Introduction
Les entreprises, via leurs pratiques contractuelles, peuvent contribuer à la régulation internationale du développement durable Footnote 1 des biocarburants. Footnote 2 À titre illustratif, une entreprise européenne qui envisage l’importation de biocarburants peut s’accorder avec un fournisseur étranger, par exemple un fournisseur du Brésil ou de l’Indonésie, pour mettre en place un mécanisme de traçabilité de la qualité durable des produits échangés. Ainsi, la demande contractuelle de biocarburants durables peut devenir une condition sine qua non entre opérateurs économiques.
Certes, l’intégration de l’objectif du développement durable au sein des chaînes contractuelles internationales ne constitue pas encore une pratique très répandue. L’opinion selon laquelle le développement durable ne peut pas se réaliser sans la contribution du droit privé est pourtant de plus en plus acceptée. Footnote 3 Dans ce contexte, l’examen du rôle joué par l’outil contractuel dans le commerce international des produits durables devient non seulement utile, mais indispensable.
C’est dans cette perspective de reconnaissance du rôle essentiel que peuvent jouer les entreprises et leurs pratiques contractuelles privées dans la régulation internationale de questions d’intérêt général Footnote 4 que nous proposons d’étudier les contrats gouvernant les chaînes d’approvisionnement mondiales des biocarburants. On montrera comment ils peuvent contribuer à la juridicisation d’engagements éthiques a priori volontaires et sans force contraignante, contractés par les entreprises pour affirmer leur responsabilité sociale et environnementale. Footnote 5 C’est ainsi que entre autres Footnote 6 dans le domaine des biocarburants, l’influence du développement durable sur le droit des contrats est croissante Footnote 7 et devrait de plus en plus sous-tendre la formation, l’interprétation et l’exécution des contrats internationaux. Footnote 8
L’insertion des “clauses de durabilité” dans les contrats du commerce international des biocarburants confirme une tendance à la contractualisation de la protection de l’environnement Footnote 9 et des droits humains. Footnote 10 Conçus traditionnellement pour la satisfaction des intérêts particuliers des parties cocontractantes, les contrats internationaux pour la production ou la vente de produits agricoles destinés au marché énergétique sont devenus, sous l’influence du développement durable, un moyen, du moins une tentative, de garantir la protection d’intérêts généraux dans le commerce international. Les bénéficiaires des obligations contractuelles issues des “clauses de durabilité” sont en effet, in fine, des acteurs tiers non contractants, tels que des employés, petits cultivateurs, communautés locales ou personnes susceptibles d’être lésées par les impacts environnementaux ou sociaux attribués à l’activité de production des biocarburants. Les tiers bénéficiaires des clauses sociales peuvent représenter, par exemple, un nombre indéfini des travailleurs de fournisseurs des matières premières agricoles. Footnote 11 Les bénéficiaires des obligations environnementales sont tous ceux qui s’intéressent, par exemple, à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Dans ce contexte, le respect des “clauses de durabilité” n’intéresse pas seulement les parties contractantes, mais aussi les tiers non-contractants. Mais le recours à l’approche contractuelle représente-t-il un moyen véritablement efficace de mettre en œuvre le développement durable des biocarburants? Pour répondre à cette question, il faut étudier les apports et les limites du droit des contrats, de façon à déterminer la mesure dans laquelle il est possible d’obliger les parties contractantes au respect des “clauses de durabilité” et, si nécessaire, à l’engagement de leur responsabilité juridique.
Évidemment, la réponse dépend aussi de la loi applicable au contrat. Les contrats du commerce international des biocarburants sont en effet par nature internationaux; le droit des contrats d’au moins deux systèmes juridiques nationaux peut donc être choisi pour régir la formation des “clauses de durabilité,” leur validité, leurs conditions d’exécution, leurs formes d’interprétation, leurs effets, leurs remèdes et finalement les sanctions éventuelles en cas de non-conformité à leurs obligations. Footnote 12 En outre, les contrats du commerce international peuvent également être régis, si c’est la volonté des cocontractants, par les règles non étatiques de la lex mercatoria, Footnote 13 c’est-à-dire par certaines normes spécifiquement créées par les opérateurs du commerce international. Footnote 14
En adoptant comme prémisse l’hypothèse selon laquelle les parties à un contrat international de production agricole ou de vente de biocarburants n’ont pas expressément défini le régime juridique applicable à leur relation contractuelle, Footnote 15 nous examinerons dans ce travail notamment si et comment les règles matérielles du droit international des contrats peuvent contribuer à une interprétation uniforme de l’applicabilité des “clauses de durabilité.” À défaut du choix de la loi applicable aux contrats du commerce international des biocarburants par les parties cocontractantes, celle-ci peut être déterminée par le biais des critères objectifs de rattachement prévus dans les règles de conflit de lois Footnote 16 du droit international privé ou par certaines règles matérielles internationales uniformes, Footnote 17 puisqu’il est de plus en plus accepté que le droit du commerce international privilégie le développement de règles matérielles internationales uniformes plutôt que le recours aux règles de conflit de lois, lorsqu’il s’agit de savoir quel est le droit applicable aux contrats internationaux. Footnote 18
Dans le cas spécifique du commerce international des biocarburants, deux instruments internationaux de droit uniforme portent des règles matérielles applicables pour régir les relations contractuelles concernant la vente internationale ou la pratique de l’agriculture sous contrat: d’un côté, la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale des marchandises (CVIM), qui pourrait encourager le respect et l’application des “clauses de durabilité” par les cocontractants; de l’autre côté, les Principes d’UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international, qui présentent eux aussi des règles matérielles susceptibles de contraindre les cocontractants à respecter des clauses contractuelles portant sur le développement durable des biocarburants. Footnote 19 Pour cet article, nous examinerons plus précisément l’apport et les limites des règles matérielles de la CVIM pour l’application des “clauses de durabilité” des biocarburants.
On verra tout d’abord en quoi consiste le phénomène de la contractualisation internationale du développement durable des biocarburants et les raisons qui expliquent l’applicabilité de la CVIM aux contrats du commerce international des biocarburants. Ensuite, nous démontrerons pourquoi il existe un vrai apport du droit international des contrats pour l’application des “clauses de durabilité” par les cocontractants, puis les raisons pour lesquelles cet apport reste mitigé pour ce qui concerne la mise en œuvre de ces clauses au bénéfice des tiers non-contractants.
