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Expulsions collectives: définition et portée de leur interdiction dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme

Published online by Cambridge University Press:  27 March 2019

Résumé

L’article considère l’interdiction des expulsions collectives dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. La Cour adopte un point de vue réaliste qui permet d’inclure dans cette interdiction les expulsions au sens strict et les actes de non-admission, exigeant aux États d’agir toujours de bonne foi. Or, elle n’y inclut pas les expulsions implicites, et rabaisse significativement la protection conventionnelle par l’exclusion de l’exigence d’un entretien individuel. La possibilité de son application extraterritoriale et l’impossibilité d’écarter la responsabilité étatique sur la base d’accords avec des États tiers montrent cependant la portée large accordée à l’interdiction.

Abstract

This article considers the prohibition of collective expulsion in the case law of the European Court of Human Rights. The court takes a realistic point of view that includes in the prohibition both collective expulsion in the narrow sense and acts of collective non-admission. It also requires states to act always in good faith. However, European case law does not prohibit implicit expulsion and significantly reduces treaty protection by excluding the requirement of an individual interview. The possibility of its extraterritorial application and the impossibility of excluding state responsibility on the basis of agreements with third states show, however, the broad scope given to the prohibition.

Type
Articles
Copyright
Copyright © The Canadian Yearbook of International Law/Annuaire canadien de droit international 2019 

Introduction

Il est un principe généralement admis en droit international que les États ont la faculté de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux.Footnote 1 Ce principe était déjà mentionné dans les Règles internationales sur l’admission et l’expulsion des étrangers adoptées par l’Institut de Droit International en 1892 (Règles). Selon le préambule de ce document, le droit d’expulser des étrangers est, pour chaque État, “une conséquence logique et nécessaire de sa souveraineté et de son indépendance.”Footnote 2 Le principe a été réaffirmé par la jurisprudence internationale,Footnote 3 ainsi que par la jurisprudence interne de beaucoup d’États.Footnote 4 La jurisprudence internationale des droits de l’homme en a aussi accusé réception. C’est notamment le cas de la Cour interaméricaine des Droits de l’Homme,Footnote 5 de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des PeuplesFootnote 6 et de la Cour européenne des droits de l’homme.Footnote 7

Cette conception des prérogatives étatiques est toutefois soumise à de forts questionnements par un secteur de la doctrine contemporaine pour lequel l’expulsion des étrangers est une pratique qui contribue à maintenir un système d’inégalités globales fondé sur le régime des États-nation. La conception classique centrée sur les droits des États servirait ainsi non seulement au contrôle des frontières, mais aussi à renforcer la sécurité nationale, à la régulation du marché de travail et au contrôle social et punitif. Un point de vue alternatif exigerait donc de considérer les personnes expulsées non comme des objets d’une mesure d’expulsion mais comme des sujets d’une catégorie particulière avec des droits humains spécifiques. Par conséquent, le point de départ ne devrait pas être le droit de l’État à expulser, mais la nature questionnable de la légitimité des expulsions, sauf si elles sont strictement justifiées.Footnote 8

Le droit international dans son état actuel de développement, même s’il n’accepte pas cette inversion des présupposés du régime de contrôle étatique des mouvements des personnes, impose au moins certaines limites à l’exercice de la faculté d’expulsion par les États. Cet article aborde une des limites à la faculté des États d’éloigner des étrangers, l’interdiction des expulsions collectives, focalisant l’analyse sur les précédents de la juridiction européenne des droits de l’homme. L’objectif de l’article est d’évaluer la définition d’expulsion collective construite par la Cour européenne des droits de l’homme, certains aspects procéduraux y relatifs et son domaine d’application.

L’article se base sur l’idée que les juridictions internationales, et notamment la Cour européenne des droits de l’homme, s’appuient toujours sur le paradigme classique pour lequel la faculté d’expulsion de l’État est la règle et les limites à cette faculté, l’exception. Le rôle, significatif mais encore marginal, du droit international dans la limitation de l’exercice de la puissance étatique sur les étrangers est visible dans la jurisprudence de la Cour européenne en la matière. L’interdiction des expulsions collectives est relativement récente dans l’évolution du droit international concernant le traitement des étrangers. Les Règles, même si elles imposaient des limites aux facultés étatiques d’expulsion dans certains cas, admettaient expressément la possibilité de procéder à des expulsions collectives (appelées expulsions extraordinaires ou en masse par les Règles).

Selon les Règles, les expulsions ne pouvaient pas être prononcées dans un intérêt privé ou pour arrêter de justes revendications contre les États et devaient être exécutées “avec tous les ménagements possibles, en tenant compte de la situation particulière de la personne.”Footnote 9 Les individus expulsés, pour leur part, se voyaient reconnaître certains droits procéduraux.Footnote 10 Les expulsions en masse étaient possibles de manière définitive (de sorte que les expulsés n’étaient “pas libres de revenir dans le pays”) ou de manière temporaire (“à raison d’une guerre ou de troubles graves survenus sur le territoire” de sorte qu’elles ne produisaient son effet “que pour la durée de la guerre ou pour un délai déterminé”).Footnote 11 L’expulsion extraordinaire définitive exigeait “une loi spéciale, ou du moins une ordonnance spéciale du pouvoir souverain,” publiée d’avance dans un délai convenable; l’expulsion extraordinaire temporaire pouvait “à l’expiration de la guerre ou du délai fixé, être convertie en expulsion ordinaire [individuelle] ou en expulsion extraordinaire définitive.”Footnote 12

L’interdiction des expulsions collectives s’est développée dans le contexte du droit international des droits de l’homme. Cette interdiction a été explicitement introduite par l’article 4 du Protocole n° 4 à la Convention européenne des droits de l’homme (Convention européenne).Footnote 13 Cette disposition se lit ainsi: “Les expulsions collectives d’étrangers sont interdites.” Le Protocole n° 4 a été élaboré par un Comité d’Experts au sein du Conseil de l’Europe et il a été ouvert à la signature des États membres le 16 septembre 1963. Le projet initial de l’Assemblée Consultative du Conseil de l’Europe contenait une disposition beaucoup plus hardie qui protégeait les étrangers résidant régulièrement sur le territoire de l’État contre les expulsions arbitraires et qui, en plus, construisait un régime de garanties croissantes selon le temps de résidence.Footnote 14 Le Comité d’Experts a décidé de remplacer cette disposition par une autre beaucoup plus succincte sur les expulsions collectives. La rédaction du Comité d’Experts, finalement adoptée, même si elle protège tous les étrangers et non seulement les étrangers en situation régulière, est décidément plus limitée dans sa portée.

La première raison donnée par le Comité d’Experts pour réduire la portée de l’article est qu’une interdiction des expulsions comme celle qui avait été envisagée dans le texte proposée par l’Assemblée Consultative était déjà contenue dans la Convention européenne d’établissement et qu’il existait donc un risque de collision de normes.Footnote 15 La disposition proposée était en effet presqu’identique à celle de l’article 3 de la Convention européenne d’établissement,Footnote 16 avec la différence notoire que cette dernière est une convention insérée dans la logique de l’intégration interétatique, de manière que les droits y mentionnés sont reconnus aux ressortissants des parties contractantes, et non à tous les étrangers. L’adoption de la version de l’article 4 proposée par l’Assemblée Consultative aurait supposé le passage d’une logique de protection de certains étrangers choisis sur la base de la réciprocité à une logique de protection universelle des droits de l’homme. Comme il a été correctement souligné, c’était ce changement que le Comité d’Experts craignait, et non une éventuelle collision de règles.Footnote 17

La deuxième raison avancée par le Comité d’Experts pour justifier sa décision de s’écarter de la version proposée par l’Assemblée Consultative est l’absence de consensus parmi ses membres qui, selon le rapport, auraient pu se mettre d’accord seulement sur une garantie minimale concernant la légalité de la décision d’expulsion (à condition que l’État soit le seul compétent pour interpréter la législation interne) ou sur des garanties purement procédurales (relatives à la présentation d’allégations et à l’examen du cas par une autorité compétente). Cependant, selon le propre Comité, la première possibilité était contraire à l’économie générale de la convention et la deuxième était trop limitée. Pour cela, le Comité a décidé de ne pas inclure une protection en cas d’expulsion individuelle.Footnote 18 Ces deux exigences (la légalité de l’expulsion et le respect de certaines garanties procédurales minimales) seraient introduites dans le système de la Convention européenne plusieurs années plus tard, à travers l’article 1 du Protocole n° 7, adopté le 22 novembre 1984, et seulement pour les étrangers résidant régulièrement sur le territoire de l’État.Footnote 19

L’interdiction de l’expulsion collective d’étrangers a été reprise par la Convention américaine relative aux Droits de l’Homme,Footnote 20 adoptée en 1969, par la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (Charte Africaine),Footnote 21 adoptée en 1981, et par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,Footnote 22 adoptée en 2000. La Charte Africaine a cependant inclus une définition de ce que constitue une expulsion collective qui, comme on le verra ci-dessous, est différente de celle adoptée par la jurisprudence de la Cour européenne. L’expulsion collective des étrangers est également interdite dans le projet d’articles sur l’expulsion des étrangers adopté par la Commission du droit international.Footnote 23

Le présent article considérera les expulsions collectives à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en trois étapes. Tout d’abord, on s’interrogera sur la définition de ce que constitue une expulsion collective, tant d’un point de vue purement conceptuel que d’un point de vue européen. Puis, on s’arrêtera sur les exigences procédurales qui peuvent être dégagées de la jurisprudence européenne. Finalement, on analysera le domaine d’application, géographique et matériel, de l’interdiction des expulsions collectives tel qu’il a été construit par cette même jurisprudence.

La définition d’expulsion: approche générale

Il convient tout d’abord de s’approcher d’une définition générale de ce qu’il faut entendre par expulsion des étrangers. Si le concept d’étranger ne pose habituellement pas de problèmes, étant défini comme tout individu qui ne possède pas la nationalité de l’État où il se trouve,Footnote 24 la notion d’expulsion est beaucoup plus difficile à cerner. Le rapporteur spécial des Nations Unies signalait, dans son rapport préliminaire sur l’expulsion des étrangers que, “abordée comme un fait, l’expulsion peut être appréhendée simplement comme un mouvement forcé de franchissement de la frontière ou de sortie du territoire d’un État par un individu qui y est contraint.”Footnote 25 Or, il admettait tout de suite que cette description ne suffisait pas à cerner juridiquement la notion d’expulsion et que cette notion ne pouvait être comprise que par une confrontation avec d’autres notions voisines.Footnote 26

Le rapporteur définissait donc l’expulsion d’étrangers comme “l’acte juridique par lequel un État contraint un individu ou un groupe d’individus [étrangers] à quitter son territoire.”Footnote 27 Cette définition est parfois spécifiée en ajoutant que l’expulsion est ordonnée parce que la présence de l’étranger est contraire aux intérêts de l’État.Footnote 28 Il semble cependant que ce rajout ne change pas la définition primitive car, l’État pouvant apprécier de manière discrétionnaire ses propres intérêts, n’importe quel argument donné pour l’expulsion peut apparaître comme étant une justification pour l’expulsion. En tout état de cause, il est clair que l’expulsion (acte unilatéral de l’État) doit se distinguer de l’extradition (acte de l’État fait à partir de la requête d’un autre État et dans le cadre de procédures légalement établies)Footnote 29 et des remises extraordinaires ou remises irrégulières (par lesquelles un État délivre une personne à partir de la requête d’un autre État mais hors les procédures légalement établies).Footnote 30

Il est par contre plus difficile de savoir si la non-admission sur le territoire, appelée parfois refoulement, équivaut à une expulsion. Si l’on adopte la définition stricte donnée ci-dessus la non-admission serait une réalité conceptuellement différente de l’expulsion.Footnote 31 Ceci n’empêche pas cependant que la non-admission puisse être considérée comme une forme d’expulsion dans un sens plus large et, par conséquent, être soumise aux mêmes règles qui s’appliquent aux expulsions. En tout cas, l’utilisation par certaines législations nationales de l’expression non-admission pour parler de l’éloignement des étrangers qui ont réussi à pénétrer effectivement dans le territoire d’un État, quoique de manière irrégulière, conduit plutôt à des confusions. Il s’agit dans ce cas d’une véritable expulsion.Footnote 32 De la même manière, l’utilisation d’expressions telles que reconduite à la frontière ou droit de renvoi pour désigner l’éloignement des étrangers en situation irrégulière n’empêche pas que ces actes soient, en substance, de véritables mesures d’expulsion.Footnote 33

D’autre part, l’expression expulsion implicite est généralement utilisée pour parler de mesures de contrainte qui ne donnent pas en fait à l’étranger d’autre choix que de quitter un pays, mais sans qu’il existe une décision formelle ou même un acte matériel d’expulsion par l’État.Footnote 34 Les précédents qui existent en droit international sont en général assez exigeants pour reconnaître une responsabilité de l’État pour une expulsion implicite illégale.Footnote 35 Le mot “déportation,” finalement, est utilisé pour désigner les mesures visant à exécuter un ordre d’expulsion.Footnote 36 Dans plusieurs langues le concept a une connotation négative, dès qu’il est lié au transfert forcé d’une population civile à l’extérieur d’un territoire occupé.Footnote 37 Malgré cette connotation, le mot déportation sera utilisé dans ce texte pour faire référence à l’exécution de la décision d’expulsion, car ce sens est déjà consacré par l’usage. Aux effets de ce texte, on entend l’expulsion au sens strict comme l’acte unilatéral de l’État qui contraint un ou plusieurs individus à quitter le territoire, que ces individus se trouvent de manière régulière ou irrégulière sur ce territoire. Dans un sens plus large, le concept d’expulsion inclut les expulsions au sens strict et les non-admissions sur le territoire. Cette utilisation, comme on le verra, coïncide avec celle de la Cour européenne des droits de l’homme.

La définition de la Cour européenne

LA DÉFINITION

L’article 4 du Protocole n° 4 est, en quelque sorte, une rareté dans le système de la Convention européenne des droits de l’homme. En effet, la Convention et ses protocoles protègent des droits individuels, ce qui est patent dans la rédaction même des articles (qui commencent habituellement avec des expressions comme “toute personne a droit à” ou bien “nul ne peut”). La disposition dont il est question ici, par contre, interdit les expulsions collectives. En ce sens, il est vrai que l’article ne s’occupe pas des expulsions individuelles.Footnote 38 Or, paradoxalement, l’article protège aussi un droit individuel. En effet, il surgit de la jurisprudence de la Cour (qu’on analysera tout au long de cet article) que la disposition consacre non un droit des groupes à ne pas être expulsés, mais un droit des individus à ne pas être expulsés de manière groupale. Par conséquent, chaque personne individuelle qui se croit victime d’une expulsion collective doit se présenter devant la juridiction si elle veut trouver un redressement; et la décision adoptée n’aura d’effet que pour le(s) individu(s) s’étant porté(s) devant la juridiction (et non pour l’ensemble des personnes expulsées). Inversement, il n’est pas nécessaire que toutes les personnes expulsées ou un nombre important d’elles se portent devant le tribunal: il suffit d’une requête présentée par un seul requérant pour que la Cour européenne déclare qu’il y a eu violation de la disposition concernée, pourvu que ce requérant puisse montrer qu’il a été expulsé dans le contexte d’une expulsion collective.

