Structure factorielle d’une version française du Nursing Home Behavior Problem Scale
Les symptômes comportementaux et psychologiques de la démence constituent une problématique clinique importante et complexe. Les symptômes comportementaux sont des manifestations directement observables, alors que les symptômes psychologiques font partie de l’expérience personnelle du patient (Finkel, Silva, Cohen, Miller, & Sartorius, Reference Finkel, Silva, Cohen, Miller and Sartorius1997). Selon Zuidema, Derksen, Verhey, et Koopmans (2007), près de 85 pour cent des personnes souffrant de démence résidant en centre d’hébergement manifestent au moins un comportement agité. L’agitation verbale, les comportements agressifs et l’errance sont parmi les formes de troubles de comportement les plus répandues (Landreville, Vézina, & Bédard, Reference Landreville, Vézina, Bédard, Landreville, Rousseau, Vézina and Voyer2005). Ceux-ci sont reliés de façon variable à différentes caractéristiques de la personne et de son environnement (Algase et al., Reference Algase, Beck, Kolanowski, Whall, Berent and Richards1996; Cohen-Mansfield, Reference Cohen-Mansfield2000; Cohen-Mansfield & Libin, Reference Cohen-Mansfield and Libin2005; Lemay & Landreville, Reference Lemay and Landreville2010).
Algase et al. (Reference Algase, Beck, Kolanowski, Whall, Berent and Richards1996) ont proposé un modèle des symptômes comportementaux de la démence (SCD) selon lequel les comportements d’errance, d’agitation verbale et d’agression physique découlent de facteurs contextuels et proximaux. Les facteurs contextuels favorisant les SCD sont relativement stables et comprennent un mauvais état de santé, les déficits cognitifs et des caractéristiques psychosociales (par exemple, un degré élevé de névrosisme) et neurologiques (telle qu’une détérioration du rythme circadien). Les facteurs proximaux sont plus changeants et susceptibles de précipiter l’apparition des SCD. Ils incluent des caractéristiques de l’individu ainsi que de l’environnement physique et social. Par exemple, l’anxiété, les difficultés de sommeil, la solitude et un environnement bruyant sont tous des facteurs jouant un rôle important dans la manifestation des SCD.
Cohen-Mansfield (Reference Cohen-Mansfield2000) a synthétisé l’information sur les variables associées aux différentes manifestations d’agitation. Cette auteure les regroupe en trois catégories de comportements dérangeants: vocaux/verbaux (par exemple, les cris), physiques non agressifs (par exemple, l’errance) et agressifs. Les formes d’agitation sont reliées de façon différente aux attributs personnels et aux caractéristiques de l’environnement. Plus spécifiquement, les comportements vocaux/verbaux sont associés au sexe féminin, à une atteinte cognitive, aux problèmes de santé, à un affect dépressif, à un réseau social pauvre et à l’absence d’activité. Ces comportements surviennent surtout lorsque la personne est seule dans sa chambre en soirée ou durant la nuit. Les comportements physiques non agressifs sont reliés à un trouble cognitif modéré à sévère, une bonne santé, des problèmes de sommeil et un stress antérieur. Les comportements surviennent lorsque la personne ne participe à aucune activité, est en présence d’autres gens et se produisent dans un endroit public comme un corridor. Les manifestations apparaissent également à n’importe quel moment de la journée lorsque les conditions environnementales, telles que la température et le bruit, sont normales. Enfin, les comportements agressifs se manifestent davantage chez les hommes ayant des troubles cognitifs sévères, souffrant de problèmes de sommeil et ayant un réseau social pauvre. Les comportements agressifs sont dirigés davantage vers le personnel soignant et surviennent dans la chambre de l’usager lors du diner ou dans la soirée, lorsque l’environnement est plus bruyant et plus froid. D’autres études plus récentes ont également montré que les variables associées à l’agitation varient selon le type de comportement (Cohen-Mansfield & Libin, Reference Cohen-Mansfield and Libin2005; Lemay & Landreville, Reference Lemay and Landreville2010).
Si plusieurs instruments sont disponibles afin de mesurer les symptômes comportementaux de la démence (SCD), très peu d’entre eux sont disponibles en français et spécifiques aux personnes résidant en centre d’hébergement. Pourtant, plusieurs usagers de ce type d’établissement ont un diagnostic de démence et présentent un comportement perturbé. Seulement cinq instruments traduits en français permettent d’évaluer spécifiquement les troubles de comportement dans les centres d’hébergement, soit l’Inventaire d’agitation de Cohen-Mansfield (IACM; Deslauriers, Landreville, Dicaire et Verreault, 2001), le Nursing Home Behavior Problem Scale (NHBPS; version transmise par N. Champoux (communication personnelle, 15 octobre 2009)), le Nurses Observation Scale for Inpatient Evaluation (NOSIE-30; Pichot, Samuel-Lajeunesse, Blanc, Galopin, et Selva, 1969), l’Inventaire neuropsychiatrique pour les équipes soignantes (NPI-ES; Sisco et al., Reference Sisco, Taurel, Lafont, Bertogliati, Girordana and Braccini2000) et le Dementia Behavior Disturbance Scale (DBD; Baumgarten, Becker, & Gauthier, Reference Baumgarten, Becker and Gauthier1990).
