 Cela lui permettra justement de résorber les lacunes des rédacteurs de ce texte d’amendements en posant les limites interprétatives de l’incertitude législative.Footnote 139
S’agissant de l’intérêt interprétatif pouvant résulter d’une perspective générique de la démarche terminologique de cette incrimination, il convient outre mesure de s’assurer du fait que ce renforcement du pouvoir judiciaire ne soit pas à la base d’une entorse aux droits de l’homme lors des poursuites. Sans doute, une telle énonciation pèche contre le principe de la légalité des délits et des peines recommandant la compréhension détaillée et suffisamment claire de l’incrimination en vue de permettre à la personne prévenue de pouvoir facilement comprendre les interdictions formulées à ce titre par le texte servant de ligne de conduite.Footnote 140 Cela requiert justement que l’écrit décrivant l’infraction soit clair et limpide.Footnote 141 Il doit ressortir l’élément de gravité distinguant l’écocide de toute autre infraction contre l’environnement. Elle spécifie la gravité des comportements attentatoires à l’environnement par rapport à la détermination du seuil apprécié en fonction des limites planétaires et de la pérennité des biens environnementaux. Couchés clairement dans un écrit, les éléments définissant les actes physiques au regard des attitudes ou contexte permettront que le crime d’écocide soit connu à l’avance et ce, avec plus de précision possible. Cela permettra justement à chacun de savoir ce qui est permis par la loi et ce qui ne l’est pas, et de connaitre ce qu’il encourt en posant tel ou tel comportement.Footnote 142 Pouvant garantir le principe de prévisibilité, une définition spécifique s’incarne dans une liste énumérative des actes matériels.Footnote 143 Elle permet de donner un avis plus clair sur les comportements problématiques à la fois pour des raisons de légalité et à des fins expressives.Footnote 144 En prolongeant la réflexion plus loin, il est curieux de constater dans ce cheminement d’idées le fait que l’hégémonie de ce potentat judiciaire peut d’ailleurs desservir la souveraineté législative des États signataires de ces amendements. La consécration d’un énoncé-ouvert des actus reus du crime d’écocide conditionne la souveraineté législative des États. Cela permet au juge d’assimiler au-delà des comportements clairement énoncés par les rédacteurs du Statut de Rome notamment les actes de pollution affectant la population civile. Cette possibilité envisage un transfert du pouvoir législatif, revenant aux autorités législatives des États signataires du projet d’amendements, au bénéfice du juge pénal international. Ce juge a dès lors l’aptitude d’envisager notamment les atteintes au climat. Du coup, cette constatation découragerait l’ardeur des États à s’impliquer en vue de l’adoption de ce projet d’amendements.
C’est sans doute le lieu de souligner que le choix terminologique opéré dans ce projet d’amendements cache outre mesure une crainte nourrie tenant à la lourdeur que pourrait susciter un texte clairement énonciatif avec toutes les hésitations sur la perception consensuelle de bien des textes conventionnels sur l’environnement.Footnote 145 Mentionnons par exemple le traité sur le climat.Footnote 146 Il se trouve, à croire la majorité des membres du panel ayant rédigé ce projet, qu’une définition du genre nécessiterait de lister notamment des comportements liés au changement climatique.Footnote 147 Le difficile consensus sur l’existence d’un traité contraignant relatif au changement climatique peut influencer en défaveur de cette démarche l’adhésion étatique à une pareille proposition de criminalisation. Pourtant, bien des questions peuvent motiver l’intérêt d’une telle démarche visant une définition spécifique des actes constitutifs. C’est là peut être l’occasion de théoriser dans le champ conceptuel des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité la notion de la sûreté de la planète à travers l’énonciation des comportements pouvant porter atteinte à la substance de certains intérêts environnementaux. De manière concrète, cette description s’appliquerait à lister parmi la panoplie de ces comportements attentatoires à l’environnement, ceux qui attentent gravement à son intégrité. Il s’imposera de définir les biens environnementaux dont la destruction constitue en soi une atteinte à la sûreté de la planète. Ainsi donc, toute atteinte sévère des communs planétaires ou des services écosystémiques est constitutive d’écocide.
Force est d’admettre, partant de tout ce qui précède, que les vertus renfermant ces deux inclinations terminologiques participent à une description équilibrée des éléments constitutifs d’un crime. C’est à ce titre qu’il convient d’opter pour une perspective mixte prenant en compte aussi bien les éléments d’une définition générique que ceux illustrant une définition spécifique dans le cadre de l’énonciation de l’écocide. Ce choix permettra de situer la démarche à mi-chemin de la caractérisation générique et exhaustive.Footnote 148 Il emprunte à la fois les éléments du droit ouvert et du droit fermé correspondant à une identité “semi-fermée” et “semi-ouverte.”Footnote 149 Si la définition spécifique présente une description claire et détaillée des éléments du crime, l’élasticité caractéristique de la définition générique a le mérite d’étendre le champ de la répression à des actes similaires non-spécifiquement identifiés au moment de la rédaction initiale de l’incrimination. Une caractérisation mixte de l’incrimination de l’écocide permettra aux rédacteurs de procéder notamment à une énonciation listée de quelques comportements précis d’atteinte grave à l’environnement. Il s’agira dès lors d’une liste non-exhaustive. Ainsi donc, les actes ou omissions ayant un lien avec le changement climatique peuvent être sous-entendus dans une telle énonciation ou dans un énoncé imprécis se référant par exemple à une catégorie dépourvue de référence aux biens juridiques périphériques, un peu comme la notion “tout acte inhumain de caractère analogue” à l’article 7 du Statut de Rome.