De cette manière, le problème central pour l’application de l’article 4 du Protocole n° 4 est celui de la définition de ce qui constitue une expulsion en groupe, c’est-à-dire, une expulsion collective. La Cour européenne s’est référée pour la première fois à cette définition dans l’affaire Andric c Suède, qui concernait l’expulsion d’une personne d’origine croate et de double nationalité croate et bosnienne par la Suède.Footnote 39 M. Andric avait demandé asile en Suède alléguant qu’il avait refusé de joindre les forces armées musulmanes dans son pays de résidence (la Bosnie) et que, par conséquent, sa déportation dans ce pays l’exposait à un risque de mauvais traitements. Par ailleurs, il affirmait que, malgré le fait qu’il possédait un passeport croate, il n’était pas considéré comme un citoyen à plein titre dans ce pays et que s’il était envoyé en Croatie il encourait le risque d’être déporté en Bosnie. La Suède avait refusé la demande d’asile et ordonné l’expulsion d’Andric vers la Croatie. Cependant, suite à la présentation d’un certificat médical qui attestait qu’il souffrait d’un syndrome de stress post-traumatique, la Suède avait décidé de suspendre l’exécution de l’ordre d’expulsion.

M. Andric avait allégué que son expulsion faisait partie d’une expulsion collective dans la mesure où elle était le résultat de la simple application de la règle contenue dans le manuel des procédures d’asile du gouvernement suédois selon laquelle les personnes ayant la double nationalité croate et bosnienne pouvaient se voir refuser l’asile et être expulsées vers la Croatie. Pour aborder l’affaire, la Cour s’est appuyée sur la définition d’expulsion collective préalablement construite par la Commission européenne des droits de l’homme. Ainsi, la Cour a défini l’expulsion collective comme “toute mesure contraignant des étrangers, en tant que groupe, à quitter un pays, sauf dans les cas où une telle mesure est prise à l’issue et sur la base d’un examen raisonnable et objectif de la situation particulière de chacun des étrangers qui forment le groupe.”Footnote 40

La définition, en effet, reprenait presque à la lettre celle qui avait été donnée par la Commission dans l’affaire Becker. La définition de la Commission exigeait cependant que la décision d’expulsion collective ait été prise par “l’autorité compétente.”Footnote 41 La définition de l’affaire Becker avait été postérieurement utilisée par la Commission dans K.G.,Footnote 42 O. et autres Footnote 43 et Albaks et autres.Footnote 44 La différence est significative car l’exigence d’une décision de l’autorité compétente suppose que si la mesure d’expulsion est adoptée par une autorité de l’État qui n’est pas compétente il n’y aura pas de responsabilité étatique. Par contre, la définition plus large adoptée par la Cour permet de rendre l’État responsable de l’action de tous ses organes, même s’ils sont incompétents.

Une question différente est si l’État peut être tenu pour responsable en cas d’une expulsion collective organisée par des particuliers. La définition de la Cour exige l’existence d’une mesure et il paraît difficile de qualifier comme telle l’action d’un mouvement social plus ou moins spontané qui aboutit à une expulsion d’étrangers du territoire. Or, il est aussi vrai que ces mouvements sociaux peuvent compter avec la complicité des autorités. On reviendra sur ce point au moment de parler des expulsions implicites. Selon la définition de la Commission, reprise par la Cour, une expulsion collective suppose qu’un groupe d’étrangers est contraint de quitter un pays sans que les circonstances individuelles de chacun des membres de ce groupe aient été analysées. Or, doit ce groupe être composé d’un nombre minimal de personnes pour que le(s) requérant(s) puisse(nt) avoir un grief défendable sous l’angle de l’article 4 du Protocole n° 4?

Dans O. et autres la Commission avait écarté une violation de l’article 4 du Protocole n° 4 insinuant que les mesures d’expulsion “ne visaient que trois personnes.”Footnote 45 Or, il est vrai que cet aspect n’avait pas été décisif au moment de fonder la non-violation de l’article 4 du Protocole n° 4. Dans l’affaire Andric, la Cour n’a pas mentionné l’existence d’un seuil quantitatif: elle s’est bornée à expliquer que le fait qu’un groupe d’étrangers soit l’objet de décisions similaires n’implique pas une expulsion collective si chaque personne a eu l’opportunité de présenter des arguments concernant sa situation individuelle devant les autorités.Footnote 46 Pour la Cour, l’utilisation par les autorités suédoises d’un manuel avec des indications générales n’avait pas empêché l’analyse individuelle des circonstances relatives aux conditions d’expulsion de M. Andric lors de l’étude de sa demande d’asile. Pour cela, l’expulsion (ordonnée mais suspendue) de M. Andric vers la Croatie ne supposait pas une expulsion collective prohibée.Footnote 47

L’existence d’une décision individuelle doit être considérée du point de vue matériel, et non du point de vue purement formel. Ceci veut dire que, si les circonstances individuelles de chaque personne ont été réellement considérées, il n’est pas nécessaire que l’État adopte un acte administratif formellement différent pour chaque expulsé. Ainsi, dans Berisha et Haljiti, la Cour a déclaré irrecevable une requête présentée par deux époux qui avaient reçu un ordre d’expulsion de manière conjointe. Pour la Cour, le simple fait que les autorités nationales aient rendu une décision unique pour les deux requérants ne constituait pas une violation de l’article 4 du Protocole n° 4, car le contexte justifiait une telle démarche (ils étaient mari et femme; ils étaient entrés ensemble sur le territoire de l’État défendeur; ils avaient déposé une demande d’asile conjointe en invoquant les mêmes motifs; ils avaient produit les mêmes éléments de preuve à l’appui de leurs allégations; ils avaient formé des recours conjoints devant la commission d’appel du gouvernement et devant la Cour suprême, etc.).Footnote 48

Ce qui compte pour qu’une expulsion soit définie comme collective c’est donc l’absence d’une analyse individuelle de la situation de chaque personne. La Cour va répéter cette approche dans des affaires postérieures.Footnote 49 Une situation reste cependant sans solution claire: c’est le cas de l’expulsion d’une personne sans analyse de sa situation individuelle mais sans pour autant qu’elle fasse partie d’un groupe de personnes expulsées. Il n’est pas clair si, dans ce cas, il existerait une violation de l’article 4 du Protocole n° 4. La réponse paraît négative. Même si le but de l’article 4 du Protocole n° 4 est de contraindre les États à analyser individuellement la situation de chaque personne expulsée, il semble difficile de dire que l’expulsion d’une seule personne peut être qualifiée d’expulsion collective pour la seule raison que sa situation individuelle n’a pas été considérée.

La définition de la Cour européenne, en plus d’être reprise par elle-même dans des affaires postérieures, inspirerait le projet d’articles sur l’expulsion des étrangers adopté par la Commission du droit international. Selon le premier alinéa de l’article 9, aux fins du projet d’articles, “l’expulsion collective s’entend de l’expulsion d’étrangers en tant que groupe.” Et, suivant aussi le critère de la Cour européenne, l’alinéa 3 du même article ajoute qu’un État “peut expulser concomitamment les membres d’un groupe d’étrangers, à condition que la mesure d’expulsion soit prise à l’issue et sur la base d’une appréciation de la situation particulière de chacun des membres qui forment le groupe.”Footnote 50

La définition européenne et celle du projet d’articles sont plus larges que celle qui est envisagée dans la Charte Africaine. En effet, dans le contexte de la Charte, l’expulsion collective “est celle qui vise globalement des groupes nationaux, raciaux, ethniques ou religieux” (Article 12.5). Ainsi, pour que l’expulsion d’un individu soit considérée comme faisant partie d’une expulsion collective il ne suffirait pas qu’elle ait été faite sans considération des circonstances individuelles de cet individu: il faudrait, en plus, que l’individu ait été expulsé en raison de son appartenance à un groupe national, racial, ethnique ou religieux. Cette condition, par contre, n’est pas requise par la jurisprudence de la Cour européenne.

LA DÉFINITION ÉLARGIE: L’EXIGENCE DE BONNE FOI

La Cour a repris la problématique des expulsions collectives dans l’affaire Čonka. Les requérants étaient un couple slovaque et leurs deux enfants, tous d’ethnie tsigane, arrêtés et expulsés vers la Slovaquie. Ils avaient présenté des demandes d’asile en Belgique avec l’argument qu’ils avaient fui la Slovaquie en raison d’une agression par des skinheads dont ils avaient été les victimes. Les demandes d’asile ayant été rejetées, des ordres d’expulsion avaient été émis. Quelques mois plus tard, la police avait convoqué plusieurs dizaines de familles tsiganes slovaques, dont les requérants. Rédigée en néerlandais et en slovaque, la lettre envoyée aux familles indiquait que la convocation avait pour but de compléter le dossier relatif à leurs demandes d’asile. Au commissariat, les requérants s’étaient vus remettre un nouvel ordre de quitter le territoire, accompagné d’une décision de remise à la frontière et de privation de liberté à cette fin. Un ordre rédigé de manière identique avait été remis à tous les tsiganes slovaques convoqués. Quelques heures plus tard, les requérants avaient été emmenés, avec les autres familles tsiganes, à un centre fermé près de l’aéroport de Bruxelles. Finalement, ils avaient été déportés.

La Cour a reproduit à la lettre la définition d’expulsion collective utilisée dans l’affaire Andric.Footnote 51 Or, elle a ajouté une précision tout à fait significative: “[C]ela ne signifie pas pour autant que là où cette dernière condition est remplie [la condition de l’examen raisonnable et objectif de la situation particulière des étrangers qui forment le groupe], les circonstances entourant la mise en œuvre de décisions d’expulsion ne jouent plus aucun rôle dans l’appréciation du respect de l’article 4 du Protocole n°4.”Footnote 52 La Belgique alléguait, en effet, que l’expulsion avait eu pour base les premiers ordres d’expulsion, dictés après l’évaluation concrète de la situation des requérants dans le contexte de leurs demandes d’asile. La Cour, tout en admettant que ces premiers ordres avaient considéré la situation individuelle des requérants, a conclu que la mesure d’éloignement effectivement exécutée s’était fondée sur le deuxième ordre, pris de manière collective pour tous les tsiganes slovaques convoqués au commissariat de police. Ce deuxième ordre ne contenait aucune autre référence à la situation personnelle des intéressés que le fait que leur séjour en Belgique excédait les trois mois. Le caractère collectif de l’expulsion se voyait aussi confirmé par les circonstances qui l’avaient entourée: préalablement à l’opération de déportation les instances politiques responsables avaient annoncé des opérations de ce genre; tous les intéressés avaient été convoqués simultanément au commissariat; les ordres de quitter le territoire présentaient un libellé identique; il était très difficile pour les intéressés de prendre contact avec un avocat, etc.

Le juge Velaers a critiqué, dans son opinion individuelle, ce qu’il a considéré une excessive rigueur formelle de la majorité. Pour lui, le deuxième ordre d’expulsion (sur lequel la déportation avait effectivement eu lieu) ne pouvait pas être dégagé du contexte général de l’expulsion. Et ce contexte montrerait que la situation individuelle des requérants avait été considérée lors de l’analyse de leurs demandes d’asile et de l’adoption des premiers ordres d’expulsion.Footnote 53 Le même point de vue a été exprimé par les juges Jungwiert et Küris.Footnote 54

Contrairement à l’avis des juges dissidents, il ne s’agissait pas en l’espèce d’une excessive rigueur formelle de la part de la majorité, mais du respect des règles fondamentales de l’état de droit. En effet, un État respectueux des libertés individuelles doit toujours agir de bonne foi. S’il se sert d’un prétexte pour convoquer des étrangers en vue de leur expulsion et essaie a posteriori de justifier la mesure sur la base d’éléments présents dans un dossier différent, il agit doublement de mauvaise foi. D’une part, parce que l’État ne peut pas cacher aux personnes convoquées les véritables raisons de leur convocation. D’autre part, parce que les mesures adoptées par l’État doivent pouvoir se justifier par elles-mêmes, c’est-à-dire, à partir des éléments présents dans le dossier qui a mené à leur adoption.

Dans l’affaire Čonka, la Cour a élargi la définition d’expulsion collective. Pour éviter qu’une expulsion soit qualifiée de collective, l’État doit non seulement tenir en compte les circonstances particulières de la personne expulsée mais aussi, dans la considération de ces circonstances, il doit agir de bonne foi. La Cour a été très critique du caractère frauduleux de la convocation que les autorités belges avaient adressée aux familles tsiganes. En effet, sous le prétexte de donner suite aux procédures d’asile, les autorités avaient réuni ces familles pour ensuite les arrêter et les expulser. Quoique sur une autre rubrique (se référant à la violation de l’article 5.1 sur la privation de liberté et non de l’article 4 du Protocole n° 4), la Cour a signalé que “s’il n’est certes pas exclu que la police puisse légitimement user de stratagèmes afin, par exemple, de mieux déjouer des activités criminelles, en revanche le comportement de l’administration qui cherche à donner confiance à des demandeurs d’asile en vue de les arrêter, puis de les expulser, n’est pas à l’abri de la critique au regard des principes généraux énoncés par la Convention ou impliqués par elle.”Footnote 55

L’exigence de bonne foi de la part de l’État ne signifie pas que la Cour de Strasbourg impose à celui-ci des formalismes inutilement rigoureux. Dans l’affaire M.A. la Cour a affirmé que le fait que des formulaires standardisés soient utilisés pour l’exécution de la décision d’expulsion n’équivaut pas à une expulsion collective, si la situation de chacun des intéressés a été préalablement considérée.Footnote 56 Et dans Davydov elle a assuré que le refus d’un titre de séjour accompagné d’une suggestion des autorités d’emménager avec toute la famille dans le pays de la nationalité de la personne qui se voit refuser ce titre de séjour n’équivaut pas à une expulsion collective, pourvu que la situation de chaque personne expulsée ait été individuellement considérée.Footnote 57

La Cour est revenue sur l’exigence de bonne foi de la part de l’État dans l’affaire N.D. et N.T., concernant le refoulement d’immigrants qui essayaient d’entrer en Espagne à travers la frontière entre l’enclave espagnole de Melilla et le Maroc. Le gouvernement demandé estimait que les requérants ne pouvaient pas se prétendre victimes au sens de l’article 34 de la Convention car la mauvaise qualité des enregistrements vidéo fournis comme moyen de preuve ne permettait pas d’affirmer que les requérants étaient effectivement les personnes qui apparaissaient dans les images filmées. La Cour a par contre estimé que les preuves étaient suffisantes pour conclure que les requérants avaient été expulsés et que, en tout état de cause, si les requérants ne pouvaient pas apporter de documents les identifiant de manière plus précise c’était “avant tout parce que, lors de leur expulsion, les étrangers renvoyés n’[avaient] fait l’objet d’aucune procédure d’identification”; ainsi, le gouvernement espagnol ne pouvait pas “se retrancher derrière l’absence d’identification lorsqu’il en [était] lui-même responsable.”Footnote 58

L’exigence de bonne foi incombe aussi aux requérants, qui doivent collaborer avec l’autorité pour permettre l’analyse de leurs circonstances individuelles. Ainsi, si l’absence d’une décision individuelle est due à l’attitude des requérants il n’y a pas de violation de l’article 4 du Protocole n° 4. Dans l’affaire Dritsas, la Cour a conclu que la requête était manifestement mal fondée car les requérants avaient refusé de montrer leurs pièces d’identité aux autorités.Footnote 59

LA NON-ADMISSION

Comme il a été expliqué, la non-admission dans un territoire est une institution différente de l’expulsion au sens strict, quoique dans une utilisation plus large le mot expulsion puisse inclure aussi la non-admission. Cette problématique a été abordée dans l’affaire Hirsi Jamaa. L’affaire concernait onze ressortissants somaliens et treize ressortissants érythréens, faisant partie d’un groupe d’environ deux cents personnes, qui avaient quitté la Libye dans le but de rejoindre les côtes italiennes et qui avaient été interceptés par des navires militaires italiens et reconduits à Tripoli, où ils avaient été rendus aux autorités libyennes. L’interception des requérants et leur transfert en Libye avaient eu lieu hors du territoire italien, à 35 milles marins au sud de Lampedusa, à l’intérieur de la zone maritime de recherche et de sauvetage (zone de responsabilité SAR) relevant de la compétence de Malte. Le gouvernement italien avait dénié que la rescousse des migrants en mer ait signifié quelque forme d’exercice légalement significatif de la juridiction.Footnote 60 L’affaire posait deux questions fondamentales. La première était de savoir si l’interdiction des expulsions collectives embrassait aussi des cas de non-admission. La deuxième concernait la possibilité de faire jouer cette interdiction de manière extraterritoriale, car les faits s’étaient produits au-delà des frontières de l’État défendeur. On traitera dans cette section de la première question et on laissera la deuxième question pour une section postérieure.

