Introduction
Le dernier Rapport sur le commerce mondial (ci-après le Rapport) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a mis l’accent sur les liens étroits entre les technologies et le commerce, en examinant les transformations induites par les technologies numériques sur le commerce mondial et les réponses juridiques à y apporter.Footnote 1 En particulier, le Rapport souligne la contribution exceptionnelle des technologies numériques à l’essor du commerce désormais marqué par des changements de structure, l’expansion des chaînes de valeur mondiales et la réduction des coûts.Footnote 2 Mais, note le Rapport, les technologies suscitent également des préoccupations liées notamment à la concentration du marché, la perte de confidentialité, les menaces pour la sécurité et la fracture numérique.Footnote 3
L’arrivée au pouvoir en 2017 du 45e président des États-Unis et la mise en œuvre de ses premières mesures commerciales ont remis à l’ordre du jour le débat sur les effets néfastes des politiques protectionnistes sur le commerce mondial et la nécessité de bâtir un système commercial multilatéral fondé sur des règles.Footnote 4 En effet, l’année 2018 a été marquée par une montée en puissance et une recrudescence des mesures protectionnistes notables dans les pays du G-20 où la valeur des échanges visés par ces nouvelles mesures est estimée à 481 milliards de dollars EU, ce qui représente un montant “plus de six fois supérieur à celui enregistré au cours de la période précédente.”Footnote 5 De plus, les économies du G-20 ont ouvert davantage d’enquêtes qu’elles n’en ont closes en ce qui concerne les mesures correctives commerciales au cours de la période concernée. Le directeur général de l’OMC, M. Azevêdo a averti les membres que les données du rapport sont préoccupantes puisque la multiplication des mesures restrictives pour le commerce et l’incertitude qu’elles créent pourraient retarder la reprise économique, en plus d’être synonymes de risques importants pour le commerce mondial, la croissance économique et l’emploi.Footnote 6
Par ailleurs, le mécanisme de règlement des différends de l’OMC, en particulier son Organe d’appel, est plongé dans l’impasse en raison de la difficulté des États membres de l’OMC à en renouveler les juges.Footnote 7 Les États-Unis ont bloqué de manière systématique le renouvellement du mandat des juges de l’Organe d’appel, obligeant l’instance juridictionnelle à fonctionner avec seulement trois juges, soit le nombre minimum requis pour régler une affaire. Cette situation est d’autant plus préoccupante que le mandat de deux des juges de l’Organe d’appel arrive à échéance à la fin de l’année 2019.Footnote 8 Plusieurs signataires d’une déclaration faisant état de leur soutien à l’OMC ont également souligné l’importance de remédier sans délai aux problèmes de postes vacants actuels et futurs au sein de l’Organe d’appel.Footnote 9 Dans le but d’éviter un risque systémique, le Directeur général de l’OMC a incité les dirigeants des économies du G-20 à agir rapidement afin de remédier au blocage de l’Organe d’appel.Footnote 10
L’année 2018 fut également celle de la onzième Conférence ministérielle de Buenos Aires où des sujets épineux portant sur les subventions à la pêche des stocks surexploitésFootnote 11 ont continué d’attirer l’attention des membres de l’OMCFootnote 12 sans qu’une solution pérenne ait été trouvée pour remédier au problème. Il faut toutefois noter l’adoption d’une feuille de route par les membres de l’OMC, qui ont convenu d’une liste de recommandations visant à réduire les obstacles techniques au commerce (OTC) et à améliorer la mise en œuvre de l’Accord sur les OTC dans le cadre de la réunion des 14 et 15 novembre du Comité des OTC. Leurs recommandations couvrent les questions de la transparence, des inspections et des certifications, des standards, de l’étiquetage, de l’assistance technique et de l’organisation de débats au sein du Comité.Footnote 13
Pour sa part, le Canada a joué, au cours de l’année écoulée, un rôle très actif tant dans le cadre de ses relations commerciales bilatérales, régionales ou multilatérales que dans la défense de ses intérêts commerciaux dans le cadre des procédures de règlement des différends. La présente chronique, en se concentrant exclusivement sur les activités de l’année écoulée, met l’accent sur l’implication du Canada dans ces différents aspects de ses relations commerciales.
Le commerce canadien aux plans bilatéral et régional
Dans cette rubrique, nous avons décidé de ne pas revenir sur le bilatéralisme commercial Canada-Europe, puisqu’il s’agit d’un sujet qui a été abondamment discuté dans nos différentes chroniques au cours des dernières années. En effet, le commerce avec l’Europe a été essentiellement marqué par la mise en œuvre provisoire de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (AÉCG). L’AÉCG est mis en œuvre dans l’ensemble des pays concernés et le processus de ratification au niveau des parlements nationaux se poursuit sans qu’aucun pays membre de l’Union européenne (UE) n’ait encore formellement rejeté l’accord, nonobstant les inquiétudes que soulève l’arrivée au pouvoir d’une certaine droite en Europe comme en Italie par exemple.
Dans la présente rubrique, deux sujets majeurs retiendront notre attention. Il s’agit d’une part de la renégociation d’un nouvel accord de libre-échange nord-américain et, d’autre part, des relations commerciales du Canada avec les États des Amériques et du Pacifique.
L’INTÉGRATION NORD-AMÉRICAINE
L’évènement le plus marquant à l’échelle nord-américaine de cette année 2018 est incontestablement la signature de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACÉUM) intervenue le 30 novembre 2018 en marge du Sommet du G20 à Buenos Aires.Footnote 14 Cette signature fait suite à une série de rebondissements dans les relations commerciales entre les trois partenaires commerciaux. Il y a eu la levée par les États-Unis de l’exonération accordée au Canada et au Mexique relativement aux tarifs douaniers sur l’aluminium et l’acier pour des motifs de sécurité nationale (10 pour cent pour l’aluminium et 25 pour cent pour l’acier). Il y a eu ensuite la réplique canadienne qui s’est traduite par l’imposition, à compter du 1er juillet 2018, des contre-mesures tarifaires pour des importations américaines jusqu’à concurrence de 16 milliards de dollars canadiens, lesquelles resteront en vigueur jusqu’à la levée des tarifs américains,Footnote 15 puis la conclusion par les États-Unis avec le seul Mexique d’un accord de principe sur un nouvel Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA)Footnote 16 le 27 août 2018. Si ces rebondissements ont eu pour effet de retarder la signature d’un nouvel accord de libre-échange entre les trois pays, ils n’ont pas empêché ces derniers d’arriver à une entente.
De l’ALÉNA à l’ACÉUM
La dénonciation par le président américain Donald Trump de l’ALÉNA dès son entrée en fonction n’a pas eu pour effet de provoquer la mort subite de cet accord emblématique des relations économiques et commerciales à l’échelle nord-américaine. Elle a plutôt permis d’amorcer une marche forcée vers la conclusion d’un nouvel accord, à savoir l’ACÉUM signé au dernier trimestre de l’année 2018. Et pour permettre une transition apaisée et harmonieuse entre l’ALÉNA et l’ACÉUM, il a été prévu une série de dispositions transitoiresFootnote 17 visant notamment à permettre à la Commission du Libre-échange de l’ALÉNA ainsi qu’aux Comités saisis sous l’égide de certaines dispositions de l’ALÉNA de poursuivre leurs travaux jusqu’à leur terme.
L’une des principales caractéristiques de ce nouvel accord est l’introduction d’une clause de temporisation qui prédétermine son espérance de vie.Footnote 18 En effet, lors des négociations de l’ACÉUM, les États-Unis ont demandé que le nouvel accord comprenne une clause de temporisation à l’effet que l’accord soit expiré après une période de cinq ans à défaut de prolongation consentie par les parties.Footnote 19 Après de longues tractations, il fut convenu entre les parties que l’ACÉUM verra ses conditions en vigueur pour seize ans. Au terme de ces seize années, les parties pourront renégocier l’accord, le revoir ou s’en retirer.Footnote 20 Il fut également retenu un réexamen de l’accord tous les six ans par les parties afin d’en assurer la pertinence, l’efficacité et les avantages pour les travailleurs.Footnote 21 De notre de point de vue, ce réexamen périodique fragilise la position du Mexique, mais surtout celle du Canada dont certaines des politiques, notamment le système de gestion de l’offre fortement contestée par les États-Unis, devront apporter la preuve de leur maintien.