Les visages de la contractualisation internationale du développement durable des biocarburants
Au plan interne, l’insertion de “clauses de durabilité” dans les contrats privés résulte de l’obligation de prise en compte du principe de la fonction sociale des contrats qui est exigé par certains systèmes juridiques nationaux, tels que celui brésilien. Footnote 20 Au plan international, la contractualisation des engagements éthiques des entreprises se manifeste de manière accrue, suite à la propagation de concepts-clés liés au phénomène de la responsabilité sociale des entreprises (RSE). Footnote 21 Lorsque les entreprises qui font partie d’une chaîne d’approvisionnement mondiale Footnote 22 de biocarburants décident, de manière spontanée, d’insérer dans leurs contrats de vente internationale des produits Footnote 23 des clauses spécifiques concernant le développement durable, ou “clauses de durabilité,” les engagements concernant la protection de l’environnement, les conditions de travail et le respect des droits fondamentaux adoptés sur une base volontaire se transforment en obligations contractuelles. Cette prémisse découle des fondements et des finalités du principe pacta sunt servanda, c’est-à-dire de la force obligatoire du contrat. Dans ce contexte, plusieurs engagements environnementaux et sociaux adoptés par les entreprises dans le cadre de la RSE quittent “la sphère du droit mou pour rejoindre tout naturellement cette loi des parties qui n’est pas forcément d’airain, mais qui oblige et bien évidemment contraint.” Footnote 24
La tendance à recourir à l’outil contractuel pour conforter la durabilité de l’approvisionnement mondial en biocarburants est perceptible, même si cette pratique se manifeste encore de manière dispersée et hétérogène. Les entreprises qui se disent socialement responsables et qui sont impliquées dans le commerce international des biocarburants peuvent utiliser une série de stratégies différentes pour faire correspondre les biocarburants échangés à l’objectif de développement durable.
Les “clauses de durabilité” se différencient en effet des autres clauses contractuelles, car elles ne sont pas “nécessaires à l’existence du contrat.” Footnote 25 Il s’agit d’une clause supplémentaire qui vise à encadrer la prestation principale de manière compatible avec l’objectif du développement durable. Apparemment, elles n’ont pas pour but de préciser les propriétés physiques de la marchandise livrée. Footnote 26 En revanche, elles imposent des comportements environnementaux et sociaux qui doivent être respectés par les fournisseurs et les sous-traitants. Footnote 27 Ces clauses ont donc un caractère accessoire Footnote 28 et existent à côté de clauses contractuelles plus générales concernant les termes de l’échange, le prix, les moyens de paiement, la durée du contrat, les motifs permettant sa résiliation, la forme de résolution des conflits et la responsabilité des parties. Footnote 29
L’examen de certaines “clauses de durabilité” démontre que ce sont surtout les grands groupes des entreprises multinationales qui prennent l’initiative d’insérer des questions concernant l’intérêt général dans leurs relations contractuelles. Pour ce faire, deux stratégies différentes sont communément adoptées pour l’établissement des “clauses de durabilité.” D’une part, les entreprises peuvent négocier entre elles et adopter des dispositions contractuelles expressément dédiées à l’encadrement du développement durable des produits échangés. D’autre part, les entreprises peuvent s’accorder sur l’insertion implicite des “clauses de durabilité” dans leurs relations contractuelles à travers le renvoi à d’autres instruments normatifs déjà existants. Ces deux stratégies soulèvent des questions différentes lorsque l’on envisage la possibilité de considérer les “clauses de durabilité” comme partie intégrante du contrat lui-même.
Dans le premier cas, lorsque les “clauses de durabilité” constituent expressément une disposition contractuelle, aucun doute n’existe sur leur force obligatoire. Footnote 30 En effet, la plupart des entreprises qui décident de recourir à l’outil contractuel pour mettre en œuvre leur responsabilité sociale et environnementale le font de manière expresse. Footnote 31 À titre illustratif, le contrat peut présenter des dispositions établies dans les termes suivants: “[T]he following contractual provisions address the [company name] sustainability provisions and form an essential part of all contracts for the purchase and sale of Bio-Ethanol” Footnote 32 ou “Contractual Provisions addressing sustainability for inclusion in spot contracts (contracts with a duration of less than 6 months) for the purchase and sale of Ethanol” Footnote 33 ou encore “le vendeur sera d’accord avec les conditions de durabilité, ci-dessous énumérées” Footnote 34 et “[t]he seller shall comply with the following provisions in respect to sustainability.” Footnote 35
Par ailleurs, d’autres documents adoptés par une entreprise, tels que les rapports de développement durable ou les codes de conduite peuvent indiquer que des “clauses de durabilité” sont insérées expressément dans ses contrats. Par exemple, un des rapports de développement durable de l’entreprise brésilienne Raizen parle de “32 significant agreements in terms of size and strategic importance, entered into by Raízen Energia and Raízen Combustíveis. All of these contracts have a clause referring to concerns with human rights.” Footnote 36 C’est le cas également relevé dans un des rapports de développement durable de l’entreprise Biosev, filiale de l’entreprise multinationale Louis Dreyfus Commodities, selon lequel “our contracts contain clauses prohibiting the use of child labor or conditions analogous to slavery and other practices contrary to law.” Footnote 37
Dans le second cas, les “clauses de durabilité” peuvent être implicitement insérées dans les contrats, mais, en réalité, ne représenter qu’une référence à un document séparé dont seul le respect est assuré par contrat. En d’autres termes, l’insertion implicite des “clauses de durabilité” est produite par le renvoi à d’autres instruments normatifs préparés ou acceptés à l’avance par l’un des cocontractants. Les documents référencés sont normalement les codes de bonne conduite et les conditions générales d’achat.
