Introduction
Au Canada, près de 77 pour cent des décès surviennent après l’âge de 65 ans (Statistique Canada, 2006). Dans les dernières années de leur vie, 28 pour cent des personnes âgées font face au cancer (Ross, MacLean, Cain, Sellick, & Fisher, Reference Ross, MacLean, Cain, Sellick and Fisher2002), et 62 pour cent à des maladies telles que l’insuffisance cardiaque, pulmonaire ou rénale, ou à des maladies neurodégénératives (Statistique Canada, 2004). De manière générale, la fin de vie des personnes âgées peut être vécue de façon positive (sentiment d’accomplissement en fin de vie, acceptation accrue de la mort, sentiment d’avoir laissé sa trace, etc.) lorsqu’elles ont le sentiment que leur existence a eu un sens (Fisher, Ross, & MacLean, Reference Fisher, Ross and MacLean2000). Par contre, du point de vue médical, il peut en être autrement. La fin de vie des personnes âgées diffère de celle des individus plus jeunes : elle se caractérise habituellement par une plus longue période de déclin de l’état de santé (Fisher et al., Reference Fisher, Ross and MacLean2000), la présence de maladies multiples (comorbidités) et la fréquence élevée des atteintes cognitives (Arcand, Reference Arcand, Arcand and Hébert2007). De plus, l’évolution de l’état de santé se ponctue de nombreuses complications difficiles à prévoir (Kapo, Morrison, & Liao, Reference Kapo, Morrison and Liao2007). Tous ces phénomènes engendrent des dilemmes éthiques et cliniques complexes à propos des traitements et de l’utilisation des services de santé (Evers, Meier, & Morrison, Reference Evers, Meier and Morrison2002). Dans ce contexte, lorsque le confort devient l’objectif prioritaire, plutôt que la prolongation de la vie, des soins de type palliatif (aussi appelés « soins en fin de vie ») sont idéalement prodigués à la personne âgée (Fisher et al., Reference Fisher, Ross and MacLean2000). Ces soins s’inscrivent dans une approche globale tenant compte des aspects physiques, psychologiques, sociaux et spirituels du patient (Lambert & Lecomte, Reference Lambert and Lecomte2000). Ils visent un soulagement de la douleur et des autres symptômes. Ils offrent un système de soutien permettant au patient de vivre de manière aussi active que possible jusqu’à sa mort. Les soins palliatifs intègrent aussi un soutien pour la famille du patient autant pendant le processus de fin de vie que lors du deuil suivant le décès du proche. Cette approche prône le respect des valeurs, des croyances et du mode de vie du patient comme de sa famille (Macmillan, Peden, Hopkinson, & Hycha, Reference Macmillan, Peden, Hopkinson and Hycha2004). Enfin, l’approche palliative nécessite une bonne communication entre quatre types d’acteurs : le patient, la famille, le proche aidant et les intervenants (Ferris et al., Reference Ferris, Balfour, Bowen, Farley, Hardwick and Lamontagne2002).
En soins palliatifs, le patient âgé fait face à une multitude de choix concernant les soins ou les traitements nécessaires à son bien-être. Entre autres, nous pensons à la poursuite des traitements visant à prolonger la vie (exemples : chimiothérapie, hémodialyse, hydratation et alimentation artificielle), à la cessation ou non d’interventions à visée préventive (exemples : médicaments pour prévenir les fractures ostéoporotiques et les complications cardio-vasculaires) et à l’initiation ou l’ajustement de traitements ayant comme objectif le confort du patient (exemple : morphine contre la douleur).
Dans le contexte nord-américain, les décisions de traitement se fondent sur le consentement libre et éclairé du patient acquis après un processus de délibération (Drought & Koening, Reference Drought and Koening2002). Lors de ces choix, une prise de décision en collaboration, c’est-à-dire à la suite d’un consensus obtenu entre le patient, sa famille et le médecin, est l’idéal (Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, 2004; Saint-Arnaud, Reference Saint-Arnaud and Saint-Arnaud1999). Les prises de décisions en collaboration amènent, entre autres, les personnes impliquées à être plus satisfaites des traitements et à mieux les suivre (Dalton, Reference Dalton2003). Par le fait même, de meilleurs résultats aux traitements sont obtenus (Sepucha, Belkora, Tripathy, & Esserman, Reference Sepucha, Belkora, Tripathy and Esserman2000).
Afin de prendre la meilleure décision, le patient âgé apte consulte habituellement, en plus de son médecin, des gens de son entourage pour appuyer ou valider ses choix. Le processus décisionnel implique donc généralement trois acteurs, ce que nous appelons une triade de soins : le patient âgé, un membre de sa famille et un professionnel de la santé.
Le principe de l’autonomie du patient le place d’emblée au centre de cette triade. Pour qu’on le considère apte à participer à la décision, il doit cependant pouvoir comprendre l’information sur les avantages et inconvénients du traitement proposé de même que les conséquences d’une acceptation ou d’un refus (Fisher et al., Reference Fisher, Ross and MacLean2000). Son rôle consiste donc essentiellement à refuser ou consentir à ce que lui propose le médecin. Dans plusieurs écrits, le rôle du patient lors des prises de décision est décrit comme actif, passif ou collaborateur (Bruera, Willey, Palmer, & Rosales, Reference Bruera, Willey, Palmer and Rosales2002 ; Arora & McHorney, Reference Arora and McHorney2000;). Chez la population âgée, le patient est moins enclin qu’un plus jeune à vouloir prendre les décisions seul (Degner et al., Reference Degner, Kristjanson, Bowman, Sloan, Carriere and O’Neil1997). Il arrive parfois qu’il préfère déléguer la décision soit à son médecin soit à un membre de sa famille. Ainsi, même lorsque le patient ne prend pas part activement aux décisions de traitement, on peut considérer qu’en faisant le choix de déléguer la prise de décision, il ne fait pas que jouer un rôle passif, il participe en désignant la ou les personnes en qui il a confiance pour prendre cette décision.
Le deuxième membre de la triade est habituellement un membre de la famille que nous appellerons proche aidant (Macmillan et al., Reference Macmillan, Peden, Hopkinson and Hycha2004). Dans la majorité des situations d’accompagnement d’une personne âgée en perte d’autonomie, le rôle du proche aidant est endossé par le conjoint(e) (41 %) ou l’un des enfants (44 %) (Center on an Aging Society, 2005). Dans les faits, l’aidant accompagne l’aîné lors des consultations médicales dans 20 à 57 pour cent des cas (Adelman, Greene, & Ory, Reference Adelman, Greene and Ory2000; Champoux, Lebel, & Gosselin, Reference Champoux, Lebel, Gosselin, Richard and Lussier2005). Il joue souvent un rôle de soutien au patient apte à prendre ses décisions, mais devient nécessairement plus engagé en cas d’inaptitude temporaire ou prolongée ou lorsque le patient âgé lui délègue ce pouvoir (Sze et al., Reference Sze, Marisette, Williams, Nyhof-Young, Crooks and Husain2006). Plusieurs études ont soulevé l’impact de ce type de décision chez le proche aidant notamment l’augmentation du stress et des situations conflictuelles (Abbott, Sago, Breen, Abernethy, & Tulsky, Reference Abbott, Sago, Breen, Abernethy and Tulsky2001; Breen, Abernethy, Abbott, & Tulsky, Reference Breen, Abernethy, Abbott and Tulsky2001; Tilden, Tolle, Nelson, & Fields, Reference Tilden, Tolle, Nelson and Fields2001). Ceci démontre que la prise de décision concernant les traitements a un effet important chez le proche aidant impliqué.
