Attitudes et perception de contrôle des personnes âgées envers la prise de médicaments à action anxiolytique, sédative et hypnotique (ASH).
Selon les termes du Conseil du Médicament du Québec (2004, p. 1), l’usage optimal des médicaments consiste en « un usage qui en maximise les bienfaits et en minimise les risques pour la santé, en tenant compte des diverses possibilités d’interventions, des coûts et des ressources disponibles, des valeurs des patients et des valeurs sociales ». Or, la consommation de psychotropes par les personnes âgées est loin d’être optimale et effectivement elle constitue un problème sérieux de santé publique. Les médicaments à action anxiolytique, sédative et/ou hypnotique (ASH), parmi lesquels figurent éminemment les benzodiazépines (BZ), en constituent un cas particulier. La consommation de ces médicaments par les personnes âgées est un sujet de préoccupation. Aux États-Unis, en 1991, les personnes âgées de 65 ans recevaient 27 pour cent des BZ prescrites comme tranquillisants et 38 pour cent des BZ prescrites comme somnifères, bien en excès de leur représentativité dans la population (13%) (Cohen et Collin, Reference Cohen and Collin1997). Des enquêtes européennes rapportent des résultats similaires. En France, 25,2 pour cent des personnes âgées de 65 ans et plus consomment des tranquillisants (CFES, 2001). Une autre étude européenne révèle que 28,7 pour cent des personnes âgées de plus de 65 ans consomment des calmants ou somnifères et que 23 pour cent font usage de BZ (Lechevallier, Fourrier, et Berr, Reference Lechevallier, Fourrier and Berr2003). Au Québec, une étude récente (Voyer et al., Reference Voyer, Cohen, Préville, Roussel-Roy, Berbiche and Béland2008), menée auprès de 2785 personnes âgées de 65 ans et plus (moyenne = 74 ans), a rapporté que 25,4 pour cent de ces personnes consommaient des BZ.
Cette consommation de psychotropes a des répercussions importantes sur la santé mentale et physique des aînés. De fait, les effets indésirables des médicaments s’avèrent plus fréquents chez les personnes âgées en raison des effets du vieillissement sur le métabolisme, d’un usage plus fréquent de médicaments, d’un emploi concomitant de plusieurs médicaments et de l’utilisation sur de longues périodes (Grenier et Barbeau, Reference Grenier, Barbeau, Barbeau, Guimond and Mallet1991). En effet, avec la progression de l’âge, les BZ à longue durée d’action ont tendance à s’accumuler dans l’organisme, étant donné que les processus d’absorption, de distribution, de métabolisation et d’élimination se déroulent plus lentement, ce qui aboutit à un effet sédatif plus fort. Il faut ajouter que les personnes âgées qui prennent ces médicaments présentent aussi un plus grand risque de chutes (Sorock et Shimkin, Reference Sorock and Shimkin1988; Tinetti, Speechley, et Gineter, Reference Tinetti, Speechley and Gineter1988), de plus grands risques de fractures de la hanche (Ray, Griffin, et Downey, Reference Ray, Griffin and Downey1989) et d’accidents de voiture (Hemmelgarn, Suissa, Huang, Boivin, et Pinard, Reference Hemmelgarn, Suissa, Huang, Boivin and Pinard1997).
Plusieurs études se sont penchées sur les indicateurs sociodémographiques et variables de santé reliés à la consommation de ces médicaments à action ASH au sein des personnes âgées. Parmi ceux-ci, notons : l’âge (Fortin et al., Reference Fortin, Préville, Ducharme, Hébert, Allard, Grégoire, Trottier and Bérard2006; Oude Voshaar et al., Reference Oude Voshaar, Gorgels, Mol, van Balkom, Breteler and van de Lisdonk2006; Zandstra et al., Reference Zandstra, van Rijswijk, Rijnders, van de Lisdonk, Bor and van Weel2004), le statut de personne seule (c’est-à-dire, célibataire, séparé, divorcé ou veuf) (Gray, Eggen, Blough, Buchner, et LaCroix, Reference Gray, Eggen, Blough, Buchner and LaCroix2003; Gustafsson, Isacson, Thorslund, et Sörbom, Reference Gustafsson, Isacson, Thorslund and Sörbom1996; Jorm, Grayson, Creasey, Waite, et Broe, Reference Jorm, Grayson, Creasey, Waite and Broe2000; Laurier, Dumas, et Grégoire, Reference Laurier, Dumas and Grégoire1992; Swartz et al., Reference Swartz, Landeman, George, Melville, Blazer and Smith1991; Zandstra et al., Reference Zandstra, van Rijswijk, Rijnders, van de Lisdonk, Bor and van Weel2004), le sexe féminin (Dealberto, McAvay, Seeman, et Berkman, Reference Dealberto, McAvay, Seeman and Berkman1997; Fortin et al., Reference Fortin, Préville, Ducharme, Hébert, Allard and Grégoire2005, Fortin et al.,Reference Fortin, Préville, Ducharme, Hébert, Allard, Grégoire, Trottier and Bérard2006; Gray et al., Reference Gray, Eggen, Blough, Buchner and LaCroix2003; Neutel, Reference Neutel2005; Pérodeau, King, et Ostoj, Reference Pérodeau and Ostoj1992; Voyer, Préville, Roussel, Berbiche, et Berland, Reference Voyer, Préville, Roussel, Berbiche and Berland2009), une mauvaise santé physique (Allard, Allaire, Leclerc, et Langlois, Reference Allard, Allaire, Leclerc and Langlois1995; Bourque, Blanchard, Sadéghi, et Arseneault, Reference Bourque, Blanchard, Sadéghi and Arseneault1991; Gustafsson et al., Reference Gustafsson, Isacson, Thorslund and Sörbom1996; Hendricks, Johnson, Sheahan, et Coons, Reference Hendricks, Johnson, Sheahan and Coons1991), une évaluation négative de son état de santé propre (Pérodeau et Ostoj, Reference Pérodeau and Ostoj1990), la présence d’anxiété (Crabb, Reference Crabb2008; Marinier, Pihl, Wilford, et Lapp, Reference Marinier, Pihl, Wilford and Lapp1985; Parr, Kavanagh, Young, et McCafferty, Reference Parr, Kavanagh, Young and McCafferty2006; Simon et Ludman, Reference Simon and Ludman2006; Taylor, McCracken, Wilson, et Copeland, Reference Taylor, McCracken, Wilson and Copeland1998; Voyer et al., Reference Voyer, Préville, Roussel, Berbiche and Berland2009) et la présence de problèmes de sommeil (Parr et al., Reference Parr, Kavanagh, Young and McCafferty2006 ; Simon et Ludman, Reference Simon and Ludman2006; Voyer, Cohen, Lauzon, et Collin, Reference Voyer, Cohen, Lauzon and Collin2004).
Parmi les autres indicateurs personnels et sociaux liés à la consommation de BZ chez les personnes âgées, on peut noter : le rôle de la famille (mauvaises relations familiales, incitation au recours aux BZ) (Allard et al., Reference Allard, Allaire, Leclerc and Langlois1995; Mishara, Reference Mishara1996; Pérodeau, Paradis, Ducharme, Collin, et St-Jacques, Reference Pérodeau, Paradis, Ducharme, Collin, St-Jacques, Levy, Maisonneuve, Bilodeau and Garnier2003), le rôle du médecin de famille (c’est-à-dire, la difficulté à refuser un médicament, la crainte de perdre la clientèle, l’incertitude face à un diagnostic, un volume de pratique élevée, un sentiment de responsabilité limitée envers les patients, un manque de connaissances au sujet des problèmes vécus pas la clientèle âgée) (Beall, Baumhover, Maxwell, et Pieroni, Reference Beall, Baumhover, Maxwell and Pieroni1996; Bradley, Reference Bradley1992; Chinburapa, Larson, et Brucks, Reference Chinburapa, Larson and Brucks1993; Cormack et Howells, Reference Cormack and Howells1992; Davidson, Molly, Somers, et Bédard, Reference Davidson, Molly, Somers and Bédard1994; Hartzema et Christensen, Reference Hartzema and Christensen1983; Monette, Tamblyn, McLeod, Gayton, et Laprise, Reference Monette, Tamblyn, McLoed, Gayton and Laprise1994), une attitude favorable aux BZ (Clinthorne, Cisin, Balter, Mellinger, et Unlenhuth, Reference Clinthorne, Cisin, Balter, Mellinger and Unlenhuth1986; Fortin et al., Reference Fortin, Préville, Ducharme, Hébert, Allard, Grégoire, Trottier and Bérard2006; Illife et al., Reference Illife, Curran, Collins, Yuen, Fletcher and Woods2004; Manheimer et al., Reference Manheimer, Davidson, Balter, Mellinger, Cisin and Parry1973; Pérodeau et Ostoj, Reference Pérodeau and Ostoj1990; Pérodeau et al., Reference Pérodeau, King and Ostoj1992, Reference Pérodeau, Grenon, Préville, Savoie-Zajc, Forget and Green-Demers2006; van Hulten et al., Reference van Hulten, Bakker, Lodder, Teeuw, Bakker and Leufkens2001, Reference van Hulten, Bakker, Lodder, Teeuw, Bakker and Leufkens2003) ainsi que, de façon plus rarissime dans la documentation scientifique, le fait de ressentir peu de contrôle (van Hulten et al., Reference van Hulten, Bakker, Lodder, Teeuw, Bakker and Leufkens2001, Reference van Hulten, Bakker, Lodder, Teeuw, Bakker and Leufkens2003).
La recherche dans le domaine s’est donc surtout appliquée à examiner les variables sociodémographiques et les facteurs de santé associés à la consommation de médicaments à action ASH. Très peu d’études se sont penchées sur la contribution de variables de nature plus personnelle, telles que les attitudes et les perceptions des individus. Un modèle théorique intéressant pour aborder ces questions est proposé par la Théorie du Comportement Planifié (TCP) (Azjen, Reference Ajzen1988, Reference Ajzen1991, Reference Ajzen2001). Cette théorie s’articule autour des notions suivantes: (1) les attitudes au sujet des conséquences d’un comportement et l’évaluation des conséquences (attitudes comportementales); (2) les attitudes au sujet des attentes normatives (pression sociale) et la motivation à satisfaire ces attentes (attitudes normatives ou normes subjectives); (3) les attitudes à propos des facteurs pouvant faciliter ou contrecarrer la performance d’un comportement et le pouvoir perçu de ces facteurs (attitudes de contrôle ou perception de contrôle). Ces trois types d’attitudes conduisent à l’intention d’adopter un comportement. En général, plus l’attitude et les normes subjectives sont favorables à un comportement donné et plus le contrôle perçu sur le comportement est faible, plus la personne devrait être amenée à produire le comportement en question.
Depuis une vingtaine d’années la Théorie du Comportement Planifié a servi à comprendre l’intention d’adopter une série de comportements liés à la santé tels que la participation à un programme de conditionnement physique (Blue, Marrero, et Black, Reference Blue, Marrero and Black2008; Fortier, Kowal, Lemyre, et Orpana, Reference Fortier, Kowal, Lemyre and Orpana2009; Hales, Evenson, Wen, et Wilcox, Reference Hales, Evenson, Wen and Wilcox2010), et la participation à des examens de dépistage et de prévention de la maladie (Kim, Park, Hong, Lee, et Kim, Reference Kim, Park, Hong, Lee and Kim2010). La Théorie du Comportement Planifié a aussi été appliquée au domaine de la prescription et de la consommation de médicaments (Légaré, Godin, Dodin, Turcot-Lemay, et Leperrière, Reference Légaré, Godin, Dodin, Turcot-Lemay and Laperrière2003; van Hulten et al., Reference van Hulten, Bakker, Lodder, Teeuw, Bakker and Leufkens2001, Reference van Hulten, Bakker, Lodder, Teeuw, Bakker and Leufkens2003). En ce qui a trait précisément à la variable des attitudes envers le comportement de recourir aux médicaments à action ASH, plusieurs chercheurs (Clinthorne et al., Reference Clinthorne, Cisin, Balter, Mellinger and Unlenhuth1986; Fortin et al., 2007; Illife et al., Reference Illife, Curran, Collins, Yuen, Fletcher and Woods2004; Manheimer et al., Reference Manheimer, Davidson, Balter, Mellinger, Cisin and Parry1973; Pérodeau et Ostoj, Reference Pérodeau and Ostoj1990; Pérodeau et al., Reference Pérodeau, King and Ostoj1992, Reference Pérodeau, Grenon, Préville, Savoie-Zajc, Forget and Green-Demers2006; van Hulten et al., Reference van Hulten, Bakker, Lodder, Teeuw, Bakker and Leufkens2001, Reference van Hulten, Bakker, Lodder, Teeuw, Bakker and Leufkens2003) ont rapporté que cette variable en prédisait la consommation dans des populations de personnes âgées. Van Hulten et collaborateurs (Reference van Hulten, Bakker, Lodder, Teeuw, Bakker and Leufkens2001) ont aussi démontré que l’attitude constituait un prédicteur significatif de l’intention d’utiliser des benzodiazépines à court terme (< 6 mois). Plus récemment, van Hulten et collaborateurs (Reference Voyer and Martin2003) ont reproduit ce résultat auprès de consommateurs âgés qui en faisaient un usage de longue date (> 12 mois). Enfin, Iliffe et collègues (2004) ont établi que ce sont les attitudes envers l’efficacité des sédatifs-hypnotiques qui incitent les personnes âgées à cesser ou non la prise du médicament. En ce qui a trait à la variable des normes subjectives, la littérature nous informe que celle-ci s’avère être le prédicteur le plus faible de l’intention comportementale parmi les variables de la TCP (Armitage et Conner, Reference Armitage and Conner2001; Shepperd, Hartwick, et Warshaw, Reference Shepperd, Hartwick and Warshaw1988; van der Putte, Reference van der Putte1991). La faiblesse de cette composante tiendrait surtout au fait que les individus dont les actions sont motivées par la pression sociale perçue ne constitueraient qu’une minorité (Trafimow et Finlay, Reference Trafimow and Finlay1996). Cela dit, cette question de l’importance relative des normes subjectives reste largement ouverte en ce qui concerne le phénomène du recours aux médicaments à action ASH par les personnes âgées. Enfin, les méta-analyses couvrant les études sur les variables de la TCP en lien avec des comportements liés à la santé (p.ex., cesser de fumer la cigarette, faire de l’exercice, prendre des suppléments vitaminiques) ont clairement démontré que la perception de contrôle constituait un important prédicteur du comportement, expliquant, selon les études, entre 7 et 12 pour cent de la variance d’un comportement (Godin et Kok, Reference Godin and Kok1996).Dans le domaine particulier de la consommation de BZ, van Hulten et collaborateurs (Reference Voyer and Martin2003) ont démontré que la perception d’une inaptitude à en cesser la consommation par soi-même était liée à la consommation actuelle de ce type de médicament chez des consommateurs âgés de longue durée (> 12 mois). Ces chercheurs ont ajouté que le fait de ressentir peu de contrôle était un facteur encore plus important chez les personnes qui avaient recours à une BZ à haut potentiel de dépendance.
Ainsi, plusieurs facteurs de différents ordres peuvent contribuer à prédire la consommation de psychotropes en général et de BZ en particulier chez les personnes âgées. Les études sur le sujet sont limitées par l’absence de modèles théoriques sous-tendant l’examen des variables potentiellement impliquées. La Théorie du Comportement Planifié (Azjen, Reference Ajzen1988) permet d’investiguer la contribution de plusieurs variables clés dans le recours aux BZ par les personnes âgées. Elle présente l’avantage de considérer en même temps trois notions qui apparaissent centrales dans la compréhension du phénomène de consommation de médicaments à action ASH, plus précisément de BZ, à savoir les attitudes envers le comportement, les normes subjectives et la perception de contrôle. Cette théorie constitue, d’après Légaré, Dodin et Godin (Reference Légaré, Dodin and Godin1995), « un modèle de prédiction du comportement le plus développé à ce jour et elle a fait l’objet de plusieurs études appliquées ayant porté sur divers comportements liés à la santé » (p. 9). De plus, la TCP présente l’avantage potentiel de fournir aux professionnels de la santé des informations clés leur permettant d’agir sur certaines composantes directement liées à la consommation de ces médicaments. En effet, elle se centre sur la description de comportements qui sont sous la volonté de la personne, c’est-à-dire sous un contrôle qui lui est intrinsèque (Godin et Kok, Reference Godin and Kok1996).
La présente étude vise à déterminer l’importance relative des variables constituant la TCP (attitudes envers le comportement, normes subjectives, perception de contrôle) sur (1) la consommation actuelle de médicaments à action ASH, (2) l’intention de poursuivre la prise de médicaments à action ASH chez les consommateurs et (3) l’intention de débuter la prise de médicaments à action ASH chez les non-consommateurs.
Puisque les recherches existantes, recensées plus haut, indiquent que l’âge plus avancé, le sexe féminin, le statut de personne seule (en l’occurrence célibataire, séparé, divorcé ou veuf), une perception de plus mauvaise santé, une plus forte anxiété, des problèmes de sommeil plus importants sont reliés à la consommation de BZ chez les personnes âgées, il était indiqué d’inclure ces variables avec ces hypothèses dans notre étude, en sus des hypothèses spécifiques à la TCP, à savoir qu’une attitude plus positive envers les médicaments psychotropes (plus précisément les BZ), la perception d’une pression et d’une attitude plus favorable de la part de la famille et du médecin, ainsi que le fait de ressentir moins de contrôle envers la prise de BZ, seraient prédictrices de la consommation actuelle de médicaments à action ASH, de même que de l’intention d’en poursuivre (pour les consommateurs) et d’en débuter (pour les non-consommateurs) la prise.
Méthodologie
Procédure
Les participants ont été recrutés dans la communauté par l’entremise d’affiches et de courriels envoyés à diverses associations et maisons de retraite, des CLSC (centres locaux de services communautaires), hôpitaux et cliniques médicales de la région de l’Outaouais, Québec, ainsi que par des annonces dans les médias.
Les critères d’inclusion étaient : (a) être âgé d’au moins 55 ans (le critère d’âge a été abaissé à cet âge pour pouvoir inclure dans l’échantillon des femmes ménopausées; il est connu que, chez ces dernières, l’absence de recours à l’hormonothérapie de remplacement a un impact direct sur la résurgence de problématiques liées au sommeil, plus précisément d’insomnie (Brim, Ryff, et Kessler, Reference Brim, Ryff and Kessler2004) et donc d’influencer la prise de BZ]; (b) bonne connaissance du français; (c) vivre de manière autonome dans la communauté. Les critères d’exclusion étaient: (a) présenter une atteinte cognitive telle qu’évaluée au moyen de l’Échelle de Statut Mental Modifiée (3MS) (voir Mesures pour les seuils utilisés); (b) indication par la personne que ses conditions de santé ne lui permettent pas de participer (p.ex., arthrose, handicap visuel et/ou auditif, paralysie).
Deux formulaires de consentement furent créés pour les fins de l’étude, le premier, en réponse aux exigences du Comité d’ethique de la recherche en sciences sociales et humanités de l’Université d’Ottawa, et le second, en réponse aux exigences du Comité d’ethique de la recherche du Centre de santé et des services sociaux de Gatineau, pour permettre le recrutement de participants via les centres locaux de services communautaires (CLSC) ainsi que le Centre Hospitalier des Vallées de l’Outaouais (CHVO) de Gatineau (secteur Gatineau et Hull). Dans les deux cas, le recrutement s’est déroulé principalement par le biais d’une affiche apposée sur les murs des salles d’attente des cliniques médicales, cliniques privées, CLSC et hôpitaux de l’Outaouais. En ce qui a trait au recrutement de participants via la Clinique Médicale de Touraine, une lettre d’invitation co-signée par la chercheure et le médecin traitant a été remise à toutes les personnes rencontrant les critères d’inclusion et d’exclusion du projet de recherche. À cela s’est ajouté l’envoi d’un courriel qui reprenait les grandes lignes de la publicité utilisée dans les cliniques médicales et hôpitaux, par : (a) l’Académie des Retraités de l’Outaouais (ARO) ; (b) l’Association Nationale des Retraités Fédéraux (ANRF), district de l’Outaouais ; (c) l’Association des Retraités de l’Éducation du Québec (AREQ), district de l’Outaouais, à tous leurs membres. Par ailleurs, le recrutement de participants via Les Jardins Bellerive, a été rendu possible grâce à l’intervention de l’infirmière du centre avec laquelle nous avons établi une liste de candidats potentiels pouvant participer au projet de recherche, sur la base des critères d’inclusion et d’exclusion de celui-ci.
Les personnes intéressées par le projet de recherche ont été contactées individuellement, informées du propos de la recherche et invitées à prendre rendez-vous avec la chercheure. Selon les préférences et la mobilité du participant, les rencontres pouvaient se dérouler : (a) au bureau de l’étudiante situé sur le campus de l’Université d’Ottawa ; (b) dans un local de l’Académie des Retraités de l’Outaouais ; (c) dans un local de la Clinique Médicale de Touraine ou ; (d) dans un local des Jardins Bellerive. Afin d’éliminer l’effet de problèmes de vision ou d’écriture causés par un handicap quelconque ou simplement en raison de l’âge avancé du participant, les questionnaires furent administrés dans le cadre d’une entrevue d’une durée approximative de 45 à 75 minutes. Avant de débuter l’entrevue, chaque participant devait prendre connaissance du formulaire de consentement et le signer pour attester de sa participation volontaire au projet de recherche. Par la suite, nous avons administré le 3MS pour dépister un déficit cognitif chez le participant. Dans le cas où le participant présentait un déficit cognitif décelé à l’aide du 3MS, une lettre lui expliquant les limites de cet instrument lui était remise de même que diverses ressources à contacter. Les personnes ne présentant pas de déficit cognitif selon les normes envisagées ont ensuite répondu aux questionnaires de l’étude.
Mesures d’exclusion et de contrôle
Échelle de Statut Mental Modifiée (3MS)
L’Échelle de Statut Mental Modifiée (3MS) (Teng, Chui, Hubbard, et Corgiat, Reference Teng, Chui, Hubbard and Corgiat1987) est un instrument d’évaluation du fonctionnement cognitif général. Cet instrument a été utilisé comme mesure d’exclusion pour la sélection des participants de l’étude. Il comprend 15 items groupés sous 9 catégories: (a) Orientation spatiale; (b) Enregistrement de trois mots; (c) Réversibilité mentale; (d) Rappel de trois mots; (e) Orientation temporelle; (f) Langage; (g) Associations sémantiques; (h) Construction visuelle; (i) Deuxième rappel de trois mots (Hébert, Bravo, et Girouard, Reference Hébert, Bravo and Girouard1992). Le score maximal est de 100 points. Selon les données de Cappeliez et collègues (Reference Cappeliez, Quintal, Blouin, Gagné, Bourgeois and Finlay1996), pour une personne avec 8 années ou plus de scolarité, un score inférieur à 80 indique que le fonctionnement cognitif est compromis. Pour un participant avec 7 années ou moins de scolarité, il s’agit d’un score inférieur à 72. Le temps d’administration de cet instrument est de 5 à 10 minutes et l’adaptation française du 3MS jouit de bonnes propriétés psychométriques: cohérence interne de 0,89 (Hébert et al., Reference Hébert, Bravo and Girouard1992) et de 0,80 (Cappeliez et al., Reference Cappeliez, Quintal, Blouin, Gagné, Bourgeois and Finlay1996), fidélité test-retest de 0,94 (Hébert et al., Reference Hébert, Bravo and Girouard1992).
Inventaire d’Anxiété Situationnelle et de Trait d’Anxiété (IASTA)
La version française de l’échelle de trait (Forme Y2) du State-Trait Anxiety Inventory (Spielberger, Reference Spielberger1983) a été utilisée dans le but d’évaluer le niveau habituel d’anxiété des participants qui, d’après plusieurs études (Crabb, Reference Crabb2008; Marinier et al., Reference Marinier, Pihl, Wilford and Lapp1985; Parr et al., Reference Parr, Kavanagh, Young and McCafferty2006; Simon et Ludman, Reference Simon and Ludman2006; Taylor et al., Reference Taylor, McCracken, Wilson and Copeland1998), contribue à l’explication du recours aux ASH par les personnes âgées. Cet instrument a été validé auprès de personnes âgées (Bouchard, Gauthier, Ivers, et Paradis, Reference Bouchard, Gauthier, Ivers and Paradis1996; Bouchard, Ivers, Gauthier, Pelletier, et Savard, Reference Bouchard, Ivers, Gauthier, Pelletier and Savard1998; Gauthier et Bouchard, Reference Gauthier and Bouchard1993). Les items de ce questionnaire couvrent les domaines suivants: (a) tension; (b) appréhension; (c) nervosité; (d) activité cognitive; (e) anxiété motrice. Le score global varie entre 20 et 80. En ce qui a trait aux propriétés psychométriques de l’IASTA, Gauthier et Bouchard (Reference Gauthier and Bouchard1993) précisent que les versions française et anglaise sont statistiquement équivalentes. La consistance interne de la forme Y2 est de 0,90 (Gauthier et Bouchard, Reference Gauthier and Bouchard1993). Plus précisément pour une population âgée de 65 ans et plus, Bouchard et ses collaborateurs (Reference Bouchard, Ivers, Gauthier, Pelletier and Savard1998) rapportent une fidélité test-retest de 0,88 pour l’échelle de trait d’anxiété (intervalle de 35 jours). La consistance interne de l’échelle de trait est de 0,90 pour des échantillons de la population adulte d’âges variés (Gauthier et Bouchard, Reference Gauthier and Bouchard1993).
Indice de Qualité du Sommeil de Pittsburgh (IQSP)
Il s’agit de la version française du Pittsburgh Sleep Quality Index (PSQI) (Blais, Gendron, Mimeault, et Morin, Reference Blais, Gendron, Mimeault and Morin1997; Buysse, Reynolds, Monk, Berman, et Kupfer, Reference Buysse, Reynolds, Monk, Berman and Kupfer1989). Il a été utilisé ici dans le but d’évaluer la sévérité des difficultés de sommeil rencontrées par les participants qui, d’après plusieurs chercheurs (Parr et al., Reference Parr, Kavanagh, Young and McCafferty2006; Simon et Ludman, Reference Simon and Ludman2006; Voyer et al., Reference Voyer, Cohen, Lauzon and Collin2004), représente une raison majeure du recours aux ASH par les personnes âgées. Les items de ce questionnaire couvrent les domaines suivants : (a) qualité du sommeil; (b) latence du sommeil; (c) durée du sommeil; (d) efficacité habituelle du sommeil; (e) perturbation du sommeil; (f) prise de médicaments pour dormir; (g) perturbation durant la journée. Pour cette étude, nous avons utilisé les dix-neuf premières questions qui s’adressent au participant seulement. Le score total pour ces dernières peut varier entre 0 et 21. Selon Blais et ses collaborateurs (Reference Blais, Gendron, Mimeault and Morin1997), la validité interne (alpha de Cronbach) de la version française est très bonne, à 0,88. La fidