Introduction
Les institutions et régimes internationaux de lutte contre la corruption et de protection des droits humains ont évolué en vase clos depuis leur mise sur pied. Or, des études récentes démontrent la nécessité d’intégrer une approche axée sur la protection des droits humains dans les politiques de lutte contre la corruption, en raison précisément des effets négatifs qu’ont les pratiques de corruption institutionnalisées sur la jouissance des droits garantis. De plus, le continent américain n’échappe pas à cette réalité: il est, d’une part, aux prises avec un problème important de corruption qui a des répercussions substantielles sur la protection des droits de la personne dans la région. Il s’est doté, d’autre part, de cadres normatifs institutionnels et normatifs en matière de lutte contre la corruption et de protection des droits humains, qui n’entretiennent entre eux aucun lien. Il est ainsi proposé de démontrer en quoi et dans quelle mesure les standards interaméricains de protection des droits humains peuvent effectivement contribuer à l’amélioration des politiques de lutte contre la corruption sur le continent.
Ainsi, selon le Corruption Perceptions Index 2013, réalisé par l’organisation Transparency International (TI), 66 pour cent des États du continent américain obtiennent un score inférieur à 50 pour cent. Qui plus est, la majorité des citoyens des États latino-américains croit que la corruption, sous une forme ou une autre, a augmenté depuis la dernière enquête réalisée en 2011, et ce, malgré les mesures mises en place pour lutter contre la corruption au sein de ces États. Footnote 1 Entre 20 et 29,9 pour cent des personnes sondées en Colombie, au Paraguay et au Venezuela rapportent avoir payé un pot-de-vin en échange de l’accès à un service public, alors que ce score s’élève à 33 pour cent au Mexique. Enfin, les partis politiques, les forces policières et les opérateurs de justice sont souvent perçus comme étant les institutions les plus corrompues. Footnote 2
De plus, même si les causes de la corruption varient d’un État à l’autre, plusieurs estiment que le legs des régimes autoritaires, caractérisés par la domination du pouvoir exécutif et la faiblesse corrélative du pouvoir législatif, l’absence fréquente de mécanismes de contrôle du pouvoir exécutif, l’existence d’un système de népotisme dans l’attribution des postes gouvernementaux, le sous-développement des services publics et la faiblesse des législations nationales ont favorisé le développement et l’institutionnalisation des pratiques de corruption dans la région. Footnote 3 À titre d’exemple, il a été démontré que l’exploitation des ressources naturelles sur le continent américain présente des conditions propices à la mise sur pied d’un système de corruption institutionnalisée, sous la forme d’activités de capture de rente et de clientélisme, au sein des États dont les institutions démocratiques sont faibles. Footnote 4 En effet, ces derniers sont généralement propriétaires des ressources naturelles localisées sur leur territoire; Footnote 5 cependant, ils n’ont généralement pas accès à l’expertise, aux technologies et aux capitaux nécessaires pour leur exploitation, ce qui peut établir des relations de dépendance envers les entreprises multinationales étrangères. Footnote 6 Cette situation est propice à la rencontre des intérêts du corrompu et du corrupteur afin de maintenir un monopole sur les revenus générés par l’exploitation de ces ressources, qui sont ainsi détournés des coffres de l’État. Footnote 7
De la même manière, le Regional Human Development Report for Latin America and the Caribbean 2010, réalisé par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), a démontré l’impact des pratiques institutionnalisées de corruption sur la reproduction des inégalités dans la région, dont le taux est le plus élevé au monde. Footnote 8 Ainsi, parmi les facteurs systémiques qui contribuent à la reproduction et à l’exacerbation des inégalités au sein d’une société, les pratiques de corruption, de clientélisme et de capture d’État par les élites économiques contribuent à l’affaiblissement des institutions démocratiques et de la représentation politique des groupes placés en situation de vulnérabilité au sein de leur société. Footnote 9 Ces derniers ont un accès réduit aux sphères du pouvoir afin d’influencer l’adoption de politiques publiques les concernant; Footnote 10 exclus des systèmes politiques, ils ne peuvent exercer pleinement à la fois leurs droits civils et politiques, notamment en raison de leur manque de représentation, mais également leurs droits économiques, sociaux et culturels, en ce que les politiques publiques ne tiennent pas compte de leurs besoins spécifiques, entre autres en matière d’éducation et de santé. Footnote 11
Pourtant, le continent américain, sous l’égide de l’Organisation des États Américains Footnote 12 (OÉA), s’est doté dès 1996 d’un cadre normatif et institutionnel de lutte contre la corruption, composé de la Convention interaméricaine contre la corruption Footnote 13 (CICC) et du Mécanisme de suivi de la mise en œuvre de la Convention interaméricaine contre la corruption (MESICIC), Footnote 14 dont la mission vise la répression de la corruption ainsi que le renforcement de la coopération régionale en matière de lutte contre la corruption. L’OÉA dispose également d’un système régional de protection des droits de la personne, composé de la Commission et de la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme (respectivement la Commission et la Cour). Le Système interaméricain de protection des droits humains (SIDH) a comme mission la promotion et la protection des droits garantis principalement par la Convention américaine relative aux Droits de l’Homme (Convention américaine ou CADH). Footnote 15
Or, malgré les effets négatifs démontrés de la corruption sur la réalisation des droits de la personne, et notamment sur la participation des groupes placés en situation de vulnérabilité au sein de l’espace public, avec les conséquences qui en découlent sur la jouissance de l’ensemble de leurs droits, le MESICIC n’entretient pas de liens institutionnels avec le SIDH. Footnote 16 Cette situation n’est par ailleurs pas particulière au seul continent américain, mais plutôt représentative de l’ensemble des instruments et mécanismes internationaux et régionaux de lutte contre la corruption, lesquels évoluent en parallèle des régimes de protection des droits humains.
Des études récentes ont pourtant démontré la nécessité d’intégrer une dimension axée sur la protection des droits humains au sein des politiques de lutte contre la corruption afin de prévenir la mise en place de pratiques de corruption. Footnote 17 Ainsi, partant de l’hypothèse selon laquelle l’intégration d’une dimension axée sur la protection des droits humains au sein des politiques de lutte contre la corruption peut effectivement réduire les opportunités de mise en place de telles pratiques, Footnote 18 le présent texte entend démontrer dans quelle mesure les standards interaméricains en matière de participation citoyenne et de consolidation des systèmes de justice nationaux sont susceptibles de contribuer au renouvellement des stratégies de lutte contre la corruption sur le continent. Footnote 19
Pour ce faire, il importe dans un premier temps de définir ce qu’on entend par corruption. Or, malgré l’absence d’un consensus sur une définition précise, il est généralement admis que la faiblesse des institutions démocratiques constitue une des causes principales de la mise en place et du maintien de pratiques institutionnalisées de corruption. C’est précisément ici que l’arrimage d’une dimension axée sur la protection des droits de la personne au sein des politiques de lutte contre la corruption s’avère nécessaire. En effet, si les pratiques de corruption ont des impacts négatifs substantiels sur la jouissance des droits humains, et plus particulièrement des droits des personnes et des groupes placés en situation de vulnérabilité, les droits de la personne, eux, s’intéressent particulièrement aux questions de discrimination systémique et de la consolidation de l’état de droit, qui devient un corollaire du renforcement des institutions démocratiques.
Nous verrons ainsi dans un deuxième temps que, malgré le fait que leurs institutions respectives ne travaillent pas conjointement, la consolidation des démocraties représentatives, qui est une des missions fondamentales de l’OÉA, Footnote 20 constitue le dénominateur commun aux instruments de lutte contre la corruption et de protection des droits de la personne; ceux-ci partagent à cette fin certains principes, incluant la participation citoyenne, la transparence et la reddition de comptes. Ainsi, après avoir constaté les avancées et les limites de la Convention interaméricaine contre la corruption et de son mécanisme, il est proposé de démontrer dans quelle mesure le Système interaméricain de protection des droits humains est susceptible de contribuer à l’opérationnalisation des principes communs aux objectifs de l’OÉA. En effet, alors que de plus en plus de questions relatives à des situations de discrimination systémique liées aux mauvais fonctionnements des États sont soulevées au sein du SIDH, la Cour et la Commission ont développé des standards précis qui participent à la consolidation des institutions démocratiques représentatives. Ainsi, ces mesures obligatoires, qui tiennent compte de la vulnérabilité de certains secteurs de la société, contribuent à la mise en place de structures étatiques transparentes et pluralistes, susceptibles de limiter les abus au sein de ces dernières.