Enfin, le médecin constitue le troisième acteur. Dans son rôle, le médecin présente les différents choix de traitement disponibles et il s’assure que le patient et/ou le proche aidant comprennent bien les tenants et les aboutissants de chacune des options (Boire-Lavigne, Reference Boire-Lavigne, Allard and Arcand2005). Il est responsable de l’évaluation de l’aptitude du patient à prendre des décisions. Cette évaluation doit être répétée au besoin car, en soins palliatifs, la capacité décisionnelle varie selon les conditions médicales du patient (Fisher et al., Reference Fisher, Ross and MacLean2000). Plusieurs critères guident habituellement le médecin dans son évaluation, les plus souvent utilisés demeurent les critères de la Nouvelle Écosse (Long & Robert, Reference Long and Robert1996).
Le but de cet article est de présenter un modèle théorique global illustrant le processus décisionnel en triade de soins applicable au choix de traitement des patients âgés aptes dans un contexte de soins palliatifs. Pour ce faire, nous appliquerons la démarche de développement de modèle développée par Walker et Avant (Reference Walker and Avant2005). Dans cette approche, la construction théorique s’appuie sur un inventaire exhaustif des connaissances.
Méthode
L’approche de Walker et Avant (Reference Walker and Avant2005) offre une manière systématique d’examiner une problématique et d’arriver à mettre en liens certains thèmes. Cette mise en relation d’éléments retrouvés dans la recension permet le développement de modèles théoriques. Cette démarche propose, entre autres, trois stratégies pour dégager une théorie, soit : l’analyse théorique, la synthèse théorique et la dérivation théorique. L’utilisation de cette approche permet à la fois de mieux comprendre les pratiques de santé, de tenir compte des connaissances déjà acquises dans le domaine et de considérer les théories existantes avant de procéder à l’exercice de conception d’une théorie nouvelle.
Dans un premier temps, une recension des écrits a été effectuée à partir des banques informatisées de données (Medline, CINAHL, Ageline, Sociological abstract, PsycINFO) et les références bibliographiques des articles consultés. Plusieurs mots clés ont été utilisés : decision-making, palliative care, end-of-life care, decision-making model, treatments, triad, physician, older people, patients, caregivers, family, participation, communication, role, ethic. Nous avons retenu les références datées de 1990 à 2009 pour un nombre total de 397 articles, volumes et thèses répondant à l’un ou à l’autre des aspects touchant la problématique des prises de décision. Nous avons conservé les écrits traitant de prise de décision concernant les choix de traitement médicaux ou autres soins palliatifs que ce soit du point de vue du patient, de la famille ou des médecins. Finalement, 45 publications ont servi directement à l’élaboration du modèle proposé.
L’analyse théorique a permis de répertorier les modèles de prise de décision liés aux choix de traitements médicaux existants et de soulever les forces et les faiblesses de chacun. Nous avons donc analysé l’origine, le sens, l’utilité et l’applicabilité de ces modèles en lien avec notre objectif. Nous avons constaté l’inexistence d’un modèle décisionnel triadique incluant le patient apte à prendre des décisions, dans un contexte de soins palliatifs. En effet, les modèles existants ne reconnaissent qu’un ou deux acteurs (Greipp, Reference Greipp1996, Levine & Whelan, Reference Levine and Whelan2001) ou alors ils s’adressent plutôt à une population de patients inaptes (Boire-Lavigne, Reference Boire-Lavigne, Allard and Arcand2005 ; Pasman, Mei The, Onwuteaka-Philipsen, Ribbe, & van der Wal, Reference Pasman, Mei The, Onwuteaka-Philipsen, Ribbe and van der Wal2004). Par ailleurs, ces modèles sont utiles pour comprendre des éléments du processus décisionnel et permettent d’identifier les dimensions à prendre en compte dans le développement d’un nouveau modèle comprenant plusieurs acteurs.
Nous sommes ensuite passés à l’étape de la synthèse théorique qui peut se définir comme l’analyse de thèmes qui sont étudiés de manière isolée dans les écrits. L’objectif ici est de comprendre l’essence des thèmes étudiés et de tenter de faire ressortir les liens pouvant exister entre eux. Trois thèmes principaux retrouvés dans les modèles mais non explicités sont ressortis de notre recension : les facteurs influençant les décisions de traitement, le rôle de chacun des membres dans les décisions et l’importance de la communication entre les acteurs décisionnels. La mise en parallèle des modèles et des informations tirées de la recension des écrits a permis de cerner plus précisément les insuffisances des modèles décisionnels existants et de les enrichir d’éléments nouveaux recensés par la synthèse théorique.
Finalement, nous avons procédé à la dérivation théorique par la sélection des concepts primordiaux ressortant des modèles théoriques existant et leurs bonifications et/ou précisions à l’aide des connaissances contenues dans la synthèse théorique. Enfin, nous avons développé un modèle théorique adapté aux prises de décision de traitement en soins palliatifs. Nous verrons, dans les sections suivantes, un exposé du cheminement conceptuel ayant mené au modèle théorique proposé.
Résultats
Analyse théorique : inventaire des modèles de prise de décision
De nombreux modèles abordent la problématique des prises de décision de traitement. Certains sont statiques et d’autres plus dynamiques. Nous présentons les principaux. Dans les relations médecin-patient, l’approche Calgary-Cambridge (Richard, Lussier, & Kurtz, Reference Richard, Lussier, Kurtz, Richard and Lussier2005) et le modèle de guide des soins palliatifs (Ferris et al., Reference Ferris, Balfour, Bowen, Farley, Hardwick and Lamontagne2002) offrent des lignes directrices aux professionnels de la santé pour les guider dans la prise de décision clinique. Bien qu’utiles, ces modèles ne permettent pas cependant de comprendre la complexité du processus évolutif et dynamique de prise de décision. Par exemple, dans le modèle de guide des soins palliatifs, trois principes directeurs et onze normes de pratiques sont présentés. Il est, entre autres, stipulé que « le médecin doit évaluer régulièrement la capacité décisionnelle du patient » et que, « lorsque possible, les proches sont associés aux prises de décisions » (Ferris et al., Reference Ferris, Balfour, Bowen, Farley, Hardwick and Lamontagne2002). Quoique utiles pour guider un entretien thérapeutique, les auteurs donnent peu d’information concernant les modalités d’application de ces principes et de ces normes et leurs modèles ne permettent pas d’expliquer ou de comprendre la dynamique du processus amenant à une décision. Ces types de modèles n’ont donc pas été retenus. Nous avons préféré les modèles explicatifs du processus décisionnel en soins de santé. Dans ces derniers modèles, les prises de décision de traitement s’effectuent généralement selon l’un ou l’autre des trois scénarios suivants, soit la décision en solitaire (un acteur), en dyade (deux acteurs) ou en triade (trois acteurs). Quoique souvent illustrés séparément dans les écrits, les éléments retrouvés dans les modèles en solitaire et en dyade sont généralement inclus dans les modèles en triade car le processus décisionnel en triade n’implique pas la présence de trois acteurs en tout temps. Des moments individuels ou en dyade ponctuent aussi le processus.
En solitaire
La prise de décision tenant compte d’un seul acteur se conceptualise généralement sous la forme d’étapes pour arriver à faire un choix. Il y a un ordre à suivre dans les étapes ce qui n’était pas présent dans les modèles précédemment cités et qui offrent des lignes directrices. À titre d’exemple, Carroll et Johnson (Reference Carroll and Johnson1990) suggèrent sept étapes à la prise de décision chez les professionnels de la santé : la reconnaissance du problème, la formulation du problème, la génération d’alternatives, la recherche d’informations, le choix, l’action et la rétroaction. Les modèles considérant un seul acteur montrent un processus personnel et réflexif amenant à un choix ce qui n’est pas négligeable car dans toute décision, chaque personne a besoin de son espace individuel même si le processus final peut aussi comprendre des phases dyadiques ou triadiques. Ces modèles peuvent être utiles pour comprendre le cheminement personnel des acteurs. Par ailleurs, ils ne répondent pas à la question : comment plusieurs acteurs peuvent-ils en arriver à une décision commune? Ces modèles négligent les dynamiques relationnelles et communicationnelles existantes durant l’expérience et mettent plutôt l’emphase sur la personne qui détient le pouvoir décisionnel.