Comme les requérants n’étaient pas arrivés sur le territoire de l’État contractant, le gouvernement défendeur alléguait qu’il ne s’agissait pas d’une expulsion mais d’un cas de non-admission qui se plaçait au-delà du champ d’application de l’article 4 du Protocole n° 4. La Cour a déclaré que la Convention est “un instrument vivant qui doit être interprété à la lumière des conditions actuelles” et “d’une manière qui en rende les garanties concrètes et effectives et non pas théoriques et illusoires.”Footnote 61 Elle a ensuite constaté que le but de l’article 4 du Protocole n° 4 est “d’éviter que les États puissent éloigner un certain nombre d’étrangers sans examiner leur situation personnelle et, par conséquent, sans leur permettre d’exposer leurs arguments s’opposant” à cette mesure.Footnote 62 S’appuyant sur ce critère téléologique, la Cour a conclu que les éloignements d’étrangers qui ont pour effet d’empêcher les migrants de rejoindre les frontières de l’État peuvent engager la responsabilité de l’État sous l’article 4 du Protocole n° 4.Footnote 63 Dans les circonstances de l’affaire Hirsi Jamaa, la Cour a constaté que la situation individuelle des requérants n’avait pas été considérée avant leur refoulement et a par conséquent déclaré une violation de l’article 4 du Protocole n° 4.Footnote 64

L’affaire Hirsi Jamaa portait l’idée implicite que toute activité de l’État qui empêche l’entrée à un territoire constitue une expulsion aux termes de l’article 4 du Protocole n° 4, soit que le rejet ait lieu sur le territoire de l’État, soit qu’il ait lieu hors ce territoire.Footnote 65 Cette idée large d’expulsion a été reprise par la Cour dans des affaires postérieures concernant des migrants refoulés immédiatement après avoir gagné le territoire de l’État. Dans Sharifi, la Cour a rejeté une exception d’incompatibilité ratione materiae avec la Convention présentée par le gouvernement défendeur pour qui l’interdiction des expulsions collectives serait d’application dans des cas d’expulsion stricto sensu, mais non de refus d’admission sur un territoire. La Cour a par contre raisonné que l’interdiction était aussi applicable aux refus d’entrée sur un territoire.Footnote 66 Et dans l’affaire Khlaifia, même si elle a abouti à la conclusion qu’il n’y avait pas eu de violation de l’article 4 du Protocole n° 4, la Grande Chambre a rappelé que le terme expulsion doit être compris “dans le sens générique que lui reconnaît le langage courant (chasser hors d’un endroit).”Footnote 67 De cette manière, elle a exclu l’argument du gouvernement selon lequel l’article 4 du Protocole n° 4 ne serait pas applicable parce qu’il ne s’agirait pas en l’espèce d’une expulsion mais d’un refoulement avec reconduite à la frontière.

Le même argument a été utilisé par le gouvernement espagnol dans N.D. et N.T. pour éviter l’application de l’interdiction de l’article 4 du Protocole n° 4. Pour l’Espagne, en effet, les personnes qui n’utilisent pas les voies légales pour l’entrée sur le territoire et qui ne réussissent pas à franchir le dispositif de protection de la frontière — ce qui aurait été le cas des requérants, qui avaient essayé de gagner l’enclave de Melilla par sa frontière avec le Maroc — devraient être considérées comme étant toujours restées hors du territoire et il ne pourrait pas y avoir une expulsion d’une personne qui n’était jamais entrée sur le territoire. La Cour a insisté sur le fait qu’il n’était pas nécessaire d’établir si les requérants avaient été expulsés après être entrés sur le territoire ou s’ils avaient été refoulés avant d’avoir pu le faire. Dans les deux cas l’article 4 du Protocole n° 4 serait d’application.Footnote 68 On reviendra ci-dessous sur ces trois affaires (Sharifi, Khlaifia et N.D. et N.T.).

LES EXPULSIONS IMPLICITES

Dans Géorgie c Russie (I),Footnote 69 la Cour s’est vue confrontée à une demande de la Géorgie, qui alléguait que la Russie avait permis ou causé l’existence d’une pratique administrative portant sur l’arrestation, la détention et l’expulsion collective de ressortissants géorgiens de la Fédération de Russie. En 2006, en effet, les tensions entre la Géorgie et la Russie avaient atteint leur point le plus élevé avec l’arrestation de quatre officiers russes à Tbilissi et la suspension par la Fédération de Russie de toutes les liaisons aériennes, routières, maritimes, ferroviaires, postales et financières avec la Géorgie. Pendant cette période, des ressortissants géorgiens avaient été arrêtés, détenus, puis expulsés du territoire russe. Le gouvernement géorgien considérait qu’il s’agissait de mesures de rétorsion suite à l’arrestation des officiers russes. La Russie, par contre, alléguait que ces expulsions n’avaient aucun lien avec les tensions politiques existantes et qu’il s’agissait simplement de l’expulsion de migrants en situation irrégulière.Footnote 70

La Cour a établi que, suite à des contrôles d’identité effectués dans les rues, sur les marchés et autres lieux de travail ainsi qu’à leur domicile, des ressortissants géorgiens avaient été arrêtés et emmenés dans des commissariats de police. Après avoir été placés en garde à vue, ils avaient été regroupés et transférés par bus vers les tribunaux qui, lors de procédures sommaires, avaient prononcé des sanctions administratives et des décisions d’expulsion. Certains parmi eux avaient quitté le territoire russe par leurs propres moyens. D’autres avaient été amenés dans des centres de détention pour étrangers où ils étaient restés détenus pendant des durées variables (allant de 2 à 14 jours d’après les témoignages), puis transportés par bus vers différents aéroports de Moscou et expulsés vers la Géorgie par avion.

S’agissant d’une demande interétatique,Footnote 71 la Cour n’était pas appelée à trancher des violations individuelles des droits garantis par la Convention européenne des droits de l’homme, mais une violation qui surgirait de l’existence d’une pratique administrative qui aurait abouti à l’adoption d’environ 4,600 ordres d’expulsion à l’encontre de ressortissants géorgiens, dont environ 2,380 auraient été exécutés par la force. Cependant, la Cour a considéré les mêmes faits à travers des requêtes de particuliers. Une d’elles (affaire Berdzenishvili) concernait l’expulsion de sept ressortissants géorgiens qui alléguaient avoir été arrêtés, détenus et expulsés collectivement du territoire comme conséquence de la pratique administrative décrite.Footnote 72 L’autre (affaire Shioshvili) concernait cinq ressortissants géorgiens (une mère et ses quatre enfants) qui alléguaient avoir subi le même traitement.Footnote 73

Dans l’affaire interétatique la Cour a rappelé que pour qu’une expulsion ne soit pas considérée comme collective il faut “un examen raisonnable et objectif de la situation particulière de chacun” des expulsés.Footnote 74 Ainsi, même si formellement chaque ressortissant géorgien avait bénéficié d’une décision de justice, “le déroulement des procédures d’expulsion au cours de cette période suite à l’émission des circulaires et instructions litigieuses ainsi que le nombre de ressortissants géorgiens expulsés” rendaient impossible un examen raisonnable et objectif de la situation individuelle de chacun d’entre eux. La Cour a donc trouvé les actes d’expulsion contraires à l’article 4 du Protocole n° 4.Footnote 75 Il ne s’agissait pas d’expulsions implicites, car il y a avait eu une décision formelle d’expulsion pour chaque personne expulsée; or, le contexte dans lequel ces expulsions avaient eu lieu (une pratique d’expulsion massive de ressortissants géorgiens) serait invoqué dans les affaires individuelles postérieures pour alléguer l’existence d’une expulsion implicite.

Dans Berdzenishvili la Cour a aussi déclaré l’existence d’une expulsion collective dont trois des requérants avaient été victimes. Concernant trois autres, la Cour a écarté la violation de l’article 4 du Protocole n° 4, tout en formulant une précision d’intérêt sur les expulsions implicites.Footnote 76 Ces trois derniers avaient quitté le pays par leurs propres moyens et sans qu’il y ait à leur encontre un ordre d’expulsion, mais dans le contexte de la pratique administrative d’expulsion des géorgiens. La Cour a admis que, dans ce contexte, ils auraient pu craindre raisonnablement qu’ils seraient finalement expulsés comme beaucoup de leurs compatriotes. Or, en l’absence d’une décision d’expulsion et de son exécution par l’État, la Cour a déclaré qu’elle ne saurait pas trouver une violation de l’article 4 du Protocole n° 4.Footnote 77 Pour la même raison, dans Shioshvili la Cour a trouvé une violation de l’article 4 du Protocole n° 4 seulement par rapport à la mère, mais non par rapport à ses quatre enfants, car il n’existait qu’un ordre d’expulsion, relative à la femme.Footnote 78 En somme, la Cour a écarté la possibilité d’une condamnation sur la base d’une expulsion implicite dérivée d’un climat d’hostilité créé par l’État.

Une problématique semblable serait celle des expulsions appliquées par des particuliers (par exemple, des groupes xénophobes avec une capacité d’organisation suffisante). Certaines opinions admettent la possibilité d’une expulsion de laquelle l’État serait responsable par omission. Le fait de ne pas agir pourrait en effet s’appliquer aux situations dans lesquelles les autorités de l’État tolèrent des actes commis par des particuliers dans l’intention d’inciter des groupes ou des catégories de personnes à quitter le territoire de l’État ou dans lesquelles les autorités n’assurent pas la protection des intéressés ou font obstacle à leur retour ultérieur. La responsabilité serait encore plus claire si l’État non seulement tolère mais encourage l’action des particuliers.Footnote 79 Or, vue l’interprétation restrictive de la jurisprudence européenne concernant les expulsions implicites, il semble difficile de croire que la Cour puisse trouver un État responsable sous l’article 4 du Protocole n° 4 dans un cas d’expulsion provoquée par des actes de particuliers. Bien entendu, l’absence de violation de l’article 4 du Protocole n° 4 n’empêcherait pas la Cour de trouver d’autres possibles manquements à la Convention européenne (par exemple, sous les dispositions relatives à la liberté individuelle ou à l’intégrité physique).

LA FRONTIÈRE

L’idée d’expulsion suppose nécessairement l’idée de frontière. Dans la définition large adoptée par la Cour de Strasbourg, il existe une expulsion quand un individu qui est à l’intérieur du territoire est chassé hors de la frontière et quand un individu qui veut entrer sur ce territoire est empêché de traverser la frontière. Le concept de frontière est donc central pour définir une expulsion. La Cour s’est occupée du concept de frontière dans l’affaire N.D. et N.T. déjà mentionnée. Un ressortissant malien et un ressortissant ivoirien avaient tenté d’entrer en Espagne par le poste-frontière de Melilla. Ce poste-frontière est formé par trois clôtures successives et contrôlé par un système de caméras de surveillance à infrarouges et de détecteurs de mouvement. Le premier requérant était parvenu à grimper jusqu’en haut de la troisième clôture et y était resté plusieurs heures, sans assistance médicale ou juridique. Le deuxième requérant affirmait être parvenu à franchir les deux premières clôtures. Ils étaient descendus des clôtures avec l’aide des forces de l’ordre espagnoles. Dès qu’ils avaient posé leurs pieds sur le sol, ils avaient été appréhendés par des agents espagnols qui les avaient menottés et renvoyés vers le Maroc.

L’Espagne appuyait sa position sur le concept assez original de frontière opérationnelle. Selon ce concept, et “aux seuls effets du régime portant sur les étrangers,” la frontière extérieure d’un État ne serait pas fixée là où elle est internationalement déterminée par les traités conclus entre cet État et ses voisins (ou par la coutume internationale, le cas échéant), mais là où il existe une clôture physique qui matérialise la frontière, même si cette clôture est entièrement placée à l’intérieur du territoire qui, selon les traités internationaux (ou la coutume internationale, le cas échéant) correspond à l’État. Par conséquent, “lorsque les tentatives des migrants de franchir illégalement cette ligne sont contenues et repoussées par les forces de l’ordre chargées de la surveillance de la frontière,” il devrait être considéré “qu’aucune entrée illégale effective [sur le territoire de l’État] n’a eu lieu.”

L’Espagne alléguait que, comme les requérants n’étaient pas entrés sur le territoire espagnol, il n’y aurait pas eu une véritable expulsion. La Cour a par contre rappelé que le concept d’expulsion comprend non seulement le fait de chasser une personne qui est déjà sur le territoire, mais aussi le refus d’entrée sur le territoire.Footnote 80 Comme il était hors de doute que les requérants essayaient de franchir une frontière, où qu’elle ait été exactement placée, il y avait eu une expulsion au sens de la Convention européenne.

Même si, dans le cas d’espèce, la situation exacte de la frontière n’était pas définitoire (car tantôt l’expulsion au sens strict, tantôt la non-admission peuvent constituer des expulsions collectives au sens de l’article 4 du Protocole n° 4), dans d’autres circonstances il peut être significatif de déterminer où se place la frontière pour savoir si les personnes qui se disent victimes d’une violation de l’article 4 du Protocole n° 4 avaient franchi cette frontière ou avaient essayé de le faire. C’est pour cela que la précision de la Cour sur la détermination de la frontière est tout à fait pertinente: pour la Cour, une frontière internationale se situe à l’endroit où elle est fixée par le droit international. Une frontière ne peut pas être modifiée à l’initiative de l’un des États concernés pour les besoins d’une situation de fait concrète.Footnote 81

Aspects procéduraux

L’EXIGENCE D’UN ENTRETIEN INDIVIDUEL

La question de l’exigence d’un entretien individuel au cours de la procédure d’expulsion a été abordée par la Cour dans l’affaire Khlaifia. La requête a été présentée, contre l’Italie, par trois ressortissants tunisiens qui alléguaient avoir été les victimes d’une expulsion collective. Les requérants avaient quitté la Tunisie avec d’autres personnes à bord d’embarcations de fortune dans le but de rejoindre les côtes italiennes. Après plusieurs heures de navigation, les embarcations avaient été interceptées par les garde-côtes italiens, qui les avaient escortées jusqu’au port de l’île de Lampedusa. Les requérants avaient été transférés à un centre d’accueil. Suite à l’incendie de ce centre, causé par une révolte des migrants y logés, et à une manifestation de protestation dans le village de Lampedusa, à laquelle avaient participé des migrants qui s’étaient évadés du centre d’accueil, les requérants (avec d’autres migrants) avaient été transférés par avion à Palerme et logés dans des navires amarrés dans le port de la ville. Après avoir été reçus par le consul de la Tunisie, les migrants avaient été renvoyés en Tunisie par avion.