Pour Neville et Byrne (2001), l’échelle idéale doit être facile à utiliser, d’exécution rapide, basée sur un concept observable et disponible à un coût minimal. Ces auteurs ont recensé une trentaine d’échelles de mesure des comportements perturbateurs. Selon eux, quatre échelles utilisables auprès de personnes institutionnalisées répondent à ces critères, dont le NHBPS et l’IACM qui sont déjà disponibles en français. Nous nous intéressons particulièrement au NHBPS puisque cet instrument a été élaboré afin d’évaluer spécifiquement les troubles de comportement susceptibles d’être traités au moyen de médicaments ou de contentions physiques. L’instrument est sensible aux interventions visant à réduire l’utilisation d’antipsychotiques en milieu d’hébergement (Monette et al., Reference Monette, Champoux, Monette, Fournier, Wolfson and Sourial2008; Ray et al., Reference Ray, Taylor, Meador, Lichtenstein, Griffin and Fought1993). Toutefois, les connaissances sur les qualités psychométriques de la version française du NHBPS sont limitées. Le manque d’information sur la structure factorielle du NHBPS est particulièrement problématique puisqu’il est souvent nécessaire d’examiner les données en fonction de regroupements d’items plus précis.
Seulement deux études ont porté sur la structure factorielle de la version originale anglaise du NHBPS et les chercheurs ont obtenu des résultats quelque peu différents (Crotty et al., Reference Crotty, Halbert, Giles, Birks, Lange and Whitehead2004; Ray, Taylor, Lichtenstein & Meador, Reference Ray, Taylor, Lichtenstein and Meador1992). Ray et al. rapportent avoir utilisé une procédure d’analyse de regroupement basée sur une analyse factorielle oblique (n=553). L’analyse de regroupement a donné lieu initialement à huit composantes, mais des analyses additionnelles ont permis de réduire ce nombre à six dimensions principales. La première comprend les comportements non-coopératifs ou agressifs (par exemple, « résiste au soins »), la deuxième dimension consiste en des comportements irrationnels ou agités (par exemple, « parle tout seul »), la troisième dimension constitue les troubles du sommeil (par exemple, « se réveille durant la nuit »), la quatrième dimension comprend les comportements dérangeants (par exemple, « se lamente »), le cinquième facteur est composé de comportements inappropriés (par exemple, « tente de fuguer ») et la sixième dimension comprend les comportements dangereux (par exemple, « tente de s’auto-mutiler »). Toutefois, ces auteurs donnent peu d’information sur la procédure suivie pour leur analyse. Un des énoncés du questionnaire « endommage ou détruit volontairement des objets » a été omis de l’analyse factorielle sans que les auteurs ne précisent la raison. De plus, Ray et al. ont identifié des variables associées au score du NHBPS. En effet, les scores étaient plus élevés lorsque le patient recevait de la médication sédative, était sous contention physique, ou s’il souffrait de troubles cognitifs.
Pour leur part, Crotty et al. (Reference Crotty, Halbert, Giles, Birks, Lange and Whitehead2004) ont réalisé une analyse factorielle exploratoire avec 340 participants de leur étude et ont identifié cinq facteurs expliquant ensemble 65 pour cent de la variance. Un premier facteur contient les comportements non-coopératifs (par exemple, « ne collabore pas »), le deuxième facteur comprend la recherche d’attention (par exemple, « se lamente »), le troisième englobe les comportements inappropriés (par exemple, « fait de l’errance »), la quatrième dimension comprend les comportements d’agitation (par exemple, « parle tout seul ») et les comportements dangereux (par exemple, « tente de faire des choses dangereuses »), font partie du cinquième facteur. À noter que (a) quatre énoncés (« a des comportements sexuels inadéquats », « endommage ou détruit volontairement des objets », « tente de s’auto-mutiler » et « se réveille la nuit ») ont été exclus par Crotty et al. (Reference Crotty, Halbert, Giles, Birks, Lange and Whitehead2004) dans le processus d’agrégation des questions sur les facteurs, que (b) la nature des regroupements est similaire à celle observée par Ray et al. (Reference Ray, Taylor, Lichtenstein and Meador1992), bien que certaines des relations énoncé-facteur et certains des regroupements sont différents (par exemple, le facteur « recherche d’attention ») et que (c) la dimension « troubles du sommeil » n’émerge pas comme une composante importante du NHBPS dans cet échantillon australien. Ils ont ensuite réalisé une analyse factorielle confirmatoire de leur modèle en cinq facteurs sur l’autre partie de leur échantillon (n= 352) et trouvé une bonne adéquation à ce modèle. Ils ont également effectué une autre analyse factorielle confirmatoire du modèle en six facteurs de Ray et al. (1992) mais ne commentent pas leurs résultats à ce sujet. Crotty et al. (Reference Crotty, Halbert, Giles, Birks, Lange and Whitehead2004) concluent qu’il est nécessaire d’utiliser une version révisée du NHBPS adaptée à la population de leur étude, soit la clientèle des soins résidentiels en Australie. Cette version révisée comprend 25 questions se regroupant en cinq facteurs. Selon Crotty et al. (Reference Crotty, Halbert, Giles, Birks, Lange and Whitehead2004), les différences entre leurs résultats et ceux de Ray et al. (1992) sont attribuables aux différentes méthodes d’analyses statistiques employées.