Du point de vue de la forme, l’ACÉUM s’inscrit dans la droite ligne des accords économiques et commerciaux de nouvelle génération, qui ont pour caractéristique principale de déborder les relations commerciales stricto sensu. En ce sens, l’ACÉUM innove à bien des égards. Sans être exhaustif sur les innovations de l’accord, on peut difficilement passer sous silence l’idée originale d’inclure dans son préambule la promotion non pas simplement de la transparence et de la bonne gouvernance, mais surtout, de la primauté du droit.Footnote 22 La primauté du droit n’est pas une disposition courante dans un accord de libre-échange, même si le souhait des parties prenantes à ce type d’accords est généralement de faire prévaloir le droit sur la force politique et économique de l’une ou l’autre des parties. Le même préambule de l’ACÉUM reconnaît l’importance d’une participation accrue des peuples autochtones au commerce et à l’investissementFootnote 23 et incite les États parties à “faciliter l’égalité d’accès des femmes et des hommes aux possibilités créées par le présent accord et leur capacité d’en bénéficier, ainsi qu’à soutenir des conditions propices à la participation à part entière des femmes au commerce et à l’investissement à l’échelle nationale, régionale et internationale.”Footnote 24
Contrairement à l’ALÉNA, l’ACÉUM a opté pour une intégration complète de dispositions relatives au droit du travail,Footnote 25 à l’environnement,Footnote 26 à la compétitivité,Footnote 27 à la lutte contre la corruption,Footnote 28 aux bonnes pratiques de règlementationFootnote 29 ainsi qu’aux petites et moyennes entreprises, en leur consacrant des chapitres entiers.Footnote 30 En ce sens, le nouvel accord tente de concilier des mesures commerciales avec celles non commerciales incluant des dispositions originales mettant l’emphase sur l’égalité des sexes, les droits des peuples autochtones et la lutte anticorruption.
À la lecture de l’ACÉUM, on note des avancées marquées sur des dossiers d’importance capitale pour le Canada, tels que le commerce agricole, en particulier la commercialisation des produits laitiers, des œufs et la volaille, mais également la question de la libéralisation du marché de l’automobile. Ces avancées méritent qu’on s’y attarde plus précisément.
L’ACÉUM et le commerce agricole
Le dossier agricole est l’un des sujets majeurs des relations commerciales entre le Canada, le Mexique et les États-Unis auquel l’ACÉUM consacre un chapitre,Footnote 31 organisé autour des règles qui encadrent l’accès au marché nord-américain des produits agricoles, la concurrence à l’exportation,Footnote 32 les restrictions à l’exportation incluant les mesures relatives à la sécurité alimentaire,Footnote 33 ainsi que les mesures de soutien interne.Footnote 34 Le chapitre 3 de l’ACÉUM institue des Comités consultatifs sur l’agricultureFootnote 35 ainsi qu’un Comité sur le commerce agricole, composé de représentants gouvernementaux de chacune des parties à l’accord. Ce dernier comité est chargé de la promotion du commerce agricole, ainsi que de la surveillance et de la promotion de la coopération quant à la mise en œuvre et l’administration du chapitre sur l’agriculture. Il sert également de plateforme de consultations sur les questions d’accès au marché tout en favorisant la coopération dans les domaines d’intérêt pour les membres.Footnote 36
Il est important de souligner l’introduction dans le chapitre sur l’agriculture de l’ACÉUM d’une section B consacrée à la biotechnologie agricole,Footnote 37 plus généralement appelée organisme génétiquement modifié (OGM), qui affirme l’importance pour les parties “d’encourager l’innovation agricole et de faciliter le commerce des produits issus de la biotechnologie agricole, dans la poursuite d’objectifs légitimes, y compris par l’entremise de la promotion de la transparence et de la coopération, et l’échange de renseignements concernant le commerce des produits issus de la biotechnologie agricole.”Footnote 38 Autrement dit, les parties à l’ACÉUM encouragent la production, la commercialisation et la promotion des produits biotechnologiques et s’engagent à ne pas exiger des États membres de l’ACÉUM qu’ils imposent des autorisations pour leur commercialisation. Cette position est cohérente avec la position habituellement défendue par les États-Unis et le Canada dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Mais elle contraste avec la position européenne, plus attachée au principe de précaution.
S’agissant des règles d’accès aux marchés, les concessions résultant de l’ACÉUM pour le commerce agricole portent principalement sur les limites d’importations applicables au secteur laitier canadien, celui de la volaille et des œufs.Footnote 39 De telles concessions s’expliquent principalement par le contexte d’opposition entre le Québec, le plus grand producteur de ces produits, et l’Ontario et l’Ouest canadien qui tirent de plus importants revenus de l’industrie automobile. En réponse aux préoccupations des producteurs laitiers du Wisconsin, l’administration américaine avait initialement demandé à ce que le Canada supprime à la fois les restrictions relatives à l’importation du lait américain ultrafiltré et les droits de douane pour les produits laitiers dépassant les quotas canadiens (droit de douane de 300 pour cent).
Les États-Unis s’étant retirés du Partenariat transpacifique (PTP),Footnote 40 où le Canada avait convenu d’accorder 3.25 pour cent de son marché laitier, les négociations de l’ACÉUM ont mené à la suppression des restrictions à l’importation des produits laitiers américains en ouvrant le marché canadien pour des proportions de 3.6 pour cent de ce secteur.Footnote 41 Toutefois, en procédant ainsi, le Canada concède aux États-Unis de nouveaux contingents tarifaires qui lui donnent un plus large accès au marché canadien, notamment en raison du fait que le prix américain constituera la référence pour le prix des “composants pour le lait écrémé en poudre, les concentrés de protéines de lait et les préparations pour nourrissons,”Footnote 42 mais également en raison de l’élimination de certaines classes de lait (classes 6 et 7),Footnote 43 lesquelles permettaient d’abaisser les prix et de pousser les producteurs et transformateurs canadiens d’opter pour un produit national.Footnote 44
Au surplus, l’instauration d’un mécanisme de surveillance quant à l’exportation de produits laitiers qui seront l’objet de surtaxe après le dépassement d’un certain seuil permet ce déséquilibre en défaveur du Canada.Footnote 45 Parallèlement, le Canada bénéficiera d’un nouveau marché pour le sucre, les produits en contenant ainsi que pour certains produits laitiers par le biais de contingents tarifaires.Footnote 46 Enfin, il est important de rappeler que le Canada a réussi à préserver son système de gestion de l’offre.Footnote 47 Bien que symbolique, le maintien de ce programme est une réelle victoire pour le Gouvernement fédéral qui était très attendu sur ce dossier.
L’ACÉUM et le secteur automobile
Nonobstant l’annulation en 2001 de l’Accord entre le Gouvernement canadien et le Gouvernement des États-Unis concernant les produits de l’industrie automobile, plus connu sous le nom de Pacte de l’automobile, signé en 1965 en vue de créer un marché automobile nord-américain unifié, il s’est établi entre les trois pays membres de l’ALÉNA un marché automobile fortement interdépendant.Footnote 48 Dans ce contexte, tout différend relatif à l’acier et à l’aluminium les opposant est porteur de tensions économiques et sociales de grande importance. Ainsi, consécutivement à la décision américaine de soumettre l’importation de l’acier et de l’aluminium canadiens à des surtaxes douanières, les négociations de l’ACÉUM ont été l’occasion de rediscuter des règles d’origine applicables au secteur de l’automobile. On se souviendra que selon les règles établies sous l’ALÉNA, 60 à 62.5 pour cent du contenu automobile nord-américain proviennent du Canada, du Mexique et des États-Unis. Dans le cadre des négociations de l’ACÉUM, les États-Unis, prétextant des délocalisations vers le Mexique, ont voulu porter le contenu nord-américain à 85 pour cent dont 50 pour cent seraient essentiellement étasuniens.Footnote 49 Finalement, les États-Unis ont accepté que 45 pour cent du contenu des camionnettes et 40 pour cent du contenu automobile soient produits par une main-d’œuvre qui gagne au moins soixante dollars américains de l’heure.Footnote 50 Cela permet d’assurer des conditions plus équitables et concurrentielles relativement à la main-d’œuvre des trois pays en matière automobile tout en permettant de maintenir les chaînes d’approvisionnement.
