Le Canada et le droit international de l’investissement en 2021
Le ralentissement de la pratique conventionnelle du Canada occasionné par la pandémie de COVID-19 s’est poursuivi en 2021, alors qu’aucun nouveau traité n’a été conclu en matière d’investissement. Cela n’a toutefois pas empêché la publication d’un nouveau modèle d’accord de promotion et de protection des investissements étrangers (APIE) par Ottawa.Footnote 1 Le phénomène de tarissement des réclamations contre le Canada s’est également poursuivi, de manière prévisible, avec l’abandon du règlement des différends entre investisseur étranger et État (RDIE) entre le Canada et les États-Unis dans l’Accord entre le Canada, les États-Unis et le Mexique (ACÉUM).Footnote 2 La transition du Canada du statut d’un des États les plus visés par des réclamations à celui d’État de nationalité des investisseurs parmi les plus grands utilisateurs du RDIE est maintenant complétée, avec un nombre record de sentences arbitrales rendues en 2021 dans des affaires initiées par des investisseurs canadiens. Le nouvel APIE-type du Canada de 2021 et les développements dans le contentieux de l’investissement canadien à l’étranger font l’objet d’une analyse détaillée dans la chronique cette année. Un tour d’horizon des principaux autres faits marquants de 2021 est d’abord effectué.
pratique conventionnelle du canada
Sur le plan multilatéral, le Canada poursuit son engagement à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) dans les négociations d’un accord sur la facilitation de l’investissement pour le développement. Ce projet d’accord vise à aider les administrations nationales à accueillir et interagir avec les investisseurs étrangers afin de prévenir les différends, spécialement dans les pays en développement, sans dédoubler les accords bilatéraux ou régionaux en place qui prévoient le RDIE. Le Canada présente en 2021 des propositions de textes sur la lutte contre la corruption et la conduite responsable des entreprises.Footnote 3 Dans une déclaration conjointe adoptée à la fin de l’année, les 112 membres de l’OMC qui participent aux négociations indiquent vouloir les conclure à la fin 2022.Footnote 4 Le Canada continue également de participer activement aux travaux du Groupe de travail III de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI), qui se penche sur la réforme du RDIE.Footnote 5 En plus d’en assumer la présidence, le Canada dépose en 2021 des communications au Groupe de travail III sur divers sujets, comme l’établissement d’un tribunal permanent ou l’évaluation du préjudice.
Sur le plan bilatéral, pour une seconde année consécutive, aucun nouvel APIE n’est signé par le Canada en 2021, leur nombre demeurant à trente-neuf en vigueur, dont deux sont suspendus, avec des pays d’Europe (treize), d’Asie (neuf), d’Afrique (neuf) et des Amériques (huit).Footnote 6 Avec l’adoption de son nouvel APIE-type, il est à prévoir que le Canada relancera son programme de négociation d’APIE au cours des prochaines années. Il en va de même avec les accords de libre-échange, aucun n’étant conclu en 2021, leur négociation étant d’ailleurs plus longue et complexe que celle des APIE. À la fin 2021, le gouvernement fédéral dépose devant le Parlement son avis d’intention d’ouvrir des négociations avec le Royaume-Uni en vue de conclure un accord de libre-échange qui comportera un chapitre sur l’investissement.Footnote 7 Cet accord avec le troisième plus important partenaire commercial du Canada remplacera l’Accord de continuité commerciale entre le Canada et le Royaume-Uni,Footnote 8 rendu nécessaire après le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE) et de l’Accord économique et commercial global entre le Canada, d’une part, et l’Union européenne et ses États membres, d’autre part (AÉCG).Footnote 9
L’AÉCG n’est toujours pas entré en vigueur à la fin 2021 et continue de s’appliquer provisoirement, à l’exception notable du controversé système juridictionnel de RDIE.Footnote 10 Les ratifications par les États membres de l’UE s’accumulent au compte-goutte et aucune ne s’ajoute en 2021, leur total s’élevant encore à quinze sur vingt-sept.Footnote 11 La Cour de justice de l’UE rend publique la demande d’avis présentée par la Belgique sur la compatibilité du mécanisme de RDIE du Traité sur la Charte de l’énergie (TCE)Footnote 12 avec le droit de l’UE en ce qui concerne les rapports entre États membres.Footnote 13 Ce recours s’inscrit dans le sillage de l’arrêt Slowakische Republik c Achmea Footnote 14 ayant conclu à l’incompatibilité avec le droit de l’UE du RDIE prévu par les traités bilatéraux sur l’investissement intra-européens, ainsi que dans celui de l’arrêt République de Moldavie c Société Komstroy Footnote 15 concernant le RDIE intra-européen fondé sur le TCE. Il participe d’un climat hostile au RDIE en Europe, qui plombe assurément la ratification de l’AÉCG. Ce climat s’allège quelque peu avec l’avis enfin rendu par la Cour constitutionnelle fédérale allemande, qui conclut que l’application provisoire de l’AÉCG ne contrevient pas à la loi fondamentale du pays, sans toutefois se prononcer sur son éventuelle conclusion ou l’entrée en vigueur de l’ensemble de ses dispositions.Footnote 16
pratique contentieuse du canada et des investisseurs canadiens
La multiplication anticipée de réclamations concernant des investissements antérieurs à l’abandon du RDIE dans les rapports entre le Canada et les États-Unis ne se matérialise pas en 2021. Le régime transitoire prévu par l’ACÉUM prévoit en effet la survie pendant trois ans du RDIE de l’Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis et le gouvernement du Mexique (ALÉNA)Footnote 17 pour les investissements réalisés avant l’extinction de ce dernier.Footnote 18 La pratique contentieuse des investisseurs canadiens à l’étranger est désormais plus active que celle visant le Canada.
Différends relatifs aux investissements avec le Canada
Aucune nouvelle réclamation d’investissement n’est présentée contre le Canada en 2021, mais celle d’un investisseur américain soumise en 2020 est rendue publique dans Koch c Canada. Footnote 19 Cette affaire concerne le retrait de l’Ontario du marché du carbone avec le Québec et la Californie, l’Ontario ayant refusé d’indemniser l’entreprise américaine détentrice de droits d’émission de gaz à effet de serre. Cette dernière réclame US $30 millions en dommages pour réparer son préjudice causé par la violation de la clause du traitement juste et équitable (TJE) et de la clause d’expropriation. Ce nouveau contentieux climatique s’ajoute à l’affaire Westmoreland c Canada (II) Footnote 20 concernant le plan albertain de sortie de la filière énergétique au charbon. Ainsi, six réclamations demeurent pendantes contre le Canada à la fin de 2021, toutes présentées par des investisseurs américains sur le fondement de l’ALÉNA, dans les affaires Koch, Westmoreland (II), Einarsson c Canada,Footnote 21 Tennant Energy c Canada,Footnote 22 Resolute Forest Products c Canada Footnote 23 et Lone Pine Resources c Canada. Footnote 24 Le Canada continue de reculer dans le palmarès des pays les plus poursuivis au titre du RDIE, se positionnant maintenant au huitième rang, ex aequo avec le Pérou (trente et une réclamations), loin derrière l’Argentine (soixante-deux), le Venezuela (cinquante-cinq), l’Espagne (cinquante-cinq), l’Égypte (quarante-six), la République tchèque (quarante et une), le Mexique (trente-huit), la Pologne (trente-six), mais suivi de près par l’Ukraine (trente) et la Russie (vingt-sept).Footnote 25
Différends relatifs aux investissements canadiens à l’étranger
En Amérique du Nord, des réclamations ont été soumises par des investisseurs canadiens contre les États-Unis et le Mexique au titre du régime transitoire de l’ACÉUM pour les investissements antérieurs à l’extinction de l’ALÉNA. Celle visant les États-Unis concerne le projet controversé d’oléoduc Keystone XL destiné à acheminer le pétrole albertain vers les raffineries du golfe du Mexique. Ce projet colossal avait d’abord été bloqué par l’administration Obama, pour ensuite être autorisé par l’administration Trump, amenant la société pétrolière canadienne TransCanada à retirer une première réclamation de US $15 milliards contre les États-Unis.Footnote 26 Le blocage définitif du projet par l’administration Biden conduit la pétrolière canadienne, entretemps renommée TC Énergie, ainsi qu’une société d’État albertaine, la Commission de commercialisation du pétrole de l’Alberta, à soumettre respectivement une réclamation et une notification d’intention de soumettre une réclamation contre les États-Unis.Footnote 27 TC Énergie réclamerait à nouveau US $15 milliards en dommages, mais sa requête d’arbitrage n’est pas publiée, alors que la notification d’intention albertaine annonce une réclamation de CDN $1,3 milliards. Cette affaire risque de faire grand bruit et met en lumière l’ouverture du RDIE aux investisseurs étatiques dans les accords du Canada.Footnote 28 Si la Commission de commercialisation du pétrole de l’Alberta va de l’avant avec sa réclamation, il s’agira du premier cas où une société d’État canadienne agit comme plaignante dans un arbitrage d’investissement et d’un rare cas impliquant un investisseur étatique dans le RDIE en général. Dans l’autre affaire concernant un investissement antérieur à l’extinction de l’ALÉNA, First Majestic c Mexique,Footnote 29 une société minière canadienne réclame US $500 millions en dommages à la suite d’un différend avec les autorités fiscales mexicaines concernant des mines d’or et d’argent.