La Corruption (In)Définie
l’absence de définition consensuelle
Il n’existe pas de définition unique et consensuelle de la corruption en raison de la nature mouvante du phénomène. Footnote 21 Les organisations internationales ont généralement adopté une définition opérationnelle assez large de la corruption selon laquelle cette dernière correspond à un abus du pouvoir public à des fins d’enrichissement personnel. Footnote 22 Ainsi, la Banque mondiale (BM) et le Fonds monétaire international (FMI) soutiennent respectivement que la corruption consiste en “the abuse of public office for private gain” Footnote 23 ou “l’abus d’autorité ou de confiance dans l’exercice de la puissance publique détournée à des fins d’enrichissement personnel.” Footnote 24 La Banque interaméricaine de développement propose une définition plus nuancée, selon laquelle la “[c]orruption is generally understood to encompass acts performed by officials who use their positions wrongfully, or are requested to do so by others, to obtain some benefit for themselves or for others.” Footnote 25 Ces définitions sont ouvertes et ne visent cependant que les actes commis au sein du secteur public. A contrario, TI propose une définition selon laquelle la corruption est “l’abus d’une fonction publique à des fins privées” ou, en anglais, “the abuse of entrusted power for private gain.” Footnote 26 La définition en langue anglaise se réfère à un pouvoir qui a été “entrusted,” ou confié, indépendamment du fait que ceci ait été fait dans le cadre du secteur public ou du secteur privé. Footnote 27
La majorité de la littérature scientifique portant sur la corruption ainsi que plusieurs instruments internationaux, Footnote 28 incluant la CICC, ont adopté une approche similaire à celle de la BM et du FMI, en concentrant leur étude du phénomène au sein du secteur public. Footnote 29 À l’instar de la Convention des Nations Unies contre la corruption Footnote 30 et de la Convention de lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales de l’Organisation de coopération et de développement économique, Footnote 31 la CICC ne fournit pas de définition holistique de la corruption sinon qu’elle criminalise une série d’actes qu’elle qualifie de pratiques de corruption au sein du secteur public. La corruption devient ainsi un terme générique réunissant, sous une même rubrique, des actes criminels qui correspondent à la notion générale de l’abus du pouvoir public à des fins d’enrichissement personnel. Footnote 32 De plus, au sein du secteur public, une possible classification des actes de corruption consiste à distinguer les différentes pratiques selon leur ampleur:
Petty corruption refers to street-level, everyday corruption that ordinary citizens experience as they interact with low/mid-level public officials. Grand (or political) corruption generally involves much larger sums of money and normally affects the country as a whole, as well as the legitimacy of the national government and elites. Footnote 33
D’autres classifications de la corruption ont été proposées. Ainsi, la corruption politique vise à payer le législateur pour qu’il exerce ses fonctions législatives dans l’intérêt du corrupteur; la corruption administrative, le fonctionnaire pour obtenir des bénéfices, telle la réduction des impôts; la corruption institutionnelle, des juges ou des forces policières pour influencer les processus institutionnels au profit des intérêts du corrupteur. Footnote 34
la faiblesse des institutions démocratiques
On comprend à partir des classifications précédentes que les pratiques de corruption sont plus susceptibles de survenir lorsqu’il y a rencontre des intérêts des sphères publique et privée. Footnote 35 La corruption peut ainsi se décliner sous la forme de l’équation: [Corruption] = [Monopole] + [Discrétion] — [Reddition de comptes], c’est-à-dire qu’elle survient lorsque le fonctionnaire a un monopole sur la prestation d’un service ou l’application d’une législation intéressant un acteur privé, tout en ayant un pouvoir discrétionnaire pour en disposer sans avoir l’obligation de rendre des comptes devant des instances administratives et judiciaires impartiales. Footnote 36 La corruption se révèle ainsi être un symptôme de la faiblesse des institutions démocratiques et entraine, de ce fait, des distorsions économiques, sociales et politiques importantes. Footnote 37 En effet, elle mine non seulement la légitimité des institutions démocratiques, mais également la confiance des citoyens dans leurs institutions publiques. Footnote 38 Dès lors, en détournant les institutions publiques au profit d’intérêts privés, la corruption constitue un facteur important contribuant à l’incapacité des États dans la mise en œuvre des obligations qui leur incombent aux termes des conventions en matière de droits de la personne.
Sur le plan des institutions étatiques, la corruption au sein des partis politiques qui, généralement, se répercute au sein des institutions législatives et exécutives, a des impacts négatifs importants sur le droit du citoyen de prendre part dans la gestion des affaires publiques. En effet, l’élu qui accède au pouvoir, en raison d’une fraude électorale ou du financement illégal de son parti, n’est ni indépendant, ni représentatif de ses constituants, sinon redevable à des groupes restreints d’intérêts privés qui font généralement partie de l’élite économique du pays. Footnote 39 Il y a ainsi détournement du processus de prises de décisions publiques au profit des corrupteurs; la voix des citoyens est, de ce fait, marginalisée au sein de l’espace public. Footnote 40 Des rapports de la Commission interaméricaine démontrent que des secteurs entiers de la population sont écartés de l’espace public privant ainsi la société dans son ensemble du bénéfice de leur participation. Footnote 41
De plus, les pratiques généralisées de corruption au sein des institutions politiques engendrent généralement la corruption d’autres institutions étatiques, telles les forces de l’ordre et le système judiciaire. Footnote 42 Les opérateurs de justice, notamment les juges, sont payés afin de dénaturer le processus judiciaire au profit des acteurs de la corruption, qui peuvent agir sans crainte d’être inquiétés ou punis. Footnote 43 De manière plus spécifique, la corruption judiciaire affaiblit les structures responsables de la protection et la mise en œuvre des droits de la personne et alimente, de ce fait, la culture de l’impunité. Footnote 44
Ce phénomène engendre le détournement de l’allocation des fonds publics vers des secteurs de l’économie plus facilement corruptibles (par exemple, celui de l’exploitation des ressources naturelles) aux dépens d’autres secteurs qui sont moins susceptibles de faire l’objet de pratiques de corruption, comme cela semble souvent être le cas des services publics, notamment dans le domaine de la santé et de l’éducation. Footnote 45 Partant, la corruption met en péril l’obligation de l’État d’adopter les mesures visant à assurer progressivement la pleine jouissance des droits économiques, sociaux et culturels; Footnote 46 elle compromet la capacité de l’État d’offrir les services publics essentiels à la réalisation de ces droits, tel l’accès universel aux soins de santé, à l’éducation et à l’eau potable. Footnote 47 Elle constitue, en conséquence, un frein au développement économique et social de l’État. Footnote 48 Elle contribue, en contravention du principe d’égalité et de non-discrimination, à marginaliser certains secteurs de la population, généralement pauvres, qui sont exclus du cercle restreint du pouvoir décisionnel, en raison de leur manque de représentation et conséquemment, de leur incapacité à influencer les autorités publiques. Footnote 49 On peut ainsi comprendre la corruption comme excluant des processus de prises de décision et actions collectives des personnes, ou des groupes de personnes, au profit des corrupteurs et au détriment de la collectivité dans son ensemble, y compris la réalisation des droits humains. Footnote 50 Il est néanmoins intéressant de constater qu’au sein des États latino-américains:
[t]he issue is not that the States plan a systematic violation of human rights, nor that the upper tiers of government seek deliberately to infringe upon fundamental rights, but rather that States, with their legitimately elected officials, are not capable of reversing and impeding arbitrary practices committed by their own agents, nor of ensuring effective mechanisms of accountability, on account of the precarious functioning of their judicial systems. Footnote 51
C’est précisément dans cette optique qu’il nous faut réaliser qu’en plus de résulter de la faiblesse des institutions démocratiques, la corruption contribue, de façon directe ou indirecte, à différents types de violation des droits de la personne. Footnote 52 Conséquemment, il est proposé d’analyser le rôle que les régimes de protection des droits de la personne peuvent effectivement jouer dans la prévention et la sanction de pratiques de corruption institutionnalisées.
le renouvellement des politiques de lutte contre la corruption à la lumière d’une dimension axée sur la protection des droits humains
Les régimes de protection des droits de la personne s’intéressent, inter alia, aux questions d’égalité et de non-discrimination qui constituent des vecteurs cardinaux de la mise en œuvre effective des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. Dans cette perspective, la promotion et la protection des droits de la personne reposent sur l’élimination des barrières économiques, sociales et culturelles qui participent au maintien des situations d’inégalités et de discrimination des individus et de certains secteurs de la société placés en situation de vulnérabilité. Footnote 53 Ainsi, plutôt que de mettre l’accent sur les symptômes de la corruption, incluant la répression pénale des actes de corruption, Footnote 54 l’intégration d’une dimension axée sur la protection des droits humains au sein des politiques de lutte contre la corruption Footnote 55 a pour effet d’intéresser celles-ci aux causes systémiques qui rendent possibles la mise en place de pratiques dont on a démontré qu’elles favorisaient la perpétuation des inégalités au sein des sociétés dotées d’institutions démocratiques faibles. Footnote 56 L’intégration d’une telle dimension a ainsi pour effet de changer la perspective d’analyse traditionnelle de la corruption: au lieu de s’intéresser aux distorsions économiques engendrées par les pratiques corrompues, il y a désormais lieu de mettre l’accent sur les personnes et les conséquences négatives de la corruption sur leur vie. Footnote 57
Or, une approche axée sur la protection des droits humains a pour effet d’identifier clairement les titulaires des droits, à savoir tout individu relevant de la juridiction de l’État, ainsi que les dépositaires des obligations, à savoir tout État ayant ratifié les conventions pertinentes. Footnote 58 De plus, notons qu’en vertu des obligations positives, notamment en matière de prévention, d’enquête et de sanctions, qui incombent à l’État aux termes des traités relatifs à la protection des droits humains, ce dernier peut être tenu responsable des actions ou omissions de personnes privées entrainant la violation des droits garantis, s’il tolère les comportements fautifs ou y acquiesce, sans prendre les mesures pour y remédier. Footnote 59 Ce faisant, il devient possible d’identifier les personnes habilitées à faire valoir leurs droits lorsque ces derniers ont été violés en raison de pratiques de corruption et corrélativement, d’obliger les États à adopter des mesures pour combattre ces pratiques afin de garantir effectivement les droits protégés. Footnote 60 Qui plus est, une approche axée sur la protection des droits humains habilite non seulement les individus, mais également les groupes placés en situation de vulnérabilité en raison de pratiques de corruption, à revendiquer leurs droits. Footnote 61
Ainsi, les mécanismes de protection des droits humains, incluant les instances nationales, régionales et internationales, s’ajoutent aux mécanismes de lutte contre la corruption et multiplient, conséquemment, les forums au sein desquels l’enjeu de la corruption est discuté et dénoncé:
When acts of corruption are linked to violations of human rights, all these institutions could act to force accountability and so create disincentives for corruption. While they do not replace traditional anti-corruption mechanisms — primarily the criminal law — they can give cases prominence, may force a state to take preventive action, or may deter corrupt officials from misusing their powers. They can therefore both raise awareness and have a deterrent effect. Footnote 62
Par ailleurs, bien que les politiques de lutte contre la corruption et de protection des droits de la personne aient évolué de manière parallèle jusqu’à présent, les États américains ont néanmoins contracté certaines obligations en ces deux domaines qui reposent sur des principes communs, soient les principes de transparence, de reddition de compte, d’accès à l’information et de participation citoyenne. Footnote 63
L’opérationnalisation de ces principes stimule la participation active de toute la société civile à la gestion des affaires publiques. Ceux-ci sont ainsi susceptibles de contribuer à la création et au maintien d’institutions démocratiques fortes, incluant des assemblées législative et exécutive indépendantes, un système judiciaire impartial, des forces policières effectives ainsi qu’une administration indépendante capable de fournir biens et services aux citoyens, sans risque de détournement des ressources. Footnote 64 On comprend de ces principes qu’ils contribuent à la consolidation des institutions démocratiques, dont on a démontré que la faiblesse autorisait la mise en place de pratiques institutionnalisées de corruption. Or, nous verrons plus avant que, dans le cadre de l’OÉA, tant sur les plans de la lutte contre la corruption et de la protection des droits de la personne, le MESISIC et le SIDH sont amenés à développer le contenu de ces principes.
