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Les développements en droit interaméricain pour l’année 2019

Published online by Cambridge University Press:  15 October 2020

Abstract

Type
Chronique de droit interaméricain en 2019 / Digest of Inter-American Law in 2019
Copyright
© The Canadian Yearbook of International Law/Annuaire canadien de droit international 2020

Introduction

Au sein de l’Organisation des États américains (OÉA ou l’Organisation),Footnote 1 la Commission et la Cour interaméricaines des Droits de l’Homme (respectivement la Commission et la Cour) sont les deux principaux organes chargés de veiller à la protection des droits de la personne dans les Amériques.Footnote 2 Ces instances sont habilitées à instruire des recours individuels intentés contre des États membres et portant sur des allégations de violations de la Convention américaine relative aux Droits de l’Homme (CADH)Footnote 3 et d’autres instruments interaméricains applicables.Footnote 4 La présente chronique portera sur certaines décisions rendues par la Cour pendant l’année 2019.

Dans le cadre de cette période, la Cour a émis 21 jugements sur le fond, 4 décisions sur l’interprétation de jugements antérieurs, 51 décisions sur le suivi des mesures de réparation de même que 18 décisions relatives à des mesures provisoires.Footnote 5 La Commission a, pour sa part, adopté 119 résolutions relatives à la recevabilité d’affaires, 23 relatives à l’irrecevabilité, 14 décisions entérinant des règlements à l’amiable, 2 décisions sur le fond et 69 décisions portant sur des mesures conservatoires.Footnote 6

En 2019, les deux instances ont abordé plusieurs thèmes d’actualité et d’importance particulière pour les Amériques, entre autres en ce qui a trait aux droits économiques, sociaux et culturels (droit à la sécurité sociale, droit à la santé), à la peine de mort, à la détention (y compris la détention préventive), au fonctionnement de l’appareil judiciaire, à la liberté d’expression et aux disparitions forcées.

Les Affaires péruviennes relatives à la sécurité sociale (Affaire Muelle Flores) (Pérou) (2019), Cour IDH (Sér C) n o 375; Affaire Asociación Nacional de Cesantes y Jubilados de la Superintendencia Nacional de Administración Tributaria (Ancejub-Sunat) (Pérou) (2019), Cour IDH (Sér C) n o 394

À la fin des années 1980 et au début des années 1990, le Pérou traversa une grave crise économique due à la récession et l’hyperinflation. Les autorités de l’époque adoptèrent alors une série de réformes économiques, restructurant divers programmes sociaux à la baisse, entres autres, dans le domaine de la sécurité sociale.Footnote 7 En 2003 la Cour adopta une importante décision relative à la réduction unilatérale d’un programme de retraite dans le cadre de l’Affaire des cinq retraités. Footnote 8 Les victimes avaient alors allégué que cette réduction violait leur droit à la sécurité sociale, implicitement inclus — selon elles — à l’article 26 de la CADH qui prévoit que les États doivent prendre des mesures visant à assurer progressivement la pleine jouissance des droits qui découlent des normes économiques et sociales et de celles relatives à l’éducation, la science et la culture, énoncées dans la Charte de l’OÉA, dans le cadre des ressources disponibles, et par l’adoption de dispositions législatives ou par tous autres moyens appropriés. Or la Cour refusa de conclure à une violation de cette disposition indiquant que l’évaluation de l’adoption de telles mesures progressives devait se faire en fonction de la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels (DESC) pour l’ensemble de la population en général et non pas en fonction des circonstances particulières d’un petit groupe de victimes.Footnote 9

Cette décision fit couler beaucoup d’encre et, pour plusieurs, semblait fermer la porte à tout recours devant le tribunal interaméricain relatif à des allégations individuelles de violations de l’article 26,Footnote 10 plus particulièrement en ce qui a trait au droit à la sécurité sociale. Cependant, en 2017, la Cour changea radicalement son interprétation dans l’Affaire Lagos del Campo c Pérou Footnote 11 concernant le congédiement d’un leader ouvrier, reconnaissant que le droit “au travail” était garanti par la Charte de l’OÉA, la Déclaration américaine et d’autres instruments internationaux, et devait être compris implicitement dans l’article 26. Le même raisonnement fut repris par la suite dans l’affaire pratiquement identique des Travailleurs de Petroperú et autres c Pérou. Footnote 12 D’une façon similaire, la Cour considéra, à diverses reprises, dont dans l’Affaire Cuscul Piraval c Guatemala,Footnote 13 que le droit à la santé devait être considéré comme un droit autonome et justiciable, implicite au libellé général de l’article 26,Footnote 14 y compris dans l’Affaire Hernandez c Argentine abordée ci-dessous. C’est donc dans ce nouveau contexte jurisprudentiel que la Cour traita, en 2019, des deux affaires sous étude, que nous aborderons à l’instant.

La victime de la première affaire, M. Muelle Flores, un gérant retraité d’une entreprise minière de l’État péruvien, avait cessé de recevoir ses prestations de vieillesse et obtenu un jugement de la Cour suprême en 1993 obligeant son ancien employeur à lui verser les pensions dues. L’année suivante, l’entreprise fut privatisée et refusa de reprendre le paiement des prestations à la victime. Celle-ci obtint à nouveau un jugement favorable de la Cour suprême, jusqu’à ce jour inexécuté (Muelle Flores, aux paras 43–104). Pour leur part, les victimes demanderesses de la deuxième affaire, les membres de l’Ancejub-Sunat, reçurent un jugement de la Cour suprême du Pérou en 1993 rendant inapplicable une disposition transitoire d’un décret législatif modifiant le régime de pensions des membres d’une association nationale de retraités et d’anciens employés d’une agence gouvernementale et ayant pour effet de suspendre le paiement des pensions. La décision de la Cour suprême ordonnait la reprise des versements des pensions et le remboursement des pensions non versées. Constatant le défaut d’exécution de ce jugement par les autorités publiques, les demanderesses entreprirent une série d’actions en justice pour tenter, en vain, de forcer le paiement et le remboursement des pensions aux membres de l’association (Ancejub-Sunat, aux paras 43–96).

Dans les deux affaires, l’État péruvien présenta plusieurs exceptions préliminaires à la Cour interaméricaine, dont une concernant les allégations de violation de l’article 26 de la CADH, portant sur la mise en œuvre des DESC, ici invoqué relativement au droit à la sécurité sociale. Il allégua que, puisque le Protocole de San Salvador relatif aux DESC prévoit à son article 19(6) que seules les plaintes relatives à la liberté syndicale et à l’accès égalitaire à l’éducation peuvent être instruites par la Commission et la Cour, les plaintes relatives aux autres DESC ne sont pas recevables (Muelle Flores, aux paras 29–30; Ancejub-Sunat, au para 30). Ce raisonnement fait écho à celui utilisé par la Commission dans sa décision sur la recevabilité dans l’Affaire Odir Miranda c Salvador,Footnote 15 de même que par le juge Eduardo Vio Grossi dans sa dissidence dans l’Affaire Lagos del Campo c Pérou. Footnote 16 La Cour rejeta toutefois cette exception, référant à sa propre décision dans les affaires Lagos del Campo et Cuscul Piraval précitées et indiquant que le droit à la sécurité sociale était prévu avec suffisamment de précision par les articles 3, 45 et 46 de la Charte de l’OÉA pour permettre sa justiciabilitéFootnote 17 via l’article 26 de la CADH (Muelle Flores, aux paras 33–37; Ancejub-Sunat, aux paras 33–37, 157).

Sur le fond, dans un premier temps, le tribunal interaméricain considéra dans les deux affaires que le processus d’exécution des jugements favorables aux victimes émis par la Cour suprême du Pérou avait été irrégulier et inefficace en contravention du droit aux garanties judiciaires et à la protection judiciaire des victimes (arts 8 et 25 de la CADH). En effet, les États ont non seulement l’obligation d’assurer l’accès à la justice, mais aussi celle de garantir l’exécution effective des jugements et décisions administratives qui protègent les droits humains,Footnote 18 tel qu’indiqué par la Cour interaméricaine dans son Avis consultatif sur les garanties judiciaires lors de situations d’urgences. Footnote 19 L’appareil étatique doit éliminer tous les obstacles à l’exécution des décisions qui ont le caractère de chose jugée et toutes les autorités compétentes doivent veiller à l’application de celles-ci (Muelle Flores, aux paras 1123–29; Ancejub-Sunat, aux paras 102–08). En l’espèce, les processus judiciaires auraient dû identifier clairement l’autorité compétente chargée de l’exécution des jugements, ce qui constituait en soi un obstacle à la mise en œuvre des décisions de la Cour suprême. De plus, les victimes elles-mêmes durent initier à nouveau des recours judiciaires pour forcer les autorités à exécuter le jugement de la Cour suprême. Par ailleurs, à ce jour, les victimes n’ont toujours pas pu faire exécuter le jugement et toucher les pensions et les remboursements dus, en contravention du droit à la protection judiciaire, mais aussi du droit à un procès dans un délai raisonnable (Muelle Flores, aux paras 130–48, 154–66; Ancejub-Sunat, aux paras 102–31, 135–47).

Dans un deuxième temps, la Cour considéra que les omissions de l’État de payer et rembourser les prestations de retraite des victimes violaient également l’article 26 de la Convention, en ce qui a trait au droit à la sécurité sociale.Footnote 20 Pour la Cour, cet article, interprété à la lumière de l’article 29 de la CADH Footnote 21 et du corpus iuris pertinent, comprend le droit à la sécurité sociale. Elle rappela que ce droit est déjà prévu par la Charte de l’OÉA (art 45) et par la Déclaration américaine (art XVI). Il est intéressant de constater que, pour déterminer la portée de ce droit, le tribunal interaméricain prit note non seulement des Convention 102 et Convention 128 de l’ Organisation internationale du Travail (OIT)Footnote 22 et des Observations générales no 6, 14 et 19 du Comité des Nations Unies sur les droits économiques, sociaux et culturels,Footnote 23 mais aussi de l’article 9 du Protocole de San Salvador relatif aux DESC et des Indicateurs de progrès pour mesurer la mise en œuvre des droits garantis par le Protocole de San Salvador, développés par le Groupe de travail pour l’analyse des rapports nationaux prévus dans le Protocole de San Salvador (Muelle Flores, aux paras 172–86; Ancejub-Sunat, aux paras 162–73).Footnote 24 La Cour réitéra que les États doivent assurer des services s’y rapportant qui soient accessibles et disponibles, répondant aux risques et imprévus sociaux et munis de ressources suffisantes (Muelle Flores, au para 187; Ancejub-Sunat, au para 170). Elle indiqua, plus spécifiquement, que l’État doit

a) adopter la législation et réglementation nécessaires Á l’établissement d’un système de sécurité sociale qui fonctionne et garantit les pensions. Ce système doit être administré ou supervisé par l’État; b) s’assurer que les pensions sont d’un montant et d’une durée suffisants, permettant au retraité de bénéficier de conditions de vie et d’un accès adéquat et suffisant aux soins de santé, sans discrimination; c) assurer l’accessibilité à l’obtention d’une pension, c’est-à-dire que des conditions raisonnables, proportionnelles et transparentes doivent être prévues; les coûts des contributions doivent être abordables et les bénéficiaires doivent recevoir des informations claires à ce sujet; d) garantir les prestations de retraite en temps opportun et sans retard; et e) prévoir des mécanismes de plainte efficaces en cas de violation du droit à la sécurité sociale.