D’autres modifications sont également survenues. Par exemple, le pourcentage total du contenu nord-américain des véhicules automobiles est augmenté et passe de 62.5 pour cent à 75 pour cent sous l’ACÉUM (ACÉUM, 4-B3). Le verre et l’aluminium nécessaire à la production automobile doivent provenir à 70 pour cent de l’Amérique du Nord, et ce pourcentage va à 75 pour cent pour le contenu des pièces centrales, 65 pour cent pour les pièces principales et à 60 pour cent pour les pièces accessoires.Footnote 51 Bref, ces changements normatifs auront vraisemblablement des répercussions autant sur le travail des constructeurs automobiles, sur celui des fournisseurs que sur l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement. Il est donc à prévoir dans les prochaines années une augmentation du prix des automobiles étant donné la valeur de la main d’œuvre aux États-Unis et au Canada et l’augmentation attendue du prix de revient des automobiles.
L’ACÉUM et le mécanisme de règlement des différends
L’ACÉUM maintient le mécanisme de règlement des différends commerciaux interétatiques à travers le nouveau chapitre 31. Ce chapitre précise la portée du mécanisme de règlement des différends commerciaux entre les trois pays membres de l’ACÉUM:
Les dispositions sur le règlement des différends du présent chapitre s’appliquent, selon le cas: a) à la prévention ou au règlement de différends entre les Parties touchant l’interprétation ou l’application du présent accord; b) lorsqu’une Partie estime qu’une mesure adoptée ou envisagée par une autre Partie est ou serait incompatible avec une obligation découlant du présent accord ou qu’une autre Partie a par ailleurs omis de s’acquitter d’une obligation au titre du présent accord; c) lorsqu’une Partie considère qu’un avantage auquel elle pouvait raisonnablement s’attendre en application du chapitre 2 (Traitement national et accès aux marchés pour les produits), du chapitre 3 (Agriculture), du chapitre 4 (Règles d’origine), du chapitre 5 (Procédures d’origine), du chapitre 6 (Produits textiles et vêtements), du chapitre 7 (Administration douanière et facilitation des échanges), du chapitre 9 (Mesures sanitaires et phytosanitaires), du chapitre 11 (Obstacles techniques au commerce), du chapitre 13 (Marchés publics), du chapitre 15 (Commerce transfrontière des services) ou du chapitre 20 (Droits de propriété intellectuelle) se trouve annulé ou compromis par suite de l’application d’une mesure d’une autre Partie qui n’est pas incompatible avec le présent accord.Footnote 52
Il découle de ce mécanisme un certain nombre de caractéristiques qui sont essentielles à rappeler. D’abord, les recours prévus dans le cadre du chapitre 31 de l’ACÉUM sont des recours interétatiques. Les entreprises ne sont pas directement admises à porter sous le chapitre 31 de l’ACÉUM un différend, seuls les États y sont admis. Ensuite, la portée du chapitre 31 de l’ACÉUM s’étend à la prévention des litiges et au règlement des différends commerciaux. Les Parties peuvent ainsi solliciter le chapitre 31 de l’accord, non seulement pour interpréter certaines des dispositions de l’accord, mais également pour assurer l’application adéquate de celles-ci. De manière plus concrète, lorsqu’un différend survient entre deux ou plusieurs parties à l’ACÉUM, le chapitre 31 accorde aux parties la possibilité de solliciter en tout premier lieu des consultations.Footnote 53 En cas d’échec desdites consultations, les parties peuvent saisir la Commission qui, selon l’article 31.5(4) dispose de trois moyens d’action: (1) faire appel à des conseillers techniques, créer des groupes de travail ou d’experts qu’elle estime nécessaires; (2) faire recours aux bons offices, à la conciliation, médiation ou autre moyen de règlement pacifique des différends; ou (3) faire des recommandations.
Lorsque la procédure devant la Commission ne permet pas de régler le différend, les parties ont la possibilité de demander à la Commission d’instituer un groupe spécial qui aura pour mandat d’examiner la question et de faire des constatations et des déterminations ainsi que des recommandations conformément à l’article 31.7 de l’ACÉUM. Le groupe spécial ainsi institué doit procéder à une évaluation objective de la question dont il est saisi et présenter un rapport final.Footnote 54
L’accord permet également aux États membres de recourir à des procédures internes et à des recours commerciaux. Ceux-ci peuvent se traduire par des procédures de renvoi d’instances judiciaires ou administratives internes vers la Commission pour l’interprétation de certaines dispositions de l’accord.Footnote 55 L’accord incite les parties à faire la promotion des modes alternatifs de règlement des différends et à recourir à l’arbitrage, la médiation, la conciliation ou toute autre méthode pacifique de règlement des différends.
Il est important de souligner que l’ACÉUM ne renonce pas aux recours commerciaux pouvant déboucher sur la contestation des mesures de défense commerciales que peuvent adopter les États membres tels que les sauvegardes,Footnote 56 les droits antidumping et compensateursFootnote 57 nonobstant les fortes réticences américaines qui considéraient que ces dispositions étaient susceptibles de porter atteinte à la souveraineté des États-Unis. C’est le Canada qui a insisté pour la conservation de cet article qui fut notamment utilisé en réponse aux droits américains imposés sur les importations canadiennes dans le différend sur le bois d’œuvre résineux.Footnote 58 Le processus initial est maintenu tout en prévoyant certaines améliorations relatives aux plans de transparence et aux délais.Footnote 59 Parmi les exceptions, les différends culturels, y compris le commerce électronique (contrairement à l’AÉCG), sont maintenus et ne seront pas entendus par l’OMC, mais par une instance établie par l’ACÉUM. S’ajoute à cela l’exception de la permission des parties d’adopter des règlementations assurant l’acquittement des obligations à l’égard des autochtones.Footnote 60
LE COMMERCE CANADIEN DANS LES AMÉRIQUES
Deux évènements majeurs ont marqué le commerce canadien dans les Amériques au cours de l’année 2018. Il s’agit d’une part de l’entrée en vigueur au Canada le 30 décembre 2018 de l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP)Footnote 61 et, d’autre part, des négociations en vue de la conclusion d’un accord de libre-échange entre le Canada et les pays membres du Mercosur. Le PTPGP fut d’abord connu sous la dénomination de PTP lors de sa signature en 2016 par douze États. En janvier 2017, le PTP fut dénoncé par les États-Unis.Footnote 62 Les négociations entreprises entre les onze paysFootnote 63 ont permis de mettre en vigueur un nouvel accord, qualifié de “global” et “progressiste” par les États parties.Footnote 64
L’entrée en vigueur du PTPGP
La Loi portant mise en œuvre l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste entre le Canada, l’Australie, le Brunei, le Chili, le Japon, la Malaisie, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, le Pérou, Singapour et le Vietnam met en œuvre le PTPGP signé à Santiago le 8 mars 2018.Footnote 65 Le PTPGP est une version abrégée du PTP puisqu’il incorpore, par renvoi, toutes les dispositions du PTP Footnote 66 à l’exception de celles qui sont explicitement suspendues.Footnote 67 La Loi de mise en œuvre du PTPGP précise les objectifs du nouvel accord.Footnote 68 En effet, le PTPGP établit une zone de libre-échange en favorisant le développement harmonieux des relations économiques, la concurrence loyale, l’augmentation substantielle des possibilités d’investissement et l’élimination des obstacles au commerce entre le Canada et les autres États parties à l’accord. Le PTPGP vise également à renforcer le respect des règles environnementales et des droits fondamentaux, l’égalité des sexes, les droits des peuples autochtones, l’identité et la diversité culturelles, le commerce inclusif et le développement durable tout en soutenant la croissance des microentreprises et la responsabilité sociale des entreprises.Footnote 69
À l’image des accords de libre-échange conclus au cours de ces dernières années, le PTPGP intègre à son corpus juridique des enjeux non commerciaux des échanges tels que les questions environnementalesFootnote 70 et culturellesFootnote 71 et celles liées au travail.Footnote 72 Sur certains enjeux plus cruciaux, le PTPGP rejoint l’ACÉUM en réaffirmant dès son préambule l’importance pour les États membres de favoriser la transparence, la bonne gouvernance et la primauté du droit et de reconnaître l’importance des identités et de la diversité culturelle. Dans le but de favoriser l’éclosion et le développement des chaînes d’approvisionnement, l’accord crée un Comité sur la compétitivité et la facilitation des affaires chargé d’étudier et de déterminer des moyens efficaces permettant d’instaurer entre les États membres “un environnement concurrentiel propice à la mise sur pied d’établissements d’affaires, qui facilite le commerce et l’investissement et favorise l’intégration économique et le développement dans la zone.”Footnote 73 Le Comité doit servir de cercle de réflexion et de promotion d’actions qui favorisent l’expansion et le renforcement des chaînes d’approvisionnement à travers la zone de libre-échange ainsi instituée.Footnote 74 Le mécanisme de règlement des différendsFootnote 75 mis en place dans le cadre du PTPGP garantit la prévisibilité et l’équité en cas de différends entre les États membres. Il repose sur un modèle classique de règlement des différends qui vise à assurer l’interprétation et le règlement des différends. En cas de différends, les parties peuvent recourir au mécanisme de règlement des différends commerciaux de leur choix, y compris celui institué par le PTPGP. Lorsqu’elles recourent au mécanisme de règlement du PTPGP, elles ont la possibilité en tout temps durant la procédure de recourir aux modes alternatifs de règlement des différends tels que la conciliation, les bons offices ou la médiation.Footnote 76
Lorsque le PTPGP sera pleinement mis en œuvre,Footnote 77 l’accord permettra aux entreprises canadiennes d’avoir un accès préférentiel à un marché représentant 496 millions de consommateurs et 13.5 pour cent du PIB mondial.Footnote 78 Ce sont là des gains potentiels d’accès aux marchés importants pour le Canada, notamment en direction de pays membres du PTPGP avec lesquels le Canada n’avait pas d’accord de libre-échangeFootnote 79 et dont les relations commerciales reposaient essentiellement sur les accords multilatéraux signés dans le cadre de l’OMC. L’élimination des barrières commerciales devrait également favoriser des secteurs d’exportation clés du Canada tels que le secteur agricole, les poissons et fruits de mer, la foresterie et les produits du bois à valeur ajoutée ainsi que des produits industriels.Footnote 80 Nul doute qu’en ratifiant ce nouvel accord, le Canada offre de nouvelles possibilités d’affaires aux entreprises canadiennes. Celles-ci bénéficieront d’un espace préférentiel pour le commerce des biens et services, le commerce numérique, et la protection des droits de propriété intellectuelle, tout en profitant de mécanismes de cohérence règlementaire.