En dyade
Les prises de décision en dyade inspirent plusieurs écrits. Certains modèles, comme celui de Levine et Whelan (Reference Levine and Whelan2001), présentent le processus de décision de traitement comme un échange entre le patient et son médecin et comprend trois étapes : l’échange d’information, la délibération et la prise de décision. Nous pouvons illustrer ce processus de la façon suivante : le patient et le médecin partagent l’information concernant la situation de soins, voient à évaluer les inconvénients et les bénéfices de chacun des choix et prennent une décision de traitement.
Le Greipp’s Model of Ethical Decision Making (Greipp, Reference Greipp1996) permet de traiter la prise de décision impliquant le professionnel de la santé et le patient. Selon ce modèle, le professionnel de la santé est influencé par des motivations personnelles et professionnelles formées à partir de ses expériences, sa culture, ses croyances, sa formation et l’évaluation des inconvénients et des bénéfices d’une décision. Il agit dans un cadre organisationnel et professionnel bien distinct où ses actions sont guidées par un code éthique et déontologique. Le patient possède aussi un bagage de motivations personnelles composé de ses expériences, sa culture, ses croyances et son éducation. De plus, il évalue les inconvénients associés à certaines options de traitement (effets secondaires, effets des traitements sur la famille).
Bien qu’il comporte une description des motivations conduisant à une décision, ce modèle met surtout l’accent sur les professionnels de la santé plutôt que sur le patient. De plus, la nature des interactions entre le professionnel de la santé et le patient n’est pas explicitée, malgré son impact certain sur la prise de décision en collaboration. Finalement, ce modèle néglige l’apport de la famille comme acteur décisionnel. Comme dans la clinique, il est rare que le patient prenne une décision sans consulter ses proches, il apparaît essentiel de se tourner vers les modèles décisionnels en triade (patient, famille et professionnels de la santé).
En triade
Les modèles considérant trois groupes d’acteurs lors de prise de décision sont rarissimes. Trois modèles de prise de décision en triade ont été répertoriés. Premièrement, Pasman et al. (Reference Pasman, Mei The, Onwuteaka-Philipsen, Ribbe and van der Wal2004), a étudié le rôle et l’influence de chacun des acteurs (médecin, famille et infirmière) lors de prise de décision concernant le début, la poursuite ou la cessation de l’hydratation et la nutrition artificielle chez des patients au stade tardif d’une démence. Son modèle intitulé « Actors and Factors in the ANH Decision-Making Process in Daily Practice » est présenté à la figure 1. Puisque, dans cette situation, le patient est incapable de participer activement aux discussions, la triade de soins comprend le médecin, la famille et l’infirmière. Chacun de ces acteurs oriente ses choix selon certains facteurs tels que les caractéristiques personnelles du participant à la décision, l’état clinique du patient et l’environnement de soins. Pour leur part, la famille et l’infirmière sont davantage influencées par leurs pairs (autres membres de la famille ou autres infirmières). Le processus décisionnel étant complexe, le modèle tient compte du poids de chacun des acteurs sur la décision et de l’importance de la communication entre eux.
Le modèle de Pasman et al. (Reference Pasman, Mei The, Onwuteaka-Philipsen, Ribbe and van der Wal2004) ne donne pas cependant de définition pour chacun des facteurs permettant aux acteurs d’en arriver à une orientation de soins. Par exemple, il est imprécis sur les caractéristiques personnelles des participants qui peuvent influencer le processus décisionnel. L’absence de définition des concepts accompagnant le modèle s’avère une limite.
Le « Modèle complexe de prise de décision de soins en fin de vie » conceptualisé par Boire-Lavigne (Reference Boire-Lavigne, Allard and Arcand2005) considère également trois groupes décisionnels (médecin et infirmière, patient et représentant du patient) (figure 2). Ce modèle aide à mieux comprendre les éléments ayant une influence sur les décisions concernant la réanimation cardiorespiratoire et le niveau de soins à prodiguer au patient en soins de longue durée. Ainsi, le médecin, les infirmières, le patient inapte (directives anticipées) et le représentant légal interagissent entre eux pour en arriver à une décision. Selon Boire-Lavigne (Reference Boire-Lavigne, Allard and Arcand2005), la prise de décision est faite en situation d’intersubjectivité, ce qui implique que les relations entre les acteurs sont prises en compte. Cette situation d’intersubjectivité reste tributaire de l’environnement décisionnel, des projets décisionnels, des niveaux d’interactions, de la moralité humaine et de l’évolution dans le temps de la prise de décision. Ce modèle a l’avantage de révéler les aspects dynamiques de la prise de décision. Il mentionne également une liste très exhaustive de facteurs ayant un effet sur la prise de décision, ce qui n’est pas à négliger. Le modèle de Boire-Lavigne (Reference Boire-Lavigne, Allard and Arcand2005) recoupe sur plusieurs points les concepts retrouvés dans les autres modèles décisionnels. Par contre, ce modèle ne répond pas complètement à nos attentes puisqu’il a été développé à partir de situations où le patient était inapte alors que nous nous intéressons au patient apte à participer au processus décisionnel.
Le modèle proposé par Dalton (Reference Dalton2003) permet de soulever d’autres aspects du processus décisionnel. Le modèle « Theory of Collaborative Decision-Making in Nursing Practice for a Triad » (Dalton, Reference Dalton2003), présenté à la Figure 3, permet d’inclure dans les prises de décision le patient, le proche aidant et l’infirmière. Il insiste davantage sur la collaboration entre les acteurs de la prise de décision. Il se subdivise en quatre grandes sections : le contexte des participants, le contexte de la situation, les résultats primaires et les résultats secondaires. Les trois acteurs de la triade de soins s’inscrivent individuellement dans la partie du modèle intitulée : le contexte des participants. La perception de la situation par le patient, l’aidant et l’infirmière dépend de ses attentes et attitudes face au rôle, ses connaissances, ses traits de personnalité et sa définition de la situation. S’appuyant sur leur propre évaluation en fonction de tous ces facteurs, les trois acteurs de la triade vont éventuellement adopter un certain degré de collaboration nommé par l’auteur attitude d’anti- ou pro- collaboration. Cette attitude définira ainsi la nature de la coalition formée.
Dans un deuxième temps, le contexte de la situation regroupe la nature de la coalition, les aspects organisationnels de la prise de décision, le type de décision de soins infirmiers et l’opportunité de collaboration. Dans ce modèle, la nature de la coalition découle, non seulement de l’attitude anti- ou pro- collaboration, mais également du type de décision de soins infirmiers. La nature de la coalition a une influence directe sur le nombre d’opportunités de collaboration entre les membres de la triade. Les aspects organisationnels peuvent aussi avoir un impact sur l’opportunité de collaboration. Cette sous-section du modèle regroupe les facteurs liés à la structure, au processus organisationnel, au milieu de soins et au protocole de décision. De tous ces éléments découlent les résultats primaires qui indiquent le niveau de collaboration entre les membres de la triade et la nature de la décision. Après avoir appliqué cette dernière, les résultats secondaires peuvent être évalués. Les acteurs de la triade rétroagissent sur l’atteinte du but, le niveau d’autonomie de chacun et leur satisfaction quant à la décision.