Le contenu des obligations découlant des “clauses de durabilité” devra donc être cherché ailleurs, dans d’autres instruments normatifs. Ainsi, par le biais des stipulations contractuelles, ces instruments qui a priori ne constituent pas une source d’obligation per se acquièrent force obligatoire, car leur respect est assuré par contrat. Cette pratique de renvoi à d’autres instruments est courante, comme en témoigne la disposition typique suivante: “Raízen’s agreements with its clients have a clause that requires compliance with the code.” Footnote 38 Ainsi, étant donné que les codes de conduites comportent des valeurs et des principes destinés à veiller à la protection de l’environnement et au respect des droits humains fondamentaux dans le cadre de l’activité de l’entreprise, il devient possible de considérer que lorsque le respect du code de conduite est assuré par contrat, celui-ci devient en soi une sorte de “clause de durabilité.”
Toutefois, vu qu’il ne s’agit pas d’une insertion explicite des “clauses de durabilité” en tant que dispositions contractuelles, une interprétation des intentions des parties contractantes demeure indispensable pour savoir si ces “clauses de durabilité” créées par le renvoi à d’autres instruments normatifs préalables peuvent avoir véritablement force obligatoire et contraignante comme toute autre clause contractuelle. En effet, la simple référence à d’autres instruments normatifs dans un contrat ne suffit pas pour que la conformité à cet instrument référencé soit obligatoire. Footnote 39 Ceci signifie donc que l’identification de l’offre et de l’acceptation doit être évidente et que, par exemple, la simple annonce que le code de bonne conduite ou les conditions générales d’achat constituent une partie du contrat n’est pas suffisante.
Cette stratégie peut faire naître des questions quant à la possibilité de considérer les instruments référencés comme partie intégrante du contrat lui-même. Sur ce point, pour établir si un document référencé représente effectivement une partie valable dans un contrat, il faut examiner notamment la forme, le contenu et l’intention des contractants, voire leur consentement Footnote 40 à ces documents. Footnote 41 C’est donc notamment par le biais du consentement de l’autre partie, qui n’a pas préparé les instruments référencés dans les “clauses de durabilité” que les stipulations environnementales et sociales résultantes peuvent être considérées comme de véritables stipulations contractuelles et donc obligatoires.
Il en ressort que, lorsqu’une entreprise, notamment multinationale, décide d’insérer des “clauses de durabilité” dans ses relations contractuelles, ces clauses deviennent une exigence répétée dans les relations contractuelles des autres entreprises faisant partie de sa sphère d’influence ou de sa chaîne d’approvisionnement.
L’applicabilité de la CVIM aux contrats du commerce international des biocarburants
La CVIM a établi un processus d’uniformisation de certaines règles matérielles essentielles du droit des contrats internationaux, telles que celles liées à leur formation, aux droits et aux obligations des vendeurs et des acheteurs, ou encore à la procédure à suivre en cas d’inexécution des obligations contractuelles par l’une des parties. Footnote 42 La CVIM intègre déjà le cadre juridique national de 83 États, Footnote 43 ce qui permet d’attester qu’elle est largement utilisée en tant que régime juridique pour la vente internationale des marchandises. Footnote 44 En effet, la CVIM est censée régir environ les 80 pour cent des contrats de vente internationale. Footnote 45
En dépit de l’absence d’un lien étroit entre les dispositions de la CVIM et les questions concernant la protection de l’environnement et les droits de l’Homme, une fois que ces questions sont intégrées dans les contrats commerciaux internationaux par le biais des “clauses de durabilité,” celles-ci seront interprétées de la même façon que les autres clauses contractuelles plus traditionnelles, entrant dans le champ d’application de la CVIM. Ainsi, pour que les règles matérielles de la CVIM soient applicables pour régir les relations contractuelles contenant des “clauses de durabilité,” il faut que ces mêmes contrats remplissent certains critères exigés par la CVIM. En ce sens, pour qu’il soit possible d’appliquer les dispositions de la CVIM aux contrats de vente des biocarburants, au-delà de leur caractère international, Footnote 46 il demeure essentiel de vérifier si le critère de rattachement d’au moins une partie contractante à un État signataire de la CVIM est rempli. Footnote 47 La troisième condition préalable pour que l’application de la CVIM soit possible à l’égard des contrats commerciaux concernant les biocarburants requiert que l’objet et l’objectif de ces contrats soient compatibles avec la notion de “vente internationale des marchandises” qu’elle propose. Footnote 48
Après avoir compris quelles sont les trois conditions préalables pour que l’application de la CVIM soit possible pour régir les contrats du commerce international des biocarburants, il demeure nécessaire d’étudier comment les règles matérielles de cette convention peuvent obliger les producteurs et les vendeurs des biocarburants à respecter les obligations environnementales et sociales imposées par les “clauses de durabilité.” Il faut à présent examiner comment les règles de la CVIM permettent aux cocontractants et aux tiers non-contractants d’exiger l’application des “clauses de durabilité” insérées dans les contrats internationaux de vente des biocarburants.
L’apport des règles matérielles de la CVIM pour l’application des “clauses de durabilité” par les cocontractants
Les règles matérielles de la CVIM peuvent avoir une fonction pédagogique importante pour la mise en œuvre locale du développement durable. La CVIM prévoit que le produit échangé doit être livré selon la quantité et la qualité spécifiée dans la lex contractus. Ainsi, le vendeur de biocarburants sera tenu de les livrer conformément aux stipulations contractuelles concernant, entre autres, leur développement durable. L’insertion des “clauses de durabilité” dans les contrats régissant le commerce international des biocarburants peut signifier que l’acheteur n’est pas exclusivement intéressé par la qualité physique du produit échangé, mais aussi par les modalités de son processus de fabrication. En ce sens, d’éventuelles défaillances d’une des entreprises composant la chaîne d’approvisionnement mondiale des biocarburants, par rapport aux obligations environnementales et sociales issues des “clauses de durabilité,” peuvent constituer une atteinte aux expectatives légitimes (legitimate expectations) de l’acheteur qui s’attend à recevoir des biocarburants durables en raison du contrat.
De manière générale, les règles matérielles du droit international des contrats prévoient pour chacune des parties impliquées dans un contrat de vente internationale le droit de résolution contractuelle lorsqu’une contravention essentielle a lieu. Dans le cas de l’inexécution des obligations issues des “clauses de durabilité,” c’est à l’acheteur, à l’entreprise “tête de réseaux,” c’est-à-dire à celle donneuse d’ordre dans une chaîne d’approvisionnement mondiale, de refuser ces biocarburants exportés qui ne soient pas délivrés conformément à ses attentes. Toutefois, la possibilité de mettre fin à un contrat de commerce international n’est pas l’option la plus adaptée lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre le développement durable d’un produit échangé. En effet, le principe du favor contractus prévoit que tout doit être fait et tenté pour sauver et maintenir la relation contractuelle. Footnote 49 Dans ce contexte, il a été possible de constater que quelques contrats portant sur le commerce international des biocarburants présentent des mesures alternatives à la résolution en cas de défaillance des obligations prévues par les “clauses de durabilité.”