Le Canada et les négociations avec le Mercosur
Le marché commun du Sud, plus connu sous son acronyme (Mercosur) est une zone de libre-échange né du traité d’Asunción signé entre le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay le 26 mars 1991.Footnote 81 Le Mercosur, qui réunit plus de 300 millions d’habitants, est entré en vigueur le 31 décembre 1994 et représente plus de 82 pour cent du PIB total de l’Amérique du Sud. On estime que le Mercosur constitue le troisième bloc économique le plus important après l’UE et l’ACÉUM. C’est donc un marché extrêmement important avec lequel le Canada a tout intérêt à entretenir des relations commerciales privilégiées. C’est aussi un espace commercial avec lequel les négociations commerciales peuvent s’avérer extrêmement difficiles. À preuve, il aura fallu vingt ans de négociations commerciales avant que le Mercosur et l’UE ne parviennent en 2019 à un accord de libre-échange, lequel requiert la ratification par l’ensemble des 28 États membres de l’UE pour entrer en vigueur.
Le Canada a lancé depuis 2017, à l’occasion d’une rencontre entre le ministre du Commerce international du Canada, François-Philippe Champagne et Aloysio Nunes Ferreira, ministre des Affaires étrangères et du Commerce extérieur du Brésil, agissant au nom du Mercosur,Footnote 82 l’idée d’un accord de libre-échange entre le Canada et le Mercosur. Depuis lors, des fonctionnaires s’activent pour définir la portée d’un éventuel accord de libre-échange entre les deux parties.
L’année 2018 marque la fin des discussions exploratoires concernant le possible accord de libre-échange.Footnote 83 Ces discussions auront notamment permis aux différentes parties de convenir de l’existence d’un “fort potentiel d’établir des relations commerciales plus ambitieuses en accroissant les échanges commerciaux et les investissements grâce à la conclusion d’un accord de libre-échange global.”Footnote 84 L’option a été prise de s’engager dans des négociations en vue de conclure un accord de grande portée, incluant le commerce des biens et services, la facilitation des échanges et la coopération douanière, les marchés publics, le commerce et l’égalité des genres, le commerce électronique, etc.
La première ronde des négociations a eu lieu à Ottawa du 20 au 23 mars 2018. Les attentes sont grandes d’un côté comme de l’autre, puisqu’un éventuel accord de libre-échange entre le Canada et le Mercosur pourrait avoir des retombées importantes pour chacun des pays membres.
Du côté canadien, on estime que la mise en œuvre d’un tel accord “assurerait un accès préférentiel pour 98 pour cent des échanges commerciaux actuels du Canada avec l’Amérique du Sud.”Footnote 85 Le Canada deviendrait ainsi le “partenaire commercial le plus ouvert et le plus privilégié de l’hémisphère.”Footnote 86 Le gouvernement canadien estime que la conclusion d’un accord de libre-échange avec le Mercosur sera bénéfique aux secteurs industriels, en particulier l’industrie de l’automobile, des produits chimiques et des matières plastiques, des produits pharmaceutiques, l’aluminium, les machines et équipements, les technologies de l’information et les télécommunications de même que le secteur forestier.Footnote 87 Les prochaines rondes de négociations nous édifieront davantage sur la portée réelle de l’accord ainsi que sur l’étendue de ses retombées économiques pour le Canada.
Le Canada dans le contentieux commercial international
Au cours de l’année écoulée, le Canada a été particulièrement actif dans le contentieux commercial international, tant dans ses rapports avec ses partenaires nord-américains que dans ses rapports avec d’autres états membres de l’OMC. La rubrique qui suit fait le tour de l’ensemble des contentieux commerciaux dans lesquels le Canada aura été impliqué au cours de l’année 2018.
LE CONTENTIEUX SUR LE BOIS D’ŒUVRE RÉSINEUX EN PROVENANCE DU CANADA
Les développements dans le cadre de cette affaire trouvent en partie leurs raisons d’être dans une histoire vieille de plusieurs décennies, dont nos chroniques précédentes ont abondamment fait écho au cours des dernières années.Footnote 88 En effet, depuis près de vingt-cinq ans, le Canada est engagé dans un contentieux interminable avec les États-Unis dans le dossier du bois d’œuvre résineux. En substance, l’industrie du bois d’œuvre américain demande régulièrement au gouvernement étasunien d’imposer des restrictions sur les importations de bois d’œuvre résineux en provenance du Canada, sous la forme de droits compensateurs et antidumping.Footnote 89 Le Canada a, notamment, “contesté avec succès le recours à ces mesures par les États-Unis aux termes des dispositions sur le règlement des différends de l’OMC et de l’ALÉNA, ainsi que devant des tribunaux des États-Unis.”Footnote 90
Plus récemment, soit le 28 novembre 2017, le Canada a déposé une demande à l’OMC afin d’obtenir une révision des conclusions dégagées par le Département de commerce américain (DOC) dans la décision qu’il a émise à la suite d’une investigation portant sur la situation dans les années 2015 à 2017.Footnote 91 Au cours des consultations subséquentes portant sur les mesures antidumping américaines imposées sur les importations canadiennes de bois d’œuvre résineux, le Canada a en particulier contesté la méthode dite de fixation de prix différenciés appliquée par les États-Unis. Le Canada considère que les mesures appliquées par les États-Unis sont incompatibles d’une part avec les articles 1, 2.1, 2.4 et 2.4.2 de l’Accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (Accord antidumping) et d’autre part, qu’elles violent les dispositions de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 en ses articles VI:1 et VI:2.Footnote 92 Au terme des consultations, le DOC a ordonné, le 24 janvier 2018, le “remboursement partiel des dépôts en espèces des droits antidumping pour certains produits de bois d’œuvre résineux du Canada, conformément à la décision définitive modifiée concernant ces droits pour la période du 8 novembre 2017 au 2 janvier 2018.”Footnote 93 Mais le Canada conteste cette décision, considérant qu’il n’y a pas eu de dumping et que les mesures prises par les États-Unis étaient injustifiées. Pour le Canada, les tarifs douaniers imposés par les États-Unis font subir aux importations canadiennes de bois d’œuvre un préjudice considérable.