L’objectif principal de cette étude est de déterminer la structure factorielle de la version française du NHBPS auprès de personnes atteintes de démence. Pour ce faire, nous effectuerons une analyse factorielle. Nous procéderons également à une analyse de la cohérence interne de chaque dimension du NHBPS avec le coefficient alpha de Cronbach. Un objectif secondaire est de documenter les variables associées au score global de même qu’aux différents facteurs du NHBPS. Différentes caractéristiques des usagers (caractéristiques personnelles, fonctionnement cognitif, limitations fonctionnelles, comorbidité, troubles du sommeil, dépression, douleur, delirium et médication) de même que de leur environnement (adéquation de l’environnement physique, activités stimulantes, activités physiques, événements iatrogènes et contentions physiques) sont incluses dans la présente étude à titre exploratoire.
Méthode
Participants
Les participants ont été recrutés dans le cadre d’une étude sur les facteurs associés au delirium chez les personnes ayant une démence conduite parmi les usagers de trois centres d’hébergement et d’une unité de soins de longue durée d’un hôpital (Voyer, Richard, Doucet, Cyr, & Carmichael, Reference Voyer, Richard, Doucet, Cyr and Carmichael2011). Un échantillon de convenance a été utilisé. Toutes les personnes âgées de 65 ans et plus ayant un diagnostic de démence dans leur dossier médical et ne possédant pas d’antécédent psychiatrique (tels que les troubles psychotiques, bipolaires et dépressif majeur avec caractéristiques psychotiques) étaient éligibles pour participer à l’étude. Une infirmière identifiait les usagers ayant un diagnostic de démence inscrit au dossier médical. Les familles des patients éligibles ont reçu une lettre expliquant l’étude et mentionnant qu’elles pouvaient contacter une infirmière associée au projet pour obtenir davantage d’informations, si nécessaire. Les membres de la famille ou le représentant légal intéressés à ce que la personne participe à l’étude signaient un formulaire de consentement. Un assentiment a également été obtenu pour les personnes ayant des déficits cognitifs jugés légers, modérés et sévères. Cette étude a été approuvée par les comités d’éthique de tous les établissements participants. Un total de 293 familles d’usagers ayant une démence ont été sollicitées afin de participer à l’étude. Parmi ce groupe, 122 n’ont pas répondu, 11 ont refusé de participer et 160 ont donné leur consentement. À la suite de l’admission à l’étude, trois personnes sont décédées avant la première évaluation, une personne a été hospitalisée et une autre transférée d’institution, laissant un échantillon total de 155 participants.
La taille de l’échantillon a d’abord été établie en fonction des besoins de l’étude principale. De Winter, Dodou et Wieringa (2009) ont démontré l’importance de vérifier la taille d’échantillon pour une analyse factorielle exploratoire en fonction des indices de saturation obtenus, du nombre de facteurs dans la structure et du nombre de variables à l’étude. Selon ces auteurs, lorsque les facteurs sont bien définis ou que leur nombre est limité, les petites tailles d’échantillon peuvent présenter des résultats valides. Une estimation basée sur nos résultats en fonction de simulations conduites par De Winter et al. (Reference De Winter, Dodou and Wieringa2009) indique d’ailleurs qu’une taille d’échantillon d’environ 80 participants serait satisfaisante. Notre échantillon de 155 personnes est donc adéquat.
Mesures et matériel
Troubles du comportement
Les troubles du comportement ont été mesurés avec la version française du NHBPS (N. Champoux, communication personnelle, 15 octobre 2009). Cette version a été obtenue par une traduction inversée, selon les recommandations de Vallerand (1989) et Guillemin, Bombardier et Beaton (1993) et a été utilisée dans quelques études (Monette et al., Reference Monette, Champoux, Monette, Fournier, Wolfson and Sourial2008; Voyer, Richard, Doucet, & Carmichael, Reference Voyer, Richard, Doucet and Carmichael2009). Le NHBPS comporte 29 questions mesurant les comportements perturbateurs manifestés dans les centres d’hébergement, tels que les comportements agressifs et agités. Une échelle de type Likert variant de 0 (jamais) à 4 (toujours) est utilisée, un score élevé indiquant une plus grande fréquence de comportements perturbateurs. Ray et al. (Reference Ray, Taylor, Lichtenstein and Meador1992) ont rapporté une bonne corrélation inter-juges pour la version originale anglaise (0.754 avec l’échantillon du Tennessee et 0.827 avec celui du Texas). Le NHBPS a une corrélation de -0.747 avec l’instrument de mesure NOSIE et 0.911 avec le IACM. La fidélité de la version française n’a pas été établie.
Fonctionnement cognitif
Une évaluation du fonctionnement cognitif a été réalisée à l’aide de l’Échelle Hiérarchisée de la Démence (EHD; Cole & Dastoor, Reference Cole and Dastoor1987). Cet outil est composé de 20 sous-échelles mesurant une vaste gamme de fonctions cognitives (Bickel, Reference Bickel1996). Chacune des sous-échelles contient cinq ou dix items en ordre décroissant de difficulté et le score maximal de cet instrument de mesure est de 200 points. Les personnes âgées qui ne souffrent pas de trouble cognitif sont capables d’atteindre ce score maximal ou tout près. La version française possède une bonne validité afin de mesurer les déficits cognitifs hétérogènes (Demonet et al., Reference Demonet, Doyon, Ousset, Puel, Mahagne and Cardebat1990).