Ainsi, même si les règles matérielles du droit international des contrats établies par la CVIM prévoient que l’acheteur peut avoir le droit de dénoncer la non-conformité des biocarburants qui lui ont été vendus en raison d’une inexécution des “clauses de durabilité,” c’est la suspension du contrat qui doit être privilégiée pour favoriser le développement durable des produits. À partir de ces observations, il demeure donc d’abord important de savoir en quoi consiste plus précisément cette notion de “conformité” et les circonstances permettant de qualifier une contravention essentielle selon les règles matérielles de la CVIM. On peut ensuite expliquer pourquoi la suspension des “clauses de durabilité” au lieu de la rupture du contrat demeure préférable pour la mise en œuvre du développement durable des biocarburants.
La notion de non-conformité du produit échangé ne sera reconnue que si l’acheteur en informe le vendeur avant la conclusion du contrat international qui les lie, et qu’il envisage de destiner le produit à un “usage spécial.” Cela dit, l’acheteur doit également procéder à une vérification anticipatrice pour voir si le vendeur a véritablement la possibilité de remplir les exigences imposées. En effet, prenons les dispositions de l’article 35, paragraphe 2, de la CVIM comme exemple afin de savoir comment l’évaluation de la conformité des marchandises échangées sera envisagée lorsque le contrat ne contient aucune condition de qualité. Selon cet article, un produit peut être considéré comme non conforme aux attentes de l’acheteur au moins dans les trois circonstances suivantes.
En premier lieu, l’alinéa (a) du paragraphe 2 de l’article 35 de la CVIM prévoit qu’un produit échangé ne peut pas être considéré comme conforme aux stipulations contractuelles s’il ne sert plus à son usage habituel. Dans le cas du commerce international des biocarburants, ceux-ci sont généralement utilisés en tant qu’additifs pour les carburants fossiles. D’un côté, le biocarburant du type biodiesel peut compléter le gazole et, de l’autre côté, le bioéthanol peut être utilisé, entre autres, mélangé à l’essence. C’est en fonction notamment de sa qualité physique, c’est-à-dire de sa composition chimique, que chaque type de biocarburant présente une utilité différenciée. Or, si un vendeur de bioéthanol négociait un contrat de vente internationale selon lequel le produit acheté serait mélangé à de l’essence, mais qu’ensuite, le même vendeur livrait du biodiesel au lieu du bioéthanol, ce type de changement ne pourrait pas être évalué comme étant conforme aux stipulations contractuelles et aux attentes de l’acheteur final. Cela arriverait, car à moins que les parties contractantes n’en aient convenu autrement, le bioéthanol et le biodiesel sont des produits différents, l’un ne pouvant pas remplacer l’autre. Il est donc clair que la livraison de biodiesel à la place du bioéthanol ne servirait pas à la même utilisation et que la marchandise vendue, par conséquent, ne serait pas conforme aux attentes de l’acheteur.
Toutefois, lorsqu’il s’agit du commerce international des biocarburants différenciés selon leur qualité durable, tels que ceux qui prennent en compte, lors de leur production, la protection de l’environnement ainsi que le développement social des employés et des communautés voisines, la démonstration de leur usage varié demeure moins aisée. Dans ce contexte, les acheteurs des biocarburants non conformes aux “clauses de durabilité” peuvent rencontrer des difficultés à prouver que les biocarburants durables et non durables n’ont pas la même destination. En réalité, les possibles impacts environnementaux et sociaux découlant des modalités de fabrication des biocarburants n’influencent pas leurs qualités physiques. Les “clauses de durabilité” concernent notamment les méthodes de production des biocarburants échangés. Les biocarburants durables et non durables constituent en effet des marchandises du même genre, de sorte que le bioéthanol résultant ou non de ces modalités de fabrication pourra être, par exemple, mélangé à de l’essence. L’acheteur pourra alors rencontrer des difficultés à démontrer que le biocarburant qui lui est livré n’est pas conforme aux normes de qualité imposées dans son État de rattachement, à moins que les stipulations contractuelles prévues dans les “clauses de durabilité” soient expressément élaborées pour permettre au vendeur de ne pas avoir de doutes sur le contenu des normes de qualité exigées.
Ainsi, le fait que des biocarburants livrés ne présentent pas le niveau de réduction des émissions de gaz à effet de serre requis, ou que leur fabrication n’ait pas respecté l’interdiction du travail forcé ou du travail des enfants, ce qui est exigé pour pouvoir les qualifier comme durables dans l’État de l’acheteur, ne signifie pas forcément que les biocarburants vendus ne sont pas conformes au contrat de vente internationale. En effet, dans une décision de la Cour suprême allemande (Bundesgerichtshof) concernant la conformité d’une vente internationale de moules dont la concentration de cadmium était supérieure aux limites imposées par une législation allemande, il a été indiqué que la simple supposition du vendeur à propos du contenu des normes de qualité imposées dans l’État de l’acheteur ne suffit pas pour imposer les normes de celui-ci afin de déterminer la propreté des marchandises par rapport aux usages auxquels elles serviraient habituellement. Selon cette décision, l’article 35, paragraphe 2, alinéa a de la CVIM “n’impose pas au vendeur de fournir des marchandises qui sont conformes à toutes les dispositions législatives et autres règlements publics en vigueur dans l’État d’importation, à moins que les mêmes dispositions ne soient en vigueur également dans l’État exportateur, ou que l’acheteur n’ait informé le vendeur de ces dispositions.” Footnote 50
En ce sens, si l’acheteur envisage d’acheter des produits qui répondent aux mêmes normes de qualité que celles qui lui sont imposées par la législation de son État de rattachement, c’est lui-même qui a l’obligation de porter lesdites normes à la connaissance du vendeur. En somme, dans le cas du commerce international des biocarburants, l’acheteur ne pourra que difficilement utiliser la règle de l’article 35, paragraphe 2(a) de la CVIM pour fonder ses arguments sur la non-conformité des biocarburants achetés, car, indépendamment de leur qualité durable ou non durable, ces biocarburants serviraient aux usages habituels, à savoir à les mélanger avec des carburants fossiles.