Une ancienne réclamation conjointe d’investisseurs canadiens et mexicains fondée sur l’ALÉNA fait surface dans l’affaire North American Investors c États-Unis. Footnote 30 Cette réclamation s’ajoute à celles fondées sur quatre autres traités concernant le même défaut allégué des autorités des États-Unis d’avoir réprimé un système pyramidal orchestré par un groupe d’entreprises américaines.Footnote 31 Les victimes allèguent que le fait qu’elles étaient étrangères aurait amené les autorités américaines à se désintéresser de l’affaire. Les investisseurs lésés auraient indiqué qu’ils entendent réactiver les procédures, qui n’ont jamais franchi le stade de l’institution du tribunal arbitral. Cette affaire met en lumière la question de l’inactivité des parties après la soumission de la réclamation, mais avant la constitution du tribunal arbitral.
Les autres nouvelles réclamations concernent des investissements canadiens en Amérique du Sud, en Europe et en Afrique. Dans l’affaire Lupaka c Pérou,Footnote 32 une société minière réclame US $100 millions en dommages à la suite de l’occupation illégale de son site minier par des autorités locales péruviennes. La deuxième affaire, Aecon c Équateur,Footnote 33 découle du refus d’octroyer certaines exemptions fiscales au consortium chargé de la construction d’un aéroport international à Quito. L’affaire Sanitek et al c Arménie Footnote 34 porte sur une réclamation de US $25 millions par une entreprise canadienne et des ressortissants libano-canadiens concernant un investissement dans le secteur du traitement des déchets. Cette affaire a la particularité de réunir dans une seule instance des réclamations fondées sur la violation de traités bilatéraux arméniens distincts avec le Canada et le Liban. Enfin, l’affaire Montero Mining c Tanzanie Footnote 35 met à nouveau en cause la réclamation d’une société minière concernant, cette fois, l’expropriation d’un projet minier de terres rares.
Au terme de cette année intense sur le plan du contentieux relatif aux investissements canadiens à l’étranger, dix-neuf affaires restent pendantes contre des pays des Amériques, d’Europe et d’Afrique. En Amérique du Nord, deux réclamations visent les États-Unis et trois le Mexique sur la base de l’ALÉNA ou du régime transitoire de RDIE de l’ACÉUM. Footnote 36 Sept affaires visent des pays d’Amérique centrale ou du Sud,Footnote 37 portant toutes sauf une sur des différends miniers, alors que cinq affaires visent des pays européens,Footnote 38 dont trois des États membres de l’UE situés en Europe centrale et orientale. Enfin, deux affaires visent un pays d’Afrique concernant des différends miniers.Footnote 39 Les investisseurs canadiens se classent désormais au sixième rang des plus grands utilisateurs du RDIE, avec soixante-trois réclamations, derrière les investisseurs américains (204), néerlandais (125), britanniques (quatre-vingt-seize), allemands (soixante-seize) et espagnols (soixante-six).Footnote 40
Le nouvel APIE-type du Canada de 2021: une évolution tranquille
L’APIE-type publié en 2021 représente la quatrième génération d’accords sur l’investissement du Canada. La première génération est celle qui suit le lancement du programme canadien d’APIE à la fin des années 1980, après la conclusion d’un premier accord sur l’investissement avec l’Accord de libre-échange entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis Footnote 41 et son chapitre sur le sujet. Ces APIE de première génération sont très sommaires et ne prévoient pas de droit d’admission en faveur des investisseurs étrangers.Footnote 42 La deuxième génération d’APIE est celle qui applique le modèle du chapitre 11 de l’ALÉNA dans la seconde moitié des années 1990.Footnote 43 Ces accords sont beaucoup plus détaillés et favorables à la libéralisation de l’investissement, avec par exemple un droit d’admission. Leur conclusion s’est arrêtée au moment où Ottawa a voulu réévaluer sa politique juridique extérieure en matière d’investissement à la lumière des nombreuses réclamations auxquelles le Canada faisait face de la part d’investisseurs américains sur la base de l’ALÉNA. Footnote 44 Le premier APIE-type du Canada publié en 2004 est le fruit de cette réflexion et procède de la volonté de renforcer le droit de légiférer de l’État.Footnote 45 Il est appliqué de manière continue depuis, mais les chapitres sur l’investissement de l’AÉCG et de l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP)Footnote 46 ont eux-mêmes introduit plusieurs innovations juridiques en faveur du droit de légiférer de l’État.Footnote 47 L’APIE-type de 2021 fait la synthèse de cette pratique conventionnelle récente avec l’agenda progressiste du gouvernement fédéral. Il est le fruit d’un processus de consultation élargi et transparent, qui fait l’objet d’un rapport rendu public en 2020.Footnote 48 Il faut se réjouir qu’Ottawa daigne enfin publier son APIE-type, puisque celui de 2004 et une version ultérieure légèrement modifiée sont disponibles seulement dans des sources internationales ou privées, pas toujours dans les deux langues officielles du Canada de surcroît.Footnote 49 Ce manque de transparence est aussi inexplicable qu’indéfendable.
Le nouvel APIE-type du Canada s’inscrit dans le mouvement cherchant à protéger adéquatement le droit de légiférer de l’État, sans remettre en question les fondements du droit international de l’investissement ou du RDIE. Il introduit quelques innovations, dont la plus notable est la création d’une procédure d’arbitrage accéléré. La structure générale de l’APIE-type de 2021 comporte des lacunes, faisant en sorte qu’il peine à donner corps à sa volonté louable de traiter de la question de la facilitation de l’investissement. C’est pourquoi il est permis de dire qu’il ne révolutionne pas le droit international de l’investissement, mais le fait plutôt évoluer tranquillement.
structure générale, champ d’application et définitions
La révision de l’APIE-type du Canada ne rime pas avec sa simplification, puisque le modèle de 2021 comporte cinquante-sept articles divisés en huit sections, alors que la version de 2014 du modèle antérieur en comporte quarante-deux divisés en cinq sections. Le nombre d’annexes reste quasiment identique, l’APIE-type de 2021 et la version de 2014 en comptant respectivement trois et quatre, le contenu de l’annexe interprétative sur l’expropriation indirecte étant intégré dans la clause d’expropriation dans celui de 2021. Enfin, un nouveau code de conduite pour les arbitres accompagne aussi l’APIE-type de 2021.