L’Organisation des États Américains: l’engagement envers la consolidation des démocraties représentatives sur le continent américain
Durant la décennie 1990, les États membres de l’Organisation des États Américains ont pris acte du problème endémique de la corruption sur le continent américain et reconnu la nécessité d’établir un cadre normatif de la lutte contre la corruption. Ainsi, lors du Sommet des Amériques, tenu à Miami en 1994, les chefs d’États et de gouvernements ont réaffirmé leur engagement envers la préservation et le renforcement de la démocratie représentative sur le continent. À cette fin, le Plan d’action du Sommet de Miami définit certaines priorités quant au renforcement des institutions démocratiques, au nombre desquelles figurent la lutte contre la corruption, la promotion des droits de la personne et le renforcement de la participation de la société civile (plus particulièrement des groupes placés en situation de vulnérabilité) au sein de la vie démocratique. Le Plan d’action n’établit cependant aucun lien entre ces priorités. Footnote 65
Celles-ci partagent pourtant un dénominateur commun, soit la consolidation des institutions démocratiques représentatives des États de la région, qui constitue l’une des missions fondamentales de l’OÉA, tel que prévu à l’article 2 de la Charte de l’OÉA. Footnote 66 De plus, la Charte démocratique interaméricaine, Footnote 67 adoptée le 11 septembre 2001 à Lima, explicite plus précisément ce lien. Elle prévoit que “l’exercice de la démocratie, la transparence des activités gouvernementales, la probité” et “une gestion responsable des affaires publiques par les gouvernements, constituent des composantes fondamentales de la démocratie.” Footnote 68 Elle postule, de surcroit, que le respect des droits humains, et plus particulièrement les droits à la liberté d’expression et de presse, Footnote 69 à la participation des citoyens aux décisions qui les concernent, Footnote 70 ainsi que le principe d’égalité et de non-discrimination, Footnote 71 participent au renforcement des institutions démocratiques représentatives.
l’oéa et la lutte contre la corruption
Sur le plan de la lutte contre la corruption, constatant que “[l] a corruption des secteurs public et privé affaiblit la démocratique (sic) et sape la légitimité des gouvernements et des institutions” et que “[t]ous les aspects de l’administration publique d’une démocratie doivent être transparents et soumis à l’examen du public,” Footnote 72 les États se sont engagés, lors du Sommet de Miami de 1994, à réfléchir sur “les réformes nécessaires pour assurer [leur] transparence et [leur] responsabilité redditionnelle des opérations.” Footnote 73 Ces réformes devaient assurer une participation large et effective des acteurs de l’État et de la société civile pour proposer des solutions aux pratiques de corruption et à leurs impacts systémiques. Footnote 74
La CICC: une convention pionnière
La Convention interaméricaine contre la corruption a ainsi été approuvée par 34 États membres de l’Organisation le 29 mars 1996 à Caracas, au Venezuela; 33 États l’ont aujourd’hui ratifiée. Footnote 75 Il s’agit de la première convention internationale à établir un cadre normatif détaillé relatif à l’élimination de la corruption des fonctionnaires publics et autres responsables étatiques. Footnote 76 Reconnaissant que la “corruption sape la légitimité des institutions politiques, porte atteinte à la société, à l’ordre moral et à la justice, ainsi qu’au développement intégral des peuples,” Footnote 77 la Convention poursuit deux buts, soit le renforcement des mécanismes nationaux de prévention et de répression de la corruption dans l’exercice de la fonction publique ainsi que la règlementation de la coopération entre les États parties en vue d’assurer l’efficacité des mesures nationales de lutte contre la corruption. Footnote 78
Sur le plan interne, les engagements étatiques sont de deux ordres. Les États ont, d’une part, contracté des obligations contraignantes en matière de répression pénale des actes que la CICC identifie comme des actes de corruption. L’article VI de la Convention est central; il définit ces actes, incluant les pots-de-vin, le trafic d’influence et le blanchiment d’argent, Footnote 79 que les États ont l’obligation de criminaliser au sein de leur ordre juridique interne. Footnote 80 Les définitions des actes de corruption sont larges et couvrent non seulement les actes commis par des fonctionnaires publics, mais également, par des tiers au nom dudit fonctionnaire. Aux termes des articles VIII et IX, les États se sont également engagés à criminaliser, conformément à leur Constitution et les principes fondamentaux de leur système juridique, les actes de corruption transnationale Footnote 81 et d’enrichissement illicite. Footnote 82
Ils se sont engagés, d’autre part, à envisager l’adoption de mesures préventives qui revêtent toutefois un caractère incitatif et optionnel. Footnote 83 Ainsi, les États ont convenu d’envisager des mesures relatives au renforcement de la transparence et de la reddition de compte des fonctionnaires publics. Ces mesures visent la transparence des processus d’embauche au sein de la fonction publique, d’acquisition de biens et de services par l’État, de recouvrement et de collection des recettes de l’État, de contrôle des avoirs et des dettes des fonctionnaires publics. Ce faisant, les États ont envisagé d’adopter des normes de conduite et codes d’éthique pour la fonction publique. Footnote 84 Finalement, ils ont prévu d’adopter des mesures visant à encourager la participation de la société civile et des organisations non gouvernementales dans les “efforts tendant à prévenir la corruption,” Footnote 85 à protéger tout fonctionnaire ou personne physique qui dénonce de bonne foi les actes de corruption Footnote 86 et à établir des mécanismes de contrôle. Footnote 87
Sur le plan multilatéral, les États se sont engagés à renforcer leur collaboration en vue de lutter contre les effets de la corruption, notamment via l’établissement de mécanismes de coopération régionale pour favoriser l’enquête et la poursuite des crimes de corruption Footnote 88 et le recouvrement des fruits de la corruption. Footnote 89 L’article XIII prévoit par ailleurs un régime d’extradition au sein duquel chacun des actes de corruption définis dans la Convention est inclus d’emblée dans tout “traité d’extradition en vigueur entre les Parties en tant qu’infraction pour laquelle l’auteur peut être extrude.” Footnote 90
Les sommets des Amériques postérieurs à l’adoption de la CICC ont réitéré l’engagement des États en faveur de la consolidation des démocraties sur le continent, insistant notamment sur la nécessité de ratifier la CICC et de mettre sur pied un mécanisme de suivi de cette dernière. Partant, le MESICIC a été établi en 2001 suite à l’adoption du Rapport de Buenos Aires par l’Assemblée générale de l’OÉA. Footnote 91 Il s’agit d’un organisme intergouvernemental composé de la Conférence des États parties et d’un comité d’experts nommés par ceux-ci. Respectueux des principes de souveraineté, de non-intervention et d’égalité des États, la mission du MESICIC vise à soutenir ceux-ci dans la mise en œuvre de la CICC et à faciliter la coopération technique, via l’échange d’information sur les meilleures pratiques adoptées par les États dans la lutte contre la corruption et l’harmonisation des législations nationales.
De plus, les États parties se soumettent volontairement à un examen périodique de leurs efforts concernant la mise en œuvre de la CICC. Ainsi, selon la procédure établie dans le Rapport de Buenos Aires, le Comité d’experts procède à une évaluation technique de la mise en œuvre des dispositions de la Convention, sur la base de l’information fournie volontairement par les États et certaines organisations non gouvernementales. Footnote 92 Aux termes de celle-là, le Comité émet des recommandations qui, rappelons-le, ne sont pas contraignantes pour les États, lesquels ont le choix de les suivre ou non. De plus, la mise en œuvre de ces recommandations finales ne fait pas l’objet d’un processus formel de suivi et ne peut faire l’objet de sanction, en cas de non-respect. Footnote 93 Pour plusieurs, il s’agit “d’une procédure d’évaluation par les pairs aux effets contraignants limités.” Footnote 94 Il relève ainsi de la responsabilité des États de mettre en œuvre les dispositions pénales de la CICC au sein de leur ordre juridique interne afin de lutter contre la commission de pratiques de corruption.