une criminalisation éco-centrique dans un texte essentiellement anthropocentrique
Le besoin de cerner avec netteté la dimension purement naturaliste de l’incrimination des comportements gravement attentatoires à l’environnement à travers le dispositif répressif de la CPI ne valide pas une totale remise en cause de la vocation anthropocentrique censée guider la démarche. Il est ici question de réajuster le contenu d’un texte conventionnel humaniste par excellence en le conciliant aux acquis d’une nouvelle incrimination aux visages éco-centriques. C’est dans cette perspective que s’inscrit justement ce projet lorsqu’il souligne la nécessité de joindre au préambule du Statut de Rome une motivation expliquant l’urgence de faire face aux menaces auxquelles est confronté l’environnement à l’épreuve des comportements destructeurs et dévastateurs mettant en péril la survie de la biodiversité et la régulation des systèmes naturels.Footnote 150 Et c’est précisément au travers de ce seul paragraphe que se greffera dans le Statut de Rome un dessein naturaliste. Il convient en effet de souligner que ce paragraphe se trouvera enchâssé dans la panoplie des points confirmant l’hégémonie humaniste du Statut de Rome portant création d’une cour criminelle permanente.Footnote 151
Cette tendance prononcée en faveur d’une incrimination à substrat éco-centrique dans le champ juridique du Statut de Rome viendrait du reste équilibrer l’agencement philosophique de cet instrument conventionnel dont la teneur est sans doute dominée par ses finalités humanistes. C’est en effet l’occasion de souligner le fait que l’idée postulant la protection des droits les plus essentiels de l’homme se trouve être providentielle pour une juridiction dont la mission est de réprimer les graves atteintes contre la paix et la sécurité de l’humanité.Footnote 152 Sans doute, trois d’entre les quatre crimes constituant actuellement le champ matériel de la CPI sont voués à la protection des droits intangibles de la personne. Ils préservent, au-delà des droits les plus essentiels de l’homme, l’humanité éprouvée par le fait de sa destruction et de sa négation.Footnote 153 Visant à humaniser la guerre, l’incrimination des violations graves des principes règlementant le déroulement des conflits armés participe également à la protection des droits essentiels de la personne à travers le droit dit de Genève.Footnote 154 Ainsi donc, l’idée anthropocentrique irriguant la juridicisation des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité dans le Statut de Rome se trouve concrétisée à travers la consécration du crime contre l’humanité en son article 7, du crime de génocide en son article 6, et du crime de guerre en son article 8. Illustrée en droit international public à travers le crime contre l’humanité, cette vocation anthropocentrique met en relief une idée protectrice de l’humanité à l’épreuve d’un acte individuel à la base inhumain en mesure d’entamer l’intégrité de l’humanité.Footnote 155 Si la dimension négatrice de cette valeur est la seule motivation du crime contre l’humanité, un aspect intrinsèque, et non le moindre, s’ajoute pour la criminalisation du génocide en droit des gens. C’est celui dont l’articulation est censée protéger contre le déni du droit à l’existence des groupes humains entiers.Footnote 156 Ici, l’identité criminogène repose sur la finalité identitaire visant la diversité d’actes d’atteinte aux droits essentiels de l’homme. Même si le destin stato-centrique justifiant l’incrimination d’agression éloigne le contexte de guerre de l’idée protectrice de l’humanité,Footnote 157 l’intérêt de devoir protéger les personnes civiles et leurs biens des conséquences de la guerre structure la vocation anthropocentrique du droit de la guerre.Footnote 158
Comme on peut bien s’en rendre compte, ces discours mettent en relief la fondamentale question du dessein épistémique du droit international pénal dont la teneur illustre une hégémonie humaniste sans égale. Ce débat est sans doute restitué à travers une pensée de Mireille Delmas-Marty lorsqu’elle confesse que “l’enjeu pénal universel postule de nos jours une tendance anthropocentrique structurant l’humanité comme valeur standard dont la violation mobilise un appareil répressif universel.”Footnote 159 Il n’en demeure pas moins illustratif d’une formule ambivalente qui nous a paru d’ailleurs indiquée pour souligner la coexistence de ces deux postulats. Cette formule pose la question de savoir laquelle, entre la violation des intérêts humanitaires et la violation des intérêts écologiques, est la plus réprouvée comme portant atteinte à l’interdit répressif universel. Bien que visiblement opposés, ces deux postulats exprimeraient à travers le Statut de Rome une vision complémentaire et dialectique de la protection pénale de l’environnement. De manière complémentaire, cette cohabitation s’inscrit dans la logique d’une reconnaissance de deux valeurs protégeant d’une part les intérêts supérieurs pour l’homme et, d’autre part, les intérêts suprêmes pour l’environnement et ses composantes. La perspective dialectique de cette démarche va dans le sens d’une vision hybride lorsque les desseins guidant la protection de l’homme et la préservation de l’environnement se rencontrent.Footnote 160 C’est là justement que domine la vocation humaniste sur l’idéal naturaliste. Cela restitue la solution dégagée à l’occasion du contexte illustrant la destruction substantielle de l’environnement en temps de guerre. Elle permet de structurer la réalité juridique de l’article 8(2)(iv) du Statut de Rome.