Le 15 mars 2018, le Canada a demandé l’établissement de deux groupes spéciaux,Footnote 94 l’un pour connaitre des violations allégées, l’autre qui s’intéresserait à la méthodologie distincte de tarification que les États-Unis ont utilisée pour mettre en place leurs mesures antidumping et leurs droits compensateurs.Footnote 95
S’agissant des violations, le gouvernement canadien a premièrement allégué que les mesures compensatoires prises par les États-Unis sont incompatibles avec les articles 1.1(b) et 14(d) de l’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires (Accord SMC).Footnote 96 L’article 1.1(b) prévoit que pour qu’un programme gouvernemental soit qualifié de subvention, il faut que celui-ci confère un avantage à un groupe. Or, l’article 14(d) précise que le fait de fournir des biens à des opérateurs privés ne constitue pas un avantage lorsque les prix de ces biens sont fixés en suivant les conditions du marché du pays de fourniture. Le Canada précise que l’enquête menée par le DOC serait fondée sur des points de repère qui ne reflètent pas les conditions du marché canadien. L’évaluation du prix fixé pour l’exploitation des bois publics est donc biaisée. Le Canada ajoute que si le DOC avait utilisé des points de repère reflétant les réelles conditions du marché canadien, le DOC aurait conclu que cela n’est pas un avantage au sens de l’article 1.1(b) de l’Accord SMC; il n’y aurait donc pas de subvention sur laquelle baser l’imposition de droits compensateurs.Footnote 97 Le Canada a également ajouté que les conditions diffèrent d’une province à l’autre, alors que les États-Unis se sont uniquement basés sur le marché de la Nouvelle-Écosse, ce qui a pu biaiser les résultats.Footnote 98 En outre, le Canada allègue que la détermination de l’existence et du montant de l’avantage allégué est erronée, puisque les données sur lesquelles les autorités américaines se sont fondées ne sont pas fiables, n’ont pas été divulguées dans leur intégralité et présentent un vice de méthode.
Le Canada conteste également l’existence d’une contribution financière, et ainsi d’une subvention de nature à fonder l’imposition de droits compensateurs en ce qui concerne les processus d’autorisation des exportations de grumes.Footnote 99 L’article 1.1(a)(1)(iii) et (iv) de l’Accord SMC prévoit en effet qu’il y a une contribution financière uniquement dans la mesure où “les autorités publiques fournissent des biens autres que des infrastructures générales aux producteurs nationaux ou en achètent ou si elles versent des fonds directement, abandonnent des recettes publiques normalement dues ou si elles chargent des organismes privés de réaliser l’une des tâches susmentionnées alors qu’elles relèvent normalement de leur ressort.”Footnote 100 Or, le Canada allègue que les autorités publiques canadiennes n’auraient effectué aucune des actions pouvant être considérées comme une contribution financière selon cette définition. Les conditions d’une subvention définies à l’article 1 de l’Accord SMC n’étant pas remplies, il n’y avait donc pas lieu d’ouvrir une enquête sur le fondement de l’article 11 de l’Accord SMC.
Par ailleurs, le Canada considère que les ententes canadiennes fournissant de l’électricité à des prix inférieurs à ceux du marché ont été utilisées afin de déterminer la marge de subventionnement calculée. Les autorités canadiennes contestent cette utilisation sur la base que ce ne sont pas des subventions “imputables au produit faisant l’objet de l’enquête.” Cela aurait donc faussé le montant des droits compensateurs imposés, celui-ci étant supérieur à la marge réelle de subventionnement. Les droits compensateurs contreviendraient ainsi aux articles 10 et 19 de l’Accord SMC et à l’article VI:3 du GATT de 1994. Enfin, le Canada conteste la méthode de calcul de la marge de dumping utilisée par le DOC, soit la méthode de fixation de prix différenciés.Footnote 101
Le 9 avril 2018, l’ORD a convenu d’établir ces deux groupes spéciaux.Footnote 102 Le Brésil, la Chine, la Corée, la Fédération de Russie, le Japon, le Kazakhstan, la Turquie, l’UE et le Vietnam ont réservé leurs droits de tierces parties.Footnote 103 En ce qui concerne la contestation des droits compensateurs américains, la composition du Groupe spécial a été arrêtée le 6 juillet 2018,Footnote 104 alors que la composition du Groupe spécial chargé d’étudier la plainte du Canada relativement aux droits antidumping des États-Unis a été arrêtée le 22 mai 2018. Le rapport final du Groupe spécial dans l’affaire des droits antidumping devrait être remis aux parties au premier semestre de 2019.Footnote 105
L’AFFAIRE PORTANT SUR LE PAPIER SUPERCALANDRÉ EN PROVENANCE DU CANADA
Cette affaire, déjà relayée dans nos chroniques précédentes, porte sur les droits compensateurs imposés par les États-Unis sur les importations canadiennes en réponse à ce qu’ils considéraient comme étant des subventions qui créaient supposément un préjudice à leur égard.Footnote 106 Dans cette affaire, le Canada avait soutenu lors des consultations menées en 2016 avec les États-Unis que les mesures compensatoires américaines étaient incompatibles avec l’article VI du GATT de 1994,Footnote 107 ainsi que plusieurs dispositions de l’Accord SMC.Footnote 108 Le gouvernement fédéral y avait également dénoncé l’insuffisance de preuves concernant l’existence, le montant et la nature de la subvention qui a justifié l’ouverture d’une enquête de la part des États-Unis. Le Canada alléguait également que les mesures en cause n’exposaient pas de manière appropriée et suffisante les renseignements, les constatations et les conclusions pertinents sur les points de fait et de droit tel que le prévoient les articles 22.3 et 22.5 de l’Accord SMC. Selon le Canada, l’avis n’était pas suffisamment détaillé quant aux constatations et conclusions établies sur tous les points de fait et de droitFootnote 109 et celui-ci ne contenait pas tous les renseignements pertinents et les rapports liant ces renseignements et les points de fait et de droit.Footnote 110 Les États-Unis prétendaient que l’industrie du papier glacé canadien bénéficie d’électricité fournie par le gouvernement à un coût moins élevé qu’il aurait dû être.Footnote 111 Le Comité de l’ALÉNA institué en 2017 dans le cadre de la résolution de ce conflit avait de manière unanime ordonné “au Département du Commerce des États-Unis de reconsidérer les droits qu’il imposait aux usines canadiennes qui produisent du papier glacé.”Footnote 112 De la même manière, le Groupe spécial institué dans le cadre de l’OMC a, à maints égards, condamné les pratiques américaines.
Dans son rapport distribué le 5 juillet 2018,Footnote 113 le Groupe spécial fait suite aux allégations du Canada en déterminant que le DOC des États-Unis a agi d’une manière incompatible avec les articles 1.1(a)(1)(iv), 1.1(b), 11.3, 12.8 et 14(d) de l’Accord SMC en ce qui concerne les déterminations de l’enquête initiale en matière de droits compensateurs relative à Port Hawkesbury Paper LPFootnote 114 en considérant que la société avait reçu une subvention de fourniture d’électricité au sens de l’Accord SMC. De plus, le DOC a contrevenu à l’article 12.8 de l’Accord SMC en n’informant pas les parties intéressées que l’article 52 de la loi sur les entreprises de services publics de la Nouvelle-Écosse chargeait la Nova Scotia Power Incorporated de fournir de l’électricité à tous ses clients, incluant la société Port Hawkesbury Paper LP. Cette dernière ne bénéficiait donc pas d’un avantage particulier en l’espèce.Footnote 115 Le DOC n’a pas respecté non plus l’obligation que lui impose l’article 11.3 de l’Accord SMC en n’évaluant pas l’exactitude et l’adéquation des éléments de preuve de la demandeFootnote 116 relativement à l’existence présumée d’un avantage dans la fourniture de bois debout et de biomasse par le gouvernement de la Nouvelle-Écosse à Port Hawkesbury Paper LP.Footnote 117
En ce qui concerne Resolute FP Canada Inc., le Groupe spécial a conclu que les déterminations de l’enquête initiale en matière de droits compensateurs ne respectaient pas les obligations des articles 1.1(b), 10, 12.7, 19.1 et 19.3 – 19.4 de l’Accord SMC, en s’abstenant de se prononcer sur les allégations du Canada au titre des articles 11.2 – 11.3, 12.1, 12.3, 12.8 et 14 de l’Accord SMC. Cette enquête des États-Unis concluait notamment à l’achat par Resolute FP Canada Inc. de Fibrek General Partnership, en plus des subventions accordées dans le cadre du Programme canadien d’écologisation des pâtes et papiers, du Fonds de prospérité du secteur forestier de l’Ontario et du Programme ontarien de réduction des tarifs d’électricité pour le secteur industriel du Nord.