Les limites de la CICC: une approche axée sur la répression pénale des actes de corruption
À l’instar des autres conventions internationales portant sur la lutte contre la corruption, adoptées postérieurement à la CICC, les États ont choisi une approche axée sur la répression pénale au sein de leur ordre juridique des actes de corruption prohibés aux termes de la CICC. Footnote 95 Or, il appert qu’une approche juridique uniquement axée sur le droit pénal n’est pas sans présenter certaines difficultés.
En effet, l’analyse réalisée par le comité d’experts du MESISIC, lors du second cycle du suivi de la mise en œuvre des dispositions de la CICC, démontre que la typification des crimes de corruption au sein des codes criminels de la région est souvent trop restreinte pour englober l’ensemble des activités qui induisent des pratiques corrompues. Footnote 96 Ce faisant, toute une série d’actes que la CICC considère comme étant des pratiques de corruption n’est pas criminalisée dans les ordres juridiques internes et par conséquent, n’est pas susceptible d’être punie. De plus, une fois la législation nationale adoptée, plusieurs obstacles en préviennent la mise en œuvre effective. Ainsi, l’application de la législation relève généralement du Bureau des poursuites pénales ou du ministère public qui doivent, dans un modèle idéal, jouir de l’indépendance nécessaire dans la réalisation de leurs fonctions, sans interférence des pouvoirs exécutif et législatif. Or, une analyse de l’expérience des mécanismes nationaux de lutte contre la corruption sur le continent américain, lors de la XIIe Conférence internationale contre la corruption tenue en 2006, a démontré que le pouvoir exécutif intervenait trop souvent directement auprès des instances responsables des enquêtes pénales et des procès dans le but de faire avorter ces derniers. Footnote 97 Ces interventions ont ainsi occasionné un manque de systématicité dans le suivi des affaires de corruption, accompagné d’un faible taux de sanction des actes de corruption. Footnote 98 De plus, en raison de la culture du secret entourant généralement la commission des actes de corruption, il peut s’avérer complexe d’en faire la preuve, spécialement au regard du fardeau de preuve applicable en droit pénal. Footnote 99
Aussi, l’approche pénale adoptée par les instruments en matière de lutte contre la corruption soulève des questions quant à la conformité de la définition des crimes avec la présomption d’innocence. La définition du “crime d’enrichissement illicite” prévue par la CICC impose à l’accusé le fardeau de démontrer que l’enrichissement, une fois prouvé par la poursuite, est raisonnable par rapport à ses revenus légitimes. Footnote 100 Plusieurs critiques ont ainsi été formulées à l’effet que la lutte contre la corruption semble se faire aux dépens de la protection des droits fondamentaux. Footnote 101 Dans cette veine, il a été démontré que les règles fondamentales et procédurales de justice pénale, notamment celles relatives à la présomption d’innocence, au droit au procès équitable et au droit à la défense, ont été utilisées par les accusés pour retarder ou, encore, faire avorter les enquêtes et la tenue de leurs procés. Footnote 102 Bien que cette situation puisse témoigner du fonctionnement normal de la justice pénale, au sein de laquelle les accusés doivent pouvoir jouir des garanties fondamentales de justice, il en résulte néanmoins une situation paradoxale où les droits de la personne, dont on présume qu’ils sont utiles pour lutter contre la corruption, sont susceptibles d’aider ceux-ci à éviter la tenue de leurs procès pénaux. Footnote 103
On constate ainsi les limites d’une politique de lutte contre la corruption uniquement axée sur le droit pénal. Celle-ci ne sanctionne la corruption qu’après le fait, c’est-à-dire une fois que les pratiques corrompues ont été effectuées et prouvées, et ne laisse que peu de place aux victimes. Footnote 104 Si elle répond à l’impératif de punir les acteurs de la corruption, cette approche dissuasive, basée sur la responsabilité individuelle, agit en aval et n’offre que difficilement des solutions aux causes structurelles qui facilitent la mise en place et le maintien des pratiques de corruption. En somme, “[e]lle s’intéresse essentiellement, de par sa nature même, à la seule infraction et ne peut de manière générale pas intégrer les effets d’ordre collectif et d’ordre global de la corruption.” Footnote 105 Or, la plupart des définitions précitées consistent à souligner que la corruption engendre le détournement des structures et des ressources d’un État à des fins privées. Footnote 106
For this reason, anti-corruption policies should not treat corruption as if it were composed of isolated and opportunistic acts of selfishness. It is, rather, a social expression of power that permits certain people (primarily government officials and business leaders) to control and oppress others economically, politically and culturally. Footnote 107
C’est précisément ici que nous constatons la nécessité d’intégrer une dimension axée sur la protection des droits humains au sein des politiques de lutte contre la corruption en ce qu’elle peut contribuer à apporter des solutions aux causes systémiques permettant la mise en place de telles pratiques corrompues. La protection des droits de la personne est ainsi susceptible de complémenter l’approche pénale de la répression des actes de corruption adoptée par la CICC.
l’oéa et la promotion des droits humains
La mise sur pied du SIDH est antérieure à l’établissement du cadre régional de lutte contre la corruption. Footnote 108 Le contentieux interaméricain est composé de la Cour entrée en fonction en 1979 et de la Commission dont la création remonte à 1959. Il s’agit d’un contentieux en matière de responsabilité étatique pour la violation des droits garantis principalement par la Convention américaine. Footnote 109 La Commission interaméricaine est l’organe de l’OÉA responsable de la protection et de la promotion des droits humains au sein des États membres de l’Organisation. Footnote 110 En plus de ses fonctions en matière d’instruction de plaintes individuelles alléguant la violation des droits garantis, elle occupe également des fonctions d’observation et de défense des droits de la personne dans la région. Pour ce faire, elle peut, notamment, recommander aux gouvernements d’adopter des mesures propres à promouvoir le respect de ces droits, préparer les études et rapports jugés utiles pour l’accomplissement de ses fonctions, via son système de Rapporteurs ainsi que ses rapports annuels, thématiques ou par pays portant sur la situation des droits humains. Footnote 111 La Cour, quant à elle, a été instituée en vertu de la Convention américaine; Footnote 112 elle peut être saisie par la Commission interaméricaine ou par tout État partie à la Convention dans le cadre d’affaires contentieuses alléguant la violation des droits protégés par son instrument constitutif ou tout autre instrument à l’égard duquel elle aurait compétence, telles la Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture et la Convention interaméricaine sur la disparition forcée des personnes. Footnote 113 Elle peut également rendre des avis consultatifs à la demande de tout État membre de l’OÉA et certains organes de l’Organisation à propos de l’interprétation de la Convention ou tout autre traité relatif à la protection des droits de la personne dans les Amériques, en plus de se prononcer sur la compatibilité d’une loi nationale avec ces instruments. Footnote 114
Si, lors de leur entrée en fonctions, les instances interaméricaines ont été confrontées à des affaires de violations massives et systématiques des droits humains perpétrées par des régimes autoritaires, les affaires portées devant elles exposent, de plus en plus, des problèmes structurels liés au fonctionnement des démocraties. De nos jours, les victimes appartiennent souvent à des groupes placés en situation de vulnérabilité au sein de leur société, et la violation de leurs droits individuels soulève trés souvent des questions de discrimination systémique. Footnote 115 La sanction des violations des droits garantis dans ce type d’affaires remet ainsi en cause l’ensemble de l’appareil étatique, dans ses fonctions législatives, ainsi que son organisation politique et institutionnelle. Footnote 116
À la lumière de ces développements jurisprudentiels, le SIDH a cherché à développer des solutions non seulement axées sur la réparation individuelle des droits violés, mais également à ancrer son analyse dans le contexte institutionnel et social des affaires qui lui sont présentées. Pour ce faire, il a réinterprété le principe d’égalité et de non-discrimination à la lumière de l’impératif de la protection des groupes vulnérables, ce qui lui a permis de renouveler le contenu des droits civils et politiques protégés par la Convention américaine. Footnote 117 Le SIDH a ainsi consacré une conception substantielle du principe d’égalité et de non-discrimination: l’État doit d’une part, s’abstenir d’adopter des lois qui produiraient, directement ou indirectement, en droit ou en fait, un effet discriminatoire. Footnote 118 Il doit d’autre part, prendre les mesures de discrimination positive nécessaires pour combattre toute situation discriminatoire à l’encontre d’un groupe de personnes, qu’elle résulte de l’action de l’État ou d’une personne tierce. Footnote 119 Ce faisant, les instances interaméricaines ont introduit le principe de la protection des groupes vulnérables, “qui ont subi sous l’angle historique, sociologique, économique ou encore politique une mise à l’écart ‘discriminante’.” Footnote 120 Dès lors, la Commission et la Cour ont développé un courant jurisprudentiel que l’on pourrait qualifier de “socially mindful” Footnote 121 qui reconnait l’existence des groupes placés en situation de vulnérabilité afin de déterminer avec précision les obligations positives qui incombent aux États dans la protection effective des droits garantis.