Bien plus, si au regard de la cristallisation actuelle des graves atteintes écologiques dans le Statut de Rome, à travers le crime de guerre, la vocation naturaliste s’inscrit dans une proportion minime pouvant illustrer une mesure de 20 pour cent,Footnote 161 l’idée projetant une incrimination autonome dans la compétence matérielle de la CPI envisage un destin éco-centrique à une proportion pouvant s’estimer à 80 pour cent.Footnote 162 Construite sur les ciments de la sûreté de la planète, cette criminalisation essentiellement éco-centrique s’applique à protéger les communs planétaires à l’épreuve d’un dommage écologique significatif impliquant un dérèglement des systèmes naturels.Footnote 163 Censés faire l’objet de cette protection, les services écosystémiques dont dépend l’ensemble de la diversité biologique, à l’image d’une population des humains ou des non-humains, sont à cet effet protégés.Footnote 164 Cette formule permet d’envisager une vocation humaniste négligeable dans la définition de la sûreté de la planète.Footnote 165 Elle valide une minime proportion anthropocentrique de cette valeur à une hauteur pouvant s’estimer à 20 pour cent.Footnote 166 On peut dès lors constater que la condescendance naturaliste illustrant la sûreté de la planète s’accorde sur ce point avec l’idée, soit-elle négligeable, postulant un destin anthropocentrique pouvant guider la protection environnementale.
Cette condescendance éco-centrique, assignée à l’agencement philosophique postulant une incrimination autonome des comportements attentatoires à l’environnement au cœur d’une vocation conventionnelle somme toute anthropocentrique, s’inscrit donc dans une perspective d’équilibre épistémologique. Elle sous-tend une revanche de l’éco-centrisme, naguère placé dans les oubliettes, sur l’anthropocentrisme demeuré dominant au centre du Statut de Rome; ce qui confirme un réajustement vocationnel du droit international pénal.
Implications juridico-politiques de cette proposition d’amendements
S’inscrivant dans la logique d’une révision ayant pour objet d’étendre le champ matériel de la CPI, cette démarche implique une reconfiguration structurelle du corps de texte organisant la compétence et le fonctionnement de cette juridiction au regard des enjeux écologiques. Cela requiert une adaptation de l’ensemble des dispositions du Statut de Rome à ces fins. Bien plus qu’une démarche juridique de reconfiguration structurelle, cette révision du Statut de Rome doit s’inscrire dans une perspective transversale impliquant notamment une touche d’analyse sur base de la science politique. Dans sa facette purement juridique, cette analyse entend cerner la question de l’opposabilité de ces amendements à l’égard des États-parties au Statut de Rome. C’est fort de cette problématique qu’il convient de scruter les facteurs socio-politiques militant en faveur ou non du consentement étatique à cette révision.
charpente de la version révisée du statut de rome
Cette démarche de révision ne concerne pas seulement les dispositions du nouvel article 8ter du Statut de Rome sur la définition du crime d’écocide. Elle s’inscrit dans la logique d’un arsenal normatif visant à ordonnancer les éléments de politique répressive définie par les États ayant élaboré le Statut de Rome en vue de saisir la teneur de cette criminalité écologique. Ainsi que le souligne si bien la proposition même, “il pourrait également être nécessaire d’apporter des amendements corrélatifs à d’autres dispositions du Statut de Rome.”Footnote 167 Elle doit sans doute par principe se répercuter sur toute disposition de cet instrument conventionnel pouvant avoir un lien direct avec l’objet de cette révision. Il s’agit spécialement des articles sur les éléments des crimes, le fonctionnement organique et les principes structuraux. Les articles visés à ce titre sont les suivants: 5, 8, 9, 20, et 21. Et qu’en est-il du préambule? Ce projet d’amendements souligne l’ajout, au niveau de l’exposé des motifs, d’un élément de taille lié à l’affirmation de la vocation de cette criminalisation par rapport aux objectifs assignés au Statut de Rome. Ce paragraphe établit le lien entre la destruction quotidienne de l’environnement et le péril grave que courent l’humanité et la nature. Il insère au sein d’un texte par excellence anthropocentrique une bonne dose d’éco-centrisme en justifiant ce rapprochement par les conséquences humaines pouvant découler des dégradations dévastatrices de l’environnement.
Pour revenir au contenu du texte, commençons par la révision de l’article 5 du Statut de Rome qui doit expressément énoncer le crime d’écocide dans la nomenclature des crimes entrant dans le champ matériel de la CPI. Dans ce même ordre d’idées, il importe, en plus des articles 8 et 8bis, d’ajouter un article 8ter qui ressort les éléments de définition du crime d’écocide. Bien plus, la numérotation 8ter est la plus appropriée pour respecter l’actuelle ossature du Statut de Rome. On aurait pu proposer l’énonciation “6bis, 7bis, ou 9.” Cependant, devant dériver d’une révision du Statut de Rome, cette numérotation devrait suivre aussi l’ordre chronologique de sa consécration dans cet instrument conventionnel. En outre, on doit éviter de bousculer l’ordre préétabli. Parlant des éléments des crimes, le point 1 de l’article 9 doit, dans le but de faire état de ce crime, mentionner, dans le corps de l’article 9, le terme “8ter,” juste après avoir annoncé les articles 6, 7, 8 et 8bis sur le crime de génocide, le crime contre l’humanité, le crime de guerre et le crime d’agression.Footnote 168 L’article 20, qui évoque le principe ne bis in idem, doit en son point 3 inscrire la disposition relative au crime d’écocide. Le régime de répression du crime d’écocide doit prendre en compte le caractère évolutif d’une infraction continue.Footnote 169 L’article 33 exclurait du reste toute justification pour ordre manifestement illégal. Servant à faciliter l’obtention des preuves d’éléments psychologiques à des procédures subséquentes, cet ajustement n’implique pas une application des sanctions à la manière de l’article 77. Voilà en substance ce à quoi ressemblerait l’ensemble des amendements aux articles du Statut de Rome en vue d’intégrer le crime d’écocide dans le champ matériel de la CPI.