(Muelle Flores, au para 192; Ancejub-Sunat, au para 175 [notre traduction])

En l’espèce, le tribunal interaméricain conclut que l’État avait failli à son obligation de garantir aux personnes sous son contrôle un accès à la justice efficace pour faire respecter le droit à la sécurité sociale.Footnote 25 De plus, l’État omit de fournir des informations adéquates relativement aux effets sur les pensions des victimes des mesures adoptées par les autorités publiques (Muelle Flores, aux paras 199–201; Ancejub-Sunat, aux paras 177–83).

Il est particulièrement intéressant de noter que, dans l’Affaire Muelle Flores, la Cour interaméricaine insista sur le fait que le Pérou aurait dû adopter des mesures particulières avec la diligence due, pour s’assurer que la privatisation de l’entreprise publique n’entrave pas les obligations que celle-ci avait de payer et rembourser les prestations dues, conformément à la première décision de la Cour suprême péruvienne. L’État aurait dû prévoir clairement l’entité responsable du paiement de ces prestations. Or, le contrat de privatisation indiquait, au contraire, que l’entreprise n’avait plus d’obligations à cet égard, malgré cette première décision de justice (Muelle Flores, aux paras 133–39, 201–02). Il s’agit, à notre connaissance, de la première décision de la Cour portant directement sur les obligations des États en matière de protection des DESC dans le cadre de processus de privatisation. Notons à ce sujet que la Cour indiqua que, bien que la privatisation d’une entreprise publique ne soit pas en soi contraire à la CADH, elle peut avoir d’importantes conséquences sur les droits des travailleurs et des retraités de l’entreprise. Ainsi, s’inspirant de l’Observation générale no 18 du Comité des Nations Unies sur les droits économiques, sociaux et culturels, la Cour indiqua que

[d]ans le cadre des obligations générales de respecter et de garantir les droits, ainsi que celle d’adopter des dispositions de droit interne, les États ont également l’obligation d’adopter des mesures pour éviter que les privatisations produisent des effets au détriment des droits de leurs retraités. Cela est en raison de la nature vitale et de l’importance particulière que la pension de vieillesse a dans la vie d’un retraité, car elle pourrait constituer le seul salaire de remplacement qu’il perçoit dans sa vieillesse pour subvenir à ses besoins de subsistance de base. La pension, et en général la sécurité sociale, constituent un moyen de protection pour jouir d’une vie décente. Les pensions de vieillesse sont en elles-mêmes accordées aux personnes âgées, qui, dans certains cas, … sont en situation de vulnérabilité.

(Muelle Flores, aux paras 196–97 [notre traduction])Footnote 26

Ainsi, considérant que l’effet de ces mesures fut de limiter les ressources financières de personnes âgées en situation de vulnérabilité,Footnote 27 la Cour conclut également que l’État avait porté atteinte au droit à la vie digne (“vida digna”)Footnote 28 des membres de l’Ancejub-Sunat, en contravention de l’article 4 de la CADH (Ancejub-Sunat, aux paras 184–85), de même que de l’intégrité personnelle et de la dignité humaine de M. Muelle Flores (Muelle Flores, aux paras 204–07).

Enfin, puisque l’omission des autorités étatiques d’exécuter le jugement de 1993 eut d’importantes conséquences sur le patrimoine de chacune des victimes, en empêchant celles-ci de percevoir leurs pensions et les remboursements dus, la Cour conclut également à une violation du droit à la propriété (article 21 de la CADH) (Muelle Flores, aux paras 212–18; Ancejub-Sunat, aux paras 192–95), tout comme l’avait fait la Cour dans l’affaire similaire des Cinq retraités péruviens. Footnote 29

Cette décision sera d’une pertinence particulière pour le juriste canadien qui s’intéresse aux investissements étrangers en Amérique latine, en particulier en ce qui a trait aux obligations des États lors de privatisations d’entreprises publiques.Footnote 30

Affaire Hernández (Argentine) (2019), Cour IDH (Sér C) n o 395

Dans le cadre de cette affaire, la victime, accusée de vol à main armée, avait été placée en détention provisoire, puis condamnée et emprisonnée. Pendant sa détention d’un peu plus de deux ans, elle contracta la méningite et fut affligée de symptômes neurologiques graves, dont des pertes de vision et de mémoire, de même que d’une paralysie partielle permanente d’un bras (aux paras 24–44). Bien que ce jugement porte également sur d’autres allégations de violations, il va sans dire qu’il traite principalement du droit à l’intégrité personnelle et du droit à la santé de la personne, un sujet de plus en plus central au sein du système interaméricain.Footnote 31

Dans un premier temps, la Cour rappela que le droit à l’intégrité d’une personne privée de liberté par l’État dépend directement de soins de santé que celui-ci lui accorde (au para 57)Footnote 32 et que le manque d’assistance médicale nécessaire peut constituer, dans ces circonstances, un traitement cruel, inhumain et dégradant au sens de l’article 5(2) de la CADH (au para 60).Footnote 33 C’est d’ailleurs ce que conclut le tribunal interaméricain en l’espèce, puisque les autorités pénitentiaires omirent d’abord d’examiner la victime pour déterminer les causes des symptômes apparents et dénoncés par sa famille, et tardèrent ou omirent d’obtempérer aux ordonnances judiciaires visant à faire soigner M. Hernandez (au para 61).

En ce qui a trait au droit à la santé, la Cour réitéra sa jurisprudence antérieureFootnote 34 à l’effet qu’il s’agit d’un droit autonome contenu à l’article 26 de la CADH et justiciable devant les instances interaméricaines (aux paras 62–68).Footnote 35 Pour la Cour, le droit à la santé tire ses fondements de la Charte de l’OÉA (articles 34 et 45), de la Déclaration américaine (article XI) et du Protocole de San Salvador relatif aux DESC (article 10), et doit être interprété à la lumière du corpus iuris du droit international pertinent (aux paras 69–75). Par ailleurs, rappelant les critères généraux de disponibilité, d’accessibilité, d’acceptabilité et de qualité énoncés antérieurement,Footnote 36 le tribunal interaméricain précisa qu’en ce qui a trait aux traitements visant les personnes atteintes de tuberculose, les normes suggérées par la Coalition pour l’assistance technique en matière de la lutte antituberculeuseFootnote 37 constituent la référence relative au contenu des obligations des États en la matière. Ainsi, pour contrer ce type de maladie, les États doivent s’assurer qu’un diagnostic exact puisse être rapidement fourni au patient et que les étapes du traitement doivent être normalisées et supervisées par les autorités de santé publique compétentes. Enfin, même si elle est de nature progressive, l’obligation qu’ont les États de garantir le droit à la santé exige de “cheminer continuellement et le plus rapidement possible de façon à assurer l’exercice plein et effectif de ce droit, en fonction des ressources disponibles et par les moyens appropriés. Cela implique une obligation de non-rétroactivité lorsque ces droits sont pleinement garantis” (aux paras 79–81 [notre traduction]).Footnote 38

En l’espèce, la Cour considéra que, bien que l’État ait adopté diverses mesures législatives pour garantir le droit à la santé des personnes privées de liberté, les autorités avaient failli à leur obligation de traiter adéquatement la victime. Plus particulièrement, elles omirent de diagnostiquer les causes des symptômes affectant celle-ci lors de sa détention et, après avoir pris connaissance de l’état de sa santé, omirent de le traiter pendant plusieurs mois. Bien que certains soins semblent avoir été prodigués au détenu lorsqu’il fut par la suite transféré dans les hôpitaux traitants, la Cour conclut que l’État n’avait pas prouvé que ces soins étaient adéquats et suffisants en l’espèce. Puisque la victime était en santé au début de sa détention, la Cour présuma qu’elle avait contracté la méningite lors de sa détention et considéra que l’État n’avait pas renversé le fardeau de prouver qu’il avait adopté les mesures nécessaires, en contravention de l’article 26 de la CADH (aux paras 83–95).

Soulignons enfin que la Cour conclut que l’État avait également contrevenu au droit à la protection judiciaire (article 25 de la CADH) puisque, bien que le magistrat saisi par la famille de la victime émit des ordonnances rapidement et avec diligence pour que M. Hernandez soit soigné, celles-ci ne furent pas mises en œuvre ou alors mises en œuvre avec un retard conséquent, au détriment de la santé de la victime (aux paras 128–34).

Il va sans dire que cette décision sera d’un grand intérêt pour le lecteur canadien intéressé par la question actuelle de l’accès aux soins de santé dans les pénitenciers canadiensFootnote 39 et sera utile pour mieux comprendre la portée du droit à la santé des détenus, entre autres dans le contexte de pandémie du COVID 19.

Les Affaires Guatémaltèques Relatives À La Peine De Mort : Affaire Girón Et Al (Guatemala) (2019), Cour IDH (Sér C) n o 390; Affaire Rodríguez Revolorio (Guatemala) (2019), Cour IDH (Sér C) n o 387; Affaire Valenzuela Ávila (Guatemala) (2019), Cour IDH (Sér C) n o 385; Affaire Martínez Coronado (Guatemala) (2019), Cour IDH (Sér C) n o 376

La Cour rendit en 2019 une série de décisions contre l’État guatémaltèque concernant l’imposition de la peine capitale, les conditions de détention des détenus condamnés à mort ainsi que l’exécution des sentences. Dans l’ensemble des décisions, l’imposition de la peine de mort était prévue par le code criminel guatémaltèque dans l’éventualité où la personne était reconnue coupable d’un meurtre et compte tenu des circonstances du crime, incluant l’évaluation de son niveau de dangerosité future. Le code prévoyait, en outre, l’imposition automatique de la peine de mort en certaines circonstances.

Pour la Cour, s’il est vrai que l’article 4 de la Convention, protégeant le droit à la vie, n’interdit pas la peine de mort, ses alinéas 2 et 3, prévoyant respectivement que la peine ne peut être appliquée qu’aux crimes les plus graves et ne saurait être rétablie suivant son abolition, démontrent une tendance abolitionniste, reflétée notamment par le Protocole à la Convention américaine relative aux Droits de l’Homme traitant de l’abolition de la peine de mort. Footnote 40 Ce faisant, la CADH vise ultimement à interdire de manière définitive cette sanction pénale, via un processus progressif et irréversible menant à la protection pleine et entière du droit à la vie. Il en résulte que la décision d’un État d’abolir la peine de mort est définitive et irrévocable (Martínez Coronado, au para 63; Valenzuela Ávila, au para 151; Girón, au para 63; Ruiz Fuentes, aux paras 78 et 81; Rodríguez Revolorio, au para 61). La tendance abolitionniste de la CADH s’inscrit par ailleurs dans les développements normatifs du système universel de protection des droits humains (Martínez Coronado, au para 67).