Il en résulte que “[b]y observing the evolution of the jurisprudence on equality in the Inter-American system, one concludes that the ISHR demands of the states a more active and less neutral role, as a guarantee not only of the recognition of rights, but also of the real possibility of exercising them.” Footnote 122 Ainsi, le SIDH a développé la capacité d’influencer les orientations générales de certaines politiques publiques en développant des standards qui proposent des solutions aux problèmes d’inégalités structurelles au sein des démocraties de la région. Ce faisant, à la lumière de la garantie de non-répétition, Footnote 123 les recommandations de la Commission ainsi que les décisions de la Cour expliquent généralement de manière détaillée les changements législatifs et institutionnels nécessaires pour garantir la protection effective des droits violés, de façon à assurer que les violations ne se reproduisent pas. Footnote 124
À ce sujet, bien que les résolutions adoptées par la Commission n’aient pas un caractère contraignant au sens du droit international public stricto sensu, rappelons qu’il est généralement reconnu que les États membres de l’OÉA ont une obligation de bonne foi de mettre en œuvre les recommandations formulées par la CIDH dans le cadre d’affaires individuelles. Footnote 125 Par ailleurs, les États ont l’obligation internationale de respecter et mettre en œuvre les jugements et ordonnances émis à leur endroit par la Cour interaméricaine. Footnote 126 Notons enfin que la Cour a réitéré, à maintes reprises, que les tribunaux nationaux ont une obligation positive de s’assurer de la conformité des normes de droit national et des actions des agents de l’État avec le droit interaméricain des droits de la personne, ce qui inclut non seulement la Convention et les autres traités applicables, mais également les standards jurisprudentiels développés par la Cour elle-même. Footnote 127
À l’heure actuelle, le SIDH fait face à deux défis d’ordre institutionnel qui sont particulièrement intéressants au regard de la lutte contre la corruption. L’un consiste à préserver l’accès égalitaire de tous les citoyens aux processus démocratiques, et l’autre vise l’amélioration du fonctionnement des systèmes de justice nationaux. Footnote 128 Ainsi, si l’on tient compte de l’effet de marginalisation que la corruption produit sur certains secteurs de la société, qui sont privés d’accès et de représentation effective au sein des institutions étatiques, le Système interaméricain “constitue un forum particulièrement effectif pour établir des standards qui permettent de réguler la conduite des États et, en ce sens, est un outil susceptible d’avoir une incidence positive dans la mise sur pied de politiques de lutte contre la corruption.” Footnote 129
L’apport des standards interaméricains de protection des droits humains aux efforts de lutte contre la corruption
Il est aujourd’hui admis que l’efficacité et le succès des politiques de lutte contre la corruption reposent sur une approche holistique, capable de proposer des solutions aux causes de la corruption, incluant notamment la participation d’une large coalition d’acteurs non seulement de l’État, mais également de la société civile. Footnote 130 Les standards interaméricains en matière d’égalité et de non-discrimination renforcent les mécanismes de participation citoyenne, dont l’accès à l’information et la protection des dénonciateurs, au sein des processus démocratiques, et sont susceptibles de contribuer, en conséquence, à l’opérationnalisation des mesures de prévention de la CICC. De plus, il nous faut souligner qu’alors que les mesures proposées aux États par la CICC ne constituent que des recommandations, les standards interaméricains relatifs à la protection des droits humains sont généralement, quant à eux, de nature contraignante.
L’opérationnalisation du droit à la participation: l’accès égalitaire aux processus démocratiques
“[P]articipation is at the heart of human rights practice. Human rights strategies for confronting abuse of power and holding government institutions accountable depend on it, and it is a condition of claiming other rights.” Footnote 131 Contribuant à la consolidation des institutions démocratiques sur le continent, le SIDH a développé des standards en matière de participation des citoyens, et plus particulièrement de certains groupes placés en situation de vulnérabilité, dans des conditions d’égalité au sein des processus démocratiques. À cet égard, la jurisprudence interaméricaine en matière de participation des communautés autochtones dans la vie politique de l’État est éloquente.
C’est entre autres le cas du jugement de la Cour interaméricaine dans l’affaire YATAMA (Nicaragua). Footnote 132 Dans le cadre de cette affaire, la loi électorale nicaraguayenne prévoyait que seuls les partis politiques pouvaient présenter des candidats aux élections municipales, privant les représentants de l’association YATAMA, vouée à la défense du droit des peuples autochtones à leurs terres ancestrales, de la possibilité de se présenter aux élections municipales. Or, la transformation juridique de l’organisation pour l’obtention du statut de parti politique était contraire aux us et coutumes des peuples concernés. Dans son jugement, la Cour a établi que l’article 23 de la CADH (droits politiques) protège le droit de tout individu de prendre part à la conduite des affaires publiques, de voter et d’être élu ainsi que d’avoir accès à la fonction publique dans des conditions d’égalité. Footnote 133 L’obligation de garantie qui incombe à l’État ne se limite cependant pas à l’adoption de lois relatives à la participation politique, sinon également, à l’adoption des mesures nécessaires pour garantir son plein et libre exercice en tenant compte de la situation particulière de vulnérabilité des membres de certains groupes ou secteurs de la société. Footnote 134
Ce faisant, la Cour a examiné le statut des victimes, à savoir les membres des communautés autochtones privés de leur droit à la représentation par le biais de l’association YATAMA, et a conclu que ces victimes différaient de la population générale, notamment en raison de leur langue, leurs coutumes et leurs formes d’organisations; elles faisaient face, de surcroit, à certaines difficultés qui les plaçaient en situation de vulnérabilité au sein de la société nationale. Partant, la Cour a procédé à une lecture combinée des articles 23 et 24 (égalité devant la loi) de la CADH, à la lumière de la Charte démocratique selon laquelle “[l]e renforcement des partis et d’autres organisations politiques est un facteur prioritaire pour la démocratie.” Footnote 135 Elle a ainsi conclu que l’État avait l’obligation d’adopter les mesures nécessaires afin d’assurer la participation des membres des communautés autochtones, dans des conditions d’égalité, au sein des processus de prises de décisions politiques susceptibles d’avoir un impact sur leurs droits et leur développement. Ces mesures doivent permettre leur participation effective, directe et proportionnelle au nombre de leurs membres, au sein des institutions étatiques, en conformité avec leurs valeurs, leurs pratiques et leurs formes d’organisation. Footnote 136 Sans minimiser l’importance des partis politiques dans la vie démocratique de l’État, Footnote 137 la Cour a affirmé de manière plus générale que:
[h]aving established the foregoing, the Court finds it necessary to indicate that any requirement for political participation designed for political parties, which cannot be fulfilled by groups with a different form of organization, is also contrary to Articles 23 and 24 of the American Convention, to the extent that it limits the full range of political rights more than strictly necessary, and becomes an impediment for citizens to participate effectively in the conduct of public affairs. Footnote 138
Par ailleurs, le droit à la participation ne se limite pas à la seule participation aux processus électoraux, mais également aux processus de prises de décisions publiques relatives à la gestion et au développement des communautés concernées. En effet, dans le cadre d’affaires portant sur l’octroi de contrat de concessions d’exploitation de ressources naturelles situées en territoires autochtones, les instances interaméricaines ont développé les paramètres du régime de consultations préalables des communautés autochtones, en vertu des articles 1 (obligation de respecter les droits) et 21 (droit de propriété) de la Convention américaine, souvent interprétés à la lumière de la Convention n o 169 relative aux peuples indigènes et tribaux Footnote 139 de l’Organisation internationale du Travail. Partant du principe selon lequel l’article 21 protège également les formes de propriété collective des peuples autochtones, y compris l’usage et l’exploitation des ressources naturelles situées sur leurs territoires, Footnote 140 l’État doit tenir des consultations préalables de bonne foi, continues, actives et informées. Ces consultations doivent se faire en accord avec les coutumes de la communauté et viser à conclure un accord en conformité avec les processus traditionnels de prise de décision, sur toute mesure de nature administrative ou législative susceptible d’affecter les droits de la communauté, et ce, dès les premières phases de développement du projet. Footnote 141 Ce faisant, l’État doit adopter les mesures nécessaires, notamment linguistiques, pour que les membres de la communauté comprennent et soient compris lors des négociations, Footnote 142 s’assurer que les droits des communautés autochtones soient pris en compte dans tout accord conclu avec une entreprise privée ou dans la prise de décision publique, Footnote 143 superviser la mise en œuvre de ces droits et, le cas échéant, référer les violations aux organes judiciaires compétents. Footnote 144
À ces mesures s’ajoute l’obligation pour l’État de produire des études d’impacts environnementaux et sociaux indépendantes. Compte tenu du fait que les consultations doivent être informées, ces études, supervisées par l’État, doivent minimalement aborder les impacts cumulés des projets existants et futurs sur l’environnement. Footnote 145 Elles nourrissent, de ce fait, le processus des consultations en permettant aux communautés autochtones de donner leur consentement libre et éclairé, en connaissance des risques encourus, notamment en matière d’environnement et de santé, quant à l’exploitation des ressources naturelles situées sur les territoires visés. Footnote 146 De manière corrélative, elles permettent d’évaluer et d’octroyer une compensation financière adéquate pour le dommage environnemental affectant la réalisation des activités de subsistance des communautés concernées147 en plus d’établir un partage des bénéficies correspondant au degré de privation d’accès aux ressources naturelles. Footnote 148
Ici, l’opérationnalisation de ces standards habilite les communautés autochtones, généralement considérées comme des groupes placés en situation de vulnérabilité au sein de leur société nationale, à participer pleinement et activement à la vie démocratique de l’État ainsi qu’aux processus de prises de décisions qui les concernent; elle oblige corrélativement l’État à tenir compte de la réalisation de leurs droits économiques, sociaux et culturels dans la gestion des affaires publiques, Footnote 149 notamment en imposant à l’État certaines obligations en matière de redistribution des recettes publiques liées à l’exploitation des ressources naturelles.