Une proposition plus ambitieuse que celle-ci impliquerait justement une restructuration beaucoup plus extensive des dispositions du Statut de Rome. Ce réajustement s’appliquerait à adapter les dispositions de cet instrument conventionnel à la singularité des questions tenant à la subjectivation coupable, à la prise en compte de l’expertise environnementale ainsi qu’à la singularité des peines visant les personnes morales et physiques. Il en est ainsi, à titre illustratif, du projet conçu dans le cadre de la fondation End Ecocide on Earth qui s’applique à considérer l’évolution du débat par rapport à tous ces éléments de la politique criminelle.Footnote 170 Cette proposition d’amendements consacre la responsabilité des personnes morales et prend en compte l’expertise dans la règlementation de la poursuite des actes constitutifs d’écocide. En plus de l’amendement des articles évoqués ci-dessus, ce texte prévoit également la révision des articles 17, 25, 36, 42, 43, 65, 75, 77 et 121 du Statut de Rome.
Partant de la prise en compte de l’expertise, ce projet prévoit de revoir l’article 17 du Statut de Rome. Cette disposition entrevoit de prendre en compte l’appréciation de la durabilité des éléments de l’environnement en vue d’établir la gravité des faits. Il va falloir dès lors requérir l’expertise du Programme des Nations Unies pour l’environnement, à l’instar d’autres institutions internationalement reconnues comme spécialistes dans les sciences de la durabilité de l’environnement, pour ce faire.Footnote 171 Portant sur la responsabilité pénale, l’article 25 du Statut de Rome doit considérer, au-delà de son aspect individuel, la responsabilité des personnes morales.Footnote 172 Il doit ainsi s’énoncer en termes de la responsabilité pénale tout court. En vue de prendre en compte l’expertise inhérente à la poursuite des crimes écologiques, les articles 36, 42 et 43 du Statut de Rome doivent notamment être amendés. Partant de l’idée que la détermination de cette criminalité requiert une connaissance scientifique sur l’écologie et les interactions avec l’environnement, il sied de designer à ces fins des procureursFootnote 173 et jugesFootnote 174 pouvant, par leurs connaissances scientifiques, parvenir à déterminer aussi bien la traçabilité que la légalité de tout comportement attentatoire à l’environnement.Footnote 175 Il s’ensuit que la modification de ces articles doit ajouter les aspects relatifs aux procureurs spéciaux et aux juges-experts sur la question écologique. Cette réforme se rapproche de la tendance soutenant l’internalisation de l’expertise dans le procès environnemental.Footnote 176 L’autre approche favorise quant à elle l’idée d’externaliser l’expertise lors d’un procès écologique. L’on peut dans ce cas recourir à cette expertise à chaque fois qu’on l’estime impérieux.Footnote 177 Il n’est donc pas nécessaire de prévoir à l’avance et de façon permanente la désignation des procureurs spéciaux ou des juges spécialistes des questions environnementales. Le dernier membre de la phrase du point 6 de l’article 43 sur l’organisation du greffe doit prendre en compte le crime d’écocide. Dans l’exercice de sa mission d’aide aux victimes, le greffe doit aussi s’impliquer en vue d’aider les victimes de traumatismes consécutifs au crime d’écocide. L’ajout de cette précision importe dans la mesure où la déposition des témoins en cette matière fait courir notamment des risques pouvant menacer leur sécurité.
Devant ainsi prendre en compte la spécificité des crimes environnementaux, l’article 75 du Statut de Rome devrait souligner que les différentes modalités de réparation sont parfois envisageables de manière cumulative.Footnote 178 Un accent particulier doit être apporté par rapport à la justice transitionnelle, à la restauration et au remboursement en pertes directes et résultant des conséquences découlant de ces crimes. L’article 77 devrait quant à lui ajouter des sanctions au titre de ce crime afin de prendre en compte de nouveaux éléments sur la subjectivation du crime. Son point 3 doit, en plus des sanctions ordinairement prévues, inclure des peines comme la dissolution des personnes morales, la confiscation et l’ordre de cessation des opérations.Footnote 179 Les modifications à apporter à cette disposition doivent avoir un lien avec l’amendement à l’article 65 qui est relatif à l’aveu de culpabilité.Footnote 180 À travers la révision de cette disposition, la cour pourra en échange d’un aveu de culpabilité imposer une pénalité à définir à l’article 77.Footnote 181 Cette démarche devra être menée par le procureur. Au cas où elle réussissait, la décision en résultant doit devenir une obligation que la cour est tenue d’exécuter. Et le dernier point à réviser doit être relatif à l’entrée en vigueur de ces amendements à l’égard de chaque État. Ainsi, l’article 121 doit clairement préciser l’entrée en vigueur de ces amendements à l’endroit des ressortissants d’un État, une année après leur acceptation.Footnote 182
perspectives d’adhésion à ce projet d’amendements
Confronté à plusieurs défis reflétant également la légitimité guidant la démarche, un tel projet conventionnel doit pour sa concrétisation être accepté par un nombre requis d’États. Il importe de réfléchir à cet effet sur une stratégie réaliste en vue d’impliquer le plus d’États possibles en faveur de cet amendement, avant de faire un état des lieux sur l’adhésion étatique.