En revanche, une conclusion différente sur la non-conformité des biocarburants échangés peut émerger à l’égard de la deuxième circonstance établie par l’article 35, paragraphe 2, alinéa b de la CVIM pour identifier la non-conformité des produits. La CVIM énonce qu’à défaut d’une prévision contractuelle expresse, une deuxième façon de savoir si une marchandise échangée ne correspond pas aux attentes de l’acheteur est de regarder si celui-ci a bien porté à la connaissance du vendeur le fait que le produit acheté sera destiné à un “usage spécial.” Une entreprise peut donc souhaiter acheter seulement des produits destinés à des marchés spécifiques ou lui permettant d’obtenir des bénéfices fiscaux internes. En d’autres termes, l’exigence de durabilité des biocarburants doit être, expressément ou tacitement, portée à la connaissance du vendeur au moment de la conclusion du contrat. Dans ce cas, c’est l’intention de l’acheteur pour les biocarburants durables qui serait examinée.
Cette intention peut être manifestée de plusieurs manières. Par exemple, au moyen de documents de commande des marchandises, par des conditions générales d’achat et par des codes de conduite. Il est possible d’imaginer que, si un acheteur de biocarburants décrivait dans un de ces documents ses exigences sur leur développement durable, le vendeur serait tenu de satisfaire ses demandes conformément au titre de l’alinéa b du paragraphe 2 de l’article 35. Au contraire, l’acheteur n’aurait pas le droit d’exiger que les biocarburants importés soient conformes aux critères de développement durable si aucune indication n’existait quant à son intention de destiner ceux-ci à un marché dédié aux biocarburants durables. Pour que ce paragraphe de l’article 35 de la CVIM soit applicable, il faut notamment que l’acheteur soit en mesure de prouver qu’il avait au moins mentionné son intérêt pour les biocarburants durables.
De son côté, l’alinéa c du même paragraphe énonce une troisième circonstance permettant d’évaluer la conformité des marchandises échangées. Dans ce cas, la qualité d’une marchandise peut être examinée selon les caractéristiques du produit que le vendeur a proposé à l’acheteur comme modèle.
Lorsque la non-conformité à l’égard des “clauses de durabilité” est constatée, il est possible d’y remédier par des moyens alternatifs, qui précédent la rupture du contrat. Comme mentionné auparavant, la suspension des relations contractuelles devrait représenter la solution privilégiée par les opérateurs économiques, lorsqu’il s’agit de rétablir l’accord initialement convenu, et plus particulièrement de renforcer l’exigence du respect du développement durable des biocarburants exportés. La rupture contractuelle ne devra être prise en compte qu’en dernière instance, en tant qu’instrument à n’utiliser que lorsque d’autres remèdes plus souples se révèlent insuffisants.
Avant d’opter pour la résolution des contrats du commerce international des biocarburants en raison d’une inexécution des obligations prévues dans les “clauses de durabilité,” les cocontractants peuvent décider de suspendre leur contrat et d’adopter un accord de coopération afin que les pratiques contraires aux “clauses de durabilité” soient corrigées selon les attentes de l’acheteur. Footnote 51 En ce sens, la clause suivante est fréquemment adoptée dans les pratiques contractuelles que nous avons examinées:
[W]ithout prejudice to the rights of either party in respect of breaches elsewhere in this agreement, the Buyer may, without liability or penalty to the Supplier, terminate the Agreement forthwith by written notice to the Supplier if, pursuant to these Sustainability Provisions: (i) the supplier has breached any provision of clause 1 (sustainability requirements); (ii) the Auditor determines that the Supplier has not rectified the material deficiencies within the Deadlines prescribed in the Rectification Plan or; (iii) notwithstanding the Buyer exercising all reasonable efforts, the Supplier and the Buyer have been unable to agree to the Rectification Plan.
L’option de la rupture contractuelle, en effet, a seulement lieu lorsque le fournisseur n’accepte pas d’accorder ses activités aux exigences imposées par les “clauses de durabilité,” ou lorsqu’il ne réussit pas à les rendre conformes. Avant de mettre fin au contrat, l’acheteur peut alors proposer, avec l’assistance d’un auditeur externe, un plan de redressement (Rectification Plan) ayant pour but de donner au fournisseur l’opportunité d’adapter son activité aux stipulations contractuelles concernant le développement durable des biocarburants.
En ce sens, la relation contractuelle peut être temporairement suspendue jusqu’à ce que le fournisseur, ou un de ses sous-traitants rétablissent ses activités de manière compatible aux “clauses de durabilité.” Le contenu du plan de redressement peut varier d’un cas à l’autre, mais généralement il pourra être proposé dans les trente jours suivants la date du rapport de non-conformité émis par l’auditeur. À titre d’exemple, si l’interdiction de l’usage du travail des enfants au cours de la production des biocarburants est violée, le plan de redressement peut exiger que cette situation soit corrigée en modifiant des conditions concernant la production des matières premières agroénergétiques ou la fabrication des biocarburants. C’est l’auditeur externe, généralement contracté par les acheteurs, qui doit réévaluer les activités des fournisseurs pour vérifier si elles sont devenues conformes aux “clauses de durabilité.” Il demeure intéressant que le plan de redressement apporte seulement des mesures correctives pour améliorer les pratiques et les méthodes de production utilisées.
Toutefois, il demeure fondamental de comprendre jusqu’à quel point les entreprises donneuses d’ordre peuvent étendre leur contrôle et exiger le respect des “clauses de durabilité” par les opérateurs avec lesquels elles n’ont pas une relation contractuelle directe. Étant donné le principe de l’effet relatif des relations contractuelles et celui de l’autonomie juridique entre les entreprises faisant partie d’une chaîne d’approvisionnement mondiale, il paraît difficile que le respect des “clauses de durabilité” soit possible, ainsi que la suspension des contrats au-delà du premier rang concernant les fournisseurs avec lesquels les acheteurs ont conclu un contrat de vente internationale.