Or, si l’on se réfère à la de définition de la corruption précitée selon laquelle [Corruption] = [Monopole] + [Discrétion] – [Reddition de comptes], il est possible d’avancer que ces standards réduisent le monopole et la discrétion de l’État dans la gestion des affaires publiques, notamment dans le secteur de l’exploitation des ressources naturelles, dont on a vu en introduction qu’il s’agissait d’un secteur propice à la corruption. En effet, alors que la corruption se reproduit là où les élites, notamment économiques, sont capables de maintenir leurs privilèges aux dépens de groupes placés en situation de vulnérabilité ne disposant pas de moyen pour défendre leurs intérêts, Footnote 150 les standards interaméricains imposent à l’État de prendre effectivement en compte les besoins de l’ensemble des acteurs de la société dans la gestion des affaires publiques. L’État doit, le cas échéant, tenir compte des conditions particulières de vulnérabilité de certains groupes dans la mise en place de structures et mécanismes participatifs. Ce faisant, ces standards institutionnalisent un système de contrepoids Footnote 151 qui favorise, d’une part, le contrôle démocratique des activités de l’État par les citoyens et redistribue, d’autre part, le pouvoir et les ressources entre les divers acteurs de la société, incluant les groupes placés en situation de vulnérabilité.
L’accès à l’information comme condition préalable à la participation
Les instances interaméricaines se sont également intéressées aux mécanismes de reddition de comptes. Si le droit d’accès à l’information n’apparait pas explicitement dans la Convention américaine, la Cour a néanmoins rendu une décision de principe dans l’affaire Claude Reyes (Chili) Footnote 152 qui a consacré ce droit, dont on peut désormais demander l’exécution devant les tribunaux nationaux et internationaux. Footnote 153 Cette décision devient, de ce fait, intéressante au regard des politiques publiques de lutte contre la corruption, et plus particulièrement au niveau de l’opérationnalisation des principes d’ouverture et de transparence de l’administration publique qui habilitent, selon la Cour, toute personne placée sous la juridiction de l’État à exercer un contrôle démocratique des activités de l’État et évaluer, en conséquence, si ces dernières sont réalisées adéquatement. Footnote 154
Ainsi, dans le cadre de l’affaire Claude Reyes, un citoyen chilien tentait d’avoir accès à l’information publique concernant le Projet Rio Condor, approuvé par le Comité gouvernemental des investissements étrangers et concédant à des intérêts étrangers le développement d’un projet d’industrialisation forestière dans le sud du Chili. À l’époque des faits, le demandeur était à la tête d’une organisation non gouvernementale dont la mission visait d’une part, la production d’information scientifique relative au développement durable et d’autre part, la promotion de la participation de la société civile aux décisions publiques en matière d’investissements dans le domaine de l’exploitation des ressources naturelles. Footnote 155 Le demandeur avait ainsi contacté le Comité sur les investissements étrangers en vue d’obtenir l’information nécessaire sur le Projet Rio Condor pour mener une étude approfondie sur ses aspects sociaux, environnementaux et commerciaux. Or, mis à part l’information relative aux noms des compagnies impliquées et les sommes d’argent investies, le Comité sur les investissements étrangers n’avait pas souhaité divulguer davantage d’information au motif que tout autre type d’information était de nature confidentielle.
Constatant que l’État chilien n’était doté, à l’époque des faits, d’aucun cadre législatif et règlementaire quant à ses obligations d’assurer la transparence et la divulgation de l’information d’intérêt public, le Tribunal interaméricain a inféré du droit à la liberté d’expression, garanti par l’article 13 de la Convention américaine, les paramètres minimaux d’un régime d’accès à l’information. Corollaire du droit à la vérité et de la lutte contre l’impunité, Footnote 156 la Cour a constaté que le droit d’accès à l’information publique favorise la participation directe des citoyens à la gestion des affaires publiques, Footnote 157 sans que ceux-ci n’aient à justifier d’un intérêt direct dans la demande d’accès. Footnote 158
Ainsi, le régime d’accès est gouverné par le principe de la divulgation maximale qui établit une présomption en faveur de l’accessibilité a priori de toute information, sous réserve des exceptions autorisées par la Convention. Footnote 159 Sur le plan opérationnel, le régime d’accès à l’information doit minimalement prévoir que la réponse de l’État à la demande d’un citoyen soit complète et accessible en temps opportun et que le rejet de la demande soit justifié sur la base des exceptions prévues par la loi, en conformité avec la CADH. Footnote 160 Une procédure administrative, puis judiciaire, simple, rapide et effective doit permettre au citoyen de contester le rejet de la demande. Le recours, supervisé par des fonctionnaires dûment qualifiés, Footnote 161 doit permettre de constater la violation du droit d’accès à l’information et le cas échéant, d’ordonner aux autorités compétentes la divulgation des informations demandées. Footnote 162 La législation pertinente doit prévoir les délais à l’intérieur desquels une décision sur la légalité du refus doit être rendue et notifiée au requérant. Footnote 163
Rappelons que la Cour a appuyé son raisonnement notamment sur la Charte démocratique Footnote 164 et plusieurs résolutions de l’Assemblée générale de l’OÉA relatives à la consolidation des institutions démocratiques Footnote 165 pour conclure à l’existence d’un consensus régional, en dehors du seul Système interaméricain de protection des droits des humains, quant à la nécessité de promouvoir la transparence et l’accès à l’information dans la gestion des affaires publiques. Il convient de souligner que la Cour a noté au passage que le consensus dépasse le cadre régional des Amériques et cité, à l’appui, les dispositions pertinentes de la Convention des Nations Unies contre la corruption et de la Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement. Footnote 166
Bien que la Cour n’ait pas mentionné les dispositions de la CICC, il nous faut souligner que le Secrétariat technique du MESICIC a élaboré des directives législatives, similaires à celles dictées par la Cour, que les États devraient suivre dans l’adoption d’une loi en matière d’accès à l’information. Il s’agit néanmoins de directives qui, conformément aux mesures de prévention mises en place dans la CICC, ne constituent que des recommandations et n’ont qu’un effet incitatif auprès des États parties. Footnote 167 Rappelons à cet égard que conformément à la doctrine du contrôle de conventionalité, la décision de la Cour dans l’affaire Claude Reyes (Chili) établit des standards contraignants pour l’ensemble des États parties à la CADH: ceux-ci n’ont désormais plus seulement l’obligation de s’abstenir de faire obstruction au flux d’information, Footnote 168 mais également l’obligation positive d’établir un cadre règlementaire garantissant un accès effectif à l’information publique.
Si le régime d’accès à l’information établi dans l’affaire Claude Reyes (Chili) confère à tout citoyen, sur un plan individuel, le droit d’avoir accès à l’information publique, les instances interaméricaines ont également prévu le droit de certains secteurs de la population, placés en situation de vulnérabilité, d’avoir accès à l’information publique les concernant. Ces standards participent ainsi à la démocratisation des politiques publiques en matière de transparence, afin de garantir également l’accès à l’information pour les groupes marginalisés. Footnote 169 Dans cette veine, la Commission a déterminé que l’État a l’obligation de produire et de compiler des statistiques relatives à la réalisation progressive des droits économiques, sociaux et culturels, afin d’identifier les secteurs de la société qui sont placés en situation de vulnérabilité et conséquemment, d’adopter les politiques publiques nécessaires, incluant l’allocation des ressources, pour garantir à ceux-ci la jouissance effective de ces droits. Footnote 170 La production et la publication de ces statistiques sont susceptibles de mettre à jour des patrons de discriminations systémiques qui autrement resteraient invisibles, faute d’information. Footnote 171 De la même manière, nous avons vu que dans le cadre de l’exploitation des ressources naturelles situées en territoires autochtones, l’État a l’obligation de produire des études d’impacts environnementaux et sociaux dans le but d’éclairer le processus des consultations préalables.
Ce faisant, les obligations étatiques en matière d’accès à l’information contribuent à l’opérationnalisation du principe de la gestion transparente de l’État, et plus particulièrement dans l’allocation des ressources publiques, dont on a vu qu’elles étaient généralement détournées au profit d’intérêts privés au sein d’un État corrompu. C’est précisément ici que nous devons constater, à l’instar des standards relatifs à la participation citoyenne, que les règles contraignantes en matière d’accès à l’information établies par la Cour et la Commission, par ailleurs similaires aux directives émises par le MESICIC en matière d’accès à l’information, sont susceptibles d’alimenter les politiques de lutte contre la corruption. En effet, les instances du SIDH ont conféré un contenu détaillé et précis au droit à la liberté d’expression (art 13 CADH) dont le rôle fondamental dans la consolidation des institutions démocratiques et la lutte contre la corruption a été consacré par les chefs d’État et de gouvernement de l’OÉA Footnote 172 et par l’Assemblée générale de l’OÉA. Footnote 173
La protection des dénonciateurs
Pour lutter efficacement contre la corruption, il ne suffit cependant pas que l’information soit disponible, mais également qu’elle puisse circuler sans entrave. En effet, le droit à la liberté d’expression protège non seulement le droit de recevoir, mais également de partager l’information avec l’ensemble des membres de la société. Footnote 174 La protection effective du droit à la liberté d’expression, dans toutes ses facettes, devient ainsi une composante essentielle des stratégies efficaces de lutte contre la corruption, qui reposent notamment sur la capacité des acteurs de la société civile de dénoncer les actes de corruption, ses causes et ses conséquences. En effet, comme le rappelait la Cour dans l’affaire Canese (Paraguay), Footnote 175
[w]ithout effective freedom of expression, exercised in all its forms, democracy is enervated, pluralism and tolerance start to deteriorate, the mechanisms for control and complaint by the individual become ineffectual and, above all, a fertile ground is created for authoritarian systems to take root in society. Footnote 176
De la même manière, rappelons que l’ensemble des conventions internationales en matière de lutte contre la corruption, incluant la CICC, Footnote 177 insiste sur la nécessité de mettre sur pied un système de protection des dénonciateurs. À l’instar de ces conventions internationales, les instances interaméricaines ont également reconnu la nécessité pour les États d’adopter des mesures spéciales de protection pour certains individus qui exercent des “activités de vigilance, de dénonciation et d’éducation [qui] contribuent de manière essentielle au respect des droits humains dans la mesure où ceux-ci agissent comme des garde-fou contre l’impunité,” tel que l’indiquait la Cour dans l’affaire Fleury (Haïti). Footnote 178 Ces personnes appartiennent généralement à des groupes placés en situation de vulnérabilité en raison des fonctions qu’elles exercent au sein de la société: ainsi en est-il notamment, des opposants politiques, des défenseurs des droits humains et de l’environnement et des journalistes, qui sont amenés à dénoncer les abus commis par l’État, y compris les pratiques de corruption, et contribuent, par conséquent, au bon fonctionnement de la démocratie pluraliste en exerçant un contrôle sur les activités de l’État.