Cela étant dit, la Cour dut se prononcer sur le critère de dangerosité future du condamné dans la détermination de la sanction applicable, à savoir la peine de mort, suivant les termes du code criminel guatémaltèque en vigueur à l’époque des faits. À la suite de sa décision dans l’Affaire Fermín Ramírez c Guatemala rendue en 2005, elle réitéra qu’un tel critère était contraire au principe de légalité, lequel prévoit que “[n]ul ne peut être condamné pour une action ou omission qui ne constituait pas, au moment où elle a eu lieu, une infraction d’après le droit applicable” (art 9 de la CADH). En effet, l’appréciation de la dangerosité future d’une personne condamnée, incombant à un juge, repose précisément sur l’évaluation des caractéristiques personnelles du condamné et l’évaluation de son comportement futur, sans égard au crime effectivement commis (Fermin Ramirez, aux paras 90–98; Martínez Coronado, au para 70; Valenzuela Ávila, au para 155; Rodríguez Revolorio, au para 63). Il en résulte que le recours audit critère, tant dans la typification du crime que dans la détermination de la peine, ne répond pas aux exigences du principe de légalité.Footnote 41

Dans le même ordre d’idées, la Cour confirma ses décisions antérieures rendues contre le GuatemalaFootnote 42 et Trinidad et Tobago,Footnote 43 selon lesquelles l’imposition automatique de la peine de mort à la suite de la commission de certains crimes était contraire à la CADH, et ce, malgré la gravité des crimes reprochés.Footnote 44 En effet, ces dispositions pénales ne permettent pas d’évaluer les circonstances particulières de la commission du crime, ni celles de l’accusé, tels que ses antécédents judiciaires, son mobile, son degré de participation et de culpabilité, qui pourraient constituer des circonstances atténuantes, menant à l’imposition d’une sanction moins lourde (Girón, aux paras 70–71). En ce sens, l’automaticité de la sanction empêche le décideur d’évaluer le degré de gravité du crime, en contravention de l’alinéa 2 de l’article 4 de la CADH qui prévoit que la peine de mort n’est applicable qu’aux crimes les plus graves (Ruiz Fuentes, au para 88).

Si, dans la majorité des décisions, l’État fut déclaré responsable de la violation du droit à la vie en raison de l’imposition de la peine de mort suivant les dispositions du code criminel guatémaltèque, notons que, dans l’Affaire Rodríguez Revolorio, la Cour interaméricaine indiqua que la Cour suprême guatémaltèque avait converti la sentence de peine capitale en détention à perpétuité de deux des trois condamnés, en application de la jurisprudence interaméricaine. Elle soutint, ce faisant, que la plus haute juridiction interne avait appliqué adéquatement le contrôle de conventionalitéFootnote 45 et que par conséquent, l’État n’était pas responsable de la violation du droit à la vie puisqu’il avait offert les réparations nécessaires à la violation des droits des deux personnes condamnées (au para 60).

Concernant les conditions de détention, suivant sa jurisprudence antérieureFootnote 46 et celle de la Cour européenne des Droits de l’Homme,Footnote 47 du Système des Nations UniesFootnote 48 et de certains tribunaux nationaux,Footnote 49 la Cour interaméricaine rappela que le “phénomène du couloir de la mort” porte généralement atteinte au droit à l’intégrité personnelle (art 5 de la CADH) des personnes détenues, en raison de l’angoisse et du traumatisme psychologique créés par l’attente et l’imminence de l’exécution. Aussi, pour déterminer s’il y a eu violation au droit à l’intégrité personnelle dérivée du “couloir de la mort,” il est nécessaire, selon la Cour interaméricaine, d’analyser les circonstances personnelles (ex: la durée de la détention) et particulières de l’affaire (ex: les procédures judiciaires aux termes desquelles la peine a été imposéeFootnote 50) afin d’évaluer si le maintien dans ledit couloir atteint le niveau de gravité suffisant pour constituer un traitement cruel, inhumain ou dégradant (Ruiz Fuentes, aux paras 135–36; Valenzuela Ávila, au para 205; Girón, au para 79) .

De même, les moyens d’exécution de la peine capitale peuvent également porter atteinte au droit à l’intégrité personnelle des personnes condamnées. En ce sens, l’État doit choisir le moyen qui cause le moins de douleur et de souffrance possible (Girón, au para 80). Plus particulièrement, dans l’Affaire Girón, l’exécution de la peine capitale des deux victimes fit l’objet d’une retransmission à la télévision. Or, l’exécution publique est contraire à la dignité humaine et constitue, pour la Cour interaméricaine, un traitement dégradant en ce que les personnes condamnées sont utilisées comme objet illustrant, via leur exécution, les conduites répréhensibles au sein de la société nationale (au para 87).Footnote 51

Dans l’ensemble des décisions, l’État fut reconnu responsable de diverses violations des droits aux garanties judiciaires (art 8 de la CADH) et à la protection judiciaire (art 25 de la CADH). Parmi celles-ci, nous soulignerons que la Cour rappela que les accusés doivent pouvoir compter sur un professionnel du droit tout au long des procédures et que, ce faisant, l’État doit mettre sur pied un système d’assistance juridique gratuite au bénéfice des personnes en situation de précarité financière. Une telle assistance constitue, pour la Cour, un moyen de pallier l’inégalité des armes des accusés qui, au cours de procédures pénales, affrontent le pouvoir punitif de l’État, garantissant par le fait même l’accès effectif à la justice des personnes en situation de vulnérabilité (Martínez Coronado, au para 82).Footnote 52

Ce faisant, la seule assignation d’un défenseur public ne rencontre pas les exigences du droit d’accès à la justice prévu par la CADH; celui-ci doit être compétent, représenter de manière diligente les intérêts de son client (Martínez Coronado, au para 83) et pouvoir disposer de délais adéquats pour préparer la défense de celui-ci (Ruiz Fuentes, au para 155). En ce sens, il incombe à l’État d’évaluer rigoureusement, lors de la désignation d’un défenseur public à des co-accusés, la possibilité qu’il existe des divergences d’intérêt entre les co-accusés, qui plus est lorsque ceux-ci encourent la peine capitale (Martínez Coronado, au para 87). De même, la désignation de deux étudiants en droit pour représenter les accusés durant les procédures judiciaires ne rencontre pas les standards interaméricains relatifs au droit à une défense pleine et entière (article 8(2) de la CADH) (Girón, au para 110). Finalement, la Cour interaméricaine rappela l’importance de l’effectivité des garanties judiciaires, notamment celles relatives à la présomption d’innocence, au droit de recevoir une décision motivée et d’en faire appel, ainsi qu’au droit de ne pas témoigner contre soi dans le cadre de procédures pénales, surtout lorsque celles-ci sont susceptibles de mener à l’application de la peine de mort (Rodríguez Revolorio, au para 119; Valenzuela Ávila au para 114; Ruiz Fuentes, au para 157).

Affaire López (Argentina) (2019), Cour IDH (Sér C) n o 396

Dans cette affaire, les victimes, condamnées à des peines de prison, purgèrent leur sentence dans différents établissements, situés entre 800 et 2,000 kilomètres du lieu de résidence de leurs proches, de leurs avocats ainsi que des juges responsables de la supervision de leurs sentences respectives. Elles furent par ailleurs l’objet de plusieurs transferts entre différents établissements pénitentiaires.

En l’espèce, la Cour dut déterminer si l’État était responsable de la violation du droit à l’intégrité personnelle, et plus particulièrement du droit à ce que les peines de prison aient pour objectif la réhabilitation sociale des personnes condamnées (article 5(6) de la CADH), ainsi qu’aux droits à la vie privée et familiale (articles 11(2) et 17 de la CADH) des victimes. Sur le droit à la vie privée, la Cour rappela que celui-ci inclut le droit à l’autonomie et au développement personnel ainsi que le droit d’entretenir des relations avec d’autres personnes et le monde extérieur (au para 97).Footnote 53 Il est intimement lié au droit à la vie familiale, en ce que la famille constitue un élément naturel et fondamental de la société. Ainsi, les actions de l’État provoquant la séparation de la famille sont parmi les ingérences les plus graves,Footnote 54 notamment lorsque des enfants sont concernés (aux paras 98–99). Citant des décisions de la Cour européenne des Droits de l’Homme et du Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies, la Cour soutint que la détention dans un centre éloigné du lieu de résidence de la famille peut effectivement constituer une atteinte injustifiée aux droits à la vie privée et familiale (aux paras 102–04).

Ce faisant, la Cour procéda au test établi sous l’article 30 de la CADH aux fins de déterminer si l’incarcération et les transferts des détenus dans des lieux éloignés étaient justifiés. Ce test prévoit que toute restriction à la jouissance d’un droit doit être préalablement prévue par la loi, poursuivre un objectif légitime et être nécessaire et proportionnelle à l’objectif poursuivi (au para 92). Elle rappela, par ailleurs, sa jurisprudence antérieure,Footnote 55 suivant laquelle l’État se trouve dans une position spéciale de garant vis-à-vis des personnes détenues, dont la privation de liberté les place dans une situation particulière de dépendance envers l’État (au para 90). Ainsi, l’État se voit attribuer des responsabilités supplémentaires en vue d’assurer le droit à une vie digne des détenus, compte tenu de leur réclusion.

Procédant à l’analyse de la situation des victimes en l’espèce, la Cour passa en revue le premier critère du test, selon lequel la restriction doit être prévue par la loi. Suivant des décisions de la Cour européenne des Droits de l’Homme, la Cour interaméricaine soutint que l’expression “loi” ne réfère pas seulement à l’existence formelle de la norme, sinon également à la qualité de celle-ci qui doit établir des critères clairs pour son application (au para 124).Footnote 56 Or, la preuve présentée permit à la Cour de déterminer qu’il n’existait pas de législation interne encadrant le pouvoir discrétionnaire des autorités carcérales d’autoriser des transferts entre établissements pénitentiaires, ce qui ne correspondait pas aux exigences de la CADH en matière de restriction aux droits protégés (au para 142). Si ce seul critère est suffisant pour faire échouer le test de l’article 30, la Cour décida néanmoins de passer en revue les autres critères et reconnut que formellement, les différents transferts poursuivaient l’objectif légitime d’assurer de meilleures conditions de détention aux victimes (au para 151). Elle conclut cependant que les transferts ne rencontraient par les critères de nécessité et de proportionnalité, notamment en que l’État n’avait pas évalué les effets des différents transferts sur la réadaptation des détenus ainsi que sur l’accès à leurs avocats et à leurs proches (au para 159). La Cour soutint ainsi que l’État argentin avait contrevenu aux droits des victimes, et notamment à leurs droits à la réhabilitation sociale et à ne pas être l’objet d’ingérences arbitraires ou abusives dans sa vie privée et familiale (au para 162). Elle soutint que ces violations étaient d’autant plus graves dans le cas de deux victimes, puisque celles-ci étaient pères d’enfants mineurs (au para 159).