La résolution des contrats, “terminaison d’un contrat résultant de la décision unilatérale d’une partie contractante,” Footnote 52 représente l’ultima ratio en cas d’inexécution des clauses d’un contrat international. Pour que l’acheteur puisse avoir le droit de résoudre le contrat en raison d’un manquement à l’une des obligations prévues par les “clauses de durabilité,” certaines circonstances doivent être remplies afin d’attester qu’il s’agit d’une contravention essentielle affectant substantiellement ses attentes légitimes. Ce qui mérite d’être ici examiné, c’est précisément la question de savoir quand un manquement est à ce point “essentiel” qu’il autorise la résolution d’un contrat international.
Deux éléments contribuent à l’identification du caractère essentiel d’une obligation contractuelle. En premier lieu, les termes du contrat peuvent établir explicitement, eux-mêmes, ce qui constitue une inexécution essentielle. En deuxième lieu, faute d’une précision contractuelle à ce sujet, c’est la “destination pour laquelle les marchandises ont été achetées” Footnote 53 qui permet d’évaluer si le lien entre les préjudices subis par l’acheteur et le non-respect des “clauses de durabilité” est essentiel. En d’autres termes, afin que l’acheteur ait droit à la résolution contractuelle en raison d’une défaillance par rapport aux obligations déterminées par les “clauses de durabilité,” il faut, selon la CVIM, que le manquement soit qualifiable de “contravention essentielle.”
D’une part, l’article 49 de la CVIM énonce que “l’acheteur peut déclarer le contrat résolu si l’inexécution par le vendeur de l’une quelconque des obligations résultant pour lui du contrat ou de la présente Convention constitue une contravention essentielle.” Footnote 54 Le non-respect des obligations environnementales ou sociales établies par les “clauses de durabilité” sera qualifié comme une “contravention essentielle,” au sens de la CVIM, si “une des parties cause à l’autre partie un préjudice tel qu’elle la prive substantiellement de ce que celle-ci était en droit d’attendre du contrat, à moins que la partie en défaut n’ait pas prévu un tel résultat et qu’une personne raisonnable de même qualité placée dans la même situation ne l’aurait pas prévu non plus.” Footnote 55
La CVIM utilise des termes neutres lorsqu’elle énonce les règles sur la défaillance contractuelle. La référence à la notion de “faute,” par exemple, n’apparaît nulle part. Ainsi, en ligne générale, l’appréciation objective du manquement aux obligations issues des contrats du commerce international suffit pour que l’acheteur ait droit de résoudre le contrat. Footnote 56 La démonstration de la faute du vendeur n’est donc pas essentielle pour que l’acheteur puisse demander la résolution du contrat en cas de défaillance aux obligations des “clauses de durabilité.” Ce qui importe est que l’acheteur soit en mesure de prouver le “préjudice” subi suite au manquement du vendeur.
En considérant que le préjudice représente “à la fois la perte subie et le bénéfice dont le créancier a été privé” Footnote 57 dans le contexte du commerce international des biocarburants durables les acheteurs peuvent subir des préjudices d’ordre financier et d’atteinte à leur réputation. Footnote 58 Cela surtout compte tenu de la tendance à l’adoption, au plan national et régional, de législations liant les bénéfices fiscaux des entreprises à la mise en œuvre de leur responsabilité socio-environnementale. C’est ce qui se passe tout particulièrement pour certaines entreprises qui envisagent de profiter des aides financières accordées pour le secteur des biocarburants dans les États membres de l’Union européenne, suite à l’adoption de la Directive européenne sur la promotion des énergies renouvelables (2009/28/CE). En effet, dans certaines “clauses de durabilité,” on constate une référence expresse à la nécessité de tenir compte et de respecter les critères de durabilité énoncés par cette Directive européenne. C’est le cas, par exemple, de la clause 6.3 d’un contrat d’achat d’éthanol signé entre une entreprise belge et une entreprise brésilienne, selon laquelle: “The buyer and Supplier recognise that the European Union has recently accepted and published a Directive on the promotion of the use of energy from renewable sources (the RED). The Buyer and the Supplier recognize that the articles 17 and 18 content some very specific details for biofuels to be accounted for as biofuel in the European Union.”
Dans le même sens, les entreprises françaises opérantes dans le domaine des biocarburants Footnote 59 doivent respecter les critères de durabilité prévus par les articles L. 661-3 et L. 661-6 du Code de l’énergie Footnote 60 afin de pouvoir profiter des avantages fiscaux prévus par les articles 265, 265 (bisA) et 266 quindecies du Code des douanes françaises. Ces articles concernent notamment la minoration des taxes intérieures, leurs fournisseurs de matière première agroénergetique et de biocarburants en tant que produit final, y compris ceux provenant des pays étrangers. La loi “Grenelle I” invite elle aussi au respect du principe de développement durable des biocarburants. Footnote 61 Les opérateurs économiques français qui prennent part à une chaîne d’approvisionnement mondiale de biocarburants doivent donc être en mesure de respecter les critères de durabilité exigés par la réglementation française. En outre, ils doivent être en mesure de prouver, face à l’institution compétente Footnote 62 et aux services douaniers, que les informations concernant la durabilité de leurs biocarburants sont fiables et qu’un contrôle indépendant des informations qu’ils offrent a été mis en œuvre. Footnote 63 En somme, pour bénéficier d’une aide financière, les entreprises françaises qui achètent leurs biocarburants ailleurs peuvent attendre que leurs fournisseurs étrangers respectent, eux aussi, les obligations législatives imposées en termes de développement durable des biocarburants.
Le respect des “clauses de durabilité” peut être donc déterminant pour le maintien de la relation contractuelle. Un juge national ou un arbitre peuvent éventuellement reconnaître le caractère essentiel de la conformité aux obligations issues des “clauses de durabilité” et donc responsabiliser le contractant en raison d’un éventuel manquement. Footnote 64
Une fois compris les circonstances et les moyens selon lesquels les règles de la CVIM permettent aux acheteurs des biocarburants de suspendre ou de résoudre leur contrat international en cas de manquement aux obligations des “clauses de durabilité,” il reste à savoir si les tiers intéressés au respect des obligations prévues par ces clauses peuvent engager la responsabilité d’un des cocontractants.