Limitations fonctionnelles
Le Système de mesure de l’autonomie fonctionnelle (Hébert, Carrier et Bilodeau, 1988) contient 29 items et évalue l’habileté fonctionnelle dans cinq domaines, soit les activités de la vie quotidienne, la mobilité, la communication, les fonctions mentales et les activités de la vie domestique. Dans cette étude, une version modifiée comprenant 20 items et développée pour les personnes résidant en centre d’hébergement a été utilisée (Hébert et al., Reference Hébert, Carrier and Bilodeau1988). Dans cette version, les tâches domestiques ainsi que la marche à l’extérieur sont exclues de l’évaluation. Le score pour chaque item varie entre 0 (indépendant) et -3 (dépendant), un score total élevé indiquant un déficit plus important au niveau de l’autonomie. La valeur absolue du score total a été utilisée dans notre étude. Cet instrument de mesure possède une bonne fidélité interjuges et test-retest ainsi qu’une bonne validité (Desrosiers, Bravo, Hébert, & Dubuc, Reference Desrosiers, Bravo, Hébert and Dubuc1995).
Comorbidité
L’évaluation de la présence de certaines conditions comorbides ainsi que leur sévérité a été réalisée à l’aide du Charlson Comorbidity Index (Charlson, Pompei, Ales, & MacKenzie, Reference Charlson, Pompei, Ales and MacKenzie1987). Cet index sert à prédire le risque de mortalité causé par une condition comorbide. Ce questionnaire assigne un poids ayant une valeur numérique de 1, 2, 3 ou 6 à chaque condition comorbide. Un score élevé indique une maladie plus grave et un plus grand impact sur le risque de mortalité. La somme des poids assignés aux maladies comorbides représente le score indexé, ce dernier constituant une mesure du fardeau de la condition comorbide (D’Hoore, Bouckaert & Tilquin, Reference D’Hoore, Bouckaert and Tilquin1996). La validité ainsi que la fidélité de cet instrument ont été démontrées (Charlson et al., Reference Charlson, Pompei, Ales and MacKenzie1987).
Troubles du sommeil
Les difficultés de sommeil des participants ont été mesurées à l’aide de l’Index de sévérité de l’insomnie (Blais, Gendron, Mimeault, & Morin, Reference Blais, Gendron, Mimeault and Morin1997). Cet outil contient sept items et chacun d’eux est évalué à l’aide d’une échelle de type Likert variant entre 0 et 4. Le score total varie entre 0 et 28, où un score plus élevé reflète la perception d’une plus grande gravité de l’insomnie. Les problèmes de sommeil sont présents lorsque la personne obtient un score de 8 et plus sur l’échelle (Blais et al., Reference Blais, Gendron, Mimeault and Morin1997). Ce score seuil est recommandé par Bastien, Vallières & Morin (Reference Bastien, Vallières and Morin2001). La cohérence interne ainsi que la validité concurrente ont été vérifiées (Bastien et al., Reference Bastien, Vallières and Morin2001).
Dépression
Le niveau de dépression des usagers a été évalué avec l’Échelle de dépression au cours des démences (Alexopoulos, Abrams, Young & Shamoian, Reference Alexopoulos, Abrams, Young and Shamoian1988). Chaque item, soit 19 au total, est évalué selon une échelle de 0 à 2. Pour chaque item, l’évaluateur indique si le symptôme est absent (0), moyen ou intermittent (1) ou grave (2). Cet outil comprend cinq dimensions, soit les troubles de l’humeur, les troubles du comportement, les signes physiques, la modification des rythmes et les troubles idéatoires. L’échelle possède une bonne validité et fidélité (Korner et al., Reference Korner, Lauritzen, Abelskov, Gulmann, Brodersen and Wedervang-Jensen2006).
Douleur
Le niveau de douleur a été mesuré avec le Doloplus-II (Wary, Reference Wary1999). Cette échelle comporte dix items évalués sur une échelle de type Likert, avec une cotation variant de 0 à 3. Elle évalue les sphères somatiques, psychomotrices et psychosociales de la douleur et le score global s’échelonne entre 0 et 30 (Zwakhalen, Hamers & Berger, Reference Zwakhalen, Hamers and Berger2006). Plus le score est élevé, plus la personne présente des difficultés causées par la douleur. La validité et la fidélité de la mesure sont adéquates (Michel et al., Reference Michel, Capriz, Gentry, Filbet, Gauquelin and Lefebre-Chapiro2000; Zwakhalen et al., Reference Zwakhalen, Hamers and Berger2006).
Delirium
L’évaluation clinique du délirium a été réalisée à l’aide du Confusion Assessment Method (CAM; Inouye et al., Reference Inouye, van Dyck, Alessi, Balkin, Siegal and Horwitz1991). Cet instrument évalue neuf symptômes d’état confusionnel (American Psychiatric Association, 1987): (a) un début soudain et une fluctuation des symptômes pendant la journée, (b) l’inattention, (c) la désorganisation de la pensée, (d) une perturbation de la conscience, (e) la désorientation, (f) les troubles mnésiques, (g) perceptuels, (h) psychomoteurs (agitation, ralentissement) et (i) la perturbation du rythme veille-sommeil. La présence des critères a et b, en plus des critères c ou d indique la présence d’un délirium définitif. Pour avoir un diagnostic de delirium probable, le premier critère a été modifié par « un début soudain ou une fluctuation des symptômes pendant la journée » et le reste de l’algorithme est demeuré similaire. Les qualités psychométriques de la version française de cet outil ont été démontrées (Laplante, Cole, McCusker, Singh & Ouimet, Reference Laplante, Cole, McCusker, Singh and Ouimet2005).