À titre d’exemple, dans l’affaire Canese (Paraguay), Footnote 179 la victime était candidate à l’élection présidentielle contre le président sortant du pays. Durant la campagne électorale, elle avait dénoncé les pratiques de corruption impliquant ce dernier et une entreprise privée dans la construction d’un barrage et d’une centrale hydroélectrique. À la suite de ces allégations, la victime a fait l’objet de poursuites civiles et criminelles pour atteinte à la réputation, aux termes desquelles elle a été condamnée à des amendes élevées, accompagnées d’une interdiction de quitter le pays. Établissant un équilibre entre les droits à la liberté d’expression et à la rectification en cas d’atteinte à la réputation (art. 14 CADH), la Cour a constaté que les allégations de corruption avaient fait l’objet d’une enquête publique par une commission d’enquête nationale, qu’elles étaient d’intérêt public et alimentaient le débat électoral qui devait permettre aux citoyens de faire un choix éclairé quant aux candidats. Partant, la Cour a soutenu que l’État avait violé le droit à la liberté d’expression de la victime dont les propos auraient dû bénéficier d’un seuil plus élevé de tolérance en raison de l’intérêt public qu’ils présentaient et garantissaient ce faisant, la transparence des activités de l’État tout en renforçant la responsabilité des officiers exerçant au sein de l’administration publique. Footnote 180
Ainsi, le seuil de tolérance à l’égard des discours concernant des personnalités publiques, et en particulier, des fonctionnaires étatiques, des politiciens et des candidats électoraux, doit être rehaussé en raison, précisément, du caractère public de ces personnalités et de l’intérêt public inhérent aux activités que ces dernières réalisent. Footnote 181 La Cour est arrivée à la même conclusion dans les affaires Herrera-Ulloa (Costa Rica) Footnote 182 et Kimel (Argentine), Footnote 183 dans lesquelles les victimes, toutes deux journalistes, avaient été condamnées à des peines de prison et des amendes élevées, aux termes de procédures criminelles en diffamation, pour avoir respectivement dénoncé les pratiques de corruption d’un diplomate costaricain et de la fonction judiciaire argentine durant la dictature. Dans cette perspective, les instances interaméricaines ont réitéré à plusieurs reprises la nécessité d’accorder une protection accrue aux journalistes et professionnels des médias, indiquant que les attaques perpétrées contre ces derniers sont spécifiquement destinées à les faire taire et constituent, en ce sens, une violation du droit de la société dans son ensemble d’avoir accès à une information libre. Footnote 184
De plus, le Rapporteur spécial sur la liberté d’expression de la Commission interaméricaine a souligné que 78 journalistes ont été assassinés entre 2011 et 2013 en raison de l’exercice de leur profession; plusieurs d’entre eux dénonçaient les pratiques institutionnalisées de corruption au sein de leur État. Footnote 185 Ce faisant, le Rapport recommandait aux États d’adopter des mesures de prévention, au nombre desquelles figurent la décriminalisation des procédures en matière de diffamation et d’atteinte à la réputation, Footnote 186 la condamnation publique des actes de violence à l’encontre des journalistes, des programmes de formation sur la liberté d’expression destinés aux fonctionnaires publics, la compilation de statistiques portant sur la violence à l’encontre des journalistes et la mise sur pied de programmes spéciaux de protection de ceux-ci. Footnote 187
De la même manière, dans l’affaire Luna Lopez (Honduras), Footnote 188 l’exécution extrajudiciaire de la victime, qui exerçait des fonctions électives au sein de la Commission municipale environnementale de sa municipalité, est survenue dans un contexte de risque accru pour les personnes qui travaillent dans la promotion et la défense de l’environnement au Honduras. Footnote 189 La victime avait fait l’objet de plusieurs menaces de mort de la part d’entrepreneurs forestiers après qu’elle eut dénoncé, à la justice et dans les médias, les pratiques de corruption au sein de l’industrie forestière dont certains intérêts étaient détenus par des membres du Congrès national hondurien. Rappelant sa jurisprudence antérieure portant sur la violation des droits des environnementalistes au Honduras, Footnote 190 la Cour a conclu que l’État était responsable de la violation du droit à la vie (art. 1 CADH) de la victime, en ce qu’il n’avait pas pris toutes les mesures nécessaires pour prévenir l’attentat contre celle-ci. Footnote 191 En effet, en raison du contexte d’hostilités et de corruption dans lequel elle exerçait ses fonctions de protection de l’environnement, la victime était placée dans une situation particulière de vulnérabilité dont l’État avait connaissance; elle aurait dû bénéficier, en conséquence, de mesures spéciales de protection de la part de l’État. Footnote 192
La décision dans l’affaire Luna Lopez (Honduras) s’inscrit dans le courant jurisprudentiel plus large relatif à la protection des défenseurs des droits humains. Footnote 193 Ainsi, dans les affaires Nogueira de Carbalho (Brésil) Footnote 194 et Fleury (Haïti), Footnote 195 les victimes ont été l’une assassinée et l’autre torturée en raison du fait qu’elles dénonçaient le climat d’impunité dans lequel les forces policières séquestraient, torturaient et assassinaient certaines personnes. Le Tribunal interaméricain a conclu que les violations des droits de ces défenseurs étaient particulièrement graves en ce qu’elles avaient un effet dissuasif (“chilling effect”) sur la société dans son ensemble qui se voyait ainsi privée de l’accès à l’information relative aux violations des droits de la personne commises par l’État. Footnote 196 La Cour a alors indiqué que l’État avait l’obligation d’adopter des mesures spéciales de protection envers les défenseurs des droits humains, Footnote 197 de prendre les mesures nécessaires pour leur permettre de réaliser librement leurs activités, de s’abstenir d’imposer des obstacles qui rendraient difficiles l’exercice de leurs activités198 et de prévenir les actes de violence contre eux, perpétrés tant par les agents de l’État que par les particuliers. Footnote 199
Ces obligations spéciales de protection sont également applicables aux syndicalistes, Footnote 200 aux membres de partis politiques, Footnote 201 aux leaders d’organisations sociales et communautaires Footnote 202 ainsi qu’aux membres d’associations de proches de victimes de violations des droits de la personne, Footnote 203 qui, en raison de leurs activités, participent au débat public, favorisent la circulation de l’information au sein de l’espace public et constituent un rempart contre l’arbitraire de l’État.
À l’instar du MESICIC, qui a développé des directives législatives relatives à la protection des dénonciateurs, Footnote 204 les instances interaméricaines ont développé des standards qui insistent sur la nécessité de protéger les personnes qui dénoncent les pratiques de corruption au sein de la société. Le SIDH va néanmoins au-delà de la seule protection des individus qui dénoncent ces pratiques; il impose, en effet, des obligations positives en matière de protection de certains secteurs de la société qui, en raison de leurs professions ou fonctions politiques et sociales, favorisent le débat public et participent au renforcement de la participation citoyenne dans le contrôle démocratique des institutions publiques. La mise en œuvre de ces standards peut effectivement contribuer à prévenir la mise en place de pratiques institutionnalisées de corruption, en habilitant des secteurs entiers de la société à prendre la parole au sein de l’espace public, via divers représentants, autres que les représentants élus dont on a démontré qu’ils n’avaient généralement pas, au sein d’États corrompus, la confiance des citoyens.
La consolidation des systèmes de justice nationaux
Il nous faut constater que les mécanismes de participation développés dans la jurisprudence des instances interaméricaines requièrent, à un moment ou à un autre, l’intervention des opérateurs de justice, notamment en vue d’assurer l’accès à un recours effectif en cas d’atteinte aux droits protégés par la Convention. Footnote 205 L’indépendance du système judiciaire, en tant qu’institution, et de ses acteurs, constitue, en ce sens, un enjeu crucial des politiques de lutte contre la corruption et une condition sine qua non des droits aux garanties judiciaires (art. 8 CADH) et à la protection judiciaire (art. 25 CADH) protégés par la Convention américaine. Footnote 206 La Commission a soutenu à cet égard que “[m]ember States must be especially mindful of their obligations to: … implement the mechanisms necessary to prevent, investigate and punish any form of corruption that prevents the system of administration of justice from functioning correctly.” Footnote 207 Ainsi, dans ses efforts visant la consolidation des institutions démocratiques, le SIDH a imposé aux États des obligations positives détaillées afin de garantir le droit d’accès à la justice. Les obligations de l’État ne sont pas seulement négatives, sinon qu’elles visent l’organisation du système judiciaire de manière à assurer qu’il ne puisse être détourné en faveur des institutions politiques de l’État.