Sur les droits aux garanties judiciaires et à la protection judiciaire, nous soulignerons que les transferts, qui eurent lieu de manière inattendue, sans consultation ni révision judiciaire adéquate, empêchèrent les victimes de contacter leurs avocats en temps opportun, ce qui se refléta sur les interventions de ces derniers devant les tribunaux (au para 206). De même, le transfert vers des centres éloignés constitua un obstacle majeur à la libre communication entre les détenus et leurs avocats, en contravention du droit à un avocat (article 8(2)(d) de la CADH).

Les Affaires argentines relatives à la détention préventive : Affaire Romero Feris (Argentina) (2019), Cour IDH (Sér C) n o 391; Affaire Jenkins (Argentine) (2019), Cour IDH (Sér C) n o 397

Dans ces deux affaires, la Cour fut appelée à se prononcer sur la légalité de la détention préventive des deux victimes. Elle rappela sa jurisprudence constante à l’effet que ce type de détention est une mesure restrictive de liberté exceptionnelle, qui doit être dûment justifiée. Ainsi, pour qu’elle ne soit pas arbitraire, l’État doit démontrer (1) qu’il existe des indices suffisants qu’un fait illicite ait été commis et que la personne faisant l’objet de la mesure de détention y ait participé; (2) que la détention soit conforme aux quatre éléments du “test de proportionnalité,” c’est-à-dire que la mesure poursuit un objectif légitime, qu’elle peut atteindre cet objectif, et qu’elle est nécessaire et strictement proportionnelle à l’objectif; et (3) que la décision imposant la détention soit suffisamment motivée pour évaluer si ces conditions énoncées sont remplies (Jenkins au para 74; Romero Feris au para 92).Footnote 57

Dans le cas de M. Feris, placé en détention préventive en raison d’accusations de fraude et de détournement de fonds alors qu’il occupait une charge publique, le juge ayant ordonné la détention fonda sa décision sur le risque de fuite, qui constitue un motif permis aux termes de la CADH. Cependant, l’évaluation du risque se fit au regard de la peine potentiellement imposable (vingt-cinq ans de prison), de l’imminence de la tenue du procès et des recours interposés par le demandeur contestant l’impartialité et l’indépendance du tribunal (au para 114). La Cour soutint que les motifs évoqués n’étaient pas fondés sur des faits spécifiques, ni sur des critères objectifs, sinon sur des conjonctures en lien avec le possible comportement du demandeur (au para 118). De la même manière, M. Jenkins, qui faisait face à des accusations de trafic de drogue, fut placé en détention préventive au seul motif qu’il y avait suffisamment d’éléments de preuve permettant de le lier aux faits illicites allégués, sans qu’une évaluation de la nécessité et de la proportionnalité de la mesure soit réalisée (au para 81). L’État argentin fut donc déclaré responsable de la violation des droits à la liberté personnelle et à la présomption d’innocence des victimes, celles-ci étant par ailleurs demeurées en détention préventive pour une durée excédant les délais prévus dans la législation interne (Jenkins au para 82; Romero Feris aux paras 82, 120).

Sur la question des délais, la Cour analysa la législation interne à l’effet que les personnes accusées de trafic de drogues étaient soustraites du délai maximal de détention préventive applicable aux autres détenus qui pouvaient, à terme, demander leur libération. Si une telle mesure différenciée poursuit l’objectif légitime de lutter efficacement contre le crime organisé, la Cour nota néanmoins que M. Jenkins fut exclu automatiquement du bénéfice de l’application de la loi sans qu’il ne fût procédé à l’évaluation de la nécessité et de la proportionnalité de son maintien en détention, en contravention du droit à la protection égale de loi (article 24 de la CADH) (Jenkins au para 92).

Les Affaires argentines relatives à laccès à la justice: Affaire Rico (Argentine) (2019), Cour IDH (Sér C) n o 383; Affaire Perrone y Preckel (Argentine) (2019), Cour IDH (Sér C) n o 384; Affaire Gorigoitía (Argentine) (2019), Cour IDH (Sér C) n o 382

Dans une série de décisions rendues contre l’Argentine durant l’année 2019, la Cour IDH dut se prononcer sur l’application correcte des droits aux garanties judiciaires et à la protection judiciaire des présumées victimes dans le cadre de procédures administratives et judiciaires internes.Footnote 58 Ces décisions interaméricaines surviennent dans un contexte que l’on pourrait qualifier de tendu entre l’État argentin et la juridiction de San José.

En effet, rappelons qu’en 2017, la Cour suprême de Justice de la Nation (CSJN), le plus haut tribunal argentin, rendit une décision selon laquelle la Cour interaméricaine n’avait pas le pouvoir de réviser ou d’annuler les décisions judiciaires internes, qui plus est celles de la Cour suprême, compte tenu de la Constitution nationale et du caractère subsidiaire du système interaméricain des droits de l’homme (SIDH).Footnote 59 Cette décision argentine intervenait alors que la Cour interaméricaine, se prononçant sur la liberté de presse, avait ordonné à l’État, dans l’Affaire Fontevecchia et D’Amico,Footnote 60 de laisser “sans effet” la décision de la CSJN enjoignant à deux journalistes de payer des dommages à l’ancien Président Menem en raison de la publication d’informations concernant l’existence d’un “prétendu fils non-reconnu.”

De même, le 11 avril 2019, le représentant permanent de l’Argentine auprès de l’OÉA, conjointement avec ses homologues brésilien, chilien, colombien et paraguayen, remit une déclaration au Secrétaire général de l’OÉA exprimant des inquiétudes quant au fonctionnement actuel du SIDH. La déclaration enjoignait ainsi les instances du SIDH à respecter leur caractère subsidiaire et la marge d’appréciation nationale des États dans l’aménagement interne de la protection des droits et libertés.Footnote 61

Dans ce contexte, dans l’Affaire Rico, la Cour interaméricaine se prononça sur la destitution d’un juge pour incompétence, aux termes d’une procédure établie par la loi, par un jury composé en partie de membres issus du pouvoir législatif. Le demandeur alléguait en l’espèce que cette procédure de destitution n’avait pas respecté ses droits aux garanties judiciaires et à la protection judiciaire, notamment son droit à un juge compétent et impartial.

Ainsi, suivant sa jurisprudence antérieure,Footnote 62 la Cour interaméricaine rappela que, dans un État démocratique, le pouvoir législatif possède la faculté d’exercer un contrôle sur les activités des plus hauts fonctionnaires de l’État, incluant les magistrats. En ce sens, les “jugements politiques” ne sont pas, per se, contraires à la CADH (au para 56). Ainsi, la destitution d’un juge par voie de jugement politique est permise, tant et aussi longtemps que cette procédure respecte les garanties judiciaires applicables et qu’il existe des balises encadrant le pouvoir discrétionnaire des décideurs visant à protéger l’indépendance judiciaire (au para 57). La Cour rappela, dans cette veine, qu’elle n’avait pas, dans ses décisions antérieures, préconisé un modèle procédural particulier, sinon qu’elle avait respecté la liberté des États de déterminer les critères adéquats d’une telle procédure. Au passage, elle souligna que le droit argentin prévoit que cette procédure constitue un système de “pesos y contrapesos” conformément au principe démocratique (au para 59).

En l’espèce, la Cour considéra que la procédure établie par la législation argentine présentait des garanties suffisantes pour protéger adéquatement les droits de la présumée victime. En effet, en plus d’établir de manière spécifique et objective des motifs de destitution ainsi que la procédure, elle prévoyait que le jury ne serait pas composé majoritairement de membres du pouvoir législatif (aux paras 61, 66). Qui plus est, la Cour soutint que la preuve présentée par les représentants de la présumée victime ne permettait pas de conclure que les membres du jury avaient un intérêt direct ou indirect dans la destitution de celle-ci (au para 72). Ce faisant, le jury constituait un tribunal impartial et indépendant aux termes de l’article 8 de la CADH.

Concernant le droit à la protection judiciaire, rappelons que la CADH exige qu’il doive exister un recours judiciaire effectif permettant de faire valoir ses droits fondamentaux, que celui-ci doit être adéquat pour répondre aux allégations de violations des droits et, le cas échéant, offrir les réparations nécessaires. Aussi, la Cour interaméricaine réitéra que l’effectivité du recours ne s’évalue pas en fonction du fait qu’il produit un résultat favorable au demandeur (au para 88).Footnote 63 Passant en revue les différents recours intentés par la présumée victime, la Cour affirma que la preuve ne permettait pas de conclure à l’ineffectivité de ceux-ci et que, par conséquent, l’État n’était pas responsable de la violation du droit à la protection judiciaire (au para 99).

Elle fit de même dans l’Affaire Perrone y Preckel. En l’espèce, les deux présumées victimes, à l’emploi de l’État argentin, furent arrêtées et détenues pendant la dictature argentine. À la suite de leur remise en liberté, quelques années plus tard, elles réintégrèrent leur emploi et présentèrent des recours judiciaires réclamant le paiement de leurs salaires et avantages sociaux perdus en raison de leur détention. Bien que ces demandes fussent déboutées, les présumées victimes reçurent des indemnisations aux termes des programmes administratifs de réparations mis en place à la fin de la dictature argentine. Si les faits concernant l’arrestation et la privation de liberté des présumées victimes ne sont pas couverts par la compétence temporelle de la Cour, celle-ci fut néanmoins invitée à se prononcer sur les droits à la protection judiciaire et aux garanties judiciaires des demandeurs.

Plus particulièrement, ceux-ci alléguèrent que les tribunaux argentins omirent de tenir compte du fait que la loi autorisait le paiement des salaires non perçus en cas de force majeure, ce que constituait, selon elles, leur détention arbitraire et justifiait le fait qu’elles n’avaient pu travailler (au para 136). Or, les tribunaux argentins rejetèrent les différents recours en application de la législation prévoyant qu’il n’était pas possible de percevoir un salaire pour services non fournis. Dans un premier temps, la Cour nota que la mise sur pied de programmes administratifs de réparations, dont se prévalurent les demandeurs, ne les avait pas empêchés d’intenter des recours devant le système judiciaire argentin, conformément au droit à la protection judiciaire (article 25 de la CADH) et plus généralement, au droit international prévoyant que les mécanismes collectifs et individuels de réparations ne doivent pas être mutuellement exclusifs (aux paras 114–16).Footnote 64

Puis, considérant qu’elle n’avait pas à se prononcer sur l’application correcte du droit interne au regard des différentes thèses proposées durant les procédures judiciaires (au para 137), la Cour interaméricaine estima que les décisions de justice interne étaient suffisamment motivées, qu’elles avaient répondu de manière adéquate aux arguments des présumées victimes et justifié leur inapplication, conformément au droit de recevoir une décision de justice motivée protégé par l’article 8 de la CADH. Les demandeurs purent aussi compter sur un ensemble de recours répondant aux exigences de la CADH; par conséquent, l’État ne fut pas déclaré responsable de la violation du droit aux garanties judiciaires et à la protection judiciaire des demandeurs. Il fut néanmoins déclaré responsable de la violation du droit à un recours dans un délai raisonnable, la Cour estimant que des délais de plus dix ans excédaient le caractère raisonnable des délais (au para 151).