Comme dans l’affaire Hirsi Jamaa, l’Italie s’était vue confrontée à la pression migratoire dérivée des crises politiques de l’Afrique du Nord. Or, à la différence de l’affaire Hirsi Jamaa, la présente affaire concernait des migrants qui étaient arrivés sur le territoire italien. La Chambre de première instance a trouvé que les faits constituaient une expulsion collective, en violation de l’article 4 du Protocole n° 4. La Chambre a noté que les requérants avaient fait l’objet de décrets de refoulement individuels, mais que ces derniers étaient rédigés dans des termes identiques (les seules différences étant les données personnelles des personnes concernées) et qu’ils ne contenaient aucune référence à la situation personnelle des intéressés. En plus, le gouvernement n’avait produit aucun document susceptible de prouver que des entretiens individuels avec chaque requérant avaient eu lieu. La Chambre a aussi rappelé que l’accord italo-tunisien d’avril 2011 (qui n’avait pas été rendu public), prévoyait le renvoi des migrants irréguliers tunisiens par le biais de procédures simplifiées, sur la base de la simple identification de la personne concernée par les autorités consulaires tunisiennes.Footnote 82

La Grande Chambre n’a pas partagé l’avis de la première instance. Tout en soulignant que les difficultés rencontrées par les États dans la gestion des flux migratoires ou dans l’accueil des demandeurs d’asile ne sauraient justifier le recours à des pratiques incompatibles avec la Convention européenne ou ses protocoles,Footnote 83 elle a cependant conclu qu’il n’y avait pas eu en l’espèce de violation de l’article 4 du Protocole n° 4. Sur le plan de la preuve des faits, la Grande Chambre a considéré vraisemblables les allégations du gouvernement selon lesquelles il avait existé un entretien individuel effectué en présence d’un interprète ou d’un médiateur culturel à l’issue duquel les autorités auraient rempli une fiche d’information individuelle pour chaque migrant. La nature simple et standardisée des décrets de refoulement s’expliquerait “par le fait que les requérants n’étaient en possession d’aucun document de voyage valable et n’avaient allégué ni des craintes de mauvais traitements en cas de renvoi ni d’autres obstacles légaux à leur expulsion.”Footnote 84

Or, la Grande Chambre a aussi déclaré, et ceci est le point argumentatif le plus important, que même à supposer que cet entretien individuel n’avait pas eu lieu, pendant le temps de leur rétention les requérants avaient eu l’occasion “d’alerter les autorités quant à d’éventuelles raisons justifiant leur séjour en Italie ou s’opposant à leur renvoi.”Footnote 85 Selon la Grande Chambre, “l’article 4 du Protocole n° 4 ne garantit pas en toute circonstance le droit à un entretien individuel.”Footnote 86 Elle a rajouté que, avant d’être renvoyés en Tunisie, les requérants avaient été reçus par le consul de ce pays qui avait procédé à une deuxième identification. Pour la Grande Chambre “bien qu’il se soit déroulé devant un représentant d’un État tiers, ce contrôle ultérieur a permis de confirmer la nationalité des migrants et a constitué une dernière chance pour invoquer des obstacles à l’expulsion.”Footnote 87

L’interprétation faite par la Cour rabaisse notablement le degré de protection offert par l’article 4 du Protocole n° 4. En effet, le but de la disposition est d’éviter que les étrangers soient expulsés sans considération de leurs circonstances particulières. C’est l’État qui a la charge d’organiser les enquêtes qui permettent d’évaluer individuellement la situation de chaque étranger en vue de son expulsion. On prive l’article 4 du Protocole n° 4 de tout effet utile si l’on accepte que l’État peut procéder à des expulsions groupales avec la seule condition que, pendant ces expulsions, les individus aient la possibilité d’alerter les autorités sur les raisons qui peuvent justifier un droit de séjour sur le territoire. En l’absence d’une procédure prévue à cet effet, il est très difficile voire impossible de savoir si les étrangers expulsés ont eu une possibilité réelle d’alerter les autorités sur leurs circonstances individuelles. En outre, dans l’affaire Hirsi Jamaa la Cour elle-même avait insinué qu’un entretien individuel devait faire partie de la procédure d’expulsion.Footnote 88

L’opinion du juge Serghides, qui a souscrit au raisonnement de la Chambre de première instance et a durement critiqué la décision de la majorité de la Grande Chambre, va dans ce sens. Pour le juge, il n’a pas été prouvé que les requérants avaient bénéficié d’entretiens individuels.Footnote 89 Et l’obligation procédurale des autorités de conduire un entretien individuel est indispensable: “[D]e par leur nature même, les expulsions collectives d’étrangers sont présumées être entachées d’arbitraire et de discrimination, sauf si, bien entendu, chaque étranger se voit garantir que l’obligation procédurale sera remplie dans l’État concerné.”Footnote 90 En plus, la charge de la preuve de démontrer qu’un entretien individuel a été conduit pèse sur l’État.Footnote 91 “Un entretien individuel est important car c’est là le meilleur moyen de respecter le but de l’article 4 du Protocole n°4, à savoir d’éviter que des êtres humains soient traités comme du bétail dans le cadre d’expulsions collectives globales qui portent atteinte à la dignité humaine.”Footnote 92 La conduite d’un entretien individuel est donc une garantie procédurale fondamentale.

L’EXÉCUTION DE LA DÉCISION D’EXPULSION

Selon la définition donnée par la Cour, une expulsion collective est une mesure qui consiste à éloigner un groupe d’étrangers sans considération de leurs circonstances individuelles. Cette manière d’appréhender l’idée d’expulsion collective suggère que l’élément définitoire est l’existence d’une décision d’expulsion qui ne tient pas compte de la situation particularisée de chaque personne expulsée. Or, dans le fragment de l’arrêt Čonka qu’on a transcrit ci-dessus, la Cour soulignait que “les circonstances entourant la mise en œuvre de décisions d’expulsion” devaient être considérées pour juger du caractère collectif de l’expulsion. L’utilisation de l’expression mise en œuvre paraissait suggérer que la Cour déplaçait l’analyse du caractère collectif de la décision d’expulsion à l’exécution de l’expulsion.Footnote 93

Des affaires postérieures montreraient, par contre, que l’exécution d’une décision d’expulsion peut être collective sans qu’il y ait de violation de l’article 4 du Protocole n° 4, pourvu que les circonstances individuelles des expulsés aient été tenues en compte au moment d’adopter la décision d’expulsion. Ainsi, dans les affaires Sultani et Ghulami la Cour a déclaré que l’exécution conjointe de l’expulsion de plusieurs nationaux afghans ne pouvait pas être considérée comme une expulsion collective car, même si l’État s’était servi d’un même vol pour transférer simultanément plusieurs personnes, la situation individuelle de chaque requérant avait été analysée.Footnote 94 La même conclusion a été atteinte dans M.A. par rapport à un syrien kurde détenu en vue de l’exécution de son expulsion (qui n’a finalement pas eu lieu, car le requérant a reçu le statut de réfugié).Footnote 95

En conclusion, une décision d’expulsion qui considère les circonstances particulières de la personne expulsée ne viole pas l’article 4 du Protocole n° 4, même si elle est exécutée de manière collective. Inversement, l’exécution individuelle d’une décision d’expulsion groupale (c’est-à-dire, d’une décision qui ne considère pas les circonstances particulières de chaque personne expulsée) n’efface pas la violation de l’interdiction des expulsions collectives inhérente à la décision elle-même. Bien entendu, à strictement parler, la violation de l’article 4 du Protocole n° 4 se produit quand la décision (collective) d’expulsion est exécutée (de manière individuelle ou collective). Mais ce qui compte c’est le caractère collectif de la décision, non de son exécution.

Le domaine d’application

APPLICATION EXTRATERRITORIALE

Aux termes de l’article 1 de la Convention européenne, l’engagement des États contractants consiste à reconnaître (en anglais to secure) aux personnes relevant de leur juridiction les droits et libertés qui y sont énumérés. L’exercice de la juridiction est donc une condition nécessaire pour qu’un État contractant puisse être tenu pour responsable des actes ou des omissions qui lui sont imputables.Footnote 96 L’exercice de la juridiction par les États est éminemment territorial. Or, dans certains cas les États exercent aussi leur juridiction au-delà de leurs territoires. Ceci est particulièrement exact en matière de contrôle migratoire. De plus en plus les pays de destination des flux migratoires utilisent des mesures exécutées en dehors de leurs territoires pour éviter que les migrants y accèdent. Ces mesures incluent, par exemple, l’interception de bateaux en haute-mer ou dans les eaux territoriales d’États tiers ou le déploiement d’agents dans des États tiers pour contrôler les voyageurs qui y abordent des vols.Footnote 97

Il se pose donc la question de savoir dans quelles circonstances il existe un exercice extraterritorial de la juridiction qui puisse donner lieu à la responsabilité sous la Convention européenne. Il faut différencier à cet égard deux situations: l’exercice de la juridiction d’un État sur le territoire d’un autre État et l’exercice de la juridiction d’un État dans des espaces internationaux.

Concernant la première situation, il est généralement accepté qu’un exercice extraterritorial de jure de la juridiction peut donner lieu à la responsabilité de l’État. C’est notamment le cas des actes des agents diplomatiques et consulaires à l’étranger, comme l’a déclaré la Commission européenne des droits de l’homme dans M. c Danemark.Footnote 98 D’autres organismes internationaux sont arrivés à la même conclusion.Footnote 99

Un contrôle de facto fort sur un territoire étranger, comme celui qui suit à son occupation même illégale, constitue aussi un exercice de la juridiction qui peut donner lieu à la responsabilité internationale de l’État (voir dans ce sens les affaires de la Cour européenne Loizidou I,Footnote 100 Chypre c Turquie Footnote 101 et Al-Skeini).Footnote 102 En ce point aussi la jurisprudence européenne coïncide avec celle de la Cour internationale de JusticeFootnote 103 et avec celle d’autres organismes internationaux de droits de l’homme.Footnote 104 Or, la question sur l’exercice de la juridiction de facto devient plus complexe dans les cas d’action des États sans un contrôle total d’un territoire étranger. La Cour européenne a décidé, dans Banković et autres, qu’un acte extraterritorial ponctuel n’était pas suffisant. Elle a ainsi expressément rejeté la notion causale de juridiction (cause-and-effect notion) qui impliquerait que toute personne affectée par un acte d’un État pourrait être considérée sous la juridiction de cet État aux effets de la Convention.Footnote 105 Cette décision a été fortement critiquée dans la mesure où elle permettrait aux États de faire ailleurs ce qu’ils se sont engagés à ne pas faire chez eux.Footnote 106 Cependant, la Cour a postérieurement accepté que des actions limitées qui ne supposent pas le contrôle total d’un territoire puissent impliquer un exercice de la juridiction qui mène à la responsabilité internationale de l’État (voir dans ce sens les affaires Issa,Footnote 107 Ocalan Footnote 108 et Al-Saadoon).Footnote 109 D’autres organismes internationaux ont aussi accepté qu’un État puisse exercer une juridiction de facto dérivée d’actes ponctuels.Footnote 110 L’existence d’un contrôle de facto d’un territoire par un État n’exclue pas la responsabilité de l’État territorial qui exerce (au moins théoriquement) la juridiction de jure sur ce même territoire (voir l’arrêt Ilaşcu de la Cour européenne).Footnote 111

Un autre genre de problèmes se présente lorsque les agents d’un État agissent non sur le territoire d’un autre État, mais dans des espaces internationaux. Pour la Cour européenne, un exercice de la juridiction en haute mer peut aussi donner lieu à la responsabilité de l’État. Dans Xhavara la Cour a établi que, le naufrage d’un bateau qui transportait un groupe d’immigrants ayant été provoqué par un navire de guerre italien, “toute doléance sur ce point [devait] être considérée comme étant dirigée exclusivement contre l’Italie.”Footnote 112 Et dans Medvedyev, elle a déclaré qu’il avait existé un exercice de la juridiction dans le cas d’un bateau cambodgien intercepté par l’armée française près de Cap-Vert et dérouté jusqu’au territoire français, où l’équipage avait été jugé pour trafic de drogues.Footnote 113 D’autres instances internationales ont aussi accepté que la responsabilité de l’État puisse se voir engagée pour l’exercice de facto de la juridiction dans des espaces internationaux.Footnote 114

Il est possible de se demander si ce qui comptait vraiment dans les deux affaires européennes c’étaient les considérations normatives ou les considérations factuelles. La Cour donne peu de précisions sur ce point dans Xhavara. Mais dans Medvedyev elle accepte la possibilité d’une responsabilité dérivée d’un exercice purement factuel de la juridiction. En effet, elle signale que “compte tenu de l’existence d’un contrôle absolu et exclusif exercé par la France, au moins de facto” sur le bateau intercepté et son équipage “dès l’interception du navire, de manière continue et ininterrompue, les requérants relevaient bien de la juridiction de la France.”Footnote 115

En matière d’expulsions collectives, l’applicabilité extraterritoriale de l’article 4 du Protocole n° 4 a été acceptée dans Hirsi Jamaa. Même si la notion d’expulsion est généralement territoriale, comme l’article 4 du Protocole n° 4 ne contient aucune référence à la notion de territoire il n’existe aucun obstacle à son application extraterritoriale.Footnote 116 Les faits de l’affaire menaient à la conclusion qu’il y avait eu un exercice extraterritorial de la juridiction qui était suffisant pour engager la responsabilité de l’État italien: les faits s’étaient entièrement déroulés à bord de navires des forces armées italiennes, dont l’équipage était composé exclusivement de militaires nationaux, de manière que les requérants s’étaient trouvés sous le contrôle continu et exclusif, même de jure, des autorités italiennes.Footnote 117 En effet, la Cour a observé “qu’en vertu des dispositions pertinentes du droit de la mer, un bateau naviguant en haute mer est soumis à la juridiction exclusive de l’État dont il bat pavillon” et que, par conséquent, les “actes accomplis à bord de navires battant pavillon d’un État, à l’instar des aéronefs enregistrés” sont “des cas d’exercice extraterritorial de la juridiction de cet État.”Footnote 118

Hirsi Jamaa était donc un exemple d’exercice de jure de la juridiction dans un espace international. Or, dans le même arrêt la Cour a insinué qu’un exercice purement de facto de la juridiction dans des espaces internationaux pourrait être une source de responsabilité. En effet, la Cour a souligné que “la spécificité du contexte maritime ne saurait aboutir à la consécration d’un espace de non-droit au sein duquel les individus ne relèveraient d’aucun régime juridique susceptible de leur accorder la jouissance des droits et garanties prévus par la Convention.”Footnote 119 L’exercice de facto de la juridiction dans des espaces internationaux a aussi été reconnu comme une source de responsabilité dans des affaires relatives à des expulsions par d’autres organismes internationaux.Footnote 120

S’agissant de l’exercice de la juridiction de facto sur le territoire d’un autre État la réponse semble aussi positive d’après les considérations de la Cour dans l’affaire N.D. et N.T. En cette affaire, la Cour a répété que, même si la juridiction d’un État est principalement territoriale, elle peut aussi être extraterritoriale si l’État exerce contrôle et autorité effectifs sur un individu.Footnote 121 La Cour a conclu que, même à supposer que les faits constitutifs d’une expulsion collective avaient eu sur le territoire du Maroc (ce qui était douteux), l’Espagne pouvait être tenue pour responsable car ils s’étaient produits sous une forme d’exercice de sa juridiction dérivée d’un contrôle de facto: “[D]ès l’instant où un État, par le biais de ses agents opérant hors de son territoire, exerce son contrôle et son autorité sur un individu, et par voie de conséquence sa juridiction, il pèse sur lui en vertu de l’article 1 une obligation de reconnaître à celui-ci les droits et libertés définis au titre I de la Convention.”Footnote 122 Encore une fois, d’autres précédents internationaux appuient cette position.Footnote 123

Considérons finalement la situation d’un État dont les autorités ne réalisent aucun contrôle extraterritorial mais qui adopte une législation qui impose à des tiers (les autorités d’un autre État ou même des particuliers qui agissent sur le territoire de cet autre État) l’exécution de ces contrôles. C’est bien évidemment le cas des législations qui imposent aux compagnies aériennes la réalisation d’un contrôle sur le respect des conditions d’entrée dans le pays de destination pour ceux qui prennent des vols. Pourrait-on dans ce cas signaler le pays de destination comme responsable d’une expulsion collective si, en application de sa législation, une compagnie aérienne interdit à un groupe de personnes de monter dans l’avion? S’agirait-il d’un cas de non-admission collective équivalent à une expulsion qui déclenche la responsabilité de l’État de destination? La question est sans doute très subtile, mais d’une grande importance pratique. Il est vrai que l’exercice de la juridiction par l’État serait dans ce cas limité à son aspect législatif; mais il est également certain que c’est une des formes plus effectives de contrôle migratoire par les États de destination. Du point de vue de la Cour européenne, la question reste ouverte.