Le modèle de Dalton (Reference Dalton2003) permet de mieux comprendre le processus décisionnel lorsque trois acteurs y contribuent. Il tient compte à la fois des aspects individuels de chacun et des liens relationnels pouvant avoir une influence sur la décision. Néanmoins, il possède certaines limites. Les décisions traitées pour valider le modèle concernent les soins infirmiers dans un contexte de mise en place de services de soins à domicile d’où l’importance de l’aspect milieu de soins comme facteur influençant la décision finale. Par ailleurs, ce contexte amène à accorder moins d’importance aux aspects éthiques et déontologiques propres aux décisions de fin de vie. Finalement, dans ce modèle, c’est l’infirmière, et non le médecin, qui est le troisième membre de la triade de soins.
Synthèse théorique : Éléments influençant les décisions, le rôle de chacun des acteurs et la communication
Avant de procéder à la présentation d’un nouveau modèle théorique, il semble nécessaire d’approfondir au préalable trois thèmes omniprésents dans notre recension des écrits soit les éléments influençant les décisions, le rôle de chacun dans les prises de décision et la communication entre les acteurs. Ces éléments sont implicites dans les modèles décisionnels précédemment répertoriés. Nous avons donc effectué la synthèse théorique pour les documenter plus en profondeur.
Éléments influençant les prises de décision de traitement
Divers éléments, nommés différemment selon les auteurs, peuvent influencer les décisions de traitement. Les personnes âgées aptes à prendre une décision évaluent la situation en fonction de plusieurs aspects tels que leur contexte clinique de santé, les traitements disponibles, les effets secondaires (Chouliara, Miller, Stott, Molassiotis, Twelves, & Kearney, Reference Chouliara, Miller, Stott, Molassiotis, Twelves and Kearney2004b, Dalton, Reference Dalton2003, Sze et al., Reference Sze, Marisette, Williams, Nyhof-Young, Crooks and Husain2006), leur qualité de vie, leurs expériences antérieures, leur attitude générale face à la maladie (Chouliara et al., Reference Chouliara, Miller, Stott, Molassiotis, Twelves and Kearney2004b; Greipp, Reference Greipp1996), leurs valeurs morales (Boire-Lavigne, Reference Boire-Lavigne, Allard and Arcand2005), leur culture (Greipp, Reference Greipp1996) et l’importance qu’elle accorde à la qualité versus la quantité de vie (Koedoot et al., Reference Koedoot, de Haan, Stiggelbout, Stalmeier, de Graaff and Bakker2003).
Plusieurs aspects amènent les proches aidants de patients inaptes à privilégier une décision de traitement. Parmi ceux-ci, il y a la dignité du patient (Chambers-Evans & Carnevale, Reference Chambers-Evans and Carnevale2005), les échanges à propos des directives anticipées (Boire-Lavigne, Reference Boire-Lavigne, Allard and Arcand2005; Caron, Griffith, & Arcand, Reference Caron, Griffith and Arcand2005; Chambers-Evans & Carnevale, Reference Chambers-Evans and Carnevale2005; Miller & Bolla, Reference Miller and Bolla1998), l’état de santé général, leur perception de la qualité de vie du patient, les choix de traitement, le type de traitement proposé (invasif ou non), le niveau de confiance envers l’équipe de soins (Boire-Lavigne, Reference Boire-Lavigne, Allard and Arcand2005; Caron et al., Reference Caron, Griffith and Arcand2005; Dalton, Reference Dalton2003) les effets secondaires des traitements et le contexte familial (Boire-Lavigne, Reference Boire-Lavigne, Allard and Arcand2005; Caron et al., Reference Caron, Griffith and Arcand2005; Dalton, Reference Dalton2003; Sze et al., Reference Sze, Marisette, Williams, Nyhof-Young, Crooks and Husain2006). Il y a également les dimensions intrinsèques associées au proche aidant dont les valeurs, l’interprétation de l’expérience (Caron et al., Reference Caron, Griffith and Arcand2005; Dalton, Reference Dalton2003; Sze et al., Reference Sze, Marisette, Williams, Nyhof-Young, Crooks and Husain2006) et la nature du lien avec le patient (Caron et al., Reference Caron, Griffith and Arcand2005). Même si ces éléments ont été répertoriés dans des études auprès de mandataires de personne inapte, il est probable que les mêmes considérations influencent la position d’un proche aidant d’une personne apte.
Enfin, la décision des médecins repose sur leurs expériences antérieures personnelles et professionnelles, leurs paradigmes professionnels (Greipp, Reference Greipp1996), leur code d’éthique et de déontologie (Boire-Lavigne, Reference Boire-Lavigne, Allard and Arcand2005; Dalton, Reference Dalton2003; Greipp, Reference Greipp1996), leurs valeurs morales (Boire-Lavigne, Reference Boire-Lavigne, Allard and Arcand2005), leurs croyances et leur culture (Choi & Billings, Reference Choi and Billings2002; Greipp, Reference Greipp1996), leur évaluation du pronostic, les préférences et l’état cognitif du patient, le lieu de soins, l’âge du patient, l’efficacité présumée des traitements (Miller & Bolla, Reference Miller and Bolla1998) et les directives anticipées (Boire-Lavigne, Reference Boire-Lavigne, Allard and Arcand2005 ; Cartwright, Reference Cartwright2000). L’action médicale s’appuie généralement sur des connaissances précises encadrées par des règles de pratiques mais Brueckener, Schumacher et Schneider (Reference Brueckner, Schumacher and Schneider2009) mentionnent que les ressources financières et techniques des milieux de soins vont aussi influencer les choix de traitement qui seront offerts au patient.
Rôle de chacun des acteurs dans le processus décisionnel amenant à un choix de traitement
Le niveau de participation aux décisions thérapeutiques varie d’un individu à l’autre. Quatre-vingt dix-sept pour cent des gens, selon l’étude de Ryan et Sysko (Reference Ryan and Sysko2007), et près des deux tiers des patients en phase palliative veulent être impliqués dans les prises de décision les concernant (Gaston & Mitchell, Reference Gaston and Mitchell2005). Selon plusieurs auteurs (Arora & McHorney, Reference Arora and McHorney2000; Rothenbacher, Lutz, & Porzsolt, Reference Rothenbacher, Lutz and Porzsolt1997), le désir de partager le processus décisionnel lié à un choix de traitement avec leur médecin demeure dominant chez les personnes cancéreuses et celles atteintes d’une maladie chronique. Les patients considèrent qu’ils participent aux décisions lorsqu’ils sont informés des choix de traitement, qu’ils soupèsent le pour et le contre et qu’ils font un choix. Les études rapportent cependant que les croyances et les pratiques des médecins peuvent avoir une influence considérable sur la place qu’ils donnent ou non aux patients dans le processus décisionnel (Bruera, Neumann, Mazzocato, Stiefel, & Sala, Reference Bruera, Neumann, Mazzocato, Stiefel and Sala2000; Degner et al., Reference Degner, Kristjanson, Bowman, Sloan, Carriere and O’Neil1997).
Le proche aidant peut agir comme soutien à la décision lorsque le patient est apte et comme mandataire lorsqu’il devient inapte. Bien que parfois ils sont perplexes quant au rôle qu’on attend d’eux, la majorité des aidants veulent demeurer impliqués dans toutes les décisions de traitement concernant leur proche en soins palliatifs (Caron et al., Reference Caron, Griffith and Arcand2005; Pasman et al., Reference Pasman, Mei The, Onwuteaka-Philipsen, Ribbe and van der Wal2004; Vohra, Brazil, Hanna, & Abelson, Reference Vohra, Brazil, Hanna and Abelson2004) et ils considèrent qu’ils devraient être consultés davantage (Vohra et al., Reference Vohra, Brazil, Hanna and Abelson2004). Ils ont le sentiment de participer au processus de décision lorsqu’ils sont informés de la santé générale du patient, des options de traitement et de la progression de la maladie (Caron et al., Reference Caron, Griffith and Arcand2005).