Le préambule de l’APIE-type de 2021 est plus élaboré que celui de ses prédécesseurs. Il réaffirme l’agenda progressiste du gouvernement fédéral, sur l’importance d’accroître l’accès aux activités d’investissement pour les groupes sous-représentés comme les femmes, les peuples autochtones ou les petites et moyennes entreprises (PME). Il réaffirme également l’importance de préserver le droit de l’État de légiférer dans l’intérêt public. Conformément aux canons d’interprétation des traités, le préambule en fait partie intégrante et participe du contexte juridique dans lequel leurs dispositions doivent être interprétées.Footnote 50 Les tribunaux arbitraux devront donc interpréter les clauses des APIE conclus sur la base de l’APIE-type à la lumière de ces éléments de leur préambule.
Le champ d’application de l’APIE-type de 2021
Le champ d’application temporel de l’APIE-type de 2021 fait l’objet d’une nouvelle clause qui refuse son application rétroactive à des actes ou des faits antérieurs à l’entrée en vigueur de l’APIE, ou à des situations qui ont cessé d’exister avant ce moment.Footnote 51 Cette disposition semble déclaratoire du principe de non-rétroactivité des traités du droit international général, pour des fins de clarté, sans vouloir l’altérer.Footnote 52 Ainsi les investissements réalisés avant l’entrée en vigueur de l’APIE bénéficieront vraisemblablement de sa protection, dans la mesure où ils existent toujours après cette date. Une clause de survie de quinze ans est prévue, en cas d’extinction de l’APIE, pour les investissements réalisés pendant qu’il était en vigueur.Footnote 53
Le champ d’application personnel de l’APIE-type vise les investisseurs publics ou privés d’une autre partie, qu’il s’agisse d’individus ou de personnes morales, comme le veut la pratique conventionnelle du Canada.Footnote 54 Une nouveauté importante inspirée de l’AÉCG est toutefois introduite dans la définition d’“entreprise d’une Partie,” qui joue le rôle d’une clause automatique de refus des avantages.Footnote 55 Celle-ci fait en sorte que les entreprises qui n’exercent pas d’activités commerciales substantielles sur le territoire de la partie où elles sont constituées se voient automatiquement refuser les avantages de l’APIE. Cette clause automatique vise donc toutes les sociétés-écrans, qu’elles appartiennent à des investisseurs de pays tiers, du pays d’incorporation ou encore à des ressortissants nationaux de l’État d’accueil, sans que la question de la propriété ou du contrôle de l’entreprise doive être examinée. Le Canada prend ainsi une position très ferme contre le chalandage des traités et la planification corporative abusive pour investir à l’étranger. Le caractère substantiel des activités commerciales dans le pays d’incorporation devient vital pour bénéficier des avantages de l’APIE, mais aucun critère n’est fourni pour l’évaluer. Au surplus, une clause de refus des avantages actionnable existe toujours, mais uniquement pour les entreprises (exerçant des activités commerciales substantielles dans le pays d’incorporation) détenues ou contrôlées par des investisseurs d’un pays tiers qui fait l’objet de sanctions.Footnote 56 La possibilité d’actionner la clause de manière rétroactive est explicitement reconnue, la seule condition posée étant de le faire dans un délai raisonnable et au plus tard lors de la présentation de son contre-mémoire par l’État défendeur. Enfin le principe d’unité de l’État est réaffirmé, faisant en sorte que l’État est responsable des agissements de ses entités fédérées, de même que le principe d’attribution des agissements des délégataires de puissance publique dans l’exercice de leur pouvoir, jouant à nouveau un rôle purement déclaratoire du droit international général sur la question.Footnote 57
Le champ d’application matériel de l’APIE-type est circonscrit par la notion cardinale d’investissement. La définition exhaustive et habituellement fondée sur la notion d’entreprise est désormais assortie de critères généraux additionnels exigeant “l’engagement de capitaux ou d’autres ressources, l’attente de gains ou de profits ou l’acceptation du risque.”Footnote 58 Cette définition apparaît plus stricte que celle dans les accords antérieurs du Canada, y compris l’AÉCG et le PTPGP, ces derniers ne prévoyant pas une définition exhaustive fondée sur l’entreprise, alors que les autres accords du Canada ne limitent pas la définition exhaustive par des critères généraux. Elle restreint le champ d’application de l’APIE d’une manière difficile à saisir concrètement sans exemple tiré d’un cas d’espèce.
Les réserves, exceptions et exclusions à l’APIE-type de 2021
Une nouvelle section distincte regroupe les réserves, exceptions et exclusions habituelles qui circonscrivent le champ d’application matériel de l’APIE-type. Elle vise d’abord les règles de fond d’origine non coutumières que sont la clause du traitement national (TN), la clause de la nation la plus favorisée (NPF), la clause de liberté d’exploitation (ou de prescription de résultats), ainsi que la clause sur le personnel-clé. L’ensemble de la législation qui existe au moment de l’entrée en vigueur de l’APIE peut être maintenu malgré son incompatibilité avec ces clauses grâce à une clause d’antériorité générale.Footnote 59 L’État peut aussi soustraire des secteurs sensibles à ces clauses en les inscrivant à cette fin dans l’annexe I de l’APIE.Footnote 60 Les marchés publics, les subventions, ainsi que les dérogations aux droits de propriété intellectuelle compatibles avec les accords de l’OMC, sont aussi soustraits à l’application de ces clauses.Footnote 61 L’État peut enfin soustraire ses accords conclus avec des pays tiers à la clause NPF afin d’éviter que les investisseurs puissent se prévaloir du traitement plus favorable qu’ils prévoient.Footnote 62
Un changement notoire introduit par l’APIE-type de 2021 est l’abandon complet des exceptions générales inspirées de l’article XX de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994. Footnote 63 À l’exception notoire du PTPGP et de l’ACÉUM, ces exceptions sont emblématiques de la pratique conventionnelle canadienne en matière d’investissement depuis l’APIE Canada-Ukraine de 1994.Footnote 64 Elles sont censées permettre de justifier la violation d’un accord au nom de la poursuite d’intérêts supérieurs comme la protection de la moralité publique, de la santé ou encore de l’environnement. La Cour de justice de l’UE a d’ailleurs considéré que leur présence dans l’AÉCG est un des facteurs fondant sa compatibilité avec le droit de l’UE puisqu’elles protègent le droit de légiférer de l’État.Footnote 65 Dans cette perspective, il pourrait s’agir d’un recul important de la protection de ce droit dans l’APIE-type de 2021. Toutefois, ces exceptions générales ont connu une mauvaise fortune devant les tribunaux arbitraux dans les affaires Bear Creek Mining c Pérou Footnote 66 et Eco Oro c Colombie,Footnote 67 qui leur ont enlevé tout effet utile.Footnote 68 Aussi peut-on conclure que leur abandon n’est sans doute pas dramatique et que le droit de légiférer continue d’être protégé dans de nombreuses autres dispositions. Une exception au profit des peuples autochtones du Canada est prévue comme dans la pratique conventionnelle récente, de même qu’une exception sécuritaire.Footnote 69 Les industries culturelles sont entièrement soustraites à l’APIE-type, comme le veut la pratique habituelle du Canada, mais la disposition qui le prévoit est erronément incluse dans la clause des exceptions alors qu’il s’agit en réalité d’une exclusion complète d’un secteur d’activité.Footnote 70
protection matérielle des investissements étrangers
Le cœur de l’APIE-type réside dans ses règles de fond et toutes les clauses habituelles s’y retrouvent, cherchant un équilibre entre protection des investissements étrangers et droit de légiférer. Très peu de véritables innovations sont à signaler sur ce plan.