Stratégie réaliste d’adhésion étatique à cette vision
Pour s’affermir, le projet visant la révision du Statut de Rome nécessite l’adhésion active d’un nombre d’États. Cette adhésion doit se concrétiser à travers différentes étapes de révision conventionnelle. Complétant les dispositions des articles 39–41 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, les articles 121–23 du Statut de Rome fixent la procédure d’une révision à même de respecter l’équilibre entre autonomie des volontés et assurance de l’intérêt collectif.Footnote 183 Ces dispositions énoncent les étapes conduisant à la révision de cet instrument conventionnel, allant de l’adoption d’un amendement à son entrée en vigueur. Au-delà de ces étapes, l’opposabilité de la révision touchant à la substance des articles 5–8 du Statut de Rome à l’égard de tout État-partie requiert un engagement formel de celui-ci à travers le dépôt de l’instrument de ratification.Footnote 184 Bien plus, à considérer aussi le fait que l’entrée en vigueur d’une clause de révision implique la latitude pour tout État lésé à ce titre de se retirer avec effet immédiat, il transparait clairement qu’une telle démarche requiert un enjeu de taille impliquant l’adhésion de plusieurs États.
Cette réalité se reflète dans l’idée visant l’inclusion de l’écocide au cœur du Statut de Rome. Il est ici question d’associer la volonté de quatre-vingt-deux États à travers l’usage du treaty making powerFootnote 185 par chacun de ces derniers.Footnote 186 Or, comme on peut bien le réaliser, l’exercice de cette aptitude est guidé par les motifs d’intérêt étatique. Si tel motif l’emporte sur la conviction d’un État, tel autre motif antagoniste peut mobiliser la politique conventionnelle d’un autre État.Footnote 187 L’utilisation de l’aptitude d’adhérer (ou pas) à cet instrument conventionnel est orientée par la possibilité pour l’État de tirer quelconques avantages directs. Il peut se trouver que plusieurs avantages soient en conflit. Dans ce cas, la politique gouvernementale opte pour celui qui se révèle prioritaire au vu des avantages attendus.Footnote 188 Pour un État écologiquement fragile, la protection de l’environnement est souvent prioritaire par rapport à tout autre gain.Footnote 189 Ceci est sans doute correct d’autant plus qu’il en va de la survie de cet État. Et que dire de cet autre État fortement penché vers l’industrialisation ou les avantages économiques? Il transparait sans nul doute que les gains économiques l’emportent sur l’urgence écologique dans ce registre des faits. D’autres États sont par ailleurs partagés entre l’urgence de renforcer la politique industrielle pour rentabiliser l’économie et les besoins écologiques de survie. Ainsi, l’enjeu de l’adhésion à cette criminalisation peut être guidé par une lecture équilibrée de tous ces gains en faveur de l’État.
À observer la configuration actuelle du paysage international, il nous parait réaliste de souligner que si cette révision ne présage pas une issue heureuse dans un futur proche, le temps nous permet d’y croire.Footnote 190 Sans doute, plusieurs raisons nous permettent justement de projeter la réalisation de cette vision. Elles reposent essentiellement sur l’urgence écologique. Plus d’une cinquantaine d’États se définissent comme écologiquement fragiles.Footnote 191 Leur survie dépend de la protection de l’intégrité de l’environnement. Il sied par la suite de souligner que l’intérêt d’envisager la vulnérabilité écologique concerne tous les États, dont les États puissants.Footnote 192 L’imbrication de la criminalité environnementale avec le terrorisme rend compte de l’urgence de percevoir la criminalité écologique comme danger global pouvant affecter la paix et la sécurité internationales.Footnote 193 Les foyers des conflits armés qui se multiplient de nos jours ont des conséquences écologiques évidentes. Cette perception holistique peut permettre de rallier des pays au-delà des États écologiquement fragiles.
Concrètement, les analyses des intérêts étatiques dans les relations internationales doivent être exploitées dans l’orientation d’une diplomatie paraétatiqueFootnote 194 et interétatique en faveur de la concrétisation de cet amendement du Statut de Rome. L’étape de proposition étant franchie avec l’aide du Vanuatu en 2021, il sera question de viser l’admission de la proposition d’amendement. Il faudra dès lors impliquer au moins quatre-vingt-deux États en vue de franchir cette étape et le reste du processus. Pour y arriver, il semble réaliste de se focaliser avant tout sur le groupe de cinquante-quatre États écologiquement fragiles. C’est seulement après qu’on pourrait tenter de s’appuyer sur d’autres facteurs militant en faveur de cette démarche répressive comme par exemple de l’intérêt de lutter contre la criminalité écologique transnationale et les pillages des ressources naturelles qui profitent souvent au terrorisme international. Se servant de l’arme diplomatique, la fondation Stop Ecocide pourrait commencer par rallier d’autres organisations non gouvernementales (ONGs) œuvrant dans le domaine environnemental comme Greenpeace, World Wildlife Fund et bien d’autres reconnues sur le plan national. Ensemble, elles pourraient constituer un pôle à partir duquel naitront plusieurs stratégies diplomatiques visant, avec l’aide des quelques rares États déjà impliqués, à rallier davantage les États. Ces ONGs auront évidemment pour mission de convaincre les États de l’intérêt de contraindre les acteurs à respecter les principes et règles environnementaux à travers un dispositif répressif de la taille de la CPI, s’agissant des comportements gravement attentatoires à l’environnement.