Le rôle des médecins est de guider la prise de décision en présentant les options de traitement et en favorisant le consensus ou les compromis. Les médecins restent maîtres des options de traitement proposées (Pasman et al., Reference Pasman, Mei The, Onwuteaka-Philipsen, Ribbe and van der Wal2004). Selon Bruera, Sweeney, Calder, Palmer, et Benisch-Tolley (Reference Bruera, Sweeney, Calder, Palmer and Benisch-Tolley2001) et Bruera et al. (Reference Bruera, Willey, Palmer and Rosales2002) moins de la moitié des médecins veulent partager la décision avec leurs patients. Cependant, depuis plusieurs années, cette attitude n’est pas considérée comme acceptable par les leaders médicaux et on encourage plutôt une approche négociée dans l’enseignement aux nouveaux médecins.
Communication
Tous les échanges concernant le diagnostic, le pronostic, les options de traitement, les aspects émotionnels et les attitudes font appel à la communication entre les participants. Selon Albrecht et al. (Reference Albrecht, Ruckdeschel, Riddle, Blanchard, Penner and Coovert2003), c’est par les échanges communicationnels que les acteurs décisionnels en viennent à prendre une décision.
Les compétences communicationnelles des médecins se manifestent dans leur capacité à expliquer le diagnostic et le pronostic dans des termes clairs et compréhensibles pour le patient et sa famille (Way, Back, & Curtis, Reference Way, Back and Curtis2002) tout en étant à l’écoute de leur vécu (Hagerty, Butow, Ellis, Dimitry, & Tattersall, Reference Hagerty, Butow, Ellis, Dimitry and Tattersall2005). Ainsi, la prise en compte des besoins et des préoccupations des patients et de leur famille permet aux médecins d’ajuster leur discours à la situation (Way et al., Reference Way, Back and Curtis2002). Cependant, la majorité des discussions concernant les problématiques de fin de vie s’avère brève (Hebert, Schulz, Copeland, & Arnold, Reference Hebert, Schulz, Copeland and Arnold2009) et axée sur les faits et non les émotions du patient (Ford, Fallowfield, & Lewis, Reference Ford, Fallowfield and Lewis1996; Tulsky, Fischer, Rose, & Arnold, Reference Tulsky, Fischer, Rose and Arnold1998; Verhaak, Kraaimaat, Staps, & van Daal, Reference Verhaak, Kraaimaat, Staps and van Daal2000). Les médecins traitent du diagnostic, du pronostic et des options de traitement. Rares sont ceux qui abordent directement les aspects psychologiques et émotionnels liés aux problèmes de santé de leurs patients.
La communication influence le déroulement de l’expérience de soins pour les patients (McWilliam, Belle Brown, & Stewart, Reference McWilliam, Belle Brown and Stewart2000). Les patients souhaiteraient avoir une relation médecin/patient orientée davantage vers l’empathie et l’espoir (Butow, Dowsett, Hagerty, & Tattersalll, Reference Butow, Dowsett, Hagerty and Tattersall2001; Friedrichsen, Stang, & Calsson, Reference Friedrichsen, Stang and Calsson2000; Sapir et al., Reference Sapir, Catane, Kaufman, Isacson, Segal and Wein2000). Ils s’attendent à recevoir de leur médecin non seulement un pronostic, mais aussi l’attention leur permettant de se sentir en relation (Butow et al., Reference Butow, Dowsett, Hagerty and Tattersall2001; Friedrichsen et al., Reference Friedrichsen, Stang and Calsson2000; Sapir et al., Reference Sapir, Catane, Kaufman, Isacson, Segal and Wein2000). Malheureusement, les attentes exprimées par les patients ne coïncident pas avec la pratique générale décrite précédemment par Tulsky et al. (Reference Tulsky, Fischer, Rose and Arnold1998) et Verhaak et al. (Reference Verhaak, Kraaimaat, Staps and van Daal2000). Nous voyons donc un écart entre ce que désirent la majorité des patients, soit une approche qui tient compte de leur vécu émotif (Hagerty et al., Reference Hagerty, Butow, Ellis, Dimitry and Tattersall2005), et ce que leur offrent leurs médecins, une approche trop centrée sur la transmission de l’information (Tulsky et al., Reference Tulsky, Fischer, Rose and Arnold1998; Verhaak et al., Reference Verhaak, Kraaimaat, Staps and van Daal2000).
Selon certains auteurs, la communication entre le patient et ses proches s’avère primordiale (Sapir et al., 2001) car la famille demeure responsable légalement des prises de décision lorsque le patient est considéré inapte (Saint-Arnaud, Reference Saint-Arnaud and Saint-Arnaud1999). Dans les faits, même si la personne malade est apte, un membre de la famille est fréquemment présent lors de la prise de décision (Sapir et al., Reference Sapir, Catane, Kaufman, Isacson, Segal and Wein2000) et lors des rencontres avec le médecin (Champoux et al., Reference Champoux, Lebel, Gosselin, Richard and Lussier2005). Si le patient devient inapte de manière temporaire ou permanente, les décisions peuvent s’avérer difficiles surtout lorsque le patient n’a pas communiqué des directives claires concernant ses désirs par la voix d’un testament biologique ou d’un mandat en cas d’inaptitude (Tilden et al., Reference Tilden, Tolle, Nelson and Fields2001). La famille et le patient veulent tous deux avoir bon nombre d’informations sur la situation médicale mais la famille veut obtenir plus de précisions concernant la situation future du patient tandis que lui s’en tient au moment présent (Sze et al., Reference Sze, Marisette, Williams, Nyhof-Young, Crooks and Husain2006). Hebert et al. (Reference Hebert, Schulz, Copeland and Arnold2009) ont soulevé que les problèmes reliés à la communication entre le proche aidant et le médecin sont de trois natures: l’oubli du proche aidant de poser ses questions, le manque connaissance de l’aidant pour poser ses questions et la gêne de l’aidant face au médecin.
La présence d’un membre de la famille lors des rencontres médicales entre le patient et son médecin peut changer la dynamique de la rencontre. Selon Greene et Adelman (Reference Greene and Adelman2003) et Adelman et al. (Reference Adelman, Greene and Ory2000), lorsque la communication en dyade ou en triade concernant les problématiques reliées au cancer est analysée chez une population de patients âgés malades, il n’y a pas de divergence au plan du contenu de l’information transmise. Ainsi, le médecin discute de mêmes thématiques, et ce, en dyade ou en triade. La différence se situe plutôt dans la relation communicationnelle existant entre le médecin et le patient. Il semble que la participation du patient à la décision soit particulièrement limitée lorsque l’aidant participe à la rencontre (Greene & Adelman, Reference Greene and Adelman2003). Le lien de confiance entre le médecin et son patient s’avère également plus difficile à établir lorsqu’un membre de famille est présent (Greene & Adelman, Reference Greene and Adelman2003). La dynamique de la rencontre peut aussi se modifier si le proche aidant endosse un rôle de défenseur du patient, une participation passive ou un rôle d’antagoniste du médecin (Adelman et al., Reference Adelman, Greene and Ory2000).
Dérivation théorique : proposition d’un nouveau modèle théorique de décision en triade
Pour faire suite à cet exercice d’analyse et de synthèse théorique, nous avons effectué la dérivation théorique à partir des modèles et des connaissances répertoriés. Le nouveau modèle théorique intitulé « Personne âgée en fin de vie : modèle théorique de prise de décision thérapeutique dans le cas d’un patient apte à consentir aux soins » est présenté à la figure 4.