Le Groupe spécial est donc parvenu à la conclusion que le DOC n’a pas respecté l’article 12.7 de l’Accord SMC puisqu’il a appliqué les données de fait disponibles aux programmes découverts alors qu’il n’était pas dans un cas prévu par cet article.Footnote 118 De surcroît, le Groupe spécial précise que le DOC a faussement conclu que l’avantage conféré à Fibrek General Partnership dans le cadre du Programme fédéral d’écologisation des pâtes et papiers n’a pas pris fin lorsque ladite société a été acquise par Resolute FP Canada, étant donné que cette conclusion est tirée sur la base de l’absence alléguée d’éléments de preuve pertinents.Footnote 119 Le DOC a également agi de manière incompatible avec plusieurs dispositions de l’Accord SMC et du GATT de 1994 “en attribuant à la production de papier [supercalandré] les subventions octroyées à Resolute [FP Canada] et Fibrek [General Partnership]”Footnote 120 par le biais du Programme fédéral d’écologisation des pâtes et papiers, du Fonds de prospérité du secteur forestier de l’Ontario et du Programme ontarien de réduction des tarifs d’électricité pour le secteur industriel du Nord.
Relativement aux allégations concernant les déterminations en matière de droits compensateurs visant Irving Paper et Catalyst Paper, le Groupe spécial a conclu que le DOC a agi de manière incompatible avec les articles 10, 19.1, 19.3 – 19.4 et 32.1 de l’Accord SMC et l’article VI:3 du GATT de 1994, s’abstenant de se prononcer sur les allégations eu égard au non-respect des articles 11.2 – 11.3 et 12.7 de l’Accord SMC. Le Groupe spécial a également rejeté les allégations du Canada au titre des articles 10, 19.1 – 19.2, 19.4 et 32.1 de l’Accord SMC et de l’article VI:3 du GATT de 1994 concernant le fait que le DOC n’avait pas ajusté le taux résiduel global pour les subventions qui n’étaient pas mises à la disposition des exportateurs qui n’avaient pas fait l’objet d’une enquête.Footnote 121 Le DOC n’a pas rempli les obligations que leur impose l’article 19.3 de l’Accord SMC puisqu’ils ont inclus des allégations de nouvelles subventions en réalisant le réexamen accéléré relativement à Irving Paper et Catalyst Paper.Footnote 122
En ce qui concerne Irving Paper et Catalyst Paper, le Groupe spécial a rejeté certaines allégations du Canada à l’effet que le DOC n’avait pas pris en compte les subventions qui n’étaient pas mises à la disposition des exportateurs n’ayant pas fait l’objet d’une enquête afin d’ajuster le taux résiduel global.Footnote 123 Le Groupe spécial a également répondu aux allégations du Canada qui considère que les États-Unis avaient une conduite constante qui consistait à appliquer des données de fait disponibles défavorables relativement aux programmes découverts au cours d’une enquête en matière de droits compensateurs. Le Groupe spécial a donc conclu que les arguments du Canada ont démontré qu’il s’agit bel et bien d’une conduite constante qui est ainsi incompatible avec l’article 12.7 de l’Accord SMC.Footnote 124 Le Groupe spécial termine en recommandant aux États-Unis de rendre conformes ses différentes mesures puisqu’elles sont considérées comme incompatibles avec des dispositions de l’Accord SMC, ainsi que du GATT de 1947, sur la base de l’article 19:1 du Mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends (MARD).Footnote 125
L’appel interjeté par les États-Unis le 27 août 2018 conformément à l’article 16 du MARD sera l’occasion pour l’Organe d’appel de se prononcer sur certaines questions de droit et interprétations de droit faites par le Groupe spécial.Footnote 126 Il est toutefois à craindre que la décision de l’Organe d’appel soit retardée par les difficultés de l’institution à renouveler son équipe.
L’AFFAIRE CONCERNANT LES MESURES RÉGISSANT LA VENTE DE VIN AMÉRICAIN DANS LES MAGASINS D’ALIMENTATION EN COLOMBIE-BRITANNIQUE
Cette affaireFootnote 127 porte sur le fait qu’en vertu de la loi de la Colombie-Britannique portant sur la réglementation des alcools et les licences d’alcool adoptée en 2015, seuls les vins de Colombie-Britannique peuvent être vendus dans les magasins d’alimentation de la province.Footnote 128 La mesure fut contestée à l’OMC, d’abord par les États-Unis, auxquels se sont joints d’autres états producteurs de vin tels que l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Chili, l’Argentine et l’UE.Footnote 129 Dans cette affaire, les États-Unis soutiennent que cette pratique leur cause préjudice et représente une forme de discriminationFootnote 130 puisque la législation de la Colombie-Britannique incriminée viole l’article III:4 du GATT de 1994. Élargissant la condamnation à d’autres provinces canadiennes, l’Australie estime que plusieurs provinces canadiennes ont des lois qui ont des effets protectionnistes concernant l’alcool et les licences d’alcool.Footnote 131
En réalité, la présente affaire relance le débat sur le mode de commercialisation du vin dans certaines provinces canadiennes, puisque c’est la deuxième plainte des États-Unis envers le Canada dans ce dossier.Footnote 132 Dans le fond, les États-Unis et les autres États impliqués dans la présente affaire considèrent que la pratique canadienne viole la règle du traitement national puisque les mesures visées excluent les vins importés des magasins canadiens et n’offrent pas les mêmes conditions de concurrence aux produits canadiens qu’aux produits importés une fois entrés sur le territoire canadien en limitant les opportunités de vente pour ceux-ci, tout en offrant un avantage comparatif aux vins de la Colombie-Britannique.Footnote 133 Dans la plainte australienne,Footnote 134 le pays ajoute que le vin importé est soumis à de nombreuses majorations, redevances et taxes, ce qui n’est pas le cas pour le vin provenant de la Colombie-Britannique, ce qui accorde un net avantage aux vins locaux. L’Australie allègue au surplus que certaines mesures de l’Ontario favorisent les produits canadiens en empêchant ou en limitant potentiellement la mise en rayon et la vente de vins importés. Les établissements vinicoles de l’Ontario seraient d’ailleurs autorisés à livrer directement des vins à des établissements dans la province, alors que cela n’est pas possible pour les vins importés. Relativement à la province du Québec, certaines mesures permettraient de simplifier l’accès des vins canadiens (en octroyant notamment un accès direct aux petits producteurs viticoles aux magasins d’alimentation) alors que la province continue d’entraver l’accès des vins importés. L’Australie considère également que des mesures de la Nouvelle-Écosse prévoient des “majorations réduites pour les produits des producteurs locaux et des préférences au moyen de la mise en concurrence des fournisseurs et de fourchettes de prix.”Footnote 135
Selon les demandeurs, les différentes mesures canadiennes violent en particulier les articles III:1 – III:2 et III:4 du GATT de 1994 ainsi que les articles XVII:1 et XXIV:12 du GATT de 1994. La clause du traitement national ne serait pas respectée étant donné que ces mesures favorisent la vente des vins locaux, en leur offrant par exemple un plus grand nombre de points de vente, au détriment des vins importés. Les articles XVII:1 et XXIV:12 du GATT de 1994 prévoient respectivement la non-discrimination pour les mesures législatives et réglementaires concernant les importations effectuées par des commerçants privés et que le Canada doit prendre toutes les mesures raisonnables en son pouvoir afin d’assurer que les gouvernements régionaux et locaux de son territoire respectent les obligations du GATT de 1994.Footnote 136 En effet, l’Australie soulève que bien que le GATT de 1994 permette la création d’entreprises d’État — à l’image de la Régie de distribution des alcools de la Colombie-Britannique ou encore de la Société des alcools du Québec — cette entreprise doit se conformer aux principes généraux de non-discrimination du GATT.Footnote 137 Et tout membre du GATT doit prendre les mesures raisonnables permettant à ses gouvernements régionaux et locaux de respecter les dispositions de l’accord,Footnote 138 ce que le Canada n’a pas fait selon l’Australie puisque plusieurs provinces canadiennes auraient pris des mesures discriminatoires favorisant les vins locaux.
Pour sa défense, le Canada soutient que les vins importés représentaient environ 90 pour cent des vins au Canada et qu’on retrouvait tout près d’un millier de points de vente pour les vins importés en Colombie-Britannique. Le Canada a ajouté qu’il était disposé à défendre les mesures en cause devant un groupe spécial.Footnote 139 Le Groupe spécial devant se prononcer sur les différentes plaintes a été institué le 26 septembre 2018.Footnote 140 Aux États-Unis et à l’Australie, se sont joint l’Afrique du Sud, l’Argentine, le Chili, la Chine, la Corée, la Fédération de Russie, l’Inde, l’Israël, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, le Taipei chinois, l’Ukraine, l’UE et l’Uruguay à titre de tierces parties.Footnote 141 L’affaire devrait connaître son dénouement dans les prochains mois.