ENGAGEMENTS CONVENTIONNELS

Un autre problème lié à l’applicabilité de l’interdiction des expulsions collectives provient de la relation entre cette interdiction, telle qu’elle apparaît dans la Convention européenne, et d’autres engagements conventionnels contractés par les États. Celui des conflits entre les traités est, bien entendu, un champ très complexe du droit international.Footnote 124 Pour aborder la problématique par rapport au sujet de cet article, on la divisera en deux aspects: les conflits entre la Convention européenne et un traité entre l’État partie à la Convention (par hypothèse, demandé devant la Cour européenne) et un ou plusieurs État tiers; et les conflits entre la Convention européenne et un traité entre deux ou plusieurs États parties à cette même Convention (un de ces États parties, par hypothèse, demandé devant la Cour européenne).

Dans l’affaire Hirsi Jamaa, l’Italie avait invoqué un ensemble d’accords avec la Lybie concernant la lutte contre la migration irrégulière. Contre la position de l’Italie, la Cour a remarqué que l’État “ne saurait se dégager de sa propre responsabilité en invoquant ses obligations découlant des accords bilatéraux avec la Libye” car “à supposer même que lesdits accords prévoyaient expressément le refoulement en Libye des migrants interceptés en haute mer, les États membres demeurent responsables même lorsque, postérieurement à l’entrée en vigueur de la Convention et de ses protocoles à leur égard, ils ont assumé des engagements découlant de traités.”Footnote 125

Cette expression de la Cour, qui n’était pas inconnue dans sa jurisprudence,Footnote 126 suggère que la Convention européenne prévaut face à des engagements avec des tiers contractés postérieurement à l’entrée en vigueur de la Convention pour l’État concerné. Or, il n’y a pas d’obstacles pour conclure que le même principe s’applique par rapport aux engagements antérieurs à l’entrée en vigueur de la Convention européenne pour l’État concerné. En fait, la Cour avait suggéré cette idée dans une affaire relative à la déportation par la Lettonie de personnes ayant appartenu à l’Armée Rouge et de leurs familles sur la base d’un accord avec un État tiers (la Russie qui, au moment des faits, n’était pas encore partie à la Convention européenne). Dans l’affaire lettone, la Cour rappelait “qu’un traité ne saurait servir de base valable pour lui retirer son pouvoir de vérifier s’il y a eu ingérence dans l’exercice, par un requérant, des droits et libertés découlant de la Convention et, dans l’affirmative, si cette ingérence était justifiée.”Footnote 127

Dans ces affaires la Cour n’a fait qu’appliquer le principe pacta sunt servanda: l’engagement d’un État partie à la Convention européenne devant un tiers ne peut pas effacer les obligations conventionnelles de l’État partie à la Convention européenne (sans préjudice, bien entendu, de l’éventuelle responsabilité internationale de l’État partie à la Convention européenne devant l’État tiers en raison de la violation du traité qui les lie). S’agissant d’un conflit entre la Convention européenne et un traité en vigueur entre deux ou plusieurs États parties à cette même Convention, la règle de l’article 30 de la Convention de Vienne sur le droit des traités mènerait à faire prévaloir la disposition la plus récente, car elle établit le principe lex posterioris pour résoudre le conflit normatif entre deux États qui sont parties simultanément aux deux traités en opposition. Néanmoins, la Cour européenne s’est prononcée pour la primauté de la Convention européenne, même quand elle est en conflit avec un traité postérieur.

C’est notamment le cas de certains arrêts sur l’application du droit de l’Union Européenne (UE), c’est-à-dire d’un droit émanant d’accords passés entre des États parties à la Convention européenne, relatifs à la politique migratoire de l’Union. Ainsi, dans une affaire bien connue relative au renvoi d’un demandeur d’asile afghan en Grèce, dans le contexte du Règlement de Dublin,Footnote 128 la Cour a condamné la Belgique qui avait décidé ce renvoi à partir de la seule constatation que ce dernier pays était l’État responsable de l’analyse de la demande d’asile selon le droit de l’UE (affaire M.S.S.). Selon la Cour de Strasbourg, l’État européen qui demande à un autre État européen de prendre en charge une demande d’asile doit vérifier les conditions d’accueil dans l’État requis avant d’y renvoyer le demandeur, pour éviter une violation de l’article 3 de la Convention européenne.Footnote 129

En synthèse, la Cour a fait prévaloir la Convention européenne face à des traités postérieurs (le Traité de l’UE, le Traité de Fonctionnement de l’UE et tout le droit qui en dérive) entre plusieurs États parties à la Convention (en l’espèce, la Belgique, la Grèce et tous les autres États membres de l’UE).Footnote 130 Ceci paraît montrer que, s’agissant d’un traité de droits de l’homme, les obligations découlant de la Convention européenne seraient des obligations intégrales qui s’imposeraient à d’autres engagements entre les États parties.Footnote 131 Quoique la question soit très complexe, il semble en effet que le critère de la Cour européenne sur la primauté des engagements en matière de droits de l’homme est en quelque sorte dérogatoire du régime général des successions des traités prévu à la Convention de Vienne sur le droit des traités.

En ce qui concerne les expulsions collectives, ces principes dégagés de la jurisprudence de la Cour mènent à la conclusion que ni les engagements bilatéraux avec des États tiers sur la gestion des migrations ni l’application du droit de l’UE ne permettent de contourner l’interdiction des expulsions collectives de l’article 4 du Protocole n° 4. Il faut donc analyser dans chaque cas particulier si les dispositions des engagements bilatéraux et du droit de l’UE sont compatibles avec les règles de la Convention européenne. Le règlement de Dublin sur la procédure d’asile revêt une importance particulière à cet égard. Selon les dispositions du règlement, si un demandeur d’asile présente sa demande auprès d’un État qui n’est pas compétent pour son analyse, celui-ci doit renvoyer le requérant sur le territoire de l’État compétent, sans considérer le fond de la demande d’asile. Comme il est évident, le renvoi d’un groupe de personnes dans un autre État sans analyser leurs circonstances personnelles pourrait avoir de graves conséquences sur le plan de l’interdiction des expulsions collectives.

La question a été considérée dans l’affaire Sharifi. À l’origine de l’affaire se trouvait une requête dirigée contre la République italienne par trente-deux ressortissants afghans, deux ressortissants soudanais et un ressortissant érythréen.Footnote 132 Les requérants alléguaient être arrivés clandestinement en Italie en provenance de la Grèce et avoir été refoulés vers ce pays sur-le-champ. Pour des questions de procédure, la Cour n’a retenu que quatre des requêtes.Footnote 133 En raison de l’absence de toute trace écrite du renvoi en Grèce de trois des requérants, et d’une simple mention sur les registres des services d’immigration pour le quatrième, la Cour a conclu qu’aucun examen individuel de la situation de chaque requérant n’avait eu lieu. Partant, il y avait violation de l’article 4 du Protocole n° 4. Selon la Cour, pour satisfaire aux obligations découlant de la Convention européenne, les autorités italiennes auraient dû procéder à une analyse individualisée de la situation de chacun des requérants, quoiqu’elle ait été limitée à établir si la Grèce était effectivement compétente pour se prononcer sur leurs éventuelles demandes.Footnote 134

En d’autres mots: la Cour a validé la conventionalité de la procédure du règlement de Dublin elle-même, quoiqu’elle ait censuré son application dans le cas d’espèce. L’État qui renvoi, même s’il n’est pas tenu d’analyser la demande d’asile, doit au moins considérer la situation concrète de chaque demandeur pour savoir si l’État auquel le renvoi est fait est effectivement compétent pour étudier la demande de la personne renvoyée. Cette analyse superficielle devrait être suffisante pour satisfaire aux exigences de l’article 4 du Protocole n° 4.

Conclusions

L’article 4 du Protocole n° 4 de la Convention européenne des droits de l’homme interdit les expulsions collectives. Cet article suppose une limite à la faculté des États d’éloigner des étrangers. Or, la recherche présentée tout au long de cet article confirme l’intuition suggérée dans l’introduction: pour la Cour européenne des droits de l’homme, des dispositions comme celle de l’article 4 du Protocole n° 4 doivent être considérées comme des exceptions. La règle générale continue d’être le droit de l’État d’expulser des étrangers.

On a souligné que l’article 4 du Protocole n° 4 ne consacre pas un droit collectif. Il protège les individus, qui ne peuvent pas être expulsés de manière collective. Ceci veut dire que les États doivent procéder à un examen raisonnable et objectif de la situation de chacune des personnes qui vont être expulsées. En ce sens, ce qui compte c’est l’existence d’une analyse réelle de la situation de chaque personne et non l’adoption d’une décision formellement différente pour chacune d’elles. Toute mesure qui contraint un groupe d’étrangers à quitter un pays sans cette analyse individuelle préalable constitue une expulsion collective qui contrevient à la Convention européenne. La définition d’expulsion collective donnée par la Cour n’exige pas cependant que la mesure ait été prise par une autorité compétente. Toute décision formelle ou simple acte matériel d’expulsion adopté par n’importe quelle autorité étatique peut donner lieu à la responsabilité de l’État.

À première vue, la définition d’expulsion collective pourrait aussi inclure les actes des particuliers qui sont encouragés ou simplement tolérés par les autorités publiques. Or, cette conclusion se heurte à la jurisprudence européenne qui rejette la responsabilité de l’État dans des cas d’expulsions implicites. Il paraît donc que serait toujours nécessaire l’intervention d’une autorité publique pour déclencher la responsabilité étatique. En tout état de cause, il est clair que la définition d’expulsion collective inclut les cas de non-admission collective: avant de refuser l’admission sur son territoire, l’État doit analyser individuellement la situation de chacune des personnes impliquées. Finalement, pour déterminer si une personne a été chassée hors de la frontière ou si elle a été refoulée à la frontière, c’est la frontière internationalement établie qui compte: les États ne peuvent pas établir des frontières fictives aux seuls effets du contrôle migratoire.

Dans l’analyse des circonstances des personnes qu’il veut expulser, l’État est obligé d’agir de bonne foi. Il doit manifester une volonté réelle d’évaluer la situation de chaque individu. Il ne peut pas, par exemple, justifier une expulsion sur la base des preuves récoltées dans une procédure différente de celle qui a mené à l’adoption de la décision d’expulsion. Cependant, selon la Cour, la procédure d’expulsion ne doit pas nécessairement inclure un entretien individuel avec la personne expulsée. Comme il a été expliqué, cette position jurisprudentielle rabaisse notablement le niveau conventionnel de protection en cas d’expulsion. Il faut aussi tenir compte que, même si la violation de l’article 4 du Protocole n° 4 se produit quand la décision d’expulsion est exécutée, c’est la nature de la décision et non la forme de son exécution qui compte pour déterminer si l’expulsion a un caractère collectif. En d’autres mots, il n’y aura pas de violation de la Convention si une décision individuelle est exécutée de manière collective; mais, inversement, l’exécution individuelle de décisions d’expulsions prises collectivement n’éliminera pas l’illégitimité de celles-ci.

L’interdiction des expulsions collectives s’applique dans tous les cas d’exercice de la juridiction par l’État. Cet exercice peut-être territorial ou extraterritorial et, dans ce dernier cas, de jure ou de facto. La Cour européenne adopte à cet égard un point de vue réaliste qui accepte que la responsabilité de l’État peut avoir lieu dans tous les cas où celui-ci exécute un contrôle migratoire effectif, soit sur son territoire, soit hors de son territoire (qu’il s’agisse d’un espace international ou du territoire d’un autre État). L’existence d’engagements conventionnels avec d’autres États, antérieurs ou postérieurs à l’entrée en vigueur de la Convention européenne pour l’État concerné, n’efface pas la responsabilité de l’État sous le régime européen des droits de l’homme. À cet égard, il est sans importance du point de vue européen que les États tiers soient des États parties à la Convention européenne ou des États complètement étrangers à cette convention.

References

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2 Règles internationales sur l’admission et l’expulsion des étrangers, rapporteurs Louis J-D Féraud-Giraud et Ludwig von Bar, Institut de Droit International, 9 septembre 1892 [Règles internationales sur l’admission].

3 Parmi beaucoup d’autres: Maal, [1903] 10 Recueil des sentences arbitrales 731 (Commission mixte des réclamations Pays-Bas-Venezuela); Boffolo, [1903] 10 Recueil des sentences arbitrales 529 (Commission mixte des réclamations Italie-Venezuela); Oliva, [1903] 10 Recueil des sentences arbitrales 608 (Commission mixte des réclamations Italie-Venezuela); Nottebohm (Liechtenstein c Guatemala), [1955] Cour internationale de Justice [arrêt]; Yeager v Islamic Republic of Iran, [1987] 17 Iran-United States Claims Tribunal Reports 92 (Tribunal des réclamations Iran-États-Unis).

4 Pour ne citer que quelques arrêts classiques: Fong Yue Ting v United States, [1893] 149 US 698 (United States Supreme Court); Nishimura Ekiu v United States, [1892] 142 US 651 (United States Supreme Court); Harisiades v Shaughnessy, [1952] 342 US 580 (United States Supreme Court); Musgrove v Chun Teeong Toy, [1981] AC 272 (Privy Council); Attorney-General for Canada v Cain, [1906] AC 542 (Privy Council); Johnstone v Pedlar, [1921] 2 AC 262 (Privy Council).

5 Condición jurídica y derechos de los migrantes indocumentados, [2003] Cour IDH (série A, n° 18) au para 168 (avis consultatif); Vélez Loor c Panamá, [2010], Cour IDH (série C, n° 218) au para 97; Nadege Dorzema y otros c República Dominicana, [2012], Cour IDH (série C, n° 251) au para 155; Familia Pacheco Tineo, [2013], Cour IDH (série C, n° 272) au para 129; Derechos y garantías de niñas y niños en el contexto de la migración y/o en necesidad de protección internacional, [2014], Cour IDH (série A, n° 21), avis consultatif au para 39. Sur l’expulsion des étrangers à la lumière du système interaméricain des droits de l’homme, voir Fernando Arlettaz, Expulsión de extranjeros y derecho de asilo en el Sistema Interamericano, Mexico, Centro Nacional de los Derechos Humanos, 2015; Fernando Arlettaz, “Perspectiva interamericana sobre la afectación de la libertad de menores en el contexto de procesos migratorios” (2016) 9 Anuario Colombiano de Derecho Internacional 197.