Facteurs individuels influençant la décision des participants
À la base de tout processus décisionnel, il y a les individus directement impliqués : le patient âgé, le proche aidant et le médecin. Dans un contexte de prise de décision de traitement en triade, ces trois acteurs arrivent avec leur bagage propre. Dans la recension des écrits, plusieurs facteurs liés à chacun des participants à la décision ont été proposés : les connaissances, les traits personnels et la définition de la situation (Chambers-Evan & Carnevale, Reference Chambers-Evans and Carnevale2005; Chouliara et al., Reference Chouliara, Miller, Stott, Molassiotis, Twelves and Kearney2004b; Dalton, Reference Dalton2003; Pasman et al., Reference Pasman, Mei The, Onwuteaka-Philipsen, Ribbe and van der Wal2004; Sze et al., Reference Sze, Marisette, Williams, Nyhof-Young, Crooks and Husain2006). Le modèle de Greipp (Reference Greipp1996) et les différentes études (Caron et al., Reference Caron, Griffith and Arcand2005; Choi & Billings, Reference Choi and Billings2002; Chouliara, Kearney, Molassiotis & Miller, Reference Chouliara, Kearney, Molassiotis and Miller2004a; Chouliara et al., Reference Chouliara, Miller, Stott, Molassiotis, Twelves and Kearney2004b) ont identifié plusieurs autres aspects qui influencent les prises de décision. Ainsi, les catégories concernent les croyances, les valeurs et la culture (Caron et al., Reference Caron, Griffith and Arcand2005, Choi & Billings, Reference Choi and Billings2002; Greipp, Reference Greipp1996), ainsi que les expériences personnelles ou professionnelles (Caron et al., Reference Caron, Griffith and Arcand2005; Chouliara et al., Reference Chouliara, Kearney, Molassiotis and Miller2004a; Greipp, Reference Greipp1996). De plus, les échanges antérieurs sur les volontés du patient âgé concernant ses soins et sa fin de vie vont aussi influencer leur évaluation des décisions à prendre (Boire-Lavigne, Reference Boire-Lavigne, Allard and Arcand2005; Caron et al., Reference Caron, Griffith and Arcand2005; Chambers-Evans & Carnevale, Reference Chambers-Evans and Carnevale2005; Miller & Bolla, Reference Miller and Bolla1998). Ces échanges sur les directives anticipées peuvent avoir été faits verbalement ou par écrit et avoir été perçus différemment d’un participant à l’autre.
Dans le processus réflexif amenant à une décision, un des facteurs agissant sur le proche aidant et le patient âgé est la dynamique familiale (Boire-Lavigne, Reference Boire-Lavigne, Allard and Arcand2005; Caron et al., Reference Caron, Griffith and Arcand2005; Pasman et al., Reference Pasman, Mei The, Onwuteaka-Philipsen, Ribbe and van der Wal2004). Qu’elles soient harmonieuses ou conflictuelles, les relations familiales peuvent permettre de comprendre les choix et comportements du patient et de sa famille. Mieux comprendre cette dynamique apporte un éclairage concernant le soutien offert au patient âgé et, par le fait même, l’influence que ces dynamiques familiales auront sur les choix de traitement ou de soins. Enfin, chacun est influencé par sa préférence pour le lieu de soins. Dans leur modèle, Boire-Lavigne (Reference Boire-Lavigne, Allard and Arcand2005) et Pasman et al. (Reference Pasman, Mei The, Onwuteaka-Philipsen, Ribbe and van der Wal2004) mentionnent que l’environnement influence le processus décisionnel. Ainsi, la perception qu’a l’acteur de la maison de soins palliatifs, du domicile ou du centre hospitalier comme milieu offrant des soins palliatifs, a un effet certain sur le processus décisionnel. La préférence pour un milieu de soins plutôt qu’un autre va alors jouer sur les décisions qui seront prises par la suite en triade. Qui plus est, les ressources disponibles dans le milieu choisi et la perception qu’en a l’individu détermineront le choix des traitements. Ainsi, si le patient ou le proche aidant perçoit le centre hospitalier comme un endroit où l’on donne des soins à visée curative seulement, comme dans les unités de soins courants, il pourra s’attendre à recevoir des traitements beaucoup plus invasifs que ceux offerts en maison de soins palliatifs, là où les soins sont exclusivement axés sur le confort du patient.
Chez le patient âgé, il y a souvent un dilemme entre qualité et quantité de vie. Lorsque le patient préfère vivre plus longtemps (quantité), il sera davantage porté à accepter des traitements invasifs au risque de diminuer sa qualité de vie. Dans le cas contraire, une priorité à la qualité de vie peut mener à des choix exclusifs de confort plutôt que des traitements invasifs qui pourrait allonger de quelques jours ou semaines la vie du patient. L’aptitude du patient âgé à consentir aux soins est un autre facteur influençant le processus décisionnel. Cette aptitude à consentir évolue dans le temps, elle doit être évaluée par le médecin chaque fois qu’une décision est à prendre (Ferris et al., Reference Ferris, Balfour, Bowen, Farley, Hardwick and Lamontagne2002) car l’état cognitif du patient âgé en fin de vie peut se détériorer à cause de la médication ou l’évolution de la maladie. Dans notre modèle, il est important pour les acteurs impliqués de bien évaluer l’aptitude à consentir du patient âgé pour identifier s’il peut ou non participer activement au processus décisionnel en triade. Par ailleurs, il est rare que l’inaptitude appuyée par un mandat homologué soit le critère utilisé pour admettre que le patient n’est plus en mesure de participer aux décisions le concernant dans un contexte de soins palliatifs. C’est plutôt le médecin qui évalue la capacité du patient à participer ou non, et ce, à un moment précis. Dans ces cas, le médecin peut s’inspirer des critères de la Nouvelle Écosse pour faire son évaluation (Long & Robert, Reference Long and Robert1996). De plus, dans le cas d’un patient apte, la famille devrait être impliquée que si le patient l’autorise. En insérant cette sous catégorie, nous tenons donc compte du changement de rôle induit par l’aptitude variable du patient et, par conséquent, du moment où le processus peut se produire en dyade plutôt qu’en triade.
Enfin, le médecin est également influencé par certains facteurs spécifiques, notamment par les expériences professionnelles (Greipp, Reference Greipp1996) acquises auprès d’autres patients ou autres situations semblables. Le médecin effectue une évaluation clinique du patient âgé avant de faire connaître ses opinions à celui-ci et au proche aidant. Cette évaluation s’appuie sur le dossier médical du patient et sur les informations transmises par les autres professionnels de la santé et son examen du patient. Le médecin œuvrant dans un milieu de soins doit aussi se plier aux règles en vigueur. Les contraintes du milieu de soins comprennent la hiérarchie décisionnelle, les politiques institutionnelles, l’organisation des soins et les ressources disponibles (financières, instrumentales et humaines) (Brueckner et al., Reference Brueckner, Schumacher and Schneider2009; Dalton, Reference Dalton2003). Face à une situation de soin précise, le médecin sera guidé par les protocoles cliniques en vigueur dans son établissement (Boire-Lavigne, Reference Boire-Lavigne, Allard and Arcand2005; Dalton, Reference Dalton2003, Pasman et al., Reference Pasman, Mei The, Onwuteaka-Philipsen, Ribbe and van der Wal2004). Finalement, l’ordre professionnel du médecin l’oblige à respecter des normes de conduites traduites dans son code d’éthique et de déontologie (Boire-Lavigne, Reference Boire-Lavigne, Allard and Arcand2005; Greipp, Reference Greipp1996). Il doit également tenir compte de la loi interdisant certaines pratiques comme l’euthanasie ou le suicide assisté (Boire-Lavigne, Reference Boire-Lavigne, Allard and Arcand2005). Le médecin doit se plier aux aspects légaux concernant les droits des patients dont, entre autre, celui de l’abandon ou du refus de traitement (Fisher et al., Reference Fisher, Ross and MacLean2000) ainsi que de l’implication ou non d’un membre de la famille dans les décisions. Ces derniers sont intimement liés au principe du respect de l’autonomie et peuvent varier selon les provinces, états ou pays offrant les soins. Les choix qu’il privilégiera seront donc teintés de tout le contexte dans lequel il pratique et soumis aux règles régissant sa profession.