A contrario, dans l’Affaire Gorigoitía, la Cour soutint que l’État était responsable de la violation du droit de faire appel d’une décision d’un tribunal inférieur, conformément à l’article 8(2) de la CADH. Si la juridiction interaméricaine prévoit, comme dans l’Affaire Rico précitée, que l’État est libre d’organiser son système judiciaire, ce dernier doit néanmoins assurer des recours effectifs pour corriger une condamnation erronée. Ainsi, le droit de faire appel doit permettre un contrôle élargi de la décision d’instance inférieure, incluant à la fois des questions de droit, mais également des questions de faits et de preuve (au para 48). Or, il fut prouvé en l’espèce que la victime, condamnée à 14 années de prison pour homicide, avait eu la possibilité de faire appel exclusivement sur les questions de droit, en contravention de l’article 8(2) de la CADH.

Affaire Colindres Schonenberg (Salvador) (2019), Cour IDH (Sér C) n o 373

Dans cette affaire, la Cour eut à se pencher sur la destitution d’un juge du tribunal suprême électoral salvadorien. Le juge fut démis une première fois par l’Assemblée législative, puis réintégré dans ses fonctions à la suite d’une décision de la Cour constitutionnelle. Une seconde instance en destitution fut tenue, confirmant la destitution, et les recours présentés par la victime furent déboutés. Devant les instances interaméricaines, la victime allégua, notamment, la violation de ses droits aux garanties judiciaires (article 8 de la CADH) et à la protection judiciaire (article 25 de la CADH) ainsi que ses droits politiques (article 23 de la CADH).

Sur la première instance de destitution, la Cour interaméricaine nota que la Cour constitutionnelle salvadorienne avait adéquatement réparé la violation des droits de la victime, notamment ses droits aux garanties judiciaires, en ordonnant sa réintégration au sein du tribunal. Ce faisant, en application du principe de subsidiarité, la Cour jugea que l’État n’était pas responsable des violations alléguées (au para 75).

Ce ne fut pas le cas concernant la deuxième instance de destitution. En l’espèce, la législation salvadorienne ne prévoyait ni la procédure ni les motifs de destitution des magistrats, ce qui fut confirmé par la Cour constitutionnelle salvadorienne. Celle-ci affirma néanmoins que si l’Assemblée législative avait le pouvoir de nommer les juges, elle devait, en conséquence, avoir le pouvoir de les destituer, tant qu’elle garantissait au magistrat le droit à une audience. Or, l’article 8(1) de la CADH prévoit le droit d’être jugé par un tribunal compétent préalablement établi par la loi. Une décision de justice ne saurait, en ce sens, suppléer le devoir de l’État d’établir par loi les tribunaux compétents pour la destitution d’un juge (aux paras 86, 90). L’État est ainsi responsable de la violation des droits aux garanties judiciaires de la victime, en l’absence de procédure préalablement établie. Cette situation entraina par ailleurs la violation des droits politiques de la victime, et notamment celui “d’accéder, à égalité de conditions générales, aux fonctions publiques de leur pays” (article 23(1)(c) de la CADH).

Quant au droit à la protection judiciaire, la Cour interaméricaine nota que la Cour constitutionnelle ne réalisa pas une analyse des violations alléguées aux garanties judiciaires, lors de recours interposés par la victime, à la suite de la deuxième procédure de destitution. La Cour constitutionnelle justifia sa décision au motif qu’elle n’était pas compétente pour réviser les critères d’application de telles garanties par l’Assemblée législative (au para 109). Or, la Cour interaméricaine estima, en l’espèce, qu’en application de l’article 25 de la CADH, son homologue avait l’obligation de procéder à une révision judiciaire des violations alléguées, afin de garantir le droit à un recours effectif de la victime (au para 110).

Affaire Villaseñor Velarde (Guatemala), Cour IDH (Sér C) n o 374

Dans une autre affaire, cette fois contre le Guatemala, une magistrate alléguait avoir reçu des pressions externes dans le cadre de l’exercice de ses fonctions, sous forme de violences, de menaces et de tentatives d’introduction par effraction dans son domicile pendant une période s’étendant de 1990 à 2013. Pour la Cour interaméricaine, l’indépendance judiciaire, nécessaire pour garantir la séparation des pouvoirs, s’incarne, pour les magistrats, dans leur capacité à exercer leurs fonctions sans pressions externes, garantie notamment par l’État qui doit prendre des mesures pour éviter de telles ingérences de la part de personnes ou d’organes étrangers aux pouvoirs judiciaires (au para 84). La Cour nota, en l’espèce, que l’État avait eu connaissance des faits à de multiples reprises et par l’entremise de plusieurs moyens, notamment des plaintes portées par la demanderesse devant divers organes étatiques, des mesures conservatoires émises par la Commission, et des procédures intentées devant cette dernière (aux paras 91–94).

La Cour estima néanmoins que la preuve de la participation directe des agents de l’État dans la violation alléguée des droits n’avait pas été faite. Parmi ses motifs, notons qu’elle soutint que le maintien de l’impunité dans une affaire, qui prévient de faire la lumière sur les faits, ne conduit pas nécessairement à la responsabilité de l’État quant à son obligation de respect des droits (au para 100). C’est donc sous l’angle de l’obligation de garantie que la Cour examina les faits, et plus particulièrement, les mesures de prévention adoptées et l’effectivité des enquêtes menées à la suite des dénonciations.

Sur les mesures de prévention, la Cour estima que l’État avait effectivement fourni des gardes de sécurité, sur une période de dix-huit ans, à la demanderesse. Elle nota néanmoins que cette dernière s’était plainte du fait que ces gardes ne possédaient pas l’équipement suffisant, qu’elle devait payer les repas de ceux-ci et qu’un garde n’avait pas été remplacé durant ses vacances. Pour la Cour, s’il peut s’avérer que ces éléments ne sont pas adéquats, ils ne présentent pas le seuil suffisant pour conclure à la violation des droits de la demanderesse.

Par ailleurs, lors de la période, en 1995, durant laquelle la demanderesse ne bénéficiait pas de mesures de protection, la Cour nota que cette absence de protection résultait du fait que la demanderesse elle-même s’était désistée, ce qui n’exonère néanmoins pas l’État de ses obligations, compte tenu de la situation de risque et des mesures conservatoires émises par la Commission. La preuve n’indiquait cependant pas qu’elle fut victime de menace ou d’intimidation durant cette période. Pour ces raisons, la Cour conclut que l’État n’avait pas failli à son obligation de prévention (au para 108), mais fut néanmoins reconnu responsable en raison de l’ineffectivité et des délais des enquêtes, en contravention des droits aux garanties judiciaires et à la protection judiciaire, qui eurent des impacts sur la jouissance du droit à l’intégrité personnelle, et plus particulièrement son intégrité psychologique (article 5 de la CADH).

Enfin, soulignons qu’au soutien de la requête, la requérante avait présenté comme preuve d’intimidation des déclarations publiques de fonctionnaires et de militaires à son encontre. Pour la Cour interamÕricaine, il peut exister une tension entre l’exercice de la liberté d’expression et l’indépendance judiciaire. En ce sens, la liberté d’expression dans une société démocratique permet la critique saine des fonctionnaires publics. Néanmoins, cet exercice ne peut mener à la violation du droit à la protection de l’honneur et de la dignité (article 11 de la CADH) ou résulter dans des pressions indues sur le pouvoir judiciaire (au para 86).Footnote 65 La Cour estima, en l’espèce, que la preuve présentée ne permettait pas de conclure à un exercice disproportionné de la liberté d’expression qui conduirait à la violation de l’article 11 de la CADH (au para 87).

Affaire Álvarez Ramos (Venezuela) (2019), Cour IDH (Sér C) n o 380

Une fois de plus, la Cour eut à se prononcer sur des allégations de violations du droit à la liberté d’expression contre des critiques des autorités vénézuéliennes,Footnote 66 ici plus particulièrement quant à la criminalisation de la diffamation concernant des propos prononcés par le demandeur à l’encontre du président de l’Assemblée Nationale l’accusant de détournements de fonds. En l’espèce, la victime fut accusée du crime de diffamation aggravée, interdite de sortie du pays, jugée et condamnée à plus de deux ans de prison.

Cette décision s’inscrit dans la doctrine de la Cour interaméricaine relativement à la criminalisation de la diffamation et aux restrictions acceptables de la liberté d’expression développée dans les affaires Herrera Ulloa, Canese et Kimel. Footnote 67 Rappelons à ce sujet qu’alors que la Commission avait établi que toute forme de criminalisation de la diffamation (par des lois dites de “desacato”) était contraire à l’article 13(2) qui prévoit que “l’exercice du droit [à la liberté d’expression] ne peut être soumis à aucune censure préalable, mais il comporte des responsabilités ultérieures qui, expressément fixées par la loi, sont nécessaires: (a) au respect des droits ou à la réputation d’autrui; ou (b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, ou de la santé ou de la morale publiques.”Footnote 68 Dans Kimel, toutefois, la Cour indiquait dans un obiter dictum qu’elle n’excluait pas que certaines lois criminalisant la diffamation soient compatibles avec la Convention, à certaines conditions,Footnote 69 à savoir

(i) être préalablement établies par la loi, au sens formel et matériel; (ii) répondre à un objectif autorisé par la Convention américaine (“respect des droits à la réputation d’autrui” ou “protection de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques”), et (iii) être nécessaires dans une société démocratique (pour laquelle elles doivent répondre aux exigences d’adéquation, de nécessité et de proportionnalité). … S’agissant de la proportionnalité et de la nécessité de la mesure, la Cour estime que les restrictions imposées au droit à la liberté d’expression doivent être proportionnelles à l’intérêt qui les justifie et doivent être étroitement adaptées à la réalisation de cet objectif, en restreignant le moins possible l’exercice du droit à la liberté d’expression

(aux paras 104, 108) [notre traduction].