6 Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, Union interafricaine des droits de l’homme, Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, Rencontre africaine des droits de l’homme, Organisation nationale des droits de l’homme au Sénégal et Association malienne des droits de l’homme c. Angola, Communication 159/96, onzième rapport annuel d’activité (1997–98) au para 20.

7 Parmi beaucoup d’autres, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c Royaume-Uni, no 9214/80, 9473/81 et 9474/81, [1985], CEDH au para 67; Moustaquim c Belgique, no 12313/86, [1991], CEDH au para 43; Vilvarajah et autres c Royaume Uni, no 13163/87, 13164/87, 13165/87, 13447/87 et 13448/87, [1991], CEDH, au para 102; Chahal c Royaume Uni, no 22414/93, [1996], CEDH au para 73; Ahmed c Autriche, no 25964/94, [1996], CEDH au para 38; Bouchelkia c France, no 23078/93, [1997], CEDH au para 48; Boujlifa c France, no 25404/94, [1997], CEDH au para 42. Voir également la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme citée tout au long de cet article.

8 Ce point est clairement expliqué dans Daniel Kanstroom, “Deportation as a Global Phenomenon: Reflections on the Draft Articles on the Expulsion of Aliens” (2016) Harvard Human Rights Law Journal ILC Forum Essays 1. Il est également développé dans Bas Schotel, On the Right of Exclusion: Law, Ethics and Immigration Policy, Oxford, Routledge, 2012; voir aussi Ayelet Shachar, The Birthright Lottery: Citizenship and Global Inequality, Massachusetts, Harvard University Press, 2009. Marie-Bénédicte Dembour présente cette même idée sous une autre forme quand elle compare l’approche de la Cour européenne des droits de l’homme (qui traiterait les migrants tout d’abord comme des étrangers et secondairement comme des êtres humains) et l’approche de la Cour interaméricaine des Droits de l’Homme (qui les traiterait tout d’abord comme des êtres humains et secondairement comme des étrangers). Marie-Bénédicte Dembour, When Humans Become Migrants: Study of the European Court of Human Rights with an Inter-American Counterpoint, Oxford, Oxford University Press, 2015.

9 Règles internationales sur l’admission, supra note 2, arts 14 et 17.

10 Ibid, voir en particulier les arts 21, 28, 30–41.

11 Ibid, arts 23–24.

12 Ibid, arts 26, 27.

13 Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950, 213 RTNU 221 (entrée en vigueur le 3 septembre 1953) [Convention européenne].

14 Art 4 du projet: “1. Tout étranger résidant régulièrement sur le territoire d’une Haute Partie Contractante ne peut être expulsé que s’il menace la sécurité de l’État ou a contrevenu à l’ordre public ou aux bonnes mœurs. 2. Tout étranger résidant régulièrement depuis plus de deux ans sur le territoire de l’une des Parties Contractantes ne peut faire l’objet d’une mesure d’expulsion qu’après avoir été admis, à moins de motifs impérieux touchant à la sécurité de l’État, à faire valoir les raisons qu’il peut invoquer contre son expulsion et à présenter un recours effectif à cet effet devant une instance nationale au sens de l’article 3 de la Convention. 3. Tout étranger résidant régulièrement depuis plus de dix ans sur le territoire de l’une des Parties Contractantes ne peut être expulsé que pour des raisons touchant à la sécurité de l’État ou si les autres raisons mentionnées au paragraphe 1 du présent article revêtent un caractère particulier de gravité.”

15 Rapport explicatif du Protocole n° 4 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, reconnaissant certains droits et libertés autres que ceux figurant déjà dans la Convention et dans le premier Protocole additionnel à la Convention (16 septembre 1963) au para 34 [Rapport explicatif du Protocole n° 4].

16 Art 3: “1. Les ressortissants des Parties contractantes résidant régulièrement sur le territoire des autres Parties ne peuvent être expulsés que s’ils menacent la sécurité de l’État ou ont contrevenu à l’ordre public ou aux bonnes mœurs. 2. Ceux d’entre eux qui résident régulièrement depuis plus de deux ans sur le territoire de l’une des Parties contractantes ne peuvent faire l’objet d’une mesure d’expulsion qu’après avoir été admis, à moins de motifs impérieux touchant à la sécurité de l’État, à faire valoir les raisons qu’ils peuvent invoquer contre leur expulsion, à présenter un recours à cet effet et à se faire représenter devant une autorité compétente ou devant une ou plusieurs personnes spécialement désignées par l’autorité compétente. 3. Les ressortissants des Parties contractantes, résidant régulièrement depuis plus de dix ans sur le territoire de l’une d’elles, ne peuvent être expulsés que pour des raisons touchant à la sécurité de l’État ou si les autres raisons mentionnées au paragraphe 1 du présent article revêtent un caractère particulier de gravité.”

17 Bernardette Roiney, Elizabeth Wicks et Clare Ovey, The European Convention on Human Rights, Oxford, Oxford University Press, 2014 à la p 563.

18 Rapport explicatif du Protocole n° 4, supra note 15 au para 35.

19 Art 1 du Protocole n° 7: “1. Un étranger résidant régulièrement sur le territoire d’un État ne peut en être expulsé qu’en exécution d’une décision prise conformément à la loi et doit pouvoir: a) faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion, b) faire examiner son cas, et c) se faire représenter à ces fins devant l’autorité compétente ou une ou plusieurs personnes désignées par cette autorité. 2. Un étranger peut être expulsé avant l’exercice des droits énumérés au paragraphe 1. a), b) et c) de cet article lorsque cette expulsion est nécessaire dans l’intérêt de l’ordre public ou est basée sur des motifs de sécurité nationale.”

20 Convention américaine relative aux Droits de l’Homme, 22 novembre 1969, 1144 RTNU 183 (entrée en vigueur le 18 juillet 1978). Art 9.2, selon l’original espagnol: “Es prohibida la expulsión colectiva de extranjeros.”

21 Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, 27 juin 1981, 1520 RTNU 217 (entrée en vigueur 21 octobre 1986). Art 12.5: “L’expulsion collective d’étrangers est interdite. L’expulsion collective est celle qui vise globalement des groupes nationaux, raciaux, ethniques ou religieux.” Comme on aura l’occasion de le voir, la définition d’expulsion collective de la Charte n’est pas identique à celle développée par la Cour européenne.

22 Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, 12 décembre 2007, 326-C JO 391 (entrée en vigueur dans sa version actuelle le 1 décembre 2009). Art 19.1: “Les expulsions collectives sont interdites.”

23 Projet d’articles sur l’expulsion des étrangers et commentaires y relatifs, Doc A/69/10 (2014) para 44, texte adopté par la Commission du droit international à sa soixante-sixième session, en 2014, et soumis à l’Assemblée Générale dans le cadre de son rapport sur les travaux de ladite session [Projet d’articles sur l’expulsion des étrangers]. Le rapport sera reproduit dans l’Annuaire de la Commission du droit international, vol I(2) (2014). L’Assemblée Générale des Nations Unies a pris note de ce projet (résolution A/RES/69/119 du 10 décembre 2014). L’art 9 est ainsi libellé: “Interdiction de l’expulsion collective. 1. Aux fins du présent projet d’articles, l’expulsion collective s’entend de l’expulsion d’étrangers en tant que groupe. 2. L’expulsion collective des étrangers est interdite. 3. Un État peut expulser concomitamment les membres d’un groupe d’étrangers, à condition que la mesure d’expulsion soit prise à l’issue et sur la base d’une appréciation de la situation particulière de chacun des membres qui forment le groupe conformément au présent projet d’articles. 4. Le présent projet d’articles est sans préjudice des règles de droit international applicables à l’expulsion des étrangers en cas de conflit armé impliquant l’État expulsant.”

24 Soit parce qu’il possède la nationalité d’un autre État, soit parce qu’il ne possède aucune nationalité. Voir Déclaration sur les droits de l’homme des personnes qui ne possèdent pas la nationalité du pays dans lequel elles vivent, Résolution 40/144 de l’Assemblée Générale des Nations Unies (13 décembre 1985), art 1.

25 Maurice Kamto, Expulsion des étrangers: Rapport préliminaire sur l’expulsion des étrangers, Doc NU A/CN.4/554 (4 avril 2005) au para 8 [Kamto, Rapport préliminaire].

26 Ibid.

27 Ibid au para 13.

28 Commission du droit international, Expulsion des étrangers: Étude du Secrétariat, Genève, 2006 au para 67.

29 Ibid aux paras 83–84; Maurice Kamto, Expulsion des étrangers: Deuxième rapport sur l’expulsion des étrangers, Doc NU A/CN.4/573 (2006) aux paras 159–61 [Kamto, Deuxième rapport].

30 Commission du droit international, supra note 28, aux paras 85–87; Kamto, Deuxième rapport, supra note 29 aux paras 176–77.

31 Voir en ce sens Commission du droit international, supra note 28 au para 75; Giorgio Gaja, “Expulsion of Aliens: Some Old and New Issues in International Law” dans Cursos Euromediterráneos Bancaja de Derecho Internacional, vol. 3, 1999, aux pp 290–91; Kamto, Deuxième rapport, supra note 29 aux paras 171–73.

32 Kamto, Deuxième rapport, supra note 29 au para 172.

33 Ibid aux paras 166, 170.

34 Commission du droit international, supra note 28 au para 68.

35 Le Tribunal d’indemnisation Iran-États-Unis a connu de plusieurs demandes qui se rapportaient à des cas d’expulsion implicite. Short v Iran, [1987] 76 Iran-United States Tribunal Reports 85 (Tribunal des réclamations Iran-États-Unis); International Technical Products Corporation and ITP Export Corporation v Iran, [1985] 9 Iran-United States Claims Tribunal Claims Reports 18 (Tribunal des réclamations Iran-États-Unis); Rankin v Iran, [1987] 17 Iran-United States Claims Tribunal Reports 147 (Tribunal des réclamations Iran-États-Unis). La Commission d’indemnisation Érythrée-Éthiopie a examiné la demande de l’Éthiopie, qui soutenait que l’Érythrée était responsable de l’expulsion implicite d’Éthiopiens contraire au droit international. Réclamation de l’Éthiopie n° 5: Mauvais traitement des populations civiles, [2004] Commission d’indemnisation Érythrée-Éthiopie [arrêt partiel].

36 Commission du droit international, supra note 28 au para 184.

37 Kamto, Deuxième rapport, supra note 29 aux paras 155–58.

38 Roiney, Wicks et Ovey, supra note 17 à la p 562.

39 Andric c Sweden, no 45917/99, [1999], CEDH [Andric]. Les précédents des organes européens sont cités en version française, sauf quand il n’y a que la version anglaise disponible (comme c’est le cas pour l’affaire Andric).

40 Andric, au para 1 de la section du droit applicable. La traduction de l’original anglais a été prise de la reproduction de cette définition dans des arrêts postérieurs de la Cour.

41 Becker c Danemark, no 7011/75, [1975], ComEDH. L’affaire concernait le rapatriement d’un groupe d’environ deux cents enfants vietnamiens par les autorités danoises. La Commission a déclaré le grief présenté sous l’art 3 de la Convention européenne manifestement mal fondé et celui présenté sous l’art 4 du Protocole n° 4 incompatible ratione materiae avec la Convention.

42 KG c Federal Republic of Germany, no 7704/76, [1977], ComEDH. L’affaire concernait l’expulsion d’environ 120 apatrides tsiganes. La Commission a déclaré irrecevables les griefs fondés sur les arts 3 et 14 de la Convention européenne et 4 du Protocole n° 4.

43 O. et autres c Luxembourg, no 7757/77, [1978], ComEDH [O. et autres]. L’affaire concernait l’expulsion de trois nationaux néerlandais du Luxembourg. La Commission a déclaré manifestement mal fondés les griefs présentés sous les arts 8, 10 et 11 de la Convention européenne et 4 du Protocole n° 4. Elle a aussi déclaré irrecevable pour non-épuisement des recours internes le grief présenté sous l’art 8 au nom des sociétés commerciales appartenant aux personnes expulsées.

44 Albaks et autres c Pays-Bas, no 4209/88, [1977], ComEDH. L’affaire concernait 23 requérants de nationalité surinamaise qui alléguaient avoir été l’objet d’une expulsion collective. La Commission a déclaré le grief présenté sous l’art 4 du Protocole n° 4 manifestement mal fondé.

45 O et autres, au para 1.4 de la section du droit applicable.

46 Andric, au para 1 de la section du droit applicable.

47 La Cour a par conséquent déclaré manifestement mal fondé le grief présenté sous l’art 4 du Protocole n° 4. Elle a aussi déclaré manifestement mal fondé le grief présenté sous l’art 3 de la Convention européenne. La Cour a atteint des conclusions semblables relativement à l’art 4 du Protocole n° 4 dans d’autres affaires concernant des croato-bosniens expulsés par la Suède: Maric v Sweden, no 45922/99, [1999], CEDH (défaut manifeste de fondement); Juric v Sweden, no 45924/99, [1999], CEDH (défaut manifeste de fondement); Pranjko v Sweden, no 45925/99, [1999], CEDH (non-violation); Majic v Sweden, no 45918/99, [1999], CEDH (non-violation).

48 Berisha et Haljiti c ex-République Yougoslave de Macédoine, no 18670/03 [2005], 2005-VIII CEDH 407 au para 2 [Berisha et Haljiti] de la section du droit applicable. La Cour a déclaré irrecevable pour défaut manifeste de fondement les griefs énoncés sous les arts 3 et 13 de la Convention européenne et 4 du Protocole n° 4. Dans une décision postérieure sur la même affaire, elle a déclaré irrecevable pour non-épuisement des recours internes les griefs énoncés sous les arts 6.1 et 6.3 de la Convention européenne. Berisha and Haljiti v Former Yugoslav Republic of Macedonia, no 18670/03, [2007], CEDH.

49 Voir la même définition d’expulsion collective utilisée dans l’affaire Andric répétée dans des arrêts et décisions postérieurs (la plupart analysés en détail tout au long de cet article). Čonka c Belgique, no 51564/99, [2002], 2002-I CEDH 47 au para 59 [Čonka]; Fedorova et autres c Lettonie, no 69405/01, [2003], CEDH au para C de la section du droit applicable; Berisha et Haljiti, supra note 48 au para 2 de la section du droit applicable; Sultani c France, no 45223/05, [2007], 2007-IV CEDH 55 aux paras 81–84 [Sultani]; Ghulami c France, no 45302/05, [2009], CEDH au para 2.c de la section du droit applicable [Ghulami]; Dritsas et autres c Italie, no 2344/02, [2011], CEDH au para 7 [Dritsas]; Kostadinovic c Bulgarie, no 4512/02, [2012], CEDH au para 46; Hirsi Jamaa et autres c Italie [GC], no 27765/09, [2012], 2012-VII CEDH 1 aux paras 166–67 [Hirsi Jamaa]; MA c Chypre, no 41872/10, [2013], 2013-IV CEDH 215 au para 245 [MA]; Géorgie c Russie (I) [GC], no 13255/07, [2014], 2014-IV CEDH 1 au para 167 [Géorgie c Russie (I)]; Khlaifia et autres c Italie, no 16483/12, [2015], CEDH au para 154 [Khlaifia]; Khlaifia et autres c Italie [GC], no 16483/12, [2016], CEDH au para 237 [Khlaifia, GC]; Shioshvili and other v Russia, no 19356/07, [2016], CEDH au para 68 [Shioshvili]; Berdzenishvili and other v Russia, no 14594/07, 14597/07, 14976/07, 14978/07, 15221/07, 16369/07 et 16706/07, [2016], CEDH au para 79 [Berdzenishvili]; ND et NT c Espagne, no 8675/15 et 8697/15, [2017], CEDH au para 98 [ND et NT]. Dans d’autres affaires la Cour ne reproduit pas littéralement la définition, mais elle s’en sert de manière implicite. Dorochenko v Estonia, no 10507/03, [2006], CEDH au para 7 de la section du droit applicable; Mikolenko v Estonia, no 10664/05, [2008], CEDH au para 4 de la section du droit applicable; Abdi Ahmed and others v Malta, no 43985/13, [2014], CEDH au para 86; Sharifi et autres c Italie et Grèce, no 16643/09, [2014], CEDH au para 214 [Sharifi].