En effet, dans deux décisions récentes rendues contre l’Équateur, la Cour a déduit des droits individuels aux garanties judiciaires et à la protection judiciaire les paramètres d’un système de justice qui en assurent l’indépendance contre les pressions internes et externes. L’affaire du Tribunal constitutionnel (Camba Campos et al.) (Équateur) Footnote 208 et l’affaire de la Cour Suprême de justice (Quintana Coello et al.) (Équateur) Footnote 209 avaient trait à la destitution en bloc des juges de la Cour suprême et du Tribunal constitutionnel de l’Équateur par résolution votée par le Congrès national en novembre 2004. La preuve démontrait d’une part que ces destitutions avaient eu lieu dans un contexte de crise et d’instabilité politique en Équateur, au cours duquel plusieurs présidents s’étaient succédé. Elle démontrait d’autre part que la destitution des plus hauts magistrats du pays répondait à la volonté d’une majorité de parlementaires du Congrès d’empêcher que des procédures pénales ne soient déclenchées contre un ancien président équatorien. Il en a résulté un climat de crise au sein duquel une majorité parlementaire souhaitait exercer un plus grand contrôle sur les plus hauts tribunaux du pays, entrainant de ce fait une déstabilisation non seulement du pouvoir judiciaire, mais également de l’ordre démocratique et du principe de la séparation des pouvoirs, en contravention aux articles 8 de la Convention américaine et 3 de la Charte démocratique interaméricaine. Footnote 210
Rappelant sa jurisprudence antérieure relative à l’indépendance des juges, Footnote 211 la Cour interaméricaine a affirmé que l’indépendance judiciaire, consacrée aux articles 8 et 25 de la CADH, revêt une double dimension, à la fois individuelle et institutionnelle. La première, favorisée par la protection spécifique accordée aux juges dans le cadre de procédures les concernant, est liée à la personne même du juge exerçant ses droits. Dans sa dimension institutionnelle, l’indépendance de la fonction judiciaire transcende la seule personne du juge et garantit le principe de la séparation des pouvoirs, la primauté du droit et le bon fonctionnement de la démocratie. Footnote 212 Ainsi, tel qu’établi dans les Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature des Nations Unies, Footnote 213 la Cour a soutenu que le principe de la séparation des pouvoirs exigeait que le système judiciaire en général, et ses magistrats en particulier, soient indépendants de toute pression indue et qu’il soit garanti à ces derniers un processus adéquat de nomination et l’inamovibilité de leur charge. Footnote 214
Sur l’inamovibilité des juges, une lecture conjointe des articles 8.1 et 23.1(c) de la Convention américaine confirme le droit des magistrats d’accéder et d’occuper une charge publique dans des conditions générales d’égalité, c’est-à-dire que doivent exister des critères et procédures raisonnables et objectifs quant à la nomination, la promotion, la suspension et la destitution des juges, dans le but de garantir la stabilité de la fonction et du pouvoir judiciaire en général. Ils ne peuvent donc être destitués que pour une faute disciplinaire grave ou pour incompétence, selon un système gradué de sanctions qui tient compte de la gravité de la faute reprochée, laquelle ne peut jamais être liée au contenu d’une décision. Footnote 215 Les nominations provisoires devraient être exceptionnelles, limitées dans le temps et sujettes à certaines conditions, telle la réussite d’un processus de sélection. Footnote 216
De la même manière, la Cour et la Commission ont soutenu que le Bureau des poursuites pénales, dont on a vu qu’il joue un rôle crucial dans la poursuite des acteurs de la corruption, doit jouir de l’indépendance nécessaire pour réaliser ses fonctions, de manière impartiale, transparente et équitable, sans intervention directe des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Footnote 217 Pour ce faire, ces acteurs doivent avoir accès à un financement autonome et suffisant, participer aux délibérations et à l’élaboration de leur budget, en assurer la gestion et ne pas dépendre de postes budgétaires d’autres ministères ou organismes. Ces budgets doivent, en outre, être suffisants, revisités et le cas échéant, augmentés sur une base régulière. Footnote 218 Qui plus est, une règlementation claire et objective doit définir des critères rigoureux d’attribution et de retrait des dossiers, de façon à éviter l’interférence et les pressions indues sur le procureur responsable. Footnote 219 De plus, les conditions de travail, de rémunération et mutation d’un procureur au sein du système, doivent répondre à des critères objectifs et publics, établis dans la loi. Footnote 220 De même, l’État doit mettre en place des procédures raisonnables et objectives quant à la nomination et promotion de ces fonctionnaires, basée sur le mérite et les qualifications professionnelles, qui tiennent compte, par exemple, des fonctions spécifiques du poste à pourvoir, des années d’expérience et des résultats d’examens faits de manière anonyme. Footnote 221 Ces procédures doivent refléter la diversité des secteurs de la société, notamment les minorités et autres groupes généralement sous-représentés, tels les femmes, les autochtones et les personnes afrodescendantes. Footnote 222
Ces standards contribuent à la consolidation des systèmes de justice nationaux, en assurant l’indépendance à la fois des magistrats dans l’exercice de leurs droits individuels, mais également dans l’exercice de leurs fonctions. Ils mettent en place des balises qui assurent le fonctionnement des systèmes de justice en dehors de toute pression indue, ce qui est crucial, comme nous l’avons vu, dans l’établissement des mécanismes de contrôle capables de lutter contre la corruption.
Conclusion
Nous avons constaté que le continent des Amériques est aux prises avec un problème important de corruption. Ce phénomène contribue à perpétuer la marginalisation de certains secteurs entiers de la population tenus à l’écart des processus publics de participation et de prises de décisions. Il existe néanmoins des cadres législatifs et institutionnels susceptibles d’apporter des solutions durables aux pratiques généralisées de corruption au sein du secteur public. Pourtant, le MESICIC et le SIDH fonctionnent en vase clos malgré le fait qu’ils partagent l’objectif de consolider les démocraties sur le continent américain et ce faisant, s’intéressent aux mécanismes susceptibles de favoriser une plus grande participation de la société civile dans les processus démocratiques. Si la Convention interaméricaine contre la corruption impose aux États certaines obligations contraignantes en matière de répression pénale des crimes de corruption, elle ne prévoit néanmoins pas l’obligation pour ces États d’adopter des mesures obligatoires qui participeraient à la prévention de la mise en place des pratiques institutionnalisées de corruption, dont nous avons vu qu’elles prenaient racine au sein des États dont les institutions démocratiques sont faibles. Or, la mise sur pied effective de mécanismes de participation citoyenne constitue un enjeu crucial des politiques efficaces de lutte contre la corruption. En effet, ces mécanismes contribuent à réduire le monopole et la discrétion de l’État dans la gestion des affaires publiques, incluant la provision de services publics et l’allocation des ressources publiques. C’est précisément ici que le SIDH est susceptible de venir en aide au MESICIC, en ce que les standards qu’il a développés rendent obligatoire pour les États l’adoption de mesures qui opérationnalisent les mesures de prévention prévues au sein de la CICC.
En effet, les affaires qui ont été portées au cours des dernières années devant les instances interaméricaines exposent des problèmes d’ordre structurels, liés au fonctionnement des démocraties de la région. Elles contribuent, dans bien des cas, à exposer des problèmes de discrimination systémique que la corruption, notamment, rend possibles. Ce faisant, même si la corruption ne constitue pas nécessairement la cause directe des violations des droits protégés par la CADH, elle en constitue néanmoins l’environnement dans lequel ces violations ont lieu. On comprend de ce fait, la préoccupation des instances interaméricaines d’apporter des solutions durables aux problèmes d’ordre systémique auxquels sont confrontés les États. L’interprétation des droits individuels de la Convention américaine à la lumière d’une conception substantielle du principe d’égalité et de non-discrimination rend possible l’établissement de standards qui tiennent compte de la condition particulière de vulnérabilité de certains secteurs de la société. Ce faisant, les instances interaméricaines proposent des solutions qui visent la consolidation des processus démocratiques et des systèmes de justice nationaux en vue de créer des mécanismes de contre-pouvoirs susceptibles de moduler le monopole et la discrétion de l’État dans la gestion des affaires publiques.
Les standards interaméricains habilitent les membres de la société, sur les plans individuel et collectif, à prendre effectivement part à la gestion des affaires publiques de l’État, et imposent conséquemment des obligations positives détaillées qui participent à la redistribution du pouvoir et des ressources parmi les membres de la société civile, tout en assurant une gestion transparente des activités de l’État. Ce dernier se voit imposer l’obligation non seulement de tenir compte de la participation des citoyens dans la gestion de ses affaires, mais également de protéger ces citoyens qui occupent des fonctions cruciales dans le contrôle de ses activités. Les instances interaméricaines posent ainsi les balises d’une société démocratique pluraliste, capable non seulement de dénoncer les pratiques de corruption, mais également de participer à l’élaboration et la mise sur pied de stratégies utiles pour lutter contre celle-ci.
On comprend ainsi que l’intégration d’une dimension axée sur les droits humains, dont les standards interaméricains obligatoires, au sein des politiques de lutte contre la corruption sur le continent américain aurait pour effet d’opérationnaliser les principes de participation, de transparence, de reddition de comptes et d’accès à l’information dont on a vu qu’ils forment le cœur des mesures de prévention de la CICC. Elle aurait pour effet d’habiliter non seulement l’individu, mais les organisations de la société civile de lutte contre la corruption, à faire pression, d’une part, auprès des États pour qu’ils établissent les cadres normatifs et institutionnels pertinents. Elle les habiliterait, d’autre part, à revendiquer la mise en œuvre de ces standards auprès des instances nationales et régionales de protection des droits de la personne, multipliant par conséquent les forums au sein desquels la corruption est exposée et dénoncée.