Médication
Pour la présente étude, l’utilisation de benzodiazépines, d’antipsychotiques, d’antidépresseurs, d’analgésiques et d’inhibiteurs de la cholinestérase consommés dans les dernières 24 heures a été évaluée.
Environnement physique
L’adéquation de l’environnement physique aux capacités d’une personne ayant une démence a été évaluée avec un questionnaire composé de 11 items. La présence d’objets d’orientation dans la chambre de l’usager (horloge, montre, calendrier ou effets personnels), les caractéristiques de la chambre (privée ou semi-privée), la luminosité, la présence d’une fenêtre, une radio et/ou télévision et le bruit étaient évalués. Un point est accordé pour chaque élément considéré favorable. Le score total varie de 0 à 11 et un score élevé suggère un environnement adéquat.
Activités stimulantes. Le niveau de stimulation a été mesuré avec un questionnaire de 13 items, qui évalue le nombre d’activités stimulantes auxquelles l’usager a participé durant la journée. Le format de réponse pour les items était une cotation de 0 à 2, chaque chiffre indiquant le nombre d’activités réalisées durant la période d’observation de sept heures. Celles-ci incluent des activités et loisirs structurés ou non, tels que la zoothérapie, la musicothérapie, l’aromathérapie, la visite de la famille, d’amis, de bénévoles ou du personnel soignant, et les visites de l’usager à la messe. Un score élevé suggère un environnement stimulant.
Activités physiques. L’activité physique a été évaluée avec un questionnaire de quatre items. La marche, ainsi que des activités physiques structurées, étaient considérées peu importe la durée de ces dernières. L’évaluation a été effectuée avec une échelle de type Likert de 0 à 3, et le score total varie de 0 à 12. Chaque chiffre indique le nombre de fois que la personne participe à une activité durant la période d’observation de sept heures. Plus le score est élevé, plus la personne s’engage dans des activités.
Événements iatrogènes
Le nombre d’événements iatrogènes durant la dernière semaine était mesuré en additionnant le nombre d’évènements indésirables vécu par chaque usager durant cette période de temps. Des événements tels que les hospitalisations, les procédures médicales intrusives et non-intrusives, la présence d’ulcères, d’infections, de plaie de pression, être victime d’agression physique ou verbale par un soignant ou un autre usager, les chutes, et tout autre événement relié à la médication ont été enregistrés. Puisque les usagers ne vivent pas beaucoup d’évènements iatrogènes durant une même journée, nous avons décidé de mesurer cet élément à toutes les semaines, plutôt qu’à tous les jours.
Contentions physiques
La contention physique était une variable dichotomique (oui/non), définie comme l’utilisation d’au moins une des méthodes suivantes durant une période d’observation de sept heures: ceinture abdominale, fauteuil avec tablette, quatre ridelles de chaque côté du lit et tout autre moyen mécanique limitant la mobilité de l’usager.
Il est à noter que l’environnement physique, les activités stimulantes et les activités physiques ont été mesurés avec des questionnaires maisons dont on ne connaît ni la fidélité ni la validité.
Procédure
Les infirmières participant à la collecte de données ont bénéficié de 15 heures de formation portant sur la démence et le délirium effectuée par un membre de l’équipe de recherche. Elles ont également reçu des consignes concernant les procédures de la recherche ainsi que de la supervision directe dans la collecte de données pour 15 participants. Une première infirmière devait évaluer, pour chaque participant, la présence de délirium avec le CAM et la sévérité de la démence à l’aide de l’EHD. Une deuxième infirmière rassemblait les informations concernant les caractéristiques personnelles des participants dont l’âge, le sexe, l’état civil, le niveau d’éducation, la durée de l’hébergement et le niveau d’autonomie fonctionnelle. D’autres variables, telles que la contention physique, la comorbidité, le niveau de douleur, les troubles du sommeil, les sentiments dépressifs, le niveau de stimulation sensorielle, l’adéquation de l’environnement physique, le nombre d’événements iatrogènes, le niveau d’activité physique, la consommation de médication et la présence de troubles de comportement dans les trois derniers jours, ont également été enregistrées par cette deuxième infirmière. Chaque usager était observé par ces deux infirmières sur une période de sept heures pour amasser ces données. Afin de bénéficier le plus possible du temps d’observation des participants, les infirmières n’évaluaient pas plus de trois usagers par jour. Afin d’homogénéiser la période d’observation entre les différentes localisations de l’étude, les observations avaient lieu durant la période de travail de jour, soit entre 7 h 30 et 15 h 30 ou de 8 h à 16 h 00, dépendamment des horaires des centres d’hébergement.
Résultats
Les analyses ont été réalisées avec les logiciels SAS, version 9.2 et SPSS, version 17.
Analyses descriptives
Les caractéristiques des participants sont présentées au tableau 1. L’échantillon est composé majoritairement de femmes et la durée moyenne de leur hébergement est de plus de deux ans. Les participants présentent un déclin cognitif modéré et près des trois-quarts répondent aux critères du CAM pour un delirium, soit définitif (n = 71; 46%) ou probable (n = 38; 24%). La plupart présentent un taux élevé de comorbidité ainsi qu’une importante détérioration de leur autonomie. Le score des participants au NHBPS est relativement faible, ceci pouvant s’expliquer par le fait que 92 participants ont obtenu un score total inférieur à 10. Toutefois, 40.10 pour cent des usagers ont présenté un score d’au moins 3 sur un item de l’échelle. Les comportements «formule des phrases qui n’ont aucun sens » et « ne collabore pas » sont les plus répandus, avec une fréquence de 59.40 pour cent.