Affirmation du droit de légiférer
Le droit de légiférer de l’État dans l’intérêt général fait l’objet d’une clause propre qui se trouve au tout début de la section sur la protection matérielle des investissements, ce qui constitue un progrès puisqu’elle chapeaute ainsi toutes les autres clauses.Footnote 71 Cette clause fait écho au préambule de l’APIE-type et elle donne des exemples d’objectifs légitimes en matière de politique pour illustrer l’objet de ce droit de légiférer, comme la protection de l’environnement et la lutte contre les changements climatiques. Il faut souligner que l’APIE-type de 2021 suit le rare exemple de l’AÉCG et abandonne la condition de compatibilité de l’exercice du droit de légiférer avec les autres règles de fond, condition qui se retrouve dans les autres accords du Canada.Footnote 72 L’affaire Infinito Gold c Costa Rica Footnote 73 montre l’absence d’effet utile de ces anciennes clauses circulaires et il faut saluer cette avancée importante dans la clause sur le droit de légiférer.Footnote 74
Clauses de non-discrimination
Les habituelles clauses TN et NPF se retrouvent dans l’APIE-type de 2021.Footnote 75 Elles interdisent la discrimination fondée sur la nationalité entre les investisseurs ou leurs investissements, lorsqu’ils se trouvent dans des circonstances similaires. Comme les clauses s’appliquent tant aux investissements réalisés qu’aux projets d’investissement, le jeu conjugué de ces clauses garantit le droit d’admission des investissements étrangers au Canada, sous l’importante réserve de la clause d’antériorité générale concernant la législation incompatible. Les deux clauses reprennent la disposition du PTPGP qui précise que les distinctions fondées sur la base d’objectifs légitimes de politique publique font partie de l’ensemble des circonstances dont il faut tenir compte pour établir l’existence de circonstances similaires ou non entre des investissements ou des investisseurs.Footnote 76 Cette précision importante codifie la pratique arbitrale antérieure et protège le droit de légiférer au cœur même des clauses TN et NPF, rendant plus difficile la démonstration de leur violation par l’État. Une nouvelle disposition précise aussi qu’une différence de traitement ne suffit pas à faire la démonstration qu’il y a une discrimination fondée sur la nationalité.Footnote 77 La clause NPF comprend au surplus une disposition qui précise qu’elle ne peut être employée pour invoquer des règles de procédure plus favorables dans un traité tiers, de même que des règles de fond plus favorables en l’absence de mesures concrètes prises au titre de ce traité tiers.Footnote 78 Si la première disposition n’est pas nouvelle, la seconde s’inspire de l’AÉCG et semble freiner l’effet du principe ejusdem generis qui permet normalement l’invocation de dispositions de fond du même genre dans un traité tiers.Footnote 79
Clause du TJE
La clause du TJE de l’APIE-type de 2021 est originale puisqu’elle fusionne la pratique conventionnelle habituelle du Canada avec celle de l’AÉCG. Footnote 80 Le TJE se limite à la norme minimale de traitement (NMT) des étrangers de la coutume internationale, mais la clause propose ensuite une codification exhaustive de la NMT. Cette dernière ne peut être violée que de six manières différentes: déni de justice; violation fondamentale du principe de l’application régulière de la loi; cas d’arbitraire manifeste; discrimination ciblée basée sur des motifs manifestement illicites; traitement abusif des investisseurs; manquement à l’obligation d’assurer une protection et une sécurité intégrale. La différence avec l’AÉCG est que celui-ci propose une codification exhaustive du TJE autonome de la NMT de la coutume internationale. En prétendant codifier la NMT de manière exhaustive, l’APIE-type gèle-t-il la norme coutumière? Des aspects de la coutume internationale pourraient-ils être oubliés? Par exemple, l’affaire Eco Oro montre que certains considèrent que la NMT protège aussi les attentes légitimes des investisseurs et comporte un devoir de transparence.Footnote 81 La clause précise, comme celle de l’AÉCG, que la protection et la sécurité intégrales ne visent que la sécurité physique de l’investisseur et de son investissement, afin d’éviter qu’elle soit interprétée comme visant aussi leur sécurité juridique.Footnote 82 Enfin, une nouvelle disposition précise, aussi comme l’AÉCG, qu’une violation du droit interne ne constitue pas une violation de la clause du TJE.Footnote 83
Clause d’expropriation
La clause d’expropriation est également conforme à la pratique du Canada, à une importante exception près.Footnote 84 L’affirmation de la doctrine des pouvoirs de police et les précisions concernant l’interprétation de la notion d’expropriation indirecte sont — enfin! — incorporées dans le texte même de la clause d’expropriation.Footnote 85 Ces dispositions importantes figurent habituellement dans une annexe plutôt que dans le texte de la clause. Cette localisation dans une annexe, moins visible, pourrait expliquer le peu de cas qu’en a fait le tribunal arbitral dans l’affaire Bear Creek Mining. Footnote 86 Il s’agit d’une innovation qu’il faut saluer et qui participe du renforcement de la protection du droit de légiférer de l’État dans l’APIE-type de 2021. Une nouvelle disposition vient par ailleurs préciser que l’existence d’un droit de propriété intellectuelle susceptible d’expropriation doit se vérifier au regard du droit interne, ce qui tombe sous le sens puisque l’existence de tout droit de propriété ne peut s’évaluer qu’au regard de ce droit.Footnote 87 Ce sont les conditions de licéité de l’expropriation qui sont fixées par la clause d’expropriation.
Autres clauses de protection matérielle
Les autres clauses de protection matérielle habituelles figurent toutes dans l’APIE-type de 2021, qui ne déroge pas à la pratique conventionnelle du Canada. La clause de liberté d’exploitation interdit une série de prescriptions de résultats qui entravent la libre opération de son entreprise par l’investisseur.Footnote 88 Elle contient deux nouvelles prohibitions intéressantes concernant la liberté technologique et la liberté de transfert des données.Footnote 89 Une clause de liberté de transfert de fonds est aussi prévue, avec l’ajout que l’État peut restreindre cette liberté en application de son droit concernant la sécurité sociale, les régimes publics de retraite ou les programmes d’épargne obligatoire.Footnote 90 Une clause d’indemnisation des pertes en cas de conflit ou de catastrophe naturelle est également prévue, pour garantir le même traitement général que celui offert aux autres investisseurs dans de telles situations.Footnote 91 L’APIE-type reprend cependant la pratique la plus récente du Canada en prévoyant une obligation de restitution ou d’indemnisation, sans égard au traitement offert aux autres investisseurs, en cas de réquisition ou de destruction non requise de l’investissement.Footnote 92 Comme le veut aussi la pratique du Canada, une clause spéciale vient moduler de manière importante l’application des règles de fond de l’APIE-type aux mesures fiscales.Footnote 93 Elle prévoit par exemple la primauté des conventions fiscales en cas de conflit de normes, ainsi qu’un mécanisme de détermination conjointe par les autorités fiscales des parties de la qualification d’une mesure fiscale. Enfin, la clause de subrogation en cas d’indemnisation de l’investisseur lésé par un assureur public ou son État de nationalité est toujours prévue, leur permettant d’exercer ses droits au titre de l’APIE.Footnote 94
promotion et facilitation des investissements étrangers
Une nouvelle section est entièrement dédiée à la question de la promotion et de la facilitation de l’investissement. Bien que la création de cette section soit louable, sa structure est boiteuse et elle rate sa cible par manque de cohérence et d’ambition. En toute logique, cette section aurait dû précéder celle sur la protection matérielle de l’investissement. Le titre de l’APIE-type n’aurait-il pas pu mentionner également qu’il vise la facilitation de l’investissement, en plus de sa promotion et de sa protection? La section reprend d’abord la clause habituelle de promotion de l’investissement, dépourvue de toute obligation véritable, si ce n’est que d’encourager la création de conditions favorables à l’investissement étranger.Footnote 95 Pourtant, la pratique conventionnelle d’autres États montre que des dispositions plus inspirées, d’échange d’information ou d’assistance technique par exemple, auraient pu être prévues.Footnote 96 Ensuite, elle prévoit deux clauses très détaillées sur le traitement des demandes d’autorisation des projets d’investissement, ainsi que sur les frais qui peuvent être exigés concernant ces demandes.Footnote 97