Il se peut que les entreprises donneuses d’ordre, c’est-à-dire généralement l’acheteur, dans le domaine du commerce international des biocarburants décident de privilégier le pilier économique du développement durable, au détriment des autres volets concernant plus précisément la protection de l’environnement et le respect des droits humains. En effet, en raison du caractère accessoire Footnote 65 de ces “clauses de durabilité,” l’exécution de l’obligation principale des contrats du commerce international des biocarburants ne serait pas affectée. C’est pourquoi, lorsque les acheteurs ne démontrent pas d’intérêt à exiger que les vendeurs de biocarburant se conforment aux stipulations prévues par les “clauses de durabilité,” il convient de savoir si les tiers non-contractants peuvent par contre prétendre au respect de ces clauses, même quand les parties contractantes ne se sont pas manifestées en ce sens.
Nous verrons dans la suite que si l’insertion des “clauses de durabilité” conduit bel et bien les parties contractantes à créer des bénéfices pour des tiers, ces dernières n’ont en réalité que de rares moyens juridiques à leur disposition pour exiger le respect de ces engagements environnementaux et sociaux. Cela s’explique, tout d’abord, parce que les mécanismes contractuels ne permettent qu’exceptionnellement aux tiers non-contractants d’exiger le respect des clauses contractuelles.
Selon la majorité des droits internes des contrats, en cas d’inexécution d’une clause contractuelle, les tiers non-contractants ne peuvent pas utiliser les mêmes remèdes offerts aux cocontractants, en raison des limites imposées par le principe de l’effet relatif des contrats. Footnote 66 Selon ce principe, en effet, le contrat ne produit des effets juridiques obligatoires que pour les cocontractants. Il en découle que les effets des contrats ne peuvent pas affecter ou bénéficier les acteurs qui ne composent pas la relation contractuelle. Footnote 67
Dans cette perspective, il demeure intéressant de savoir, donc, si les règles matérielles du droit international des contrats, telles que celles énoncées par la CVIM sur les contrats de vente internationale des marchandises, présentent des mécanismes permettant la flexibilisation du traditionnel principe concernant la relativité des contrats.
Les limites des règles matérielles de la CVIM pour la mise en œuvre des “clauses de durabilité” au bénéfice des tiers non-contractants
Les obligations environnementales et sociales imposées par les “clauses de durabilité” ont des effets à l’égard des tiers non-contractants. Footnote 68 Certes, la catégorie des tiers, ainsi que l’intensité de leur intérêt pour le respect des stipulations contractuelles ne sont pas homogènes. Footnote 69 En effet, les tiers bénéficiaires varient selon le contenu des stipulations contractuelles. Footnote 70 Par exemple, si dans les “clauses de durabilité” insérées dans les contrats du commerce international des biocarburants, il y a prévision des normes concernant les conditions de travail, alors, dans ce cas, les tiers bénéficiaires sont les employés des fournisseurs. Dans le même sens, si les contrats stipulent des normes de sécurité alimentaire, ce sont notamment les consommateurs qui en profitent ou peuvent en souffrir des impacts, de même que c’est la communauté en général qui profite des clauses contractuelles relatives à la protection de l’environnement. En d’autres termes, dans le cas spécifique concernant les “clauses de durabilité” adoptées dans certains contrats régissant le commerce international des biocarburants, les tiers peuvent constituer, de manière générale, les individus et la société concernés par la qualité de l’environnement et le respect des droits humains. Les générations futures peuvent également représenter des tiers bénéficiaires des obligations issues des “clauses de durabilité.” Footnote 71
Toutefois, le fait de s’intéresser ou de bénéficier des effets externes d’un contrat du commerce international ne donne pas en soi aux tiers non-contractants le droit d’exiger en justice le respect de ces obligations contractuelles. Ainsi, si les “clauses de durabilité” ont notamment pour but la protection de l’intérêt général et pas seulement des intérêts particuliers des cocontractants, dans le cas d’une inexécution des obligations environnementales ou sociales, les tierces parties non contractantes ne peuvent qu’exceptionnellement se prévaloir de l’insertion des “clauses de durabilité” dans les contrats du commerce international.
Les règles matérielles de la CVIM ne traitent que rarement des droits de tiers et, lorsque des mécanismes à ce sujet sont prévus, les conditions exigées pour leur mise en œuvre sont particulièrement difficiles à remplir pour ce qui concerne les “clauses de durabilité.” Les bénéficiaires ou les intéressés par les effets externes des “clauses de durabilité” ne peuvent pas exiger qu’elles soient respectées sur le fondement de cette convention.
Les questionnements sur la possibilité d’appliquer les règles de la CVIM concernent notamment le droit des acheteurs, en tant que tiers, d’entamer une “action directe” à l’égard d’autres entreprises composant la même chaîne de contrats, avec lesquelles ils n’ont pas un lien contractuel. Autrement dit, les questions sur le droit des tiers dans le cadre des contrats internationaux régis par la CVIM concernent notamment les tiers qui sont des partenaires commerciaux (par exemple, les entreprises intégrant une même chaîne d’approvisionnement), mais qui n’ont pas toujours une relation contractuelle directe.
Dans ce contexte, la possibilité d’assouplir le principe de l’effet relatif des contrats selon les règles matérielles de la CVIM est souvent remise en question. Toutefois, ce qui compte ce sont les circonstances selon lesquelles les acheteurs finaux peuvent exiger directement que le producteur initial, avec lequel ils n’ont pas une relation contractuelle, respecte les stipulations établies dans le contrat qu’il a passé avec le vendeur, c’est-à-dire avec une entreprise intermédiaire entre le producteur initial et l’acheteur final.