Il est vrai que la synergie des ONGs œuvrant dans le domaine environnemental ne suffira pas à elle seule pour parvenir à la concrétisation de cette vision. Cette synergie ne vise cependant qu’un seul objectif: induire plus d’États à s’impliquer dans cette dynamique répressive. L’implication étatique dans ce cas s’inscrirait dans une perspective bi-vocationnelle visant aussi bien son adhésion à la démarche de criminalisation que la diplomatie en vue de convaincre d’autres États du bien-fondé d’un tel projet. Ainsi, la synergie des ONGs peut engendrer une synergie d’États autour d’un projet répressif visant à préserver l’intégrité de l’environnement. Une telle stratégie parviendrait sans doute à réunir le groupe de cinquante-quatre États écologiquement fragiles autour de l’idée de contraindre par la sanction pénale tout acteur responsable d’une destruction massive de l’environnement. Il peut, partant de cette synergie, être constitué en une organisation internationale réunissant ces États écologiquement fragiles dont la mission principale serait de veiller à la protection des intérêts visant leur survie existentielle. Dans ce cas, la matérialisation de cette proposition d’amendements constituerait l’un des plans d’action. Il appartiendra alors à cette organisation internationale de réfléchir à des stratégies visant à impliquer d’autres États en vue d’atteindre le seuil numérique de quatre-vingt-deux États pour devoir parachever ce processus de révision déjà amorcé avec l’aide du Vanuatu.Footnote 195 Il faut toutefois relever que les conséquences palpables de l’urgence climatique constatées çà et là pendant l’été 2022 interpellent sur l’intérêt de considérer les enjeux écologiques de l’heure en prenant des mesures qui s’imposent pour le respect du seuil exigé des limites planétaires.Footnote 196 Cela conscientise davantage les États sur l’impératif de protéger l’environnement en respectant les interdits et en s’impliquant dans toute initiative visant la concrétisation des objectifs assignés dans les instruments juridiques relatifs à la protection environnementale. Ce contexte participe à la concrétisation du discours répressif incarné à travers cette proposition de révision. Il contribuera à impliquer les États en vue d’atteindre au moins le seuil de quatre-vingt-deux États.
Ainsi donc, il importe de souligner que ce texte d’amendements constitue un document de base en vertu duquel les États parviendront à négocier la criminalisation des comportements gravement attentatoires à l’environnement perpétrés en temps de paix. Les propositions de retouche faites dans le cadre de cette analyse critique ne remettent pas en cause l’opportunité d’envisager l’adhésion des États à une telle démarche de révision. Les questions évoquées pourront faire l’objet de discussions lors de ces négociations. Ceci semble juste dans la mesure où ces éléments d’analyse n’affectent pas l’essence des objectifs du texte. Il sera question de s’accorder sur l’opportunité d’une consécration de la responsabilité pénale des personnes morales et d’une orientation terminologique mixte incluant aussi bien les éléments d’une définition générique que les aspects d’une définition spécifique à l’occasion de cette démarche de criminalisation. Toutes ces questions peuvent justement orienter la teneur des négociations sur la concrétisation d’une criminalisation universelle de l’écocide.
L’adhésion étatique au projet
Une observation objective du paysage international au regard de l’idée d’inclure l’écocide dans le Statut de Rome nous permet de situer le positionnement des États par rapport à cette démarche et de projeter la faisabilité d’une telle vision en perspective d’une implication étatique liée à l’entrée en vigueur du projet. Un nombre considérable d’États s’implique depuis un certain temps à la concrétisation de cette vision écologique. Mentionnons d’abord le groupe d’États qui résolut dès l’année 2000 de cerner avec netteté et précision la criminalisation de l’écocide dans leurs ordres juridiques.Footnote 197 C’est dans ce même ordre d’idées qu’il est impératif d’évoquer l’action d’un État écologiquement fragile en vue de soutenir la démarche visant l’inclusion de l’écocide dans le Statut de Rome: afin de concrétiser cette vision protectrice de l’environnement, le Vanuatu, soutenu par les Maldives, appelle sans ambiguïté dans une déclaration officielle à soutenir l’idée d’un amendement au Statut de Rome visant l’intégration de l’écocide dans la compétence matérielle de la CPI.Footnote 198 On ne peut passer sous silence le courage remarquable ayant caractérisé l’action de la Belgique à l’occasion de l’avant dernière AEP.Footnote 199 Elle se démarque par ce geste comme le premier État occidental à soutenir sans ambiguïté l’idée d’universaliser le crime d’écocide à travers la révision du Statut de Rome. Notons dans ce registre des faits l’implication d’un autre État occidental dans la matérialisation de ce rêve: le Royaume-Uni. Les différentes actions émanant des pouvoirs exécutif et législatif, entre 2020 et 2021, ont tant soit peu contribué à la maturation de ce débat. C’est le cas de deux tentativesFootnote 200 d’amendement de la loi britannique sur l’environnement soutenant la négociation d’un amendement au Statut de Rome pour établir un crime d’écocide et la création dans l’ordre interne d’un crime d’écocide en utilisant la définition complète donnée dans le cadre de la fondation Stop Ecocide.Footnote 201 Émanant du Green Party, ces projets de texte ont toutefois été rejetés par la majorité des députés au Parlement britannique, si bien que sa teneur repose sur une mouture équilibrée pouvant bien orienter l’incrimination de graves atteintes écologiques. Mentionnons, s’agissant des actions de l’exécutif britannique, l’exhortation du ministre David Lammy à soutenir la criminalisation de l’écocide dans son discours sur le compte à rebours en 2020.Footnote 202 Cet appel atteste une volonté de la part d’un ministre de justice en fonction à vouloir incriminer l’écocide, si bien qu’étant un avis personnel qui n’engage pas tout le gouvernement.