Les négociations en cours à l’OMC sur la facilitation de l’investissement et les travaux de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) sur le sujet montrent que de nombreuses clauses prévues dans la section sur la protection matérielle des investissements sont mal classées et auraient dû figurer plutôt dans cette section sur la facilitation de l’investissement.Footnote 98 Il s’agit d’abord de la clause de non-dérogation, par laquelle les parties s’engagent à ne pas assouplir leur législation protégeant l’intérêt général, comme la législation environnementale, afin d’encourager ou faciliter l’investissement étranger.Footnote 99 La clause sur le personnel-clé concerne aussi la facilitation de l’investissement, puisqu’elle vise à limiter les exigences de nationalité particulière pour les dirigeants d’entreprise.Footnote 100 Une rare matérialisation de l’agenda progressiste du Canada dans l’APIE-type est une nouvelle disposition assez vaseuse qui invite simplement les États à encourager les entreprises à envisager une plus grande diversité parmi leurs dirigeants.Footnote 101 La clause de transparence de la législation et des procédures et décisions administratives est aussi une composante incontournable de la facilitation de l’investissement.Footnote 102
Enfin la clause sur la conduite responsable des entreprises, anciennement appelée responsabilité sociale des entreprises, participe également de la facilitation de l’investissement.Footnote 103 Elle est le pendant logique des efforts que doivent déployer les États, en mettant aussi à charge des investisseurs de faciliter l’investissement en adoptant un comportement social responsable. Cette clause contient une nouvelle réaffirmation de l’obligation des investisseurs étrangers de se soumettre à la législation de l’État d’accueil. Autrement, elle renvoie aux principes internationalement reconnus en matière de conduite responsable des entreprises, comme les Principes directeurs à l’intention des entreprises multinationales de l’Organisation de coopération et de développement économiquesFootnote 104 ou les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies.Footnote 105 Une nouvelle disposition invite les États à encourager le dialogue entre les investisseurs étrangers et les peuples autochtones ou les communautés locales. Sinon cette clause déçoit par son manque d’ambition et de mordant. Par exemple, la sanction du non-respect de la législation nationale ou des principes internationalement reconnus aurait pu être la perte du droit d’accès au RDIE, comme l’AÉCG le prévoit explicitement en matière de corruption.Footnote 106 Le Canada aurait pu aussi aborder l’importante et controversée question de la compétence extraterritoriale des juridictions civiles, comme le font les Pays-Bas dans leur nouveau traité-type.Footnote 107 Il aurait pu aller encore plus loin, en atténuant les hésitations des tribunaux par l’affirmation claire dans l’APIE-type que les parties ne considèrent pas que l’exercice de cette compétence extraterritoriale porte atteinte au principe de courtoisie entre elles. Une telle disposition pourrait faciliter les recours en responsabilité civile devant les tribunaux de l’État de nationalité d’un investisseur pour ses agissements dans l’État où il a investi grâce à ou avec la protection de l’APIE-type.
S’il fallait une preuve additionnelle de la structure boiteuse de l’APIE-type, il faut souligner que toutes les clauses prévues dans la section sur la protection matérielle des investissements mentionnées ci-dessus sont soustraites au RDIE, tout comme l’ensemble de la section sur la facilitation de l’investissement.Footnote 108 Cela confirme qu’elles appartiennent bien à la même catégorie et auraient dû être classées ensembles. En définitive, l’objectif de la facilitation de l’investissement est de prévenir la survenance de différends en améliorant les rapports entre les investisseurs étrangers et l’État d’accueil. Cette amélioration passe par des pratiques administratives et corporatives exemplaires, orientées vers des objectifs clairs, précisés par des clauses spécifiques. Elle passe aussi par le renforcement des capacités de l’État d’accueil, spécialement chez les pays en développement. Il faut regretter que le Canada n’ait pas davantage innové dans son APIE-type à cet égard en prévoyant des clauses originales sur la coopération et l’assistance technique en matière d’investissement étranger.
règlement des différends et administration de l’apie
Fidèle à la pratique conventionnelle du Canada, l’APIE-type de 2021 prévoit un mécanisme de RDIE de facture classique, ainsi qu’un mécanisme d’arbitrage interétatique. Il n’adopte pas le modèle de l’ACÉUM de l’abandon complet du RDIE, ni celui de l’AÉCG du système juridictionnel de RDIE. Toutefois, il se montre ouvert à la soumission de différends à un tel système juridictionnel dans l’hypothèse où il verrait le jour.Footnote 109 Il faut conclure que le Canada n’envisage pas de renoncer au RDIE dans ses rapports avec les États avec lesquels il signe des APIE, essentiellement des pays en développement.
Règlement des différends entre investisseur et État
Le mécanisme de RDIE de l’APIE-type de 2021 adopte l’approche habituelle du Canada en la matière. Il permet la soumission de plaintes par l’investisseur en son nom propre ou au nom de son investissement et exige la renonciation à tout autre recours afin de pouvoir soumettre une plainte à l’arbitrage, sans pour autant interdire à l’investisseur de s’adresser d’abord aux tribunaux nationaux (clause dite “No U-Turn,” par opposition à la clause dite “Fork-in-the-Road”).Footnote 110 Le mécanisme de jonction de plaintes est toujours prévu, permettant aux parties au litige, mais en réalité surtout à l’État, de demander que soient réunies en une seule les procédures arbitrales concernant des questions de droit ou de faits analogues découlant des mêmes événements ou circonstances.Footnote 111 Ce mécanisme peu utilisé demeure une réponse utile au risque de sentences divergentes que le système actuel de RDIE comporte.
Une série de nouvelles dispositions sont introduites dans le mécanisme de RDIE afin de contribuer à la prévention des différends. Une procédure de consultation préalable obligatoire remplace avantageusement la notification de l’intention de soumettre une plainte à l’arbitrage.Footnote 112 Cette ancienne procédure a le défaut de permettre à l’investisseur d’alarmer l’État à peu de frais sans se commettre sérieusement à régler le différend. La demande de consultation doit contenir des informations détaillées et être déposée dans les trois ans suivant la naissance du différend, ou encore dans les deux ans suivant la fin ou l’arrêt des recours internes exercés par l’investisseur pourvu qu’il ne se soit pas écoulé plus de sept ans depuis la naissance du différend. L’investisseur doit obligatoirement déposer sa plainte dans l’année qui suit sa demande de consultation, sous peine de perdre son recours à l’arbitrage. L’APIE-type prévoit désormais explicitement que les parties au litige peuvent convenir de recourir à la médiation à tout moment pendant les procédures de RDIE et les délais applicables sont alors suspendus.Footnote 113
Certaines clauses de l’APIE-type sont soustraites au mécanisme de RDIE. En plus des clauses relatives à la facilitation de l’investissement, aucune réclamation ne peut viser la clause de liberté d’exploitation.Footnote 114 Une telle exclusion peut surprendre, mais elle est aussi prévue par l’AÉCG, qui exclut au surplus les plaintes visant la phase pré-investissement.Footnote 115 Enfin, les parties pourront soustraire des questions particulières au RDIE en les inscrivant dans l’annexe III, le Canada le faisant habituellement pour les décisions prises au titre de son mécanisme de filtrage des investissement étrangers.Footnote 116
L’APIE-type de 2021 contient toujours une clause permettant l’adoption par les parties d’une interprétation obligatoire du traité.Footnote 117 Il s’agit d’un autre outil de rééquilibrage important face aux risques de sentences divergentes ou erronées que comporte le système actuel de RDIE avec ses tribunaux arbitraux ad hoc, sans possibilité d’appel. Il est regrettable que le Canada introduise une restriction au pouvoir des parties d’adopter de telles interprétations, celles-ci ne pouvant l’être que lorsqu’il existe de graves préoccupations concernant des questions d’interprétation. Cette restriction apparaît autant inutile que dommageable, puisque ce pouvoir n’a pas posé de problèmes réels dans le passé et que le Canada pourrait être appelé à l’utiliser davantage dans le futur.