La stipulation à l’égard de tiers ne paraît pas constituer une pratique habituelle des contrats du commerce international. Aucun des contrats internationaux gouvernant l’actuel commerce international des biocarburants que nous avons examinés ne présente des clauses sur les droits des tiers. Il s’agit d’une situation paradoxale, car les entreprises démontrent, par l’insertion des “clauses de durabilité,” leur engagement responsable sur le plan socio-environnemental, mais, en même temps, elles ne laissent pas de brèches d’aucun type à l’intérieur de leurs contrats afin d’éviter que leur responsabilité contractuelle ne soit engagée. Autrement dit, les entreprises considèrent que la manifestation contractuelle de leur engagement environnemental et social, pris à travers les “clauses de durabilité,” représente moins une obligation qu’un droit, comme cela a été démontré dans l’affaire Wal-Mart. Footnote 72
Cette affaire a été portée devant les juridictions américaines en 2005 par des employés de ces entreprises sous-traitantes situées à l’étranger. Par le biais d’une action en nom collectif (class action), les employés demandaient la réparation de certains préjudices subis en raison de la violation des termes du code de conduite imposé par Wal-Mart. Plusieurs arguments ont été utilisés par les employés pour assimiler le code de conduite de la société Wal-Mart à un contrat, et cela pour soutenir que les droits humains énoncés dans certaines clauses constituaient des stipulations à leur bénéfice. La question était donc celle de savoir si la société Wal-Mart, en tant qu’acheteur final et donneuse d’ordre des conduites admises dans les activités de ses sous-traitants, avait l’obligation de sanctionner la non-conformité de ses entreprises vis-à-vis des employés.
Dans ce cas, il n’existait pas une relation contractuelle directe entre Wal-Mart et les employés. C’est pourquoi la première question traitée a été précisément celle de savoir si les plaignants avaient le droit de porter plainte directement contre la société américaine. Le juge, en première instance, a estimé que les employés n’avaient pas ce droit. C’est pourquoi l’affaire Wal-Mart a été également portée devant la Cour d’appel californienne qui à son tour, le 10 juillet 2009, a décidé que “Wal-Mart had no legal duty under the Standards or common law.” Footnote 73 Cette décision a fait de Wal-Mart un cas emblématique des difficultés liées à la reconnaissance des droits des tiers à travers le fondement de la théorie de la stipulation à l’égard des tiers.
Ainsi, il est possible d’affirmer que la CVIM demeure silencieuse sur les effets juridiques que les contrats internationaux qu’elle régit peuvent avoir à l’égard des tiers bénéficiaires ou intéressés. Son article 4 affirme, de manière explicite, que ses dispositions ne régissent que “la formation du contrat de vente et les droits et obligations qu’un tel contrat fait naître entre le vendeur et l’acheteur.” Les dispositions contractuelles n’énoncent que des règles pour régir les relations inter partes. Il en découle que les tiers ne sauraient pas les invoquer “à leur profit.” Footnote 74 Il en ressort que, malgré la rareté des règles matérielles du droit international des contrats portant sur les effets des contrats internationaux à l’égard des tiers, on peut concevoir que les possibilités d’envisager l’application des “clauses de durabilité” par le biais des tiers non contractants dépendent notamment de la façon dont ces clauses sont formulées. Les “clauses de durabilité” adoptées dans les pratiques du commerce international des biocarburants, tout au moins celles que nous avons examinées, ne satisfont pas, dans leur état actuel, les conditions requises pour conférer des droits aux tiers. C’est pourquoi il reste difficile de remplir les conditions nécessaires pour la reconnaissance des droits des tiers.
L’intention des cocontractants à propos de l’attribution de droits aux tiers est très rare. Sans doute, c’est plus simple de déterminer quand les entreprises cocontractantes n’ont pas cette intention, plutôt que lorsqu’elles l’ont. Des clauses de non-responsabilité (disclaimer clause) sont souvent ajoutées aux contrats pour minimiser le risque pour les cocontractants de voir leur responsabilité engagée par des tiers non-contractants. Les tierces parties, par contre, sont parfois pénalisées. C’est par exemple le cas des travailleurs des entreprises fournissant les biocarburants aux vendeurs des sociétés multinationales, lesquels n’ont pas les moyens d’exiger l’exécution de l’obligation prévue dans les “clauses de durabilité,” ni de demander le respect de leurs droits sur le fondement du droit des contrats. Le problème est donc celui de démontrer, outre le dommage, l’existence de ce lien lorsqu’il s’agit d’un manquement à une clause contractuelle à laquelle le travailleur n’est pas parti.
Les difficultés que les tiers non-contractants peuvent rencontrer pour faire valoir la protection de l’environnement et leurs droits à de bonnes conditions de travail en cas de violation des obligations contractuelles issues des “clauses de durabilité” n’excluent pas le rôle que ces tierces parties peuvent jouer pour stimuler, même indirectement, le suivi et le respect de ces obligations contractuelles.
Conclusion
À l’issue de l’examen des conditions préalables à l’application de la CVIM, il apparaît que ce texte constitue un instrument pour régir les contrats de vente internationale des biocarburants soit à la suite du choix exprès des cocontractants, soit par défaut, lorsqu’un des cocontractants est rattaché à un État qui fait partie à cette convention, ou encore lorsque la loi nationale d’un État lui adhérant est désignée comme applicable en raison des règles de conflit de lois du droit international privé.
Les règles matérielles du droit international des contrats assurent aux cocontractants, et notamment aux derniers acheteurs d’une chaîne d’approvisionnement mondiale, le droit d’exiger le respect et l’exécution des “clauses de durabilité” conformément à leurs attentes légitimes. Toutefois, comme nous avons expliqué dans cet article, les règles matérielles de la CVIM sont silencieuses en ce qui concerne les effets de ces contrats internationaux pour les tiers. En ce sens, les tiers bénéficiaires ou les tiers intéressés par les effets externes des “clauses de durabilité” ne peuvent pas exiger qu’elles soient respectées sur le fondement de cette convention.
En outre, tout en considérant que les règles de la CVIM ne s’appliquent qu’aux contrats internationaux, il en découle que certaines relations contractuelles déjà conclues avant la vente internationale proprement dite, notamment au plan interne, seront régies par le droit national de l’État où le vendeur et ses partenaires réalisent leurs activités commerciales concernant les matières premières agroénergétiques destinées à la fabrication des biocarburants. Ainsi, dans l’état actuel, la CVIM ne contribue que relativement à l’application des “clauses de durabilité” insérées dans les contrats internationaux régissant la vente internationale des biocarburants.
En dépit de cette conclusion, il faut noter que cette analyse sur le rôle du droit international des contrats dans la mise en œuvre du développement durable démontre comment le droit des contrats, de manière plus générale, peut contribuer à la protection de l’environnement et au respect des droits humains même s’il s’agit d’une contribution parfois limitée et pédagogique.