L’AFFAIRE SUR LES DROITS DE DOUANE IMPOSÉS PAR LES ÉTATS-UNIS SUR LES PRODUITS DE L’ACIER ET DE L’ALUMINIUM
Cette affaire a débuté en 2018 et fait suite à la décision du Président américain d’imposer des droits de douane plus élevés sur les produits de l’acier et de l’aluminium canadiens, mexicains et européens.Footnote 142 Le 31 mai 2018, le Président Trump annonçait que les États-Unis allaient désormais cesser d’exempter “le Canada des tarifs douaniers de 25% sur les importations d’acier et de 10% sur l’aluminium.”Footnote 143 En réponse à cette décision, le gouvernement canadien a décidé, lui aussi, d’imposer des droits de douane sur des produits provenant des États-Unis, dont 25 pour cent sur différents produits de l’acier et 10 pour cent sur une liste de produits variés. De nombreux autres états qui profitaient d’un traitement particulier quant à leurs droits de douane pour leurs importations aux États-Unis ont décidé d’adopter des mesures à l’image du Canada pour combattre les mesures imposées par l’administration Trump.Footnote 144
En juin 2018, le Canada et l’UE ont officiellement déposé des plaintes auprès de l’OMC contre les États-Unis portant sur les droits de douane imposés sur les produits de l’acier et de l’aluminium. Il s’agit d’une demande d’ouverture de consultations pour échanger sur l’incompatibilité des mesures prises par les États-Unis avec les dispositions du GATT de 1994 et de l’Accord sur les sauvegardes . Footnote 145 Plus précisément, la demande d’ouverture de consultations a été faite en vertu des articles 1er et 4 du MARD, de l’article XXII:1 du GATT de 1994 et en vertu de l’article 14 de l’Accord sur les sauvegardes. Les consultations ont porté sur “certaines mesures prises par les États-Unis pour ajuster les importations d’acier et d’aluminium à destination de leur territoire, y compris par l’imposition de taux de droit ad valorem additionnels sur les importations de certains produits en acier et en aluminium et par l’exemption de certains membres de l’OMC désignés de l’application de ces mesures.”Footnote 146 Au cours du mois de juin 2018, le Japon, la Chine, la Thaïlande, la Fédération de Russie, l’Inde, le Mexique, la Norvège et l’UE ont demandé à participer aux consultations.Footnote 147
Dans cette procédure, le Canada soutient que les mesures américaines contreviennent aux obligations des États-Unis en vertu du GATT de 1994, de l’Accord sur les sauvegardes et de l’Accord sur l’OMC. Plus précisément, le Canada soulève le non-respect de l’article II:1(a) et (b) du GATT de 1994 puisque les droits d’importation imposés aux produits canadiens en acier et en aluminium sont plus élevés que les droits prévus à la Liste de concessions et d’engagements des États-Unis (annexée au GATT de 1994). Le Canada soutient également que les mesures en cause sont des mesures de sauvegarde puisque les États-Unis les justifient par l’article 232 de sa loi de 1962 sur l’expansion du commerce extérieurFootnote 148 qui autorise le pays à limiter les importations de certains produits pour assurer la protection de la sécurité nationale — article qui s’apparente à l’article 21 du GATT de 1947. Or, selon les allégations du Canada, elles n’ont pas été mises en œuvre en respectant les obligations de fond et les obligations de procédure de l’Accord sur les sauvegardes (articles 2:1 – 2:2, 3:1, 4:1 – 4:2, 5:1, 7, 8:1, 11:1(a), 12:1 – 12:3 et 12:5) et du GATT de 1994 (articles XIX:1 – XIX:2). Au terme de l’Accord sur les sauvegardes, une mesure de sauvegarde qui permet, soit de suspendre un engagement en totalité ou en partie, ou encore de retirer ou de modifier une concession, ne peut être mise en œuvre à l’égard d’un produit que si le membre détermine que ce produit est importé sur son territoire en quantité tellement élevée ou à des conditions telles que celui-ci cause ou menace de causer un dommage à la branche de production nationale de produits similaires ou concurrents. Ces mesures de sauvegarde doivent de plus être appliquées envers un produit, peu importe sa provenance.Footnote 149
Le Canada soulève aussi que dans la mesure où les États-Unis prennent des mesures d’autolimitation des exportations ou des arrangements de commercialisation ordonnée, ils contreviennent à l’art. 11:1(b) de l’Accord sur les sauvegardes. Il apparait également que les mesures en cause ne respectent pas le traitement général de la nation la plus favorisée prévu à l’article I:1 du GATT de 1994 étant donné qu’elles prévoient une application sélective des droits d’importation additionnels. C’est le cas notamment des exemptions prévues pour seulement certains pays. De plus, il semblerait que les mesures des États-Unis concernant les droits d’importation additionnels sur certains produits d’acier et d’aluminium vont à l’encontre de l’article XI:1 du GATT de 1994 puisqu’elles constituent une restriction quantitative envers les importations de ces produits, en exemptant certains Membres sur la base de mesures de rechange pouvant être des contingents, “qui restreignent la quantité des importations de produits en acier et en aluminium à destination des États-Unis.”Footnote 150 Toujours selon le Canada, les États-Unis auraient également contrevenu à l’article X:3(a) du GATT étant donné qu’ils n’ont pas appliqué leurs mesures législatives et réglementaires de manière uniforme, impartiale et raisonnable.Footnote 151
Le 11 juin 2018, les États-Unis ont demandé à la présidente de l’ORD de distribuer une communication aux membres dans laquelle ils indiquaient qu’ils étaient ouverts à engager des consultations avec le Canada, “sans préjudice de leur point de vue selon lequel les mesures qu’ils avaient imposées concernaient des questions de sécurité nationale qui n’étaient pas susceptibles d’être examinées ni ne pouvaient être réglées dans le cadre du règlement des différends à l’OMC, et selon lequel les dispositions relatives aux consultations figurant dans l’Accord sur les sauvegardes n’étaient pas applicables.”Footnote 152 Ils y font également référence au fait que le Canada a indiqué qu’il prévoyait imposer des contre-mesures dans une notification du 31 mai 2018.
Le 21 novembre 2018, un groupe spécial a été institué pour connaître du différend. Plusieurs états dont l’Afrique du Sud, l’Arabie saoudite, le Bahreïn, le Brésil, la Chine, la Colombie, l’Égypte, la Fédération de Russie, le Guatemala, Hong Kong, l’Inde, l’Indonésie, l’Islande, le Japon, le Kazakhstan, la Malaisie, le Mexique, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, le Qatar, Singapour, la Suisse, le Taipei chinois, la Thaïlande, la Turquie, l’Ukraine, l’UE et le Venezuela ont réservé leurs droits de tierces parties. Un rapport devrait être rendu dans le courant de l’année 2019,Footnote 153 sur lequel nous reviendrons plus précisément dans notre prochaine chronique.
CANADA – MESURES CONCERNANT LE COMMERCE DES AÉRONEFS COMMERCIAUX
Tel que rapporté dans la chronique de 2017, le Brésil avait demandé, le 8 février 2017, l’ouverture de consultations avec le Canada relativement à des mesures canadiennes sur les aéronefs commerciaux.Footnote 154 Le Brésil y alléguait que Bombardier a reçu un soutien financier de la part du gouvernement fédéral, et des gouvernements provinciaux et locaux du Canada, en lien avec le dernier lancement de son programme d’aéronefs C-Series en 2008. Le Brésil dénonçait certaines des mesures prises par les gouvernements canadien et québécois afin d’aider Bombardier pour le développement, le lancement et le maintien du programme d’aéronefs C-Series, notamment par des dons, des prêts, des participations au capital social, des crédits d’impôt et des contributions financières diverses. Les mesures faisant l’objet de la demande du Brésil concernent les subventions prohibées ou actionnables accordées à Bombardier et à ses fournisseurs. Parmi les mesures que soulève le Brésil dans sa demande de consultations se trouve l’octroi par Industrie Canada (IC) d’un financement à Bombardier de 350 millions de dollars canadiens pour la conception et le développement d’aéronefs commerciaux, financement ayant été entièrement versé en décembre 2013. Investissement Québec (IQ) a versé une aide de 118 millions de dollars canadiens à Bombardier pour le même objectif, le montant ayant été versé en 2009. Le Québec a également accordé un soutien à Bombardier pour la construction d’une nouvelle installation de production des aéronefs du C-Series à Mirabel, dans la province de Québec. À cet égard, la ville de Mirabel a également offert des incitations et des exonérations fiscales, dont une exonération des impôts fonciers pour les dix premières années de l’installation et de la production du C-Series de Bombardier.