Une autre nouveauté est la clause de bifurcation obligatoire, qui exige désormais que le tribunal arbitral tranche dans un premier temps les objections préliminaires de l’État avant de pouvoir se pencher sur le fond de la réclamation de l’investisseur.Footnote 118 Normalement, les règlements d’arbitrage prévoient que le tribunal jouit de la discrétion d’ordonner la bifurcation ou de joindre les objections préliminaires au fond de l’affaire.Footnote 119 L’APIE-type vise ici tant les objections à la compétence du tribunal arbitral que celles voulant que la réclamation soit manifestement dénuée de fondement juridique. Cette disposition nouvelle pourrait rendre nécessaire la qualification des objections préliminaires selon qu’elles visent la compétence du tribunal ou la recevabilité de la réclamation. Si les premières sont explicitement visées par la bifurcation obligatoire, les secondes ne le sont pas. Il est aussi permis de se demander si elle n’entraînera pas dans certaines circonstances un allongement des délais ou des coûts additionnels pour les parties au litige. Elle a toutefois le mérite d’empêcher un tribunal de se pencher sur le fond de la réclamation avant d’avoir confirmé qu’il a bien la compétence pour le faire, ce qui est un progrès pour la légitimité du RDIE.
Le problème du financement du RDIE par les tiers est maintenant abordé par l’APIE-type, qui prend une position modérée à l’égard du phénomène. Cette pratique n’est pas prohibée, mais l’investisseur a l’obligation de divulguer à l’État défendeur et au tribunal arbitral tous les renseignements concernant son entente de financement par un tiers.Footnote 120
La plus grande innovation apportée au RDIE par l’APIE-type de 2021 est la création d’une procédure d’arbitrage accéléré.Footnote 121 Cette dernière vise à répondre au problème réel d’accès au RDIE pour les individus et les PME. La Cour de justice de l’UE a épinglé ce problème avec raison en ce qui concerne l’AÉCG, s’étant fiée sur les déclarations d’intention de la Commission européenne d’accroître l’accessibilité au RDIE pour conclure à sa compatibilité avec le droit de l’UE à cet égard.Footnote 122 La procédure accélérée proposée par le Canada dans son APIE-type constitue une des premières réponses concrètes au problème. Elle vise uniquement les réclamations de CDN $10 millions et moins et fait l’objet de règles spéciales visant à raccourcir les délais et les coûts. Le tribunal arbitral est composé d’un arbitre unique et la procédure est celle du régime général de RDIE, sans clause de bifurcation obligatoire. Un défaut qui peut être reproché à la nouvelle procédure est que le consentement des deux parties au litige est exigé dans les vingt jours de la soumission de la plainte pour y avoir accès, au lieu d’être accessible à la demande de l’investisseur lésé ou encore d’être obligatoire pour les deux parties. Le nouveau règlement d’arbitrage du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) comporte aussi une procédure d’arbitrage accéléré, tout comme celui de la CNUDCI, qui diffèrent à certains égards de celle de l’APIE-type du Canada. Par exemple, la procédure accélérée du CIRDI et de la CNUDCI est accessible à tout moment et ne comporte aucun plafond monétaire.Footnote 123
Le code de conduite des arbitres qui était envisagé dans l’ancien APIE-type du Canada est maintenant une réalité dans celui de 2021.Footnote 124 Ce nouveau code de conduite vise aussi à accroître la légitimité du RDIE en soumettant les arbitres à de hautes exigences disciplinaires. Comprenant dix articles détaillés et un formulaire de déclaration préliminaire en appendice, il interdit par exemple la pratique d’agir simultanément comme arbitre dans une affaire de RDIE et comme avocat, témoin ou expert dans une autre (pratique dite du double-hatting).Footnote 125 Comme le CIRDI travaille actuellement avec la CNUDCI à l’élaboration d’un projet de code de conduite pour les arbitres, il est permis de s’interroger sur l’utilité pour le Canada de dédoubler ces efforts multilatéraux.Footnote 126 Si ce code multilatéral voit le jour, les inévitables divergences dans les exigences ne feront que compliquer davantage un droit international de l’investissement en mal de simplification et de cohérence.
Règlement des différends interétatiques et administration de l’APIE
Un mécanisme rudimentaire est toujours prévu pour le règlement de tout différend interétatique concernant l’interprétation ou l’application de l’APIE.Footnote 127 Une partie peut demander la tenue de consultations à ce sujet à l’autre partie et, en cas d’échec des pourparlers, une partie peut soumettre le différend à un groupe spécial arbitral pour décision. La formation du groupe spécial de trois membres ne peut être bloquée par une partie récalcitrante, puisque le président de la Cour internationale de Justice peut être invité par une partie à procéder aux nominations manquantes. Les membres du groupe spécial doivent se conformer au code de conduite de l’APIE-type et ils fixent eux-mêmes leurs règles de procédure. Une fois que le groupe spécial rend sa décision, les parties doivent s’entendre sur la façon de régler le différend et cela passe normalement par la mise en œuvre de la décision rendue. Il faut rappeler que le Canada n’a jamais été partie à un arbitrage interétatique fondé sur un APIE ou le chapitre sur l’investissement d’un accord de libre-échange. Ces clauses de règlement des différends interétatiques n’ont donc jamais été appliquées et elles pourraient soulever des questions. Par exemple, un groupe spécial arbitral pourrait-il ordonner l’indemnisation d’une partie? Contrairement aux sentences rendues au titre du mécanisme de RDIE, aucune disposition n’est prévue concernant la reconnaissance et l’exécution des décisions des groupes spéciaux arbitraux. En cas de désaccord sur la façon de régler le différend, la partie plaignante pourrait-elle imposer des contre-mesures à la partie défenderesse? Le mécanisme interétatique peut-il être utilisé par une partie pour faire valoir la réclamation de son ressortissant national, alors que ce dernier dispose d’un recours au titre du mécanisme de RDIE? Dans l’affirmative, les règles habituelles de la théorie de la protection diplomatique sont-elles applicables, comme l’exigence de l’épuisement des recours internes?
Indépendamment des consultations relatives à un différend particulier, l’APIE-type de 2021 prévoit encore la tenue de consultations générales sur toute mesure en vigueur ou envisagée, ou sur toute autre question susceptible d’avoir une incidence sur le fonctionnement de l’accord.Footnote 128 Ces consultations générales peuvent permettre aux parties de prendre toute initiative. L’APIE-type envisage par exemple la possibilité d’adopter des règles d’arbitrage additionnelles pour le mécanisme de RDIE. Ce mécanisme souple de consultations générales joue le rôle que la première version de l’APIE-type de 2004 avait confié à une commission ministérielle plus lourde, caractéristique des accords de libre-échange, qui a rapidement été délaissée par le Canada dans sa pratique conventionnelle et dans la version ultérieure de l’APIE-type.Footnote 129
L’effervescence du contentieux de l’investissement canadien à l’étranger
Un nombre record de sentences arbitrales est rendu ou publié en 2021 dans le contentieux de l’investissement canadien à l’étranger. Ces sentences mettent un terme à plusieurs affaires dans les Amériques, en Europe et en Asie centrale. Des procédures d’annulation de sentences arbitrales prolongent par ailleurs le règlement de différends avec le Kazakhstan. Ces affaires mettent en lumière la grande diversité qui règne dans les règles de fond prévues par les accords du Canada en matière d’investissement, pour ne pas dire le manque de cohérence. Elles montrent aussi que le Canada est appelé à jouer davantage le rôle de tierce partie dans le RDIE, plutôt que celui d’État défendeur.
affaires concernant des investissements dans les amériques
Quatre sentences arbitrales ont été rendues sur le fond dans des affaires mettant en cause des pays des Amériques, dont deux sentences importantes dans des différends miniers avec le Costa Rica et la Colombie soulevant la question du droit de légiférer de l’État pour protéger l’environnement.