En l’espèce, le tribunal considéra que les mesures adoptées par le Venezuela à l’encontre de M. Álvarez Ramos ne remplissaient pas ces conditions. En effet, elle considéra que les propos de la victime touchaient des informations d’intérêt public et que par conséquent, ce type de mesure pouvait avoir un effet dissuasif sur l’expression d’informations nécessaires à la reddition de compte dans une société démocratique (aux paras 114 et s). La Cour conclut donc que ces mesures violaient non seulement le droit à la liberté d’expression de la victime, mais également son droit à la vie politique garanti par l’article 23 de la CADH. Il va sans dire que cette décision tombe à point puisque plusieurs craignent de nombreuses violations au droit à la liberté d’expression et l’imposition de plusieurs contraintes dans la pratique du journalisme, y compris dans le cadre de la pandémie.Footnote 70

Affaire Gómez Virula et al (Guatemala) (2019), Cour IDH (Sér C) n o 392

Cette décision porte sur la disparition d’un leader syndical au Guatemala en 1995, lors de pressions et de manifestations menées par une association de travailleurs après la fermeture de l’entreprise qui les employait. La victime disparut après avoir participé à une réunion syndicale et son corps fut retrouvé six jours plus tard. Comme elle l’avait fait dans l’Affaire Gutiérrez Hernández,Footnote 71 la Cour considéra qu’il n’avait pas été prouvé que la disparition de la victime avait été menée par des agents de l’État guatémaltèque et qu’il ne pouvait donc s’agir d’une disparition forcée au sens du droit international (au para 55).Footnote 72

De plus, le Tribunal refusa de conclure que l’État avait failli à son obligation de prévenir la disparition de la victime, rappelant

[qu’]un État ne peut être internationalement responsable de tout crime commis entre des individus relevant de sa juridiction. En effet, les obligations conventionnelles de garantie à la charge des États n’impliquent pas une responsabilité illimitée de ceux-ci à l’égard de tout acte ou fait des individus, puisque leur obligation d’adopter des mesures de prévention et de protection des individus dans leurs relations les uns avec les autres est conditionnée à la connaissance d’une situation de risque réel et immédiat pour un individu ou un groupe d’individus donné – ou au fait que l’État aurait dû connaître cette situation de risque réel et immédiat – et aux possibilités raisonnables de prévenir ou d’éviter ce risque

(au para 56) [notre traduction].Footnote 73

La Cour rappela que pour tenir l’État responsable dans de telles circonstances, il doit être démontré que “(i) les autorités de l’État connaissaient, ou auraient dû avoir connaissance, de l’existence d’un risque réel et immédiat pour la vie et / ou l’intégrité personnelle d’une personne ou d’un groupe de personnes donné, et que (ii) ces autorités n’ont pas adopté les mesures nécessaires dans l’étendue de leurs pouvoirs qui pouvaient raisonnablement empêcher ou éviter la matérialisation de ce risque” (au para 56) [notre traduction].Footnote 74

Le tribunal considéra qu’il ne disposait pas de preuves suffisantes pour conclure que ces critères avaient été remplis en l’espèce, bien que la Commission eût conclu dans ses rapports de recevabilité et de fonds qu’il existait, au Guatemala en 1995, un contexte de violence particulier contre les représentants syndicaux (aux paras 23, 55). Cette décision se distingue ainsi de l’Affaire Isaza Uribe où la Cour conclut qu’un tel contexte de violence et d’impunité existait à l’encontre des membres des organisations syndicales en Colombie.Footnote 75

Cependant, l’État fut tenu responsable d’avoir violé le droit aux garanties judiciaires et à la protection judiciaire (articles 8 et 25 de la CADH), en raison des failles dans l’enquête et de l’impunité entourant la disparition de la victime (aux paras 64–91). Ce faisant, la Cour considéra que l’État (1) n’avait pas agi avec la diligence due pour enquêter sur la disparition de la victime, alors qu’il savait que celle-ci était leader dans un syndicat en conflit avec son employeur; (2) n’avait pas agi, une fois le corps retrouvé, avec la diligence requise pour protéger la scène du crime, collecter des preuves lors des premières étapes de l’enquête et assurer une autopsie rigoureuse; (3) n’avait pas étudié diligemment les diverses hypothèses logiques d’enquête; et (4) n’avait pas assumé son obligation d’enquêter dans un délai raisonnable (aux paras 70–76, 79–85, 89). Cette appréciation de la méthodologie d’enquête par la Cour est d’autant plus intéressante que le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires des Nations Unies élabore présentement une étude thématique sur les standards et les meilleures pratiques en matière d’enquêtes relatives à des disparitions forcées.Footnote 76

Affaire Arrom Suhurt et al (Paraguay) (2019), Cour IDH (Sér C) n o 377

D’une même manière, la Cour ne retint pas l’État responsable de la disparition alléguée dans cette affaire paraguayenne. Les deux victimes, qui avaient été enlevées, détenues, battues et interrogées par des individus vêtus en civils, identifièrent leurs tortionnaires comme des agents de l’État une fois libérées (aux paras 47–62).

La Cour ne put conclure que les victimes avaient été enlevées par des agents de l’État, considérant que l’essentiel des preuves soumises à cet égard était les témoignages des victimes elles-mêmes et que les autorités paraguayennes firent des enquêtes satisfaisantes en apparence pour conclure que les tortionnaires identifiés par les victimes ne devaient pas faire l’objet d’accusations criminelles (aux paras 99–130). Il convient de noter que, ce faisant, le tribunal interaméricain tint compte du fait que, contrairement à plusieurs affaires de disparitions forcées, y compris au Paraguay,Footnote 77 celle en l’espèce ne s’inscrivait pas dans un contexte de pratique systématique et généralisée de violations des droits humains au Paraguay. Ainsi, la Cour rappela que, dans de telles circonstances, il lui était impossible de présumer que la disparition alléguée était attribuable aux autorités étatiques sur la base de preuves circonstancielles et que les demandeurs avaient le fardeau de prouver la participation étatique dans l’enlèvement sous examen (aux paras 93–98). Aux yeux de la Cour, l’affaire en l’espèce se distingue ainsi des cas de disparitions forcées où les preuves circonstancielles correspondent à un patron de disparitions menées par les autorités étatiques, dans un contexte de violations systématiques des droits humains.Footnote 78

Par ailleurs, la Cour considéra que les démarches menées par les autorités pour essayer de localiser les personnes disparuesFootnote 79 étaient adéquates (aux paras 63–69, 138–41) et, contrairement à l’Affaire Gómez Virula abordée précédemment, soutint qu’il lui était impossible de conclure que l’État n’avait pas mené une enquête criminelle satisfaisante (aux paras 70–86, 142–52).Footnote 80

Conclusion

L’année 2019 aura permis à la Cour de consolider sa jurisprudence en matière de jusiticiabilité directe des DESC,Footnote 81 qui a, rappelons-le, été critiquée par des juges de la Cour elle-même. Notons, par ailleurs, que l’année 2020 s’annonce également prometteuse en la matière en ce que le tribunal a déjà rendu une décision concernant les droits à un environnement sain, à l’alimentation, à l’eau et à la culture des communautés autochtones membres de l’Association Lhaka Honhat contre l’État argentin.Footnote 82

Des décisions importantes ont été rendues quant à la protection du droit à la vie et à un recours judiciaire effectif, notamment dans le contexte de la condamnation à la peine de mort, lesquelles réitèrent et consolident les standards interaméricains concernant l’encadrement très strict d’une telle sanction et menant, progressivement, à son abolition. On peut cependant se questionner sur les raisons pour lesquelles la Cour n’a pas cru bon, comme elle l’avait fait dans les affaires trinidadiennes, de joindre l’ensemble des recours intentés contre le Guatemala dans une seule affaire,Footnote 83 compte tenu de l’ampleur de sa charge de travail.

On voit, par ailleurs, apparaître dans la jurisprudence interaméricaine un resserrement de l’évaluation de la preuve et du fardeau incombant à la partie demanderesse, qui se reflète dans les décisions qui exonèrent l’État de sa responsabilité, notamment dans les décisions relatives à la protection judiciaire et aux garanties judiciaires. Si la Cour est effectivement proactive en matière de protection des DESC, elle semble démontrer une plus grande retenue dans l’évaluation de la conformité du travail de ses homologues nationaux avec les dispositions de la CADH. Cela s’explique peut-être par les critiques dont elle a été l’objet dans les dernières années, qui l’enjoignaient de faire preuve d’une plus grande déférence envers le principe de subsidiarité.

Finalement, on peut s’attendre pour l’année 2020 qu’en plus de poursuivre sa lancée en matière de DESC, la Cour se prononce sur des questions importantes relatives à la protection des droits des membres de la diversité sexuelle.

Footnotes

Certaines sections de ce texte ont été présentées lors du panel “Actualités de 2019 de l’Annuaire canadien de droit international” du 48e congrès annuel du Conseil canadien de droit international, le 24 octobre 2019, en collaboration avec Éloïse Ouellet-Décoste. Les auteurs tiennent à remercier les organisateurs de cet évènement.

References

1 L’Organisation des États Américains (OÉA ou l’Organisation) est une organisation internationale régionale au sens de l’article 52 de la Charte des Nations Unies, 26 juin 1945, 1 RTNU 16, 59 Stat 1031, TS 993, 3 Bevans 1153 (entrÕe en vigueur: 24 octobre 1945), qui regroupe les États suivants: Antigua-et-Barbuda, Argentine, Les Bahamas, Barbade, Belize, Bolivie, Brésil, Canada, Chili, Colombie, Costa Rica, Cuba, Dominique, Équateur, El Salvador, États-Unis, Grenade, Guatemala, Guyana, Haïti, Honduras, Jamaïque, Mexique, Nicaragua, Panama, Paraguay, Pérou, République dominicaine, Saint-Kitts-et-Nevis, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Sainte-Lucie, Suriname, Trinité-et-Tobago, Uruguay, et Venezuela.

2 Voir Cavallaro, James L et al, Doctrine, Practice, and Advocacy in the Inter-American Human Rights System, New York, Oxford University Press, 2019.Google Scholar

3 Convention américaine relative aux Droits de l’Homme, 22 novembre 1969, 1144 RTNU 123, OASTS n˚ 36 [CADH].

4 Voir par ex Charte de l’Organisation des États Américains, 30 avril 1948, 119 RTNU 3, modifiée par 721 RTNU 324, OASTS n˚ 1-A, par OASTS n˚ 66, 25 ILM 527, para 1-E Rev Doc off OEA/Ser.A/2 Add. 3 (SEPF), 33 ILM 1005 et para 1-F Rev Doc off OEA/Ser.A/2 Add.4 (SEPF), 33 ILM 1009 [Charte OÉA]; Déclaration américaine des Droits et Devoirs de l’Homme, 1948, Res XXX Final Act, Ninth International Conference of American States, Doc off OéA/ Ser.L/V/II.23/Doc.21, rev 6 (1979) [DÕclaration amÕricaine]; Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux Droits de l’Homme traitant des droits économiques, sociaux et culturels, 17 novembre 1988, OASTS n˚ 69 [Protocole de San Salvador relatif aux DESC]; Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture, 9 décembre 1985, OASTS n˚ 67; Convention interaméricaine sur la disparition forcée des personnes, 9 juin 1994, 33 ILM 1429.

5 OÉA, Cour interaméricaine des Droits de l’Homme, Annual Report of the Inter-American Court of Human Rights (2019) à la p 36.

6 OÉA, Commission interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH), Annual Report of the Inter-American Commission on Human Rights 2019, Doc OEA/Ser.L/V/II.Doc 5 (24 février 2020) à la p 113.

7 Voir à ce sujet Francisco Verdera, “Seguridad social y pobreza en el Peru, una aproximación,” Documento de trabajo nº 84 (1996), Serie: Economía, 28 Instituto de Estudios peruanos 5. Voir aussi Luis Aparicio Valdez, “La Reforma de la Seguridad social en el Perú” (1996) Derecho y Sociedad 124 aux pp 124 et s.