Attentes et attitudes face au rôle
Chacun des acteurs de la triade peut espérer jouer un rôle particulier dans les prises de décision concernant le traitement du patient âgé ou s’attendre à ce que les autres acteurs de la triade en jouent un. Ils peuvent vouloir endosser un rôle passif donc ne pas participer aux décisions et laisser les autres membres de la triade prendre les décisions. Aussi, ils peuvent vouloir agir de manière unilatérale et donc prendre une décision sans consulter les autres. Finalement, ils peuvent désirer prendre la décision en collaboration ce qui implique de partager l’information et de s’entendre pour en venir à une décision par consensus concernant les traitements (Bruera et al., Reference Bruera, Sweeney, Calder, Palmer and Benisch-Tolley2001, Reference Bruera, Willey, Palmer and Rosales2002, Degner et al., Reference Degner, Kristjanson, Bowman, Sloan, Carriere and O’Neil1997). Les différences dans les attentes et attitudes face au rôle de chacun des acteurs vont aussi influencer leur participation dans le processus décisionnel.
Niveau de confiance entre les acteurs
Dans toute relation thérapeutique, la confiance existant entre les acteurs impliqués est primordiale. Une des principales composantes d’une relation de qualité entre le patient âgé, son proche aidant et le médecin est la confiance que chacun porte à l’autre (Boire-Lavigne, Reference Boire-Lavigne, Allard and Arcand2005; Caron et al., Reference Caron, Griffith and Arcand2005). Ainsi, le choix de traitement effectué avec le médecin de garde peut être différent de celui fait avec le médecin connu de longue date et qui a toute la confiance du patient et de sa famille. La confiance module la communication qui existera entre les membres de la triade et permettra ou non la transmission de l’information. Par exemple, avoir confiance en son médecin peut faciliter la discussion et permettre aux acteurs une meilleure collaboration.
Communication entre les acteurs et compréhension mutuelle des enjeux cliniques et éthiques liés au choix thérapeutique
Cette section du modèle s’apparente à la « production d’alternatives » et à la « recherche d’informations » retrouvées dans le modèle de prise de décision par Carroll et Johnson (Reference Carroll and Johnson1990). L’importance d’une bonne communication entre les individus impliqués lors du processus décisionnel lié aux traitements a été soulevée, entre autres, par Miller et Bolla (Reference Miller and Bolla1998) et Chouliara et al. (Reference Chouliara, Kearney, Molassiotis and Miller2004a, Reference Chouliara, Miller, Stott, Molassiotis, Twelves and Kearney2004b). Dans ce contexte, il est possible pour les acteurs de partager leur point de vue personnel et professionnel (facteurs influençant la décision des participants, attentes et attitudes face au rôle). C’est dans cette partie du modèle que l’évaluation des informations reçues et comprises par chacun des acteurs de la triade est effectuée.
Comme nous l’avons dit précédemment, les aspects médicaux demeurent les plus souvent discutés avec les patients (Ford et al., Reference Ford, Fallowfield and Lewis1996; Tulsky et al., Reference Tulsky, Fischer, Rose and Arnold1998; Verhaak et al., Reference Verhaak, Kraaimaat, Staps and van Daal2000). Ainsi, toute l’information concernant l’évaluation de l’état de santé du patient âgé est abordée. La communication touche donc les aspects médicaux, par exemple, les effets de la maladie, l’espérance de vie, les symptômes vécus par le patient âgé, les effets secondaires et les bénéfices des traitements disponibles. Enfin, il faut tenir compte des choix thérapeutiques disponibles selon l’évaluation faite de la situation.
Tous les aspects psychosociaux, dont les préoccupations et les émotions vécues par les membres de la triade, peuvent être nommés grâce à une bonne communication (Ford et al., Reference Ford, Fallowfield and Lewis1996; Richard, Lussier & Kurtz, Reference Richard, Lussier, Kurtz, Richard and Lussier2005; Way et al., Reference Way, Back and Curtis2002). Il pourrait être juste de dire que, selon le niveau d’écoute des idées, préoccupations, attentes, émotions et sentiments vécus par les membres de la triade, la décision risque d’être plus satisfaisante pour tous. Il a été démontré que les patients souhaitent partager ces aspects des soins mais que souvent les médecins ne les abordent pas (Butow et al., Reference Butow, Dowsett, Hagerty and Tattersall2001; Friedrichsen et al., Reference Friedrichsen, Stang and Calsson2000; Sapir et al., Reference Sapir, Catane, Kaufman, Isacson, Segal and Wein2000).
Les décisions de traitement en soins palliatifs poussent les acteurs à s’interroger sur les aspects éthiques (Boire-Lavigne, Reference Boire-Lavigne, Allard and Arcand2005; Greipp, Reference Greipp1996), ou plus particulièrement, sur ce qui est important pour eux. Les enjeux éthiques mettent généralement en lumière des valeurs sous-jacentes à des pratiques personnelles et professionnelles. Les valeurs teintent nos pensées et croyances relativement à une situation précise. Elles sont mentionnées dans le modèle en dyade de Greipp (Reference Greipp1996) (approche par principes) et celui de Boire-Lavigne (Reference Boire-Lavigne, Allard and Arcand2005) (la moralité). Dans notre modèle les quatre principes de Beauchamp et Childress (2008) ont été privilégiés et les dimensions propres au concept de la moralité n’ont pas été incluses par souci de ne pas complexifier la modélisation. Les enjeux éthiques se rapportent donc ici aux conflits entre des principes éthiques comme le respect de l’autonomie, la bienfaisance, la non-malfaisance et la justice (Beauchamp & Childress, Reference Beauchamp and Childress2008; Cartwright, Reference Cartwright2000; Greipp, Reference Greipp1996). Ainsi, le principe du respect de l’autonomie se fonde sur la valeur selon laquelle l’individu est apte à prendre des décisions rationnelles pour lui-même (Beauchamp & Childress, Reference Beauchamp and Childress2008; Saint-Arnaud, Reference Saint-Arnaud2001). Le principe de la bienfaisance correspond à faire le bien à autrui (Beauchamp & Childress, Reference Beauchamp and Childress2008, Durand, Reference Durand1999). Le principe de la non-malfaisance consiste à ne pas faire du mal à autrui (Beauchamp & Childress, Reference Beauchamp and Childress2008; Fisher et al., Reference Fisher, Ross and MacLean2000; Saint-Arnaud, Reference Saint-Arnaud2001). Finalement, le principe de la justice est guidé par l’équité (Beauchamp & Childress, Reference Beauchamp and Childress2008; Saint-Arnaud, Reference Saint-Arnaud2001). À titre d’exemple, nous pensons à l’augmentation de la sédation reliée à un traitement avec narcotiques. Cette situation peut être évaluée par le médecin comme de la non-malfaisance mais jugée malfaisante par le patient ou sa famille. Ces enjeux éthiques pourraient être résolus à l’aide de l’échange communicationnel de la triade de soins. Chacun des acteurs peut privilégier un principe plutôt qu’un autre et s’en inspirer dans son partage avec les autres.