Lion Mexico Consolidated c Mexique
Le tribunal arbitral condamne le Mexique à verser US $47 millions en dommages et à rembourser certains frais encourus devant les tribunaux mexicains dans l’affaire Lion Mexico Consolidated c Mexique. Footnote 130 Une société en commandite québécoise créée par une société américaine a vu ses prêts hypothécaires être annulés par les tribunaux mexicains, à la suite d’agissements frauduleux, sans pouvoir obtenir justice. Le tribunal arbitral considère qu’une expropriation judiciaire ne peut résulter que d’un déni de justice au sens de la clause du TJE, plutôt que d’être visée par la clause d’expropriation proprement dite.Footnote 131 Il conclut que les tribunaux mexicains ont commis un déni de justice procédurale à l’endroit de la société québécoise, qui n’a pas eu l’opportunité de se défendre dans les procédures d’annulation des prêts, ni l’opportunité d’exercer un appel, ou encore d’alléguer les agissements frauduleux dans le recours constitutionnel qu’elle a tenté en dernier ressort.Footnote 132
Infinito Gold c Costa Rica
Le tribunal arbitral dans l’affaire Infinito Gold c Costa Rica rend une sentence étoffée concernant l’annulation de concessions minières par des mesures législatives et des décisions judiciaires internes, après l’imposition d’un moratoire sur les mines à ciel ouvert dans le pays. Le tribunal rejette l’objection préliminaire jointe au fond concernant la réalisation de l’investissement en contravention avec la législation nationale pour cause de corruption.Footnote 133 Il rejette aussi l’objection préliminaire jointe au fond sur la prescription de la réclamation, mais à la majorité seulement.Footnote 134 Il juge à la majorité que la clause du TJE n’est pas limitée à la NMT de la coutume internationale, malgré la mention de sa conformité aux principes du droit international, une conclusion que réfute l’arbitre dissidente.Footnote 135 Le contenu essentiel de ce TJE autonome de la NMT vise la protection contre le déni de justice, la protection des attentes légitimes, la protection contre la conduite arbitraire, déraisonnable, disproportionnée ou manquant de bonne foi, ainsi que les principes de transparence et d’application régulière de la loi.Footnote 136 La majorité du tribunal prend le contre-pied de celui dans l’affaire Lion Mexico Consolidated, puisqu’elle est d’avis que les décisions judiciaires peuvent violer la clause d’expropriation ou des aspects du TJE autres que le déni de justice.Footnote 137 En l’espèce, toutefois, les décisions judiciaires attaquées sont conformes aux clauses du TJE et d’expropriation.
Bien qu’il constate à la majorité que les mesures législatives violent la clause du TJE, le tribunal conclut qu’aucun préjudice n’est causé à la société minière plaignante, l’affaire se terminant ainsi en queue de poisson.Footnote 138 Puisque la clause de protection et de sécurité des investissements ne vise que la protection physique de l’investissement, selon le tribunal, l’allégation d’atteinte à sa sécurité juridique échoue.Footnote 139 La tentative de l’investisseur canadien d’utiliser la clause NPF pour invoquer des règles de fond plus favorables dans les traités tiers du Costa Rica n’est pas plus fructueuse. Le tribunal arbitral esquive toutefois la question de savoir si elles peuvent être invoquées dans l’abstrait ou s’il faut qu’un investisseur tiers bénéficie concrètement d’un traitement plus avantageux, puisqu’il considère qu’il n’y aurait pas de violation des clauses invoquées en l’espèce.Footnote 140 Enfin, le tribunal arbitral neutralise avec justesse la clause sur le droit de légiférer pour protéger l’environnement, qui ne peut agir comme une exemption, puisqu’elle mentionne que les mesures environnementales doivent être compatibles avec l’APIE.Footnote 141 Une telle limite n’apparaît plus dans la clause sur le droit de légiférer de l’AÉCG et de l’APIE-type de 2021, laissant penser que cette dernière pourrait accroître le domaine réservé de l’État.Footnote 142
Air Canada c Venezuela
L’affaire Air Canada c Venezuela Footnote 143 se solde également par la victoire de l’investisseur canadien, concernant des mesures de contrôle des devises qui empêchaient le rapatriement des profits tirés de la vente de billets d’avion. Le tribunal arbitral condamne la république bolivarienne à verser US $20 millions en dommages pour réparer le préjudice causé par la violation de l’APIE entre le Canada et le Venezuela, un montant beaucoup moins élevé que les 213 millions de dollars américains réclamés.Footnote 144 Il rejette toutes les objections préliminaires du Venezuela, notamment celle voulant que l’accord bilatéral de transport aérien avec le Canada aurait pour effet de rendre inapplicable l’APIE.Footnote 145 Il s’agit d’une rare affaire mettant en cause la clause de liberté de transfert de fonds et le tribunal rappelle que cette liberté n’est pas absolue, mais que les restrictions imposées par le Venezuela ne sont pas justifiées en l’espèce.Footnote 146 Comme dans l’affaire Infinito Gold, le tribunal juge que la clause du TJE de l’APIE ne se limite pas à la NMT de la coutume internationale, même si elle se réfère aux principes du droit international.Footnote 147 Elle protège les attentes légitimes de l’investisseur, inclut un devoir de transparence et interdit la conduite arbitraire, incohérente ou discriminatoire. Il conclut que la conduite du Venezuela viole également cette clause.Footnote 148 Le tribunal rejette toutefois les allégations d’expropriation directe et indirecte de l’investisseur.Footnote 149
Eco Oro c Colombie
Une sentence arbitrale importante et volumineuse est rendue sur le fond dans l’affaire Eco Oro c Colombie en faveur de la société minière plaignante. Les mesures prises par la Colombie pour protéger l’écosystème sensible des hauts plateaux andins ont généré trois affaires distinctes sur le fondement de l’accord de libre-échange entre le Canada et la Colombie.Footnote 150 Ces mesures, visant à protéger les principales sources d’eau potable du pays, ont interféré avec des droits miniers détenus par des investisseurs canadiens. Ces affaires minières colombiennes mettent à l’épreuve le renforcement du droit de légiférer de l’État dans les accords récents du Canada. Le tribunal dans l’affaire Eco Oro rejette toutes les objections préliminaires de la Colombie. Cette dernière ne peut pas utiliser la clause de refus des avantages puisque la société minière n’est ni détenue ni contrôlée par des investisseurs provenant de pays tiers, malgré leur participation au capital de la société.Footnote 151 Le tribunal constate que la société a bien la nationalité canadienne puisqu’elle satisfait au critère explicite de constitution en vertu de la législation canadienne.Footnote 152 Toutes les conditions d’accès au RDIE sont respectées par la minière et le tribunal confirme sa compétence temporelle puisque la réclamation se fonde sur des faits postérieurs à l’entrée en vigueur de l’accord,Footnote 153 alors qu’il refuse avec raison de voir dans l’invocation de l’exception environnementale de l’accord une objection à sa compétence matérielle.Footnote 154
L’investisseur allègue que les mesures environnementales colombiennes constituent une expropriation indirecte de ses droits miniers et violent la clause du TJE. Le tribunal arbitral lui donne partiellement raison. Il conclut d’abord à la majorité que l’investisseur détenait bien de tels droits lors de l’entrée en vigueur de l’accord, mais que les mesures constituent un exercice légitime par la Colombie de ses pouvoirs de police.Footnote 155 Il s’appuie pour ce faire sur l’annexe fournissant une définition détaillée de la notion d’expropriation indirecte et rappelant la doctrine des pouvoirs de police qui permet à l’État de légiférer de manière non discriminatoire dans l’intérêt général. Il conclut en revanche que la Colombie a violé la clause du TJE en adoptant une interprétation particulièrement large de la NMT de la coutume internationale à laquelle la clause est pourtant limitée. Il refuse de se plier à l’exercice fastidieux d’établissement du contenu de la coutume auquel le convie pourtant explicitement l’accord de libre-échange, pour se contenter de dire qu’il peut s’inspirer de la pratique arbitrale existante sur le sujet.Footnote 156 Le tribunal reformule le contenu de la NMT et considère qu’elle prohibe les atteintes aux attentes légitimes des investisseurs s’appuyant sur la diligence raisonnable, ou celles à un environnement d’investissement stable et transparent, ou encore les atteintes à la bonne foi, lorsqu’elles sont inacceptables selon le droit international.Footnote 157 Il conclut à la majorité que la Colombie viole la clause du TJE en frustrant les attentes légitimes de la minière canadienne voulant qu’elle puisse exercer ses droits miniers ou être indemnisée en cas d’expropriation, ou encore qu’elle puisse bénéficier d’un cadre commercial prévisible pour mener ses affaires et opérer son investissement, en contravention flagrante avec les principes élémentaires d’équité.Footnote 158
Le tribunal arbitral refuse — malgré la tierce intervention du Canada au soutien de la Colombie — d’interpréter l’exception environnementale comme permettant de justifier la violation du traité et de soustraire l’État à l’obligation d’indemniser l’investisseur.Footnote 159 L’interprétation du tribunal se fonde notamment sur l’affirmation de la doctrine des pouvoirs de police dans l’annexe sur l’expropriation indirecte, ainsi que sur les circonstances excluant l’illicéité du droit de la responsabilité de l’État. Elle prive malheureusement de tout effet utile ces exceptions générales dans les accords sur l’investissement du Canada. Force est de constater que le tribunal arbitral dans l’affaire Eco Oro refuse de donner son plein effet au renforcement du droit de légiférer et particulièrement à ces exceptions, suivant les traces regrettables du tribunal dans l’affaire Bear Creek Mining. Footnote 160 Le tribunal fixe enfin les paramètres qui lui permettront de calculer les dommages dus par la Colombie dans une sentence à venir, la réclamation de la minière s’élevant à US $696 millions.