8 Affaire des cinq retraités (Pérou) (2003), Cour IDH (Sér C) no 98 [Affaire des cinq retraités].

9 Ibid au para 147.

10 Bernard Duhaime, “Le système interaméricain et la protection des droits économiques, sociaux et culturels des personnes et des groupes vivant dans des conditions particulières de vulnérabilité” (2006) 44 ACDI 95 aux pp 140 et s [Duhaime, “Le système interaméricain”]; Bernard Duhaime, “L’OEA et le Protocole de San Salvador” dans Lucie Lamarche et Pierre Bosset, dir, Donner droit de cité aux droits économiques, sociaux et culturels: La Charte des droits et libertés du Québec en chantier, Cowansville (QC), Yvon Blais, 2011, 363 aux pp 389 et s [Duhaime, “Protocole de San Salvador”].

11 Affaire Lagos del Campo (Pérou) (2017), Cour IDH (Sér C) no 340 [Affaire Lagos del Campo].

12 Affaire des travailleurs de Petroperú et autres c Pérou (2017), Cour IDH (Sér C) nº 344.

13 Voir Affaire Cuscu Pivaral et al (Guatemala) (2018), Cour IDH (Sér C) no 359 aux paras 72 et s [Affaire Cuscu Pivaral]. Voir aussi Affaire Poblete Vilches et al (Chili) (2018), Cour IDH (Sér C) no 349 aux paras 78 et s [Affaire Poblete Vilches].

14 Voir généralement Bernard Duhaime et Élise Hansbury, “Les DESC et le Système interaméricain: deus ex machina au dernier acte” (2020) 61:2 C de D (à paraitre) [Duhaime et Hansbury, “DESC et le Système interaméricain”].

15 Affaire Jorge Odir Miranda Cortez et al (El Salvador) (2001), Rapport nº 29/01, Affaire 12.249, dans OÉA, CIDH, Annual Report of the Inter-american Commission on Human Rights 2000, Doc OEA/Ser./L/V/II.111 doc.20 rev. Voir aussi Duhaime, “Le système interaméricain,” supra note 10 aux pp 137 et s.

16 Affaire Lagos del Campo, supra note 11, Vote d’Eduardo Vio Grossi aux pp 8–9.

17 Voir à ce sujet Bernard Duhaime et Élise Hansbury, “DESC et le Système interaméricain,” supra note 14.

18 Ce type de problème, lié à la non-exécution de jugements favorables aux travailleurs d’entreprises péruviennes, était également au cœur de l’Affaire Acevedo-Jaramillo et al (Pérou) (2006) Cour IDH (Sér C) no 144. Voir à ce sujet Bernard Duhaime et Ariel E Dulitzky, “Review of the Case Law of the Inter-American Human Rights System in 2006” (2006) 19:2 RQDI 331 aux pp 347 et s.

19 Garanties judiciaires lors de situations d’urgence (1987), Avis consultatif OC-9/87, Cour IDH (Sér A) nº 9.

20 Ces deux affaires ne sont pas sans rappeler l’Affaire Milton García Fajardo de 2001, où la Commission considéra que le refus des autorités d’obtempérer à un jugement ordonnant la réintégration de travailleurs congédiés illégalement constituait une violation de l’article 26 de la CADH parce que ces omissions avaient occasionné des dommages aux droits économiques et sociaux des victimes et que l’État, plutôt que d’adopter des mesures progressives, avait adopté des mesures qui visaient spécifiquement à réduire ou restreindre ces droits. Affaire Milton García Fajardo et al (Nicaragua) (2001), Rapport nº 100/01, Affaire 11.381, dans OÉA, CIDH, Annual Report of the Inter-american Commission on Human Rights 2001, Doc OEA/Ser./L/V/II.114 doc. 5 rev (2001) aux paras 95, 101 [Affaire Milton García Fajardo].

21 Cet article prévoit qu’aucune disposition de la CADH ne peut être interprétée comme “restreignant la jouissance et l’exercice de tout droit ou de toute liberté reconnus par la législation d’un État partie ou dans une convention à laquelle cet État est partie.”

22 Convention (n° 102) concernant la sécurité sociale (norme minimum), 28 juin 1952, 35e Sess CIT; Convention (nº 128) concernant les prestations d’invalidité, de vieillesse et de survivants, 29 juin 1967, 51e Sess CIT.

23 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale nº 19: Le droit à la sécurité sociale (art 9 du Pacte), Doc off CES NU, 39e Sess, Doc NU E/C.12/GC/19; Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale nº 14 (2000): Le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint (art 12 du Pacte international relative aux droits économiques, sociaux et culturels), Doc off CES NU, 22e Sess, Doc NU E/C.12/2000/4; Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale nº 6: Droits économiques, sociaux et culturels des personnes âgées, Doc off CES NU, 13e Sess, Doc NU E/1996/22.

24 Groupe de travail pour l’analyse des rapports nationaux prévus dans le Protocole de San Salvador, Indicateurs de progrès pour mesurer la mise en œuvre des droits garantis par le Protocole de San Salvador, 16 décembre 2011, OEA /Ser.L/XXV.2.1, GT/PSS/doc.2/11 rev.2. À ce sujet, voir aussi Duhaime, “ Protocole de San Salvador,” supra note 10.

25 À ce sujet, voir plus généralement CIDH, Access to Justice as a Guarantee of Economic, Social, and Cultural Rights: A Review of the Standards Adopted by the Inter-American System of Human Rights, Doc off CIDH, 2007, OEA/Ser.L/V/II.129, Doc 4.

26 Se référant à Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale nº 6, supra note 23 au para 13 et à la Convention interaméricaine sur la protection des droits des personnes âgées, 15 juin 2015, OASTS n˚A-70.

27 À ce sujet, voir généralement Duhaime, “Le système interaméricain,” supra note 10. Sur la question des droits des personnes âgées en situation de vulnérabilité, voir Affaire Poblete Vilches, supra note 13 aux paras 118 et s.

28 Sur le concept de “vida digna,” voir Antkowiak, Thomas, “A ‘Dignified Life’ and the Resurgence of Social Rights” (2020) 18 Nw UJ Intl Hum Rts 1.Google Scholar

29 Affaire des cinq retraités, supra note 8.

30 Voir à ce sujet Duhaime, Bernard, “Canada and the Inter-American Human Rights System: Time to Become a Full Player” (2012) 67:3 Intl J 639 à la p 655, n 35.CrossRefGoogle Scholar

31 Voir par ex Alcedo, Carlos Ivan Fuentes, “Protegiendo el derecho a la salud en el Sistema Interamericano de Derechos Humanos: Estudio comparativo sobre su justiciabilidad desde un punto de vista sustantivo y procesal” (2006) 22:1 Am U Intl L Rev 7 Google Scholar; Oscar Parra Vera, “La protección del Derecho a la Salud a través de casos contenciosos ante el Sistema Interamericano de Derechos Humanos” dans Laura Clérico et al, dir, Tratado de Derecho a la Salud, Buenos Aires, Abeledo Perrot, 2013, 761; Keener, Steven R et Vasquez, Javier, “A Life Worth Living: Enforcement of the Right to Health through the Right to Life in the Inter-American Court of Human Rights” (2009) 40:3 Colum Hum Rts L Rev 595 Google Scholar. Voir plus récemment, Paula Andrea Roa Sánchez, “El derecho a la salud en la Corte Interamericana de Derechos Humanos progreso o exceso?” (2019) 38:1 DPCE Online 931.

32 Se référant à Affaire Neira Alegría et al (Pérou) (1995), Cour IDH (Sér C) nº 20 au para 60, Affaire Affaire Chinchilla Sandoval (Guatemala) (2016), Cour IDH (Sér C) nº 312, et Affaire Montero Aranguren et al (Venezuela) (2006), Cour IDH (Sér C) nº 150 au para 103.

33 Voir aussi l’Affaire du Pénitencier Castro Castro (Pérou) (2006), Cour IDH (Sér C) nº 160.

34 Voir entre autres Affaire Cuscul Pivaral, supra note 13; Affaire Poblete Vilches, supra note 13. Voir aussi Elena Carolina Díaz Galán et Harold Bertot Triana, “I/A Court HR, Case Cuscul Pivaral et al. v. Guatemala, Judgment of August 23, 2018: A Step Further in Protecting Social, Economic and Cultural Rights from Jurisprudence” (2019) 13:2 Revista Electrónica Iberoamericana 63.

35 Voir à ce sujet Liliana Ronconi, “A 40 años de la creación de la Corte IDH, los los derechos económicos, sociales y culturales traspasaron sus puertas y llegaron para quedarse” (2019) 15:1 Anuario de Derechos Humanos 83.

36 Affaire Cuscul Pivaral, supra note 13 au para 121, ainsi que dans l’Affaire Gonzales Lluy (Équateur), (2015) Cour IDH (Sér C) no 298.

37 Voir à ce sujet Tuberculosis Coalition for Technical Assistance, “International Standards for Tuberculosis Care” (2006) 5 Relève epidémiologique hebdomadaire 43, en ligne: <https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/233011/WER8105_43-47.PDF?sequence=1&isAllowed=y>.

38 Cette approche n’est pas sans rappeler celle adoptée par la Commission dans Affaire Milton García Fajardo, supra note 20; voir à ce sujet Duhaime, “Le système interaméricain,” supra note 10 aux pp 139 et s.

39 Voir à ce sujet Marc Godbout, “Barbelés et soins de longue durée,” Radio-Canada, 12 mars 2020, en ligne: <https://ici.radio-canada.ca/recit-numerique/613/vieillissement-prison-exemple-pennsylvanie-etats-unis>. Voir aussi Ariane Lacoursière, “Une coroner dénonce le manque de soins médicaux dans les prisons,” La Presse, 5 décembre 2019, en ligne: <www.lapresse.ca/actualites/201912/04/01-5252420-une-coroner-denonce-le-manque-de-soins-medicaux-dans-les-prisons.php>.

40 Protocole à la Convention américaine relative aux Droits de l’Homme traitant de l’abolition de la peine de mort, 8 juin 1990, OASTS no 73. Voir également Restrictions to the Death Penalty (1983), Avis consultatif OC-3/83, Cour IDH (Sér A) no 3.

41 En droit canadien, voir à ce sujet Solliciteur Général du Canada, Les délinquants à risque élevé - Guide pour les professionnels du système de justice pénale, mai 2001, en ligne: <www.securitepublique.gc.ca/cnt/rsrcs/pblctns/hghrsk-ffndrs-hndb/index-fr.aspx>.

42 Affaire Raxcacó Reyes (Guatemala) (2005), Cour IDH (Sér C) no 133 [Affaire Raxcacó Reyes]. Notons que dans l’Affaire Ruiz Fuentes et al (Guatemala) (2019), Cour IDH (Sér C) no 385 au para 79 [Affaire Ruiz Fuentes], la Cour reprit mutatis mutandis son raisonnement dans l’Affaire Raxcacó Reyes puisqu’en l’espèce, les deux accusés furent condamnés pour les mêmes faits au cours du même procès.