Dimensions sous-jacentes au NHBPS
Analyse factorielle
Une analyse factorielle a été réalisée afin d’identifier une structure adéquate à notre questionnaire. L’item « endommage ou détruit volontairement des objets » n’a pas été inclus dans cette analyse puisqu’il n’avait pas été pris en compte dans les solutions factorielles des études antérieures. De plus, six comportements présentés par moins de cinq pour cent des participants n’ont pas été inclus dans l’analyse. Il s’agit des items « tente de s’automutiler », « urine ou défèque dans des endroits inappropriés », « se plaint de sa santé de façon inappropriée », « a des comportements sexuels inadéquats », « fait des accusations non fondées » et « tente de faire des choses dangereuses ». Une rotation orthogonale Varimax a été réalisée avec les 22 items restants afin d’aider à l’interprétation des résultats. Cette rotation a été utilisée puisqu’une première rotation oblique indiquait une absence de corrélation entre les facteurs. Également, les items avec un indice de saturation plus élevé que .40 ont été retenus dans la solution factorielle.
Nous avons obtenu une valeur de Kaiser-Meyer-Olkin de .72, ce qui est une valeur suffisante pour réaliser une analyse factorielle. Nous avons également effectué un test de sphéricité de Bartlett afin de démontrer l’adéquation de nos données pour une analyse factorielle. Le résultat est significatif (χ 2=1412.49, dl =231, p= <0.0001). Le diagramme des valeurs propres (scree plot) a été utilisé afin de sélectionner le nombre de facteurs à inclure dans la structure et le point d’inflexion du diagramme se situait à sept dimensions principales. Toutefois, puisque deux de ces dimensions étaient reliées à moins de deux items du questionnaire (un item était relié à une dimension et deux items étaient reliés à une autre dimension), nous avons choisi de ne pas les conserver dans la solution factorielle conformément à la recommandation de Mulaik (2010), qui affirme qu’une dimension doit posséder un minimum de trois variables observées pour être adéquate. Les items visés sont « réclame de l’attention de façon inappropriée », « tente de se lever de façon non sécuritaire » et « se lamente ». Le tableau 2 présente les indices de saturation trouvés dans l’analyse factorielle, ainsi que les communalités de la version française du NHBPS. Le premier facteur regroupe les items reliés aux comportements non-coopératifs, le deuxième facteur représente tous les items reliés aux troubles du sommeil, le facteur trois inclut les déplacements inappropriés, le facteur quatre contient les comportements irrationnels et le dernier facteur représente les comportements agités.
Note: Les pondérations factorielles inférieures à .40 ne sont pas présentées. Celles appartenant à un facteur sont en caractère gras. Même si les items 27–23–16 n’appartiennent à aucun facteur, ils sont présentés dans le tableau.
Cohérence interne
Des alphas de Cronbach standardisés ont été calculés afin de connaître la cohérence interne des dimensions de notre structure. Pour fins de comparaison, nous avons également calculé la cohérence interne des facteurs identifiés par Ray et al. (Reference Ray, Taylor, Lichtenstein and Meador1992) et Crotty et al. (Reference Crotty, Halbert, Giles, Birks, Lange and Whitehead2004). Le tableau 3 présente les résultats de ces analyses.
Variables associées aux symptômes comportementaux de la démence
Afin de répondre au deuxième objectif de l’étude, qui est de documenter les variables associées au score global de même qu’aux différents facteurs du NHBPS, des analyses de corrélation (r de Pearson) ou de comparaison de moyennes (test t de Student) ont été réalisées selon qu’il s’agissait d’une variable continue ou dichotomique. Les tableaux 4 et 5 présentent les résultats de ces analyses. Compte tenu de la nature exploratoire de ces analyses, nous avons identifié comme significatifs les résultats dont la probabilité est inférieure à .10.
Note: †p < .10, *p < .05, **p < .01, ***p < .001. NHBPS=Nursing Home Behavior Problem Scale, CNC=comportements non-coopératifs, DI=déplacements inappropriés, TS=troubles du sommeil, CI=comportements irrationnels, CA=comportements agités
Note: †p < .10, *p < .05, **p < .01. NHBPS=Nursing Home Behavior Problem Scale, CNC=comportements non-coopératifs, DI=déplacements inappropriés, TS=troubles du sommeil, CI=comportements irrationnels, CA=comportements agités
Certaines variables sont plus fortement reliées aux symptômes comportementaux de la démence (SCD). On remarque que les usagers qui consomment des antipsychotiques, ceux qui ont un delirium et ceux chez qui la douleur et la dépression sont importantes présentent davantage de différents types de SCD. En comparaison, l’âge, le sexe, l’utilisation d’antidépresseurs et d’analgésiques, la comorbidité de même que les activités stimulantes et les événements iatrogènes ne sont pas associés aux SCD. Par ailleurs, quelques variables sont associées seulement à certains types de SCD. L’utilisation de benzodiazépines est généralement associée à différents SCD, sauf en ce qui concerne les déplacements inappropriés, les comportements irrationnels et les comportements agités. De plus, les déficits sur le plan cognitif et fonctionnel sont associés à une fréquence plus élevée de différents SCD, sauf pour les déplacements inappropriés et les troubles du sommeil. D’ailleurs, cette dernière forme de SCD, ainsi que les comportements agités, sont celles qui présentent le moins d’associations significatives avec d’autres variables. Certaines différences sont également ressorties dans la nature des relations. Par exemple, une durée plus longue de l’hébergement ainsi que l’utilisation de contentions physiques sont associées à davantage de comportements non-coopératifs alors qu’elles sont reliées à moins de déplacements inappropriés.