Cet engouement se fait davantage sentir à travers le soutien des États à la démarche à travers les organisations internationales. Citons spécialement l’Union européenne qui par l’entremise du Parlement européen s’illustre comme un des pionniers de la démarche. Partant d’une initiative législative émanant du groupe Verts/ALE, une majorité de 340 voix des députés européens s’est dégagée en janvier 2021 à la faveur d’un amendement visant la reconnaissance internationale de l’écocide comme crime relevant de la compétence de la CPI.Footnote 203 Dans cet ordre d’idées, mentionnons l’exhortation de la commission “environnement et santé” du Parlement européen à l’endroit des États à soutenir l’idée d’un amendement du Statut de Rome pour ce faire.Footnote 204 Entre temps, la commission des affaires étrangères encourage, par le truchement du rapport sur les effets du changement climatique sur les droits de l’homme, l’Union européenne et les États membres à initier de nouvelles négociations entre les parties en vue de reconnaitre l’écocide comme un crime international en vertu du Statut de Rome. Footnote 205
Il importe tout de même de souligner à la suite de ce raisonnement l’implication timide de certains États occidentaux, principalement européens, dans cette démarche de criminalisation de l’écocide. Située en quelque sorte à la tête de cette catégorie d’États, la France s’illustre à ces jours par une attitude rétrograde. Son implication s’est fait sentir dès l’année 2000 à travers la criminalisation dans l’ordre interne des actes constitutifs de terrorisme écologique.Footnote 206 Cet élan milite en faveur d’une démarche beaucoup plus précise vers les années 2016–18 avec les projets de loi, initiés au SénatFootnote 207 et à l’Assemblée nationale,Footnote 208 consistant à définir les graves atteintes écologiques perpétrées en temps de paix au titre de crime d’écocide. Même si l’idée d’une reconnaissance se limitait à une simple promesse du président Emmanuel Macron,Footnote 209 l’implication à travers ces initiatives législatives participait tant soit peu à la conscientisation sur l’urgence de cette démarche. Cette affirmation se voit confirmée par le fait qu’une année plus tard, cette promesse présidentielle se diluait dans une vision réductrice illustrée par les démarches des ministres Eric Dupont-Moretti et Barbara Pompili.Footnote 210 Ces derniers ont fini par proposer de légiférer en termes de délit d’écocide plutôt que du crime d’écocide qui était déjà envisagé dans deux projets de loi sus-évoqués. Cette timidité a également caractérisé l’attitude d’autres États européens comme l’Espagne, le Luxembourg et le Portugal. Si en Espagne la démarche s’est illustrée par une recommandation de la commission des affaires étrangères à l’attention du gouvernement,Footnote 211 au Portugal la question a été limitée par un vote parlementaire défavorable au projet proposé par le Parti action nationale.Footnote 212 Au Luxembourg, la déclaration conjointe faite par le ministre des affaires étrangères et le ministre de l’environnement confirme cette tendance: tout en reconnaissant l’urgence de s’impliquer dans une telle démarche, ces deux ministres estiment qu’il est encore temps pour le Luxembourg de s’engager en vue de la concrétisation de cette vision.Footnote 213 Il importe de souligner le fait que certains leaders limitent leur soutien à de simples déclarations servant à exhorter l’implication étatique. C’est le cas du Vatican où le Pape interpelle les États sur leur rôle dans la matérialisation de cette vision répressive.Footnote 214 Cette tendance ne se confirme pourtant pas s’agissant de tous les États. Certains se démarquent tout de même à travers des actes sous-estimés mais d’une ampleur catalyseuse à l’avancement de la vision. On mentionnera la Suède grâce à qui nous avons une définition juridique d’écocide acceptée comme base des négociations sur la révision du Statut de Rome. Footnote 215 Il est vrai qu’à l’heure actuelle la Suède soutient timidement la démarche. On ne s’interdirait cependant pas de souligner que tout a commencé par l’initiative du groupe des députés suédois qui convint de financer et de soutenir une démarche visant à cerner les contours sur l’hypothèse d’une révision du Statut de Rome pour ce faire.Footnote 216
Force est d’admettre que la somme de toutes ces actions étatiques n’est parvenue qu’à amorcer une étape importante de la révision du Statut de Rome en vue de matérialiser cette incrimination: la proposition. Se conformant aux prescrits de l’article 121 du Statut de Rome, la fondation Stop Ecocide, à travers le Vanuatu et les Maldives, a lors de la dernière AEP, le 9 décembre 2021, présenté une proposition d’amendements visant la révision du Statut de Rome. Est-il besoin de souligner que, en vertu des dispositions du Statut de Rome, cette entreprise requiert la réalisation de quatre étapes dont: la proposition, l’admission de la proposition, l’adoption et la ratification. Avec un seuil numérique de quatre-vingt-deux États pour l’adoption, ces différentes étapes pourront-elles décidément être franchies un jour? Seul l’avenir nous le dira exactement.
Conclusion
Arrivé à ce stade de la réflexion sur la teneur du projet conçu sous le label de la fondation Stop Ecocide en vue de criminaliser les graves atteintes écologiques perpétrées en temps de paix à travers la révision du Statut de Rome de la CPI, nous devons nous accorder sur la pertinence et l’opportunité d’une telle démarche dans ce contexte critique de crise climatique. Il se trouve que, portés par une vision voulue réaliste, la plupart des experts-membres du panel de rédaction dudit projet résolurent de le réduire à un texte sobre évitant toute initiative présentant les germes d’une incrimination ambitieuse de cet aspect de la criminalité écologique. Constituant une entreprise par essence idéaliste, l’aborder dans une perspective trop réaliste parait de notre point de vue contradictoire dans la mesure où il faudra dans ce cas se passer de certaines options pourtant importantes. À quoi ressemblerait par exemple un tel projet de criminalisation sans la responsabilité pénale des personnes morales dans la mesure où la nouvelle forme de criminalité écologique dans la grande majorité des cas est le fait des personnes morales à travers les sociétés multinationales? Alors que bien des initiatives de codification convergent de nos jours vers l’idée de généralisation de la culpabilité subjective des sociétés multinationales, ce panel a au nom du réalisme choisi de ne pas saisir l’opportunité d’actualiser cet aspect à travers ladite démarche.