50 Projet d’articles sur l’expulsion des étrangers, supra note 23, art 9. Le commentaire du projet reconnaît expressément que la définition d’expulsion collective est inspirée de la jurisprudence de la Cour européenne.

51 Čonka, supra note 49 au para 59. Sur l’affaire Čonka voir Jean-Yves Carlier, “La détention et l’expulsion collective des étrangers” (2003) 58 Revue Trimestrielle des Droits de l’Homme 198; Ángel G Chueca Sancho, “El derecho internacional prohíbe las expulsiones colectivas de extranjeros” (2002) 1 Revista de Derecho Migratorio y Extranjería 9.

52 Čonka, supra note 49 au para 59.

53 Ibid au para 7, opinion partiellement concordante et partiellement dissidente du juge Velaers.

54 Ibid, opinion partiellement concordante et partiellement dissidente du juge Jungwiert à laquelle se rallie le juge Küris.

55 Ibid au para 41. En plus de la violation de l’art 4 du Protocole n° 4 la Cour a trouvé une violation des arts 5.1, 5.4 et 13 de la Convention européenne (ce dernier combiné avec l’art 4 du Protocole n° 4). Elle a par contre écarté une possible violation de l’art 5.2 de la Convention.

56 MA, supra note 49 au para 254. La Cour a déclaré qu’il n’y avait pas de violation de l’art 4 du Protocole n° 4. Elle a déclaré les plaintes sous les arts 2 et 3 de la Convention européenne incompatibles ratione personae avec la Convention, mais elle a trouvé une violation des arts 5.1, 5.4 et 13 (en relation avec les arts 2 et 3) de la Convention. La Cour a analysé une situation identique, du point de vue de l’art 4 du Protocole n° 4, et est arrivée à la même conclusion dans: HS and other v Cyprus, no 41753/10, [2015], CEDH; KF v Cyprus, no 41858/10, [2015], CEDH; AH and JK v Cyprus, no 41903/10 et 41911/10, [2015], CEDH.

57 Davydov c Estonie, n° 16387/03, [2005], CEDH au point 4 de la section du droit applicable. La suggestion des autorités estoniennes était la manière de montrer que le refus de titre de séjour n’interrompait pas la vie familiale de l’intéressé (sa femme et leur enfant étaient, comme le requérant, de nationalité russe). La Cour a écarté toute violation de l’art 4 du Protocole n° 4, ainsi que des arts 8 et 14 de la Convention européenne et à l’art 4 du Protocole n° 7.

58 ND et NT, supra note 49 au para 60. La Cour a décidé à l’unanimité (avec une opinion dissidente limitée au montant de l’indemnisation à verser aux requérants) que l’Espagne avait violé l’art 4 du Protocole n° 4 et l’art 13 de la Convention européenne combiné avec l’art 4 du Protocole n° 4. La Cour a déclaré irrecevable le grief que les requérants invoquaient sous l’art 3 et l’art 13 combiné avec l’art 3 de la Convention. L’affaire fait l’objet d’un renvoi devant la Grande Chambre.

59 Dritsas, supra note 49 au para 7. La Cour a déclaré la requête manifestement mal fondée par rapport à l’art 4 du Protocole n° 4. Elle a également conclu au non-épuisement des voies internes concernant les arts 3, 9, 10 et 11 de la Convention et à l’incompatibilité ratione materiae concernant l’art 5 de la Convention.

60 Hirsi Jamaa, supra note 49. Beaucoup de commentaires ont été publiés sur cet arrêt. Voir spécialement Irini Papanicolopulu, “Hirsi Jamaa v. Italiy” (2013) 107:2 AJIL 417; Maarten Den Heijer, “Reflections on Refoulement and Collective Expulsion in the Hirsi Case” (2013) 25:2 Intl J Refugee L 265; Jasmine Coppens, “The Law of the Sea and Human Rights in the Hirsi Jamaa and Others v. Italy Judgment of the European Court of Human Rights” dans Yves Haeck et Eva Brems, dirs, Human Rights and Civil Liberties in the 21st Century, Dordrecht, Springer, 2014, 179.

61 Hirsi Jamaa, supra note 49 au para 175.

62 Ibid au para 177.

63 Ibid au para 180.

64 Ibid aux paras 185–86. Voir dans le même sens l’opinion concordante du juge Pinto de Albuquerque. Dans l’affaire, en plus de la violation de l’art 4 du Protocole n° 4, la Cour a trouvé une violation de l’art 3 et de l’art 13 de la Convention européenne, tant par rapport à la violation de l’art 3 de la Convention que par rapport à la violation de l’art 4 du Protocole n° 4.

65 Den Heijer, supra note 60 aux pp 283–84.

66 Sharifi, supra note 49 aux paras 210–13.

67 Khlaifia GC, supra note 49 au para 243.

68 ND et NT, supra note 49 au para 104.

69 Géorgie c Russie (I), supra note 49. Voir, en général, Bill Bowring, “Georgia, Russia and the Crisis of the Council of Europe: Inter-State Applications, Individual Complaints, and the Future of the Strasbourg Model of Human Rights Litigation” dans James Green et Christopher Waters, dirs, Conflict in the Caucasus: Implications for International Legal Order, London, Palgrave Macmillan, 2010, 114; voir aussi Bjôrn Arp, “Georgia v. Russia” (2015) 109 AJIL 167.

70 L’affaire Géorgie c Russie (I), a été la première dans une série de trois affaires portées par la Géorgie contre la Russie devant la Cour européenne des droits de l’homme. La deuxième concernait l’occupation de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie par la Russie en 2008. Pour l’instant, il n’y a qu’une décision concernant l’admissibilité (Géorgie c Russie (II), no 38263/08, [2011], CEDH). La troisième affaire était relative à la détention de quatre enfants en Ossétie du Sud, mais la requête a été retirée après leur libération (Géorgie c Russie (III), no 61186/09, [2010], CEDH). La Géorgie a aussi traduit la Russie devant la Cour internationale de Justice pour une supposée violation de la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, 21 décembre 1965, 660 RTNU 1 (entrée en vigueur le 4 janvier 1969). La Cour internationale de Justice s’est déclarée incompétente en raison du non-épuisement des négociations, qui est une exigence préalable au recours juridictionnel imposée par la propre convention (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c Fédération de Russie), [2011] CIJ Rec 70 [exceptions préliminaires]).

71 La plupart des requêtes présentées devant la Cour sont des requêtes individuelles qui relèvent de l’art 34 de la Convention européenne. Or, selon l’art 33, tout État partie peut soumettre à la Cour tout manquement à la Convention et à ses protocoles que cet État croit imputable à un autre État partie. Il y a cependant une différence fondamentale entre les procédures relevant de l’art 33 et celles relevant de l’art 34. En effet, les requêtes individuelles peuvent être présentées par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers “qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses protocoles” (art 34). Par contre, les requêtes interétatiques ne supposent pas forcément l’existence de victimes concrètes ni d’un préjudice spécifique de la part de l’État qui présente la requête. Le point a été abordé dans les précédents des systèmes européen et américain. Irlande c Royaume-Uni, no 5310/71, [1978], CEDH au para 159; France, Norvège, Danemark, Suède, Pays-Bas c Turquie, no 9940/82, 9941/82, 9942/82, 9943/82 et 9944/82, [1983], CEDH au para 3 de la section sur le droit applicable decision; Chypre c Turquie, no 25871/94, [1996], CEDH au para IV de la section sur le droit applicable. Danemark c Turquie, no 34382/97, [1999], CEDH au para 1 de la section sur le droit applicable; Chypre c Turquie, no 25781/94, [1996], CEDH au para 4 de la section sur le droit applicable; Informe n° 11/07, Caso interestatal 01/06: Nicaragua c Costa Rica, [2007], Comm IDH au para 194. Voir en général Søren C Prebensen, “Inter-State Complaints Under Treaty Provisions: The Experience under the European Convention on Human Rights” dans Gudmundur Alfredsson, dir, International Human Rights Monitoring Mechanisms, Amsterdam, Brill, 2001, 439.

72 Berdzenishvili, supra note 49.

73 Shioshvili, supra note 49.

74 Géorgie c Russie (I), supra note 49 au para 178.

75 Ibid au para 175. La Cour a aussi déclaré que la détention des ressortissants géorgiens avait supposé la violation des arts 5.1, 5.4 et 3 de la Convention européenne. Elle a trouvé une violation de l’art 13 de la Convention européenne , par rapport aux arts 5.1 et 3 de la Convention européenne , et a déclaré que la Russie avait failli à son obligation de fournir toutes facilités nécessaires à la Cour afin qu’elle puisse établir les faits de la cause comme le veut l’art 38 de la Convention européenne. En revanche, la Cour a conclu à l’absence de violation de l’art 1 du Protocole n° 7, parce qu’elle n’avait pas de preuves que les ressortissants géorgiens expulsés étaient des migrants résidant régulièrement en Russie, et a écarté une possible violation de l’art 13 de la Convention européenne en combinaison avec l’art 4 du Protocole n° 4 et de l’art 5.4 de la Convention européenne car le constat de violation de l’art 4 du Protocole n o 4 et de l’art 5.4 de la Convention européenne en eux-mêmes impliquerait déjà l’absence de recours effectifs et accessibles. Il est aussi intéressant de mentionner l’opinion de la juge Tsotsoria qui qualifie les mesures adoptées par la Russie comme des représailles illégales. Géorgie c Russie (I), opinion en partie dissidente de la juge Tsotsoria.

76 Le septième requérant n’avait pas introduit de grief relatif à l’art 4 du Protocole n° 4.

77 Berdzenishvili, supra note 49 aux paras 81–82. La Cour a aussi déclaré une violation de l’art 5.1 et 5.4 de la Convention européenne relativement à deux des sept requérants et une violation de l’art 3 de la Convention européenne en raison des conditions de détention. La Cour a déclaré une violation de l’art 13 combiné avec l’art 3 de la Convention européenne dans le cas des trois requérants par rapport auxquels elle avait trouvé une violation de l’art 3; mais elle a écarté l’existence d’une violation de l’art 13 combiné avec l’art 5.1 de la Convention européenne. La Cour a écarté l’existence d’une violation de l’art 1 du Protocole n° 7 et de l’art 14 de la Convention européenne combiné avec l’art 6 de la Convention européenne et l’art 1 du Protocole n° 7. Six des sept requérants s’étaient aussi plaints sous l’art 6.1 de la Convention européenne; la Cour a déclaré que l’article n’était pas applicable.

78 Shioshvili, supra note 49 aux paras 70–72. La Cour a aussi trouvé une violation de l’art 2 du Protocole n° 4, et de l’art 3 et de l’art 13 par rapport à l’art 3 de la Convention européenne. La Cour a déclaré que les allégations de violation de l’art 14 par rapport aux arts 3 et 13 de la Convention européenne étaient manifestement mal fondées. Dans les trois affaires géorgiennes, le juge russe, Dmitry Dedov, a joint une opinion dissidente très critique avec la décision de la majorité. Selon ce juge, la Cour aurait dû tenir compte du contexte de “forte opposition politique” entre les parties. Pour lui, il n’y aurait pas eu d’expulsion collective contraire à l’art 4 du Protocole n° 4: il y aurait eu simplement une fin de la tolérance des autorités russes vis-à-vis les géorgiens qui résidaient illégalement dans le territoire, comme conséquence des tensions politiques mentionnées. Et, selon la jurisprudence de la Cour citée par ce même juge, la tolérance des autorités ne fait pas naître un droit de commettre des actes prohibés et, par conséquent, les autorités peuvent mettre fin à cette tolérance quand ils veulent. Géorgie c Russie (I), supra note 49, opinion dissidente du juge Dedov. Berdzenishvili, opinion dissidente du juge Dedov; Shioshvili, supra note 49, opinion dissidente du juge Dedov.

79 Commission du droit international, supra note 28 au para 73.

80 ND et NT, supra note 49 au para 104.

81 Ibid aux paras 53–54.

82 Khlaifia, supra note 49 aux paras 153–58. La Chambre a aussi conclu à la violation de l’art 13 de la Convention européenne combiné avec l’art 4 du Protocole n°4. Elle a aussi trouvé des violations des arts 3, 5.1, 5.2, 5.4 et 13 (combiné avec l’art 3) de la Convention européenne. Voir aussi les opinions individuelles: opinion concordante de la juge Keller; opinion en partie dissidente des juges Sajó et Vuċiniċ (avec une dissidence sur la violation de l’art 4 du Protocole n° 4); opinion en partie dissidente du juge Lemmens (avec une dissidence sur le montant de la satisfaction équitable).

83 Khlaifia GC, supra note 49 au para 241.

84 Ibid au para 251. Le juge Raimondi, qui avait fait partie de la majorité dans l’arrêt de Chambre, a émis une opinion concordante pour expliquer pourquoi il avait changé d’avis et avait voté, dans l’arrêt de la Grande Chambre, pour la non-violation de l’art 4 du Protocole n° 4.

85 Ibid au para 247.

86 Ibid.

87 Ibid. La Grande Chambre a partagé le point de vue de la Chambre sur la violation de l’art 13 combiné avec l’art 3 de la Convention européenne mais elle a écarté une possible violation de l’art 13 de la Convention européenne combiné avec l’art 4 du Protocole n° 4. La Grande Chambre a aussi trouvé des violations aux arts 5.1, 5.2 et 5.4 de la Convention européenne. La Grande Chambre a déclaré, par contre, qu’il n’y avait pas eu de violation de l’art 3 de la Convention européenne.

88 Hirsi Jamaa, supra note 49 au para 185. Dans ce passage, la Cour avait en effet indiqué que le personnel à bord des navires militaires italiens “n’était pas formé pour mener des entretiens individuels,” suggérant de cette manière qu’un entretien individuel était nécessaire.

89 Khlaifia GC, supra note 49 au para 42, opinion en partie dissidente du juge Serghides.

90 Ibid au para 11, opinion en partie dissidente du juge Serghides.

91 Ibid au para 12.b, opinion en partie dissidente du juge Serghides.

92 Ibid au para 12.d, opinion en partie dissidente du juge Serghides.

93 Carlier, supra note 51, aux pp 208–09 [l’italique nous appartient].

94 Dans Sultani, la Cour a exclu toute violation des arts 3 de la Convention européenne et 4 du Protocole n° 4 et a déclaré que les griefs présentés sous les arts 6 de la Convention européenne et 1 du Protocole n° 7 étaient incompatible ratione materiae avec la Convention européenne. Dans Ghulami la Cour a déclaré manifestement mal fondées les allégations faites sous l’art 3 et l’art 13 combiné avec l’art 3, tous de la Convention européenne ; et sous l’art 4 du Protocole n° 4. M Ghulami avait été effectivement déporté au moment de l’arrêt de la Cour. M. Sultani aurait dû être déporté dans le même vol que M. Ghulami, mais sa déportation avait été suspendue par une décision provisoire de la Cour de Strasbourg adoptée sous l’art 39 du règlement (c’est pour cette raison que la Cour a fait, dans son arrêt, une déclaration hypothétique selon laquelle l’expulsion ne serait pas constitutive d’une violation de l’art 4 du Protocole n° 4). Dans deux autres affaires, la Cour avait analysé une situation semblable (décision individuelle exécutée de manière collective) concernant l’expulsion de plusieurs personnes de nationalité bosnienne par l’Italie. La Cour avait déclaré recevable le grief fondé sur l’art 4 du Protocole n° 4 dans la première affaire (Sulejmanovic et Sultanovic c Italie, no 57574/00, [2002], CEDH). Puis, suite à un accord par lequel le gouvernement italien s’était engagé à réinstaller les expulsés en Italie, la Cour a rayé du rôle les deux requêtes (Sulejmanovic et autres et Sejdovic et Sulejmanovic c Italie, no 57574/00 et 57575/00, [2002], CEDH).