Discussion
L’objectif principal de cette étude était de déterminer la structure factorielle de la version française du NHBPS auprès de personnes atteintes de démence. Les résultats de l’analyse factorielle suggèrent une solution comprenant cinq dimensions. Celles-ci sont respectivement les comportements non-coopératifs, les troubles du sommeil, les déplacements inappropriés, les comportements irrationnels et les comportements agités.
Il faut noter des différences entre nos résultats et ceux de nos prédécesseurs. Par exemple, la dimension « comportements inappropriés » suggérée par Ray et al. (Reference Ray, Taylor, Lichtenstein and Meador1992) est modifiée dans nos résultats par des « déplacements inappropriés ». De plus, la dimension « comportements irrationnels/agités » identifiée par ces chercheurs émerge comme deux dimensions distinctes dans nos résultats. Par ailleurs, les dimensions « comportements dangereux » et « comportements dérangeants » de Ray et al. n’ont pas été répliquées dans nos résultats. Ces différences peuvent s’expliquer par le fait que plusieurs items de ces dimensions ont été retirés de l’analyse puisque moins de cinq pour cent des participants ont manifesté ces comportements. Les méthodes d’analyse des données utilisées peuvent aussi expliquer les différences. Ray et al. ont effectué une analyse de regroupement combinée à une rotation oblique afin d’identifier les principaux facteurs alors que nous avons effectué une analyse factorielle suivie d’une rotation orthogonale. Également, des pondérations supérieures à .40 ont été utilisées dans la présente étude afin de déterminer les items retenus dans un facteur, ce qui diffère légèrement de celle de .45 utilisée par Crotty et al. (Reference Crotty, Halbert, Giles, Birks, Lange and Whitehead2004). Des différences importantes existent également sur le plan des échantillons. En effet, les participants de l’étude de Ray et al. avaient une consommation élevée d’antipsychotiques alors que l’échantillon de Crotty et al. incluait des personnes à risque de chuter ou de souffrir d’un accident vasculaire-cérébral. Notre propre étude est basée sur des données obtenues auprès de personnes souffrant de démence.
Nos résultats ont pu être influencés par certaines caractéristiques de l’échantillon. On remarque que près des trois-quarts des participants répondaient aux critères du CAM pour un delirium définitif ou probable. Les caractéristiques associées au delirium incluent des problèmes de comportement tels que les troubles de la perception, de l’agitation ou un ralentissement psychomoteur et une altération du cycle veille-sommeil (American Psychiatric Association, 2000). Comme la présence d’un delirium n’est pas évaluée dans les études similaires à la nôtre, on ne peut savoir si notre échantillon est différent. La proportion élevée de delirium dans notre échantillon peut être expliquée par le fait que tous les participants étaient atteints de démence, cette maladie étant identifiée comme un facteur de risque important du delirium dans les centres d’hébergement (Voyer, Richard, Doucet, & Carmichael, Reference Voyer, Richard, Doucet and Carmichael2009). La prévalence du delirium superposé à la démence varie entre 22 pour cent et 89 pour cent chez les aînés (Fick, Agostini, & Inouye, Reference Fick, Agostini and Inouye2002). Par ailleurs, il n’est pas impossible que les différences de résultats obtenus puissent s’expliquer par une traduction inadéquate du questionnaire mais cela semble peu probable, compte tenu que la traduction a été faite avec soin.
On peut observer certaines similitudes entre notre solution en cinq facteurs et les autres solutions factorielles du NHBPS. Notre solution factorielle se rapproche de celle à six facteurs obtenus par Ray et al. (Reference Ray, Taylor, Lichtenstein and Meador1992). La dimension « troubles du sommeil » est d’ailleurs similaire à celle proposée dans le modèle original. La dimension «comportements non-coopératifs » est également presque similaire à la dimension «comportements agressifs/non-coopératifs » de Ray et al. puisque seulement un item a été enlevé de notre dimension. Par ailleurs, la cohérence interne des différentes dimensions sous-jacentes à la version française du NHBPS est acceptable. Les alphas de Cronbach obtenus sont modérés à élevés (.68 à .84). Il n’est pas surprenant de retrouver les alphas de Cronbach les plus faibles associés aux dimensions ayant les plus petites valeurs propres, c’est-à-dire les dimensions ayant moins d’items. En effet, Cortina (Reference Cortina1993) montre que l’alpha de Cronbach est une fonction croissante du nombre d’items inclus, ceci étant un aspect important à tenir compte en interprétant les coefficients. Le fait que les coefficients alphas de nos dimensions sont plus élevés que ceux retrouvés avec les dimensions issues des travaux de Ray et al. et Crotty et al., et ce, pour des échelles ayant un nombre similaire d’items, renforce l’idée que la structure que nous avons identifiée est plus appropriée pour la population francophone. Les résultats sont généralement cohérents avec ceux d’autres chercheurs et suggèrent que la version française du NHBPS possède une certaine validité.