Toutefois, ce projet d’amendements ne constitue qu’un texte de base pouvant orienter les négociations visant l’incrimination universelle de l’écocide à travers la révision du Statut de Rome. Les éléments d’analyse apportés dans le cadre de cette réflexion pourront inspirer les négociations visant l’implication des États pour la matérialisation de cette démarche. Tout en reconnaissant les efforts déployés en si peu de temps (six mois), il importe de souligner que la teneur de ce projet alimente l’émergence d’un nouveau paradigme écologique au cœur du droit international pénal: venant compléter le vide laissé par l’article 8(2)(b)(iv) du Statut de Rome, cette démarche dépend autant de la portée substantielle de la proposition que des chances d’aboutissement de la révision du Statut de Rome considérant l’indifférence des États à la démarche.
Au-delà de différentes hypothèses institutionnelles en vue de l’effectivité d’une telle incrimination, n’est-il pas légitime de se pencher sur l’idée d’une convention simple adoptée entre un nombre réduit d’États (s’appuyant sur les cinquante-quatre États réputés écologiquement fragiles) en vue de criminaliser ces actes graves d’atteinte écologique? Cela pourrait provoquer un effet d’entraînement favorisant la faisabilité d’un amendement du Statut de Rome. La reconnaissance conventionnelle fait appel à beaucoup de mécanismes d’application en vue de la répression de ces actes: la compétence territoriale, la compétence universelle, dans une certaine mesure, la compétence complémentaire à une juridiction supranationale, etc. Et qu’en est-il alors de l’idée soutenant l’adoption d’une déclaration indiquant un engagement à insérer le crime d’écocide sur le plan national?Footnote 217
Annexe
I. Amendements proposés au Statut de Rome (Stop Ecocide Foundation), juin 2021
Aux fins d’ajouter l’écocide au Statut de Rome en tant que nouveau crime, le groupe d’experts recommande d’apporter les amendements suivants. Nous signalons qu’il pourrait également être nécessaire d’apporter d’autres amendements corrélatifs à d’autres dispositions du Statut de Rome, comme l’article 9, ainsi qu’au Règlement de procédure et de preuve de la CPI et aux éléments des crimes.
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A. Ajout d’un paragraphe 2 bis au préambule:
Soucieux du fait que l’environnement est quotidiennement menacé de destructions et de détériorations dévastatrices mettant gravement en péril les systèmes naturels et humains de par le monde,
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B. Ajout à l’article 5-1:
(e) Le crime d’écocide.
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C. Ajout de l’article 8 ter:
Article 8 ter
Écocide
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1. Aux fins du présent Statut, on entend par crime d’écocide des actes illicites ou arbitraires commis en connaissance de la réelle probabilité que ces actes causent à l’environnement des dommages graves qui soient étendus ou durables.
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2. Aux fins du paragraphe 1:
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a. Par “Arbitraire,” on entend de manière imprudente et sans faire cas des dommages qui seraient manifestement excessifs par rapport aux avantages sociaux et économiques attendus;
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b. Par “Grave,” on entend que les dommages entraînent des changements, perturbations ou atteintes hautement préjudiciables à l’une quelconque des composantes de l’environnement, y compris des répercussions graves sur la vie humaine ou sur les ressources naturelles, culturelles ou économiques;
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c. Par “Étendu,” on entend que les dommages s’étendent au-delà d’une zone géographique limitée, qu’ils traversent des frontières nationales, ou qu’ils touchent un écosystème entier ou une espèce entière ou un nombre important d’êtres humains;
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d. Par “Durable,” on entend que les dommages sont irréversibles ou qu’ils ne peuvent être corrigés par régénération naturelle dans un délai raisonnable;
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e. Par “Environnement,” on entend la Terre, sa biosphère, sa cryosphère, sa lithosphère, son hydrosphère et son atmosphère, ainsi que de l’espace extra-atmosphérique.
II. Proposed Amendments to the Rome Statute (Stop Ecocide Foundation), June 2021
To add ecocide as a new crime to the Rome Statute, the Panel recommends the following amendments. We note that consequential amendments may also be required for other provisions of the Rome Statute, such as Article 9, and to the ICC Rules of Procedure and Evidence, and the Elements of Crimes.
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A. Addition of a preambular paragraph 2 bis:
Concerned that the environment is daily threatened by severe destruction and deterioration, gravely endangering natural and human systems worldwide,
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B. Addition to Article 5(1):
(e) The crime of ecocide.
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C. Addition of Article 8 ter:
Article 8 ter
Ecocide
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1. For the purpose of this Statute, “ecocide” means unlawful or wanton acts committed with knowledge that there is a substantial likelihood of severe and either widespread or long-term damage to the environment being caused by those acts.
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2. For the purpose of paragraph 1:
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a. “Wanton” means with reckless disregard for damage which would be clearly excessive in relation to the social and economic benefits anticipated;
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b. “Severe” means damage which involves very serious adverse changes, disruption or harm to any element of the environment, including grave impacts on human life or natural, cultural or economic resources.
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c. “Widespread” means damage which extends beyond a limited geographic area, crosses state boundaries, or is suffered by an entire ecosystem or species or a large number of human beings;
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d. “Long-term” means damage which is irreversible, or which cannot be redressed through natural recovery within a reasonable period of time;
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e. “Environment” means the earth, its biosphere, cryosphere, lithosphere, hydrosphere and atmosphere, as well as outer space.