43 Affaire Hilaire, Constantine et Benjamin (Trinidad et Tobago) (2002), Cour IDH (Sér C) no 94 [Affaire Hilaire, Constantine et Benjamin].

44 Voir à ce sujet Brian D Tittemore, “The Mandatory Death Penalty in the Commonwealth Caribbean and the Inter-American Human Rights System: An Evolution in the Development and Implementation of International Human Rights Protections” (2004) 13 Wm & Mary Bill Rts J 445. Voir aussi Affaire Boyce et al (Barbade) (2007), Cour IDH (Sér C) no 169.

45 Voir à ce sujet Juárez, Karlos A Castilla, “Control de convencionalidad interamericano: Una propuesta de orden ante diez años de incertidumbre” (2006) 64 Revista IIDH 87.Google Scholar

46 Affaire Raxcacó Reyes, supra note 42; Affaire Hilaire, Constantine et Benjamin, supra note 43.

47 La Cour référa à Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH), Öcalan c Turquie [GC], no 46221/99, 12 mai 2005; Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH), Bader et Kanbor c Suède, no 13284/04, 8 novembre 2005.

48 La Cour référa à Comité des droits de l’Homme (CDH), Larrañaga c Philippines, Doc off CDH NU, 87e Sess, Doc NU CCPR/C/87/D/1421/2005 (2006); CDH, Mwamba c Zambie, Doc off CDH NU, 98e Sess, Doc NU CCPR/C/98/D/1520/2006 (2010).

49 Notons que la Cour référa, entre autres, à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire États-Unis c Burns, 2001 CSC 7, [2001] 1 RCS 283.

50 Par exemple, dans les affaires Ruiz Fuentes, supra note 42 et Valenzuela Ávila (Guatemala) (2019), Cour IDH (Sér C) no 386, la Cour tint compte du fait que la peine avait été imposée à la suite de procédures judiciaires entachées d’irrégularités, en violation de plusieurs droits protégés par la CADH.

51 La Cour se référa notamment à Conseil des droits de l’Homme, Question de la peine de mort — Rapport du Secrétaire général, Doc off CDH NU, 39e sess, Doc NU A/HRC/39/19 (2018).

52 Voir Affaire Vélez Loor (Panama) (2010), Cour IDH (Sér C) no 218 et Affaire Ruano Torres (Salvador) (2015), Cour IDH (Sér C) no 303.

53 Voir notamment Affaire Fernández Ortega y (Mexique) (2010), Cour IDH (Sér C) no 215; Affaire Andrade Salmon (Bolivie) (2016), Cour IDH (Sér C) no 329 [Affaire Andrade Salmon].

54 Voir notamment Affaire Norín Catríman (Chili) (2014), Cour IDH (Sér C) no 279.

55 Voir notamment Affaire du Centre de rééducation pour mineurs (Paraguay) (1999), Cour IDH (Sér C) no 112.

56 Voir aussi The Word “Laws” in Article 30 of the American Convention on Human Rights (1986), Avis consultatif OC-6/86, Cour IDH (Sér A) no 6.

57 Sur la question des détentions préventives, voir notamment Affaire Andrade Salmon, supra note 53.

58 Voir de façon plus générale Bailliet, Cecilia M, “Measuring Compliance with the Inter-American Court of Human Rights: The Ongoing Challenge of Judicial Independence in Latin America” (2013) 31 Nordic J Human Rights 477.Google Scholar

59 Corte suprema de Justicia, Ministerio de Relaciones Exteriores y Culo s/ informe sentencia dictada en el caso, “Fontevecchia y D’Amico vs Argentina” por la Corte interamericana de Derechos Humanos, CSJ, fallo 340:47, 14 février 2017.

60 Affaire Fontevecchia et D’Amico (Argentine) (2011), Cour IDH (Sér C) no 238.

61 Voir notamment le communiqué de presse du Ministère des relations extérieures du Chili portant sur la déclaration, Gouvernement du Chili, communiqué, “Comunicado de prensa Ministerio de Relaciones Exteriores: Ministerio de Justicia y Derechos Humanos sobre Sistema Interamericano de Derechos Humanos,” 23 avril 2019, en ligne: <https://minrel.gob.cl/comunicado-de-prensa-ministerio-de-relaciones-exteriores-ministerio-de/minrel/2019-04-23/105105.html#top>. Cette situation n’est pas sans rappeler la crise semblable qui frappa le Brésil suite au jugement de la Cour interaméricaine dans l’Affaire Gomes Lund y otros (“Guerrilha do Araguaia”) (Brésil) (2010), Cour IDH (Sér C) no 219.

62 Voir notamment Affaire de la Cour constitutionnelle (Pérou) (2001), Cour IDH (Sér C) no 71; Affaire Apitz Barbera (Venezuela) (2008), Cour IDH (Sér C) no 182; Affaire du Tribunal constitutionnel (Camba Campos et al) (Équateur) (2013), Cour IDH (Sér C) no 268; Affaire de la Cour suprême de Justice (Quintana Coello et al) (Équateur) (2013), Cour IDH (Sér C) no 266.

63 Voir notamment Affaire Cuscul Pivaral, supra note 13 au para 169.

64 Voir notamment Affaire García Lucero et al (Chili) (2013), Cour IDH (Sér C) no 267; Affaire Órdenes Guerra (Chili) (2018), Cour IDH (Sér C) no 372.

65 Voir notamment Compulsory Membership in an Association Prescribed by Law for the Practice of Journalism (Arts 13 and 29 American Convention on Human Rights) (1985), Avis consultatif OC-5/85, Cour IDH (Sér A) no 5; Affaire Herrera Ulloa (Costa Rica) (2004), Cour IDH (Sér C) no 107 [Affaire Herrera Ulloa]; Palamara Iribarne (Chili) (2005), Cour IDH (Sér C) no 135.

66 Voir également Affaire San Miguel Sosa et al (Venezuela) (2018), Cour IDH (Sér C) nº 348 et Affaire Granier et al (Venezuela) (2015) Cour IDH (Sér C) no 293.

67 Affaire Herrera Ulloa, supra note 65; Affaire Ricardo Canese (Paraguay) (2004) Cour IDH (Sér C) nº 111 ; Affaire Kimel (Argentine) (2008), Cour IDH (Sér C) nº 177 [Affaire Kimel]. Voir à ce sujet Eduardo Andrés Bertoni, “The Inter-American Court of Human Rights and the European Court of Human Rights: A Dialogue on Freedom of Expression Standards” (2009) 3 Eur HRL Rev 332.

68 Voir à ce sujet Bernard Duhaime, “Protecting Human Rights in the Americas: Recent Achievements and Challenges” dans Gordon Mace, Jean-Philippe Thérien et Paul Haslam, dir, Governing the Americas: Regional Institutions at the Crossroads, Boulder, Lynne Rienner Publishers, 2007, 131 à la p 140.

69 Affaire Kimel, supra note 67 aux paras 51, 77, 83, 127, 144. Voir à ce sujet Bertoni, supra note 67 à la p 344.

70 Voir par ex Rapporteurs sans frontières, “2020 World Press Freedom Index: ‘Entering a Decisive Decade for Journalism, Exacerbated by Coronavirus’,” avril 2020, en ligne: <https://rsf.org/en/2020-world-press-freedom-index-entering-decisive-decade-journalism-exacerbated-coronavirus>.

71 Affaire Gutiérrez Hernández et autres (Guatemala) (2017), Cour IDH (Sér C) no 339.

72 Rappelons qu’au sens du droit international, une disparition forcée a lieu lorsque “des personnes sont arrêtées, détenues ou enlevées contre leur volonté ou privées de toute autre manière de leur liberté par des agents du gouvernement, de quelque service ou à quelque niveau que ce soit, par des groupes organisés ou par des particuliers, qui agissent au nom du gouvernement ou avec son appui direct ou indirect, son autorisation ou son assentiment, et qui refusent ensuite de révéler le sort réservé à ces personnes ou l’endroit où elles se trouvent ou d’admettre qu’elles sont privées de liberté, les soustrayant ainsi à la protection de la loi:” Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, Rés AG 47/133, 18 décembre 1992.

73 Se référant à l’Affaire du massacre de Pueblo Bello (Colombie) (2006), Cour IDH (Sér C) no 140 aux paras 123 et s.

74 Ibid. Sur la doctrine du risque, voir Bernard Duhaime et Élise Hansbury, “Les DESC et le Système interaméricain,” supra note 14.

75 Affaire Isaza Uribe et al (Colombie) (2018), Cour IDH (Sér C) no 363. Voir aussi l’Affaire des Défenseurs des droits humains au Guatemala, où la Cour considéra que l’existence d’un tel contexte avait bel et bien été prouvée au Guatemala en ce qui avait trait aux défenseurs des droits humains. Affaire des Défenseurs des droits humains (Guatemala) (2014), Cour IDH (Sér C) no 283.

76 Conseil des droits de l’Homme, Rapport du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, Doc off NU, 39e Sess, Doc NU A/HRC/39/46 (2018) aux paras 49 et s.

77 Voir par exemple l’Affaire Goiburú et al (Paraguay) (2006), Cour IDH (Sér C) no 152 au para 61(3).

78 Ce faisant la Cour se référa expressément à l’emblématique Affaire Velásquez Rodríguez (Honduras) (1988), Cour IDH (Sér C) no 4 au para 95. Voir à ce sujet Dinah Shelton, “Private Violence, Public Wrongs and the Responsibility of States” (1989–90) 13 Fordham Intl LJ 1.

79 Il est intéressant de constater que la Cour interaméricaine ne semble pas avoir distingué clairement les démarches entreprises dans le cadre de l’enquête visant à localiser les victimes et celles entreprises dans le cadre de l’enquête criminelle qui suivit. Sur cette distinction méthodologique, voir Comité des disparitions forcées, Principes directeurs concernant la recherche de personnes disparues, CED/C/7, 8 mai 2019; Conseil des droits de l’Homme, Rapport du Groupe de travail, supra note 76 aux paras 49 et s.

80 En l’espèce les autorités procédèrent à l’inspection de la maison où les victimes avaient été trouvées; une perquisition dans une autre maison, où les victimes présumées auraient été détenues les premiers jours; la réception des déclarations du ministre de l’Intérieur, du ministre de la Justice et du Travail, du procureur général, de trois procureurs et d’au moins 16 policiers et 87 personnes qui pourraient avoir des informations sur l’enlèvement ou sur les possibles personnes impliquées; la reconstitution des événements au moment de l’arrestation présumée des victimes; et la reconstruction des événements au moment de la découverte des victimes (aux paras 71, 75, 144).

81 Nous noterons par ailleurs que la Cour a adopté l’expression DESCA, le A référant, en espagnol, à l’adjectif “ambientales,” soit la protection des droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux.

82 Affaire des communautés autochtones membres de l’Association Lhaka Honhat (Nuestra Tierra) (Argentine) (2020), Cour IDH (Sér C) no 400.

83 Affaire Hilaire, Constantine et Benjamin, supra note 43.