Un objectif secondaire de l’étude était de documenter les variables associées au score global de même qu’aux différents facteurs du NHBPS. Nos résultats présentent des similitudes avec ceux obtenus par Ray et al. (Reference Ray, Taylor, Lichtenstein and Meador1992). Ces derniers ont trouvé que la consommation de médication sédative, l’utilisation de contentions physiques et des problèmes cognitifs plus marqués sont associés à des scores plus élevés. Nos résultats montrent également des associations avec l’utilisation de médication sédative et la sévérité des troubles cognitifs. En effet, présenter un déclin cognitif et consommer des antipsychotiques et des benzodiazépines est relié à davantage de comportements perturbateurs. Nous avons également examiné les liens entre différentes caractéristiques des participants et de leur environnement et les troubles de comportement. Les résultats montrent que la dépression est corrélée avec tous les facteurs du NHBPS. L’association entre la dépression et les comportements physiques non-agressifs, intrusifs et vocaux a déjà été démontré dans plusieurs études (Hope, Keene, McShane, Fairburn & Jacoby, Reference Hope, Keene, McShane, Fairburn and Jacoby2001; Kiely, Morris & Algase, Reference Kiely, Morris and Algase2000; Klein et al., Reference Klein, Steinberg, Galik, Steele, Sheppard and Warren1999; Rader, Doan & Schwab, Reference Rader, Doan and Schwab1985). La détérioration cognitive est également associée à un score plus élevé au NHBPS, ainsi qu’aux comportements non-coopératifs, irrationnels et agités. Algase et al. (Reference Algase, Beck, Kolanowski, Whall, Berent and Richards1996) et Cohen-Mansfield (Reference Cohen-Mansfield2000) ont également discuté du lien entre les SCD et les déficits cognitifs. Les difficultés de sommeil semblent également reliées aux troubles du comportement : une personne avec des difficultés de sommeil présente un score plus élevé au NHBPS et manifeste davantage de déplacements inappropriés qu’un bon dormeur. De même, Algase et al. (1996) et Cohen-Mansfield (Reference Cohen-Mansfield2000) ont démontré que les personnes avec des difficultés de sommeil manifestent davantage de SCD. On peut présumer qu’une personne souffrant de perturbation au niveau du sommeil est plus irritable et présente un faible niveau d’énergie, ce qui peut entrainer des troubles de comportement durant la journée. Les participants consommant des antipsychotiques et des benzodiazépines ont obtenu un score plus élevé au NHBPS et à plusieurs de ses facteurs. Lajeunesse et Villeneuve (1989) et Voyer et al. (Reference Voyer, Verreault, Azizah, Desrosiers, Champoux and Bédard2005) ont également trouvé une association entre l’utilisation de ces médicaments et la manifestation de SCD. Également, nos résultats montrent qu’une personne vivant dans un environnement non-adéquat (par exemple, une chambre peu éclairée et comportant peu d’indices favorisant l’orientation) présente davantage de comportements agités et irrationnels. Ces observations corroborent celles d’Algase et al. (Reference Algase, Beck, Kolanowski, Whall, Berent and Richards1996) et de Cohen-Mansfield (2000), qui ont trouvé qu’un environnement bruyant et qui ne rencontre pas les besoins de la personne favorise l’apparition de différents types de SCD.
En raison de ces résultats, plusieurs recommandations peuvent être suggérées sur le plan de l’intervention afin de réduire les troubles de comportement en centre d’hébergement. Puisque la dépression semble jouer un rôle déterminant dans la manifestation de ces comportements, il devrait être impératif que les usagers à risque puissent bénéficier d’un traitement afin de prévenir ou traiter l’épisode dépressif majeur. Même si la détérioration cognitive ne peut être guérie, elle peut être soulagée avec des méthodes de communication appropriées. Lorsque l’approche sélectionnée est adéquate (thérapie de validation, la réminiscence etc.), il est possible de réduire la manifestation des comportements agressifs. De plus, il est important de diminuer la consommation de médication, particulièrement des antipsychotiques, puisque ces médicaments semblent augmenter la fréquence des comportements perturbateurs. Étant donné la présence d’effets indésirables, par exemple, la dyskinésie tardive, l’utilisation de cette médication devrait être une solution de dernier recourt (Voyer et al., Reference Voyer, Verreault, Azizah, Desrosiers, Champoux and Bédard2005). Il peut être également pertinent de s’assurer que l’usager demeure dans un environnement adéquat (par exemple, une chambre lumineuse avec des objets d’orientation dans la pièce).
On note également quelques différences entre nos résultats et ceux de travaux antérieurs. Nous avons trouvé que la participation à des activités physiques est associée à davantage de déplacements inappropriés, contrairement aux résultats de Cohen-Mansfield (2000), qui suggère que les comportements physiques non-agressifs, tels que l’errance, surviennent lorsque la personne ne participe à aucune activité. De plus, nos résultats montrent que le sexe de la personne ne semble pas associé au score global du NHBPS ni aux comportements non-coopératifs, contrairement aux résultats de Cohen-Mansfield (2000) qui indiquent que les hommes manifestent davantage de comportements agressifs que les femmes.
Cette étude comporte certes quelques limites. La solution factorielle suggérée n’a pas été confirmée auprès d’un second échantillon indépendant. Également, lors de la passation du questionnaire, la fidélité inter-juges n’a pas été vérifiée. Les réponses données par l’infirmière de recherche peuvent être influencées par sa perception. Malgré ces limites, nous concluons que la structure factorielle de la version française du NHBPS est adéquate pour les personnes atteintes de démence, bien qu’elle diffère sensiblement d’autres solutions identifiées pour la version originale anglaise de cet outil.