95 MA, supra note 49 au para 254.

96 Sur le concept de juridiction voir Frederick A Mann, “The Doctrine of Jurisdiction in International Law” dans Recueil des Cours de l’Académie de Droit International, La Haye, Martinus Nijhoff Publishers, 1964, 10; Frederick A Mann, “The Doctrine of Jurisdiction in International Law, Twenty Years Later” Recueil des Cours de l’Académie de Droit International, La Haye, Martinus Nijhoff Publishers, 1984, 186; Cédric Ryngaert, Jurisdiction in International Law, Oxford, Oxford University Press, 2008.

97 Sur les interceptions voir United Nations High Commissioner on Refugees (UNHCR) Executive Committee, Protection Safeguards in Interception Measures, Conclusion n° 97 (2003), online: <http://www.unhcr.org/refworld/docid/3f93b2894.html>; UNHCR, Global Consultations on International Protection/Regional Meetings: Key Conclusions and Recommendations (2001), online: <http://www.unhcr.org/refworld/docid/3b36f2cb4.html>; Anja Klug et Tim Howe, “The Concept of State Jurisdiction and the Applicability of the Non-Refoulement Principle to Extraterritorial Interception Measures” dans Bernard Ryan et Valsamis Mitsilegas, dirs, Extraterritorial Immigration Control, Leiden/Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2010, 65.

98 M c Danemark, no 17392/90, [1992], CEDH au para 1 de la section du droit applicable. Affaire concernant une demande d’asile dans l’ambassade danoise en République Démocratique Allemande. La Commission, bien qu’elle ait refusé la requête pour défaut manifeste de fondement, a accepté le principe selon lequel l’activité des agents diplomatiques et consulaires peut engager la responsabilité de l’État.

99 Mabel Pereira Montero c Uruguay, Comité des Droits de l’Homme, CCPR/C/18/D/106/1981 (31 mars 1983) au para 5; Juan Raúl Ferreira c Uruguay, [1983], Comm. IDH, rapport 18/83 aux paras 1–4.

100 Loizidou c Turquie [GC], no 15318/89, [1995], CEDH au para 62 (exceptions préliminaires); Loizidou c Turquie [GC], no 15318/89, [1996], CEDH aux paras 49–57 [Loizidou I]. Affaire relative à l’occupation de Chypre par la Turquie.

101 Chypre c Turquie [GC], no 25781/94, [2001], 2001-IV CEDH 237 aux paras 69–80. Affaire relative à l’occupation de Chypre par la Turquie.

102 Al-Skeini et autres c Royaume-Uni [GC], no 55721/07, [2011], 2011-IV CEDH 199 aux paras 143–50. La Cour a déclaré que le Royaume-Uni avait exercé un pouvoir effectif sur le territoire irakien comme puissance occupante.

103 La Cour internationale de Justice a déclaré que les activités militaires d’Israël comme puissance occupante des territoires palestiniens donnaient lieu à sa responsabilité non seulement sous le droit international humanitaire mais aussi sous le droit international des droits de l’homme. Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, [2004], CIJ Rec 136. Le même critère dans l’affaire du Congo. Affaire relative aux activités armées sur le territoire du Congo (République Démocratique du Congo c Ouganda), [2005], CIJ Rec 168 [Congo c Ouganda].

104 Le Comité des Droits de l’Homme a également considéré qu’Israël était responsable de violations commises dans les territoires occupés. Observations finales du Comité des Droits de l’Homme – Israël, Comité des Droits de l’Homme, CCPR/C/79/Add.93 (18 août 1998) au para 10. La Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples a déclaré le Burundi, le Rwanda et l’Ouganda responsables de violations de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples commises sur le territoire du Congo. Democratic Republic of Congo c Burundi, Rwanda and Uganda, Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, Communication 227/99 (29 mai 2003) aux paras 68ff. La Commission interaméricaine des Droits de l’Homme a trouvé que les États-Unis étaient responsables des violations de la Déclaration Américaine des Droits et Devoirs de l’Homme commises lors des activités militaires à Grenade en 1983. Coard et al c United States, [1999], Comm IDH rapport 109/99 au para 37.

105 Banković et autres c Belgique et 16 autres États contractants [GC], no 52207/99, [2001], 2001-XII CEDH 361 au para 75 [Banković et autres]. La Cour a déclaré irrecevable la requête contre les États européens membres de l’OTAN signalés comme responsables du bombardement d’un bâtiment de la radio-télévision serbe pendant la crise du Kosovo en 1999.

106 Rick Lawson, “Life after Bankovic: On the Extraterritorial Application of the European Convention on Human Rights” dans Fons Coomans et Menno Kamminga, dirs, Extraterritorial Application of Human Rights Treaties, Antwerp, Intersentia, 2004, 83 à la p 97; voir aussi Gérard Cohen-Jonathan, “La territorialisation de la juridiction de la Cour européenne des droits de l’homme” (2002) 52 Revue trimestrielle des droits de l’homme 1055; Alexander Orakhelashvili, “Restrictive Interpretation of Human Rights Treaties in the Recent Jurisprudence of the European Court of Human Rights” (2003) 14 EJIL 529; Guy S Goodwin-Gill, “The Extra-Territorial Reach of Human Rights Obligations: A Brief Perspective on the Link to Jurisdiction” dans Laurence Boisson de Chazournes et Marcelo Kohen, dirs, International Law and the Quest for Its Implementation, Leiden/Boston, Brill, 2010, 289; Ralph Wilde, “The ‘Legal Space’ or ‘Espace Juridique’ of the European Convention on Human Rights: Is It Relevant to Extraterritorial State Action?” (2005) Eur HR L Rev 10 at 11524; Michal Gondek, “Extraterritorial Application of the European Convention on Human Rights: Territorial Focus in the Age of Globalisation” (2005) Nethl Intl L Rev 52 at 349–87.

107 Issa and others c Turkey, no 31821/96, [2004], CEDH aux paras 72–82. La Cour a eu affaire à des arrestations illégales et des exécutions extrajudiciaires de plusieurs bergers kurdes par des soldats turcs sur le territoire irakien, qui auraient pu supposer (si les faits auraient été suffisamment prouvés) une forme d’exercice de la juridiction turque.

108 Öcalan c Turquie [GC], no 46221/99, [2005], 2005-IV CEDH 47 au para 91. Affaire relative à une extradition irrégulière du Kenya en Turquie par la police turque. La Cour a souligné que le requérant avait été effectivement sous le contrôle des autorités turques à partir du moment de son transfert.

109 Al-Saadoon et Mufdhi c Royaume-Uni, no 61498/08, [2010], 2010-II CEDH 151 aux paras 128ff [Al-Saadoon]. Affaire relative à l’administration d’une prison sur le territoire irakien par des autorités britanniques. La Cour a trouvé que la prison était sous un contrôle total et exclusif de ces autorités.

110 Le Comité des Droits de l’Homme a accepté que la détention irrégulière d’une personne par des forces sous le contrôle d’un État dans le territoire d’un autre État suppose un exercice de la juridiction par le premier État dans la mesure où il a un contrôle effectif sur la personne détenue. López Burgos c Uruguay, Comité des Droits de l’Homme, CCPR/C/13/D/52/1979 (29 juillet 1981) au para 12; Celiberti de Casariego c Uruguay, Comité des Droits de l’Homme, CCPR/C/13/D/56/1979 (29 juillet 1981) au para 10. Le critère du contrôle effectif est aussi mentionné dans l’Observation générale n° 31. La nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, Comité des Droits de l’Homme, CCPR/C/21/Rev.1/Add.13 (26 mai 2004) au para 10.

111 Ilaşcu et autres c Moldova et Russie [GC], no 48787/99, [2004], 2004-VII CEDH 1 [Ilaşcu et autres c Moldova et Russie]. La Cour a tenu la Moldavie et la Russie pour responsables des violations des droits de l’homme en Transnistrie, un territoire théoriquement sous la juridiction moldave mais de facto sous le contrôle d’un gouvernement auto-proclamé avec l’appui de la Russie.

112 Xhavara c Italie et Albanie, no 39473/98, [2001], CEDH au para 1 de la section du droit applicable. L’affaire était relative à la mort en haute de mer d’un groupe d’immigrants, suite à la collision du bateau qui les transportait avec un navire de guerre italien qui voulait les empêcher de gagner les côtes italiennes. La Cour, quoiqu’elle ait déclaré la requête irrecevable pour d’autres raisons, a accepté le principe de l’exercice de la juridiction par l’Italie.

113 Medvedyev et autres c France [GC], no 3394/03, [2010], 2010-III CEDH 1 aux paras 65–67 [Medvedyev].

114 Armando Alejandre and others c Cuba, [1999], Comm IDH rapport 86/99 au para 23. La Commission a trouvé Cuba responsable de la violation de plusieurs droits consacrés par la Déclaration Américaine des Droits et Devoirs de l’Homme (1948) pour l’abattage d’un avion civil dans un espace international. Voir aussi les précédents du Comité contre la Torture cités infra.

115 Medvedyev, supra note 113 au para 67.

116 Hirsi Jamaa, supra note 49 aux paras 173–78. Sur cette problématique voir Klug et Howe, supra note 97.

117 Ibid au para 81.

118 Ibid au para 77.

119 Ibid au para 178. Dans le même sens, voir Luis López Guerra, “Inmigración y derechos humanos” (2015) 2 Democracia e sicurezza 6.

120 Voir JHA, affaire du Comité contre la Torture relative à l’interception de migrants en haute mer suivie de leur privation de liberté sous le contrôle d’un État contractant mais sur le territoire d’un autre État. Quoique le Comité ait déclaré la requête inadmissible pour des raisons procédurales, il a accepté théoriquement la possibilité qu’un État voie sa responsabilité engagée pour l’exercice de facto de la juridiction dans un espace international ou sur le territoire d’un État tiers. JHA c Espagne, Comité contre la Torture, CAT/C/41/D/323/2007 (21 novembre 2008) au para 8.2 [JHA]. Voir Kees Wouters et Maarten Den Heijer, “The Marine I Case: A Comment” (2010) 22 Intl J Refugee L 1; Ruth Weinzierl et Urszula Lisson, Border Management and Human Rights: A Study of EU Law and the Law of the Sea, Berlin, German Institute for Human Rights, 2007; Andreas Fischer-Lescano, Tillmann Löhr et Timo Tohidipur, “Border Controls at Sea: Requirements under International Human Rights and Refugee Law” (2009) 21 Intl J Refugee L 256.

121 ND et NT, supra note 49 au para 51.

122 Ibid au para 51.

123 L’affaire JHA du Comité contre la Torture, déjà citée, concernait l’exercice de facto de la juridiction non seulement en haute mer, mais aussi sur le territoire d’un État tiers. Dans Sonko le même Comité a accepté la possibilité de responsabilité de la part d’un État pour des activités dans les eaux territoriales d’un État tiers. L’affaire concernait la dévolution au Maroc de quatre migrants qui avaient essayé d’arriver à l’enclave espagnole de Ceuta en nageant, dont un était mort pendant le déplacement. Sonko c Espagne, Comité contre la Torture, CAT/C/47/D/368/2008 (25 novembre 2011) au para 10.3.

124 Voir une analyse générale dans Christopher Borgen, “Resolving Treaty Conflicts” (2005) 37 Geo Wash Intl L Rev 37 at 573–648.

125 Hirsi Jamaa, supra note 49 au para 129 [l’italique nous appartient].

126 Prince Hans-Adam II du Liechtenstein c Allemagne [GC], no 42527/98, [2001], 2001-VIII CEDH 43 au para 47. Bosphorus Hava Yollari Turizm ve Ticaret Anonim Sirketi c Irlande [GC], no 45036/98, [2005], 2005-VI CEDH 173 au para 154; Al-Saadoon, supra note 109 au para 128.

127 Slivenko c Lettonie [GC], no 48321/99, [2003], 2003-X CEDH 289 au para 120. Dans la décision préalable relative à l’admissibilité de l’affaire la Cour avait montré un point de vue plus nuancé en affirmant que l’accord lui-même “imposait à la Lettonie d’observer les principes du droit international en vue de protéger les droits des personnes concernées par sa mise en application” (Slivenko c Lettonie [GC], no 48321/99, [2002], 2002-II CEDH 493 au para 62). Cette affirmation, en effet, suggérait que si les droits consacrés par la Convention européenne gardaient leur force normative face au traité antérieur c’était parce que ce traité antérieur l’ordonnait, et non parce que la Convention européenne devait prévaloir face à tout traité antérieur.

128 Règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

129 MSS c Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, [2011], 2011-I CEDH 121 [MSS]. Suivant le point de vue de Strasbourg, la Cour de justice de l’Union européenne a adopté le même critère. NS c Secretary of State for the Home Department et ME et autres c Refugee Applications Commissioner [GC], C-411/10 et C-493/10 [2011], Cour de justice de l’Union européenne.

130 Traité sur l’Union Européenne (version consolidée), 26 octobre 2012, 326-C JO 13; Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (version consolidée), 26 octobre 2012, 326-C JO 47.

131 Sur les obligations integrals voir Fragmentation du droit international: Difficultés découlant de la diversification et de l’expansion du droit international, Rapport du Groupe d’étude de la Commission du droit international, établi sous sa forme définitive par Martti Koskenniemi, Doc NU A/CN.4/L.682 (2006) au para 248; voir aussi Ineta Ziemele, “Case-Law of the European Court of Human Rights and Integrity of International Law” dans Rosario Huesa et Karel Wellens, dir, L’influence des sources sur l’unité et la fragmentation du droit international, Bruxelles, Bruylant, 2006; Borgen, supra note 124.

132 Sharifi, supra note 49. Le juge Lemmens a joint une opinion concordante relative à un aspect purement technique concernant une exception préliminaire (opinion concordante du juge Lemmens).

133 Dans l’analyse préliminaire de l’affaire, la Cour a décidé de rayer du rôle la requête dans la mesure où elle concernait trente et un des trente-cinq requérants, car la perte de contact de ces trente et un requérants avec leur représentant supposait, pour la Cour, leur intention de ne pas continuer la procédure. La Cour n’a donc retenu que quatre requérants (tous de nationalité afghane).

134 Sharifi, supra note 49 aux paras 217–25. La Cour a condamné l’Italie pour violation de l’art 4 du Protocole n° 4. La Cour a aussi trouvé une violation par l’Italie de l’art 3 de la Convention européenne et de l’art 13 de la Convention européenne combiné avec l’art 3 de la Convention européenne et 4 du Protocole n° 4. La Cour a condamné la Grèce pour violation de l’art 13 combiné avec l’art 3 de la Convention européenne.