Le Brésil a également soulevé le fait que le Canada aurait octroyé des financements remboursables et non remboursables s’élevant à 1.6 milliard de dollars en novembre 2016 à Bombardier et à ses fournisseurs par le biais du programme Partenariat technologique du Canada pour soutenir le développement technologique dans le secteur aérospatial. Le gouvernement fédéral aurait également accordé une aide de vingt millions de dollars par l’intermédiaire d’Innovation, sciences et développement économique Canada pour la recherche et le développement dans l’industrie aérospatiale. Le Canada aurait au surplus accordé 1.28 milliard de dollars canadiens entre 2008 et 2014 à Bombardier et ses fournisseurs en tant qu’initiative stratégique pour l’aérospatiale et la défense.
En ce qui concerne le Québec, le Brésil a indiqué l’octroi d’un soutien financier de plus de 700 millions de dollars de 2006 à 2016 dans le cadre de la Stratégie québécoise de l’aérospatiale. La Caisse de dépôt et placement du Québec — détenue et contrôlée par le gouvernement québécois — a offert une ligne de crédit de 195 millions de dollars américains à Bombardier, en prorogeant l’échéance à maintes reprises. L’IQ a également accordé un milliard de dollars américains à Bombardier pour la trésorerie du programme C-Series en échange de 49.5 pour cent des parts d’une nouvelle entité comportant les actifs, les passifs et les obligations du programme C-Series de Bombardier.
Le Brésil soulève plusieurs autres mesures et subventions diverses mises en place par les gouvernements canadien et québécois en ajoutant dans leur demande: “[T]outes autres mesures existantes ou futures ou toutes modifications ou révisions existantes ou futures des mesures susmentionnées qui comportent une contribution financière d’entités des gouvernements fédéral, provinciaux ou locaux du Canada ou de toutes entités contrôlées par de telles entités gouvernementales canadiennes qui apporte des avantages à Bombardier ou au programme C-Series, y compris, mais pas exclusivement les mesures suivantes annoncées par le Canada et le Québec.”Footnote 155 La plainte du Brésil mentionne que ces diverses mesures apparaissent incompatibles avec les articles 3.1(a) – (b), 3.2, 5(c), 6.3(a) – (c), et 6.4 – 6.5 de l’Accord SMC Footnote 156 et donc que les subventions mentionnées seraient prohibées et/ou causeraient un préjudice grave au marché de l’aérospatial brésilien. Dans ce différend auquel se sont joints le Japon, les États-Unis, l’UE, la Chine, la Fédération de Russie et Singapour, le Groupe spécial, après avoir déclaré conforme la demande du Brésil en vue de l’établissement d’un groupe spécial et jugé l’élargissement de la problématique par rapport à ce qui a été discuté lors des consultations pertinent, a conclu que le Brésil identifie suffisamment les mesures et les subventions en cause pour cette étape de la procédure et que le texte de l’article 6:2 du MARD ne demande pas de déterminer quels sont les produits similaires, et donc que le Brésil a respecté les conditions de cet article.Footnote 157 Le président du Groupe spécial a demandé à la présidente de l’ORD de distribuer aux membres sa décision préliminaire le 17 avril 2018, en indiquant qu’elle avait été distribuée aux parties ainsi qu’aux tierces parties le 9 avril 2018. Nous pouvons nous attendre à recevoir le rapport du Groupe spécial sur l’affaire principale en 2019.Footnote 158
CHINE – MESURES ANTIDUMPING VISANT LES IMPORTATIONS DE PÂTE DE CELLULOSE EN PROVENANCE DU CANADA
Dans l’affaire des mesures antidumping de la Chine visant les importations de pâte de cellulose en provenance du Canada, les parties s’étaient entendues en 2017 sur un délai raisonnable de mise en œuvre de 11 mois, courant jusqu’au 22 avril 2018.Footnote 159 L’ORD avait déterminé que le simple fait que les prix des produits aient baissé de manière spectaculaire pendant la seconde moitié de la période couverte par l’enquête ne suffisait pas à “expliquer comment les prix des importations faisant l’objet d’un dumping ont eu pour effet de déprimer les prix de la branche de production nationale.”Footnote 160 La Chine avait ainsi imposé des droits antidumping sur les exportations canadiennes de pâte de cellulose ne concordant pas avec ses obligations en vertu de l’Accord antidumping et devait rendre ses mesures conformes.Footnote 161 Le 11 janvier 2018, la Chine a informé l’ORD qu’elle entendait mettre pleinement en œuvre les recommandations et décisions de l’ORD concernant ce différend par une nouvelle enquête sur la pâte de cellulose en provenance du Canada ouverte le 25 août 2017 par son ministère du commerce.Footnote 162 Par la suite, la Chine et le Canada ont informé l’ORD des procédures convenues en vertu des articles 21 et 22 du MARD le 2 mai 2018.Footnote 163
Le 11 septembre 2018, le Canada a demandé l’ouverture de consultations avec la Chine, considérant que le pays n’a pas mis en œuvre de manière appropriée les recommandations et décisions de l’ORD dans le délai convenu. Le Canada allègue que les mesures antidumping de la Chine envers les exportations canadiennes de pâte de cellulose sont incompatibles avec plusieurs dispositions de l’Accord antidumping, tout d’abord l’article 3.1 et 3.2 dudit Accord, puisque la nouvelle enquête de la Chine sur l’existence de dommages ne respectait pas certains principes, notamment l’omission d’un examen objectif du volume des importations visées et de l’effet de ces importations sur les prix des produits nationaux similaires. La Chine n’a pas démontré que ces importations avaient pour effet de déprimer les prix des produits nationaux similaires dans une mesure notable.
Le Canada allègue également le non-respect des articles 3.1 et 3.5 de l’Accord antidumping étant donné que la Chine n’a pas démontré l’existence d’un lien de causalité entre les importations visées et des dommages causés à la branche de la production nationale. De plus, la Chine n’aurait pas procédé à un examen objectif des facteurs connus qui auraient pu causer un dommage à la branche de production nationale autre que les importations visées. Le Canada ajoute que l’enquête de la Chine contreviendrait aux articles 6.5, 6.5.1 et 6.9 de l’Accord antidumping, car la Chine n’a pas exigé des parties intéressées qu’elles fournissent des résumés non confidentiels adéquats des renseignements allégués confidentiels, en plus de ne pas divulguer les “faits essentiels” mentionnés dans son enquête de manière appropriée.Footnote 164
Le Canada a également déterminé que les mesures de la Chine annulent ou compromettent des avantages du Canada découlant de l’Accord antidumping et du GATT de 1994 Footnote 165 en raison du non-respect des articles 12.2 et 12.2.2 de l’Accord antidumping, la Chine n’ayant pas donné d’avis au public sur les renseignements et les constatations justifiant les conclusions qui ont amené à la détermination de cette nouvelle enquête.Footnote 166 Nous reviendrons sur les suites que donnera l’ORD à cette affaire dans nos chroniques ultérieures.
Conclusion
En somme, le Canada ambitionne de devenir un acteur incontournable des relations commerciales internationales. La structure de son économie, très axée sur le commerce international, ne lui laisse pas le choix de l’immobilisme. Le Canada doit sans cesse renouveler et élargir ses partenariats économiques pour continuer à faire croître son économie. La politique commerciale menée au cours de l’année 2018 est caractéristique de cette ambition. Conforme à sa stratégie, le Canada a poursuivi et intensifié les négociations commerciales en vue de conclure des accords de libéralisation des échanges avec des partenaires économiques importants de la scène internationale. Malgré les turbulences, les incertitudes et quelques revers, un nouvel accord de libre-échange est signé avec les États-Unis et le Mexique, des initiatives sont également prises en vue de lancer des négociations commerciales bilatérales avec le Mercosur, et enfin la mise en œuvre, bien que provisoire, de l’AÉCG se poursuit sans qu’aucun défaut de ratification n’ait interrompu son application. Nonobstant les craintes que suscite l’arrivée au pouvoir en Europe d’une certaine droite, réticente vis-à-vis des accords de libre-échange, les ratifications par les états membres de l’UE de l’AÉCG se poursuivent sans difficultés particulières. Il faut espérer qu’elles se poursuivront à l’échelle de l’ensemble des États-membres de l’UE afin de permettre la mise en œuvre intégrale de l’accord.