affaire concernant un investissement en europe
En Europe, une sentence arbitrale non publiée aurait été rendue en 2021 dans l’affaire Lumina (Miedzi) Copper c Pologne,Footnote 161 concernant la réclamation d’une société canadienne relative au retrait de permis d’exploitation minière et leur transfert à une société d’État polonaise. Le tribunal arbitral aurait rejeté les allégations d’expropriation indirecte, mais retenu un autre chef de violation de l’APIE entre le Canada et la Pologne, condamnant l’État membre de l’UE à une fraction minime des dommages réclamés.Footnote 162 Il faut rappeler que tous les APIE du Canada avec les États membres de l’UE s’éteindront lors de l’éventuelle entrée en vigueur de l’AÉCG. Footnote 163
affaires concernant des investissements en asie centrale
En Asie centrale, plusieurs rebondissements sont survenus concernant les réclamations de sociétés minières canadiennes contre le Kazakhstan et la succession controversée de ce dernier à l’APIE entre le Canada et l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS).Footnote 164 Ces affaires ont en commun leur manque total de transparence, aucune sentence n’ayant été rendue publique à ce jour, malgré les questions de droit international général importantes soulevées au sujet de la succession d’États en matière de traités. Il est pourtant d’intérêt public de savoir si et pourquoi le Canada est lié par un APIE avec ce pays, tout comme de connaître la position exacte d’Ottawa à cet égard.
World Wide Minerals c Kazakhstan
La Haute Cour d’Angleterre et du Pays de Galles annule partiellement la sentence sur le fond dans l’affaire World Wide Minerals c Kazakhstan,Footnote 165 à la demande de l’État qui s’est vu condamné en 2019 à verser US $13,6 millions en dommages, pour un montant total avoisinant les US $50 millions avec les intérêts et les frais.Footnote 166 Le tribunal arbitral avait rejeté l’allégation d’expropriation, mais conclut à la violation de la clause du TJE. La minière canadienne réclamait US $1,6 milliards, mais n’avait pas bien distingué les chefs de dommages selon qu’il s’agissait d’une expropriation ou non. Le juge anglais annule la partie de la sentence concernant l’indemnisation en raison des irrégularités sérieuses qu’il y constate, ayant causé une injustice substantielle au Kazakhstan en l’empêchant de faire valoir ses arguments adéquatement. Le juge renvoie l’affaire au tribunal arbitral afin qu’il refasse l’évaluation des dommages de manière correcte. Ce n’est donc pas la succession du pays à l’APIE entre le Canada et l’URSS qui fait l’objet de l’annulation, le Kazakhstan ayant échoué dans sa tentative tardive de demander l’annulation d’une sentence précédente tirant cette conclusion, malgré la découverte de faits nouveaux.Footnote 167
Gold Pool c Kazakhstan
Ces faits nouveaux entourant la succession du Kazakhstan à l’APIE entre le Canada et l’URSS sont au cœur de l’affaire Gold Pool c Kazakhstan,Footnote 168 où le tribunal arbitral a décliné compétence dans une sentence non publiée rendue en 2020. Selon les informations disponibles, le tribunal arbitral aurait été convaincu par les éléments nouveaux découverts par le Kazakhstan, qui plomberaient la thèse — soutenue par l’investisseur et le Canada — retenue dans l’affaire World Wide Minerals voulant qu’un accord tacite de succession existe entre le Canada et le Kazakhstan. Une société minière canadienne réclamait US $917 millions sur le fondement de cet APIE, concernant des faits remontant à la fin des années 1990. Le Kazakhstan aurait résilié unilatéralement un contrat d’État et la minière aurait échoué dans sa tentative de faire une réclamation arbitrale sur la base du contrat.
La Haute Cour d’Angleterre et du Pays de Galles annule cette sentence dans un jugement rendu en 2021, pour retourner l’affaire devant le tribunal arbitral afin qu’il exerce sa compétence sur le fond.Footnote 169 Selon le juge anglais, le tribunal arbitral a eu tort de se fonder sur les faits nouveaux découverts par le Kazakhstan et aurait dû conclure à l’existence d’un accord tacite de succession, comme le tribunal arbitral l’a fait dans l’affaire World Wide Minerals. Pour lui, la déclaration conjointe de 1992 sur la coopération économique entre les deux pays suffit à établir l’existence de cet accord tacite, puisqu’elle se réfère à l’APIE. Un échange de lettres de 1994 entre les deux pays confirmerait cet accord tacite, tout comme l’accord commercial de 1995 entre les pays qui se réfère aussi à l’APIE. Le juge rejette le témoignage d’un diplomate canadien, ainsi qu’un avis de 1998 du ministre canadien du commerce international selon lequel l’APIE entre le Canada et l’URSS serait inapplicable au Kazakhstan, tout comme il trouve non concluante la tentative de négociation d’un nouvel APIE entre les deux pays. Il est regrettable que cette sentence ne soit pas publiée et qu’il faille recourir au jugement d’une cour anglaise pour en apprendre un peu plus sur cette affaire mettant pourtant en cause un APIE du Canada. Ce manque de transparence semble aussi caractériser la conduite du Canada dans cette affaire, le Kazakhstan lui reprochant d’avoir produit des documents tellement caviardés qu’ils sont illisibles.Footnote 170
Alhambra c Kazakhstan
Enfin, une autre sentence arbitrale non publiée a été rendue en 2020 dans l’affaire Alhambra c Kazakhstan. Footnote 171 Une société minière canadienne et sa filiale néerlandaise ont soumis une réclamation sur le fondement du traité bilatéral d’investissement (TBI) entre les Pays-Bas et le Kazakhstan, concernant des redressements fiscaux et le refus d’autoriser des projets miniers. Le tribunal arbitral aurait décliné sa compétence en ce qui concerne la réclamation de la minière canadienne, alors qu’il aurait constaté certaines violations du TBI en ce qui concerne la réclamation de la filiale néerlandaise. Il est permis de se demander si la minière canadienne avait aussi invoqué l’APIE entre le Canada et l’URSS et si le tribunal a fondé sa décision sur le refus de reconnaître la succession du Kazakhstan à celui-ci. L’affaire se poursuit puisque les deux parties demandent maintenant l’annulation de la sentence et qu’un comité ad hoc est constitué à cette fin en 2021 au CIRDI.Footnote 172 Le manque de transparence qui entoure cette affaire est à nouveau hautement regrettable.