Contexte d’interaction entre les acteurs de la triade : Attitude de collaboration entre les membres de la triade
Lors d’interactions entre les trois acteurs, chacun influence la décision à venir par son attitude. L’attitude idéale, soit celle de collaboration, variant dans le temps et selon les circonstances, se traduit par la recherche d’un consensus. Selon certains auteurs, le consensus s’avère le seul recours pour régler les différents vécus en interrelation (Savard, Reference Savard and Parizeau1995). La décision en consensus découle d’un processus où chacun des acteurs participe activement aux discussions et exprime ses désaccords sans contrainte, tout en s’abstenant d’éviter ou de neutraliser rapidement les conflits pouvant émaner de la situation (Bégin, Reference Bégin and Parizeau1995). Dans un tel contexte, le patient âgé, le proche aidant et le médecin collaborent pour en arriver à une décision commune répondant aux besoins et attentes de chacun. Dans certains cas, le recours au compromis pourra être utilisé (Bégin, Reference Bégin and Parizeau1995), ou encore, si l’impasse décisionnelle perdure même après avoir tenté d’arriver à un consensus, la médiation peut être utilisée (Quill & McCann, Reference Quill, McCann, Morrison and , Meier2003). Cette méthode de résolution de conflits demande, par contre, à un acteur externe impartial de venir agir en tant que conciliateur.
Dans notre modèle, l’introduction du concept de consensus vise aussi à remédier au cadre restrictif de la catégorie coalition retrouvée chez Dalton (Reference Dalton2003). Selon elle, toute situation de prise de décision en triade implique une inévitable coalition, soit une entente entre deux des trois membres de la triade de soins (patient-médecin contre aidant; patient-aidant contre médecin; médecin-aidant contre patient). Cette situation théorique élimine donc la possibilité de consensus entre les trois acteurs, ce qui ne correspond pas à ce qui est inscrit dans les travaux de Savard (Reference Savard and Parizeau1995) et Bégin (Reference Bégin and Parizeau1995). Finalement, dans notre modèle, tenant compte des cas où le consensus semble impossible, le terme coalition est remplacé par celui de collusion, qui nous semble plus juste dans le contexte de négociation des soins.
Décision et ses effets
Suite aux échanges entre les membres de la triade de soins (patient âgé, proche aidant et médecin), le choix thérapeutique s’effectue (Carroll & Johnson, Reference Carroll and Johnson1990; Dalton, Reference Dalton2003; Greipp, Reference Greipp1996; Levine & Whelan, Reference Levine and Whelan2001; Pasman et al., Reference Pasman, Mei The, Onwuteaka-Philipsen, Ribbe and van der Wal2004), suivi de l’application de la décision. L’étape du choix et de l’action présente dans le modèle de Carroll et Jonhson (Reference Carroll and Johnson1990) s’apparente à cette partie du modèle.
Après le choix thérapeutique et sa mise en œuvre, les effets de cette décision sur le patient peuvent être observés par chacun des acteurs de la triade. Carroll et Johnson (Reference Carroll and Johnson1990) associent cette étape à une rétroaction et Dalton (Reference Dalton2003) la désigne par l’évaluation du résultat de la décision. Il est alors possible de vérifier l’atteinte des buts, la satisfaction générale et le niveau d’autonomie de chacun (Dalton, Reference Dalton2003). Cette étape est essentielle car elle permet de poser un regard sur la justesse du choix ou de sa mise en application.
Les effets de la décision thérapeutique et l’évolution de la condition du patient peuvent forcer des participants à revenir sur la décision et donc à recommencer le processus décisionnel pour maintenir ou modifier la décision. Le processus décisionnel concernant des décisions thérapeutiques est donc itératif.
Conclusion
Nous avons présenté dans cet article un modèle permettant d’illustrer le processus décisionnel par lequel évoluent les acteurs de la triade (patient âgé, proche aidant et médecin). Il schématise les informations à considérer par les médecins lorsqu’ils font face à une prise de décision en collaboration. Tel qu’exposé, notre modèle repose sur une recension des écrits portant sur la problématique des prises de décision de traitement. Nous avons premièrement repéré et critiqué les modèles décisionnels existants; deuxièmement, effectué une recension des écrits sur les éléments pouvant agir sur les décisions, sur les rôles de chacun des acteurs de la triade et sur la communication entre ces acteurs; et finalement, réalisé la dérivation théorique en amalgamant, sous forme de modèle, les connaissances qui aident à comprendre le processus décisionnel selon le point de vue de chacun des membres de la triade de soins.
À notre connaissance, aucun modèle ne traite simultanément du processus décisionnel lié au choix de traitement du triple point de vue du patient, du proche aidant et du médecin, dans un contexte de soins palliatifs. Le développement d’un nouveau modèle qui permet de mieux comprendre la perspective des acteurs de la triade de soins en interrelation pourrait s’avérer utile à plusieurs niveaux malgré le fait qu’il possède lui aussi certaines faiblesses.
Nous devons ainsi reconnaître que ce modèle s’applique, au départ à un patient âgé apte, lequel doit aussi avoir un proche aidant présent, ce qui limite la possibilité de généralisation à d’autres contextes ou clientèles. Notre modèle guide les prises de décision sans pour autant couvrir explicitement la procédure à suivre en cas de conflit. Il propose plutôt deux méthodes dont la médiation et la conciliation. Finalement, il n’aborde pas la manière dont les informations devraient être transmises d’un acteur à l’autre.
Nonobstant ces limites, le modèle théorique proposé peut servir de cadre de référence pour des études en soins palliatifs. Il permet de mieux documenter la dynamique de la prise de décision et peut fournir des pistes de recherche intéressantes pour étudier d’autres éléments de la réalité clinique. Nous pouvons également mieux saisir la place réelle que prennent les proches aidants, ce qui semble peu étudié lorsque l’aîné est encore capable de prendre ses décisions.
C’est par l’acte communicationnel que les acteurs peuvent arriver à une décision par consensus. Conséquemment, les échanges entre les acteurs de la triade favorisent des décisions claires (Steinhauser et al., Reference Steinhauser, Clipp, McNeilly, Christakis, McIntyre and Tulsky2000). L’application d’un tel modèle peut mener à l’identification des éléments pouvant créer des dissonances, des zones d’inconfort ou d’incompréhension entre les acteurs. Il permet de dégager des pistes de discussion si une impasse se présente. Ainsi, le modèle de prise de décision en triade proposé est un outil de soutien pouvant permettre aux médecins de diriger les discussions pour en arriver à clarifier les décisions et dissiper les malentendus.
Fait à noter dans plusieurs cultures, par exemple la culture aborigène et hindouiste (Coward & Sidhu, Reference Coward and Sidhu2000; Ellerby, McKensie, McKay, Gariépy, & Kaufert, Reference Ellerby, McKenzie, McKay, Gariépy and Kaufert2000), les décisions se prennent généralement en famille ce qui justifie l’utilisation d’un modèle triadique auprès de cette population. Finalement, si ce modèle est mieux connu et intégré par les professionnels, on peut espérer qu’il influencera positivement la qualité des soins, et ce faisant, la qualité de vie des patients âgés en fin de vie.
Nous croyons que ce nouveau modèle est mieux adapté au contexte de soins palliatifs que les précédents. Il utilise les acquis des modèles préexistants tout en les bonifiant en fonction des connaissances actuelles sur la population de patients âgés, de familles et de médecins en soins palliatifs. Il tient donc compte de la relation patient-médecin mais également de celle que ces deux acteurs ont avec le proche aidant. Cette dynamique triadique est particulière à la philosophie des soins palliatifs qui se veut une approche holistique des soins de fin de vie. Il faut se rappeler que selon le « Modèle guide des soins palliatifs » publié par l’Association canadienne de soins palliatifs, l’équipe de soins se compose de ces trois groupes d’acteurs (Ferris et al., Reference Ferris, Balfour, Bowen, Farley, Hardwick and Lamontagne2002) ce qui justifie très bien la pertinence d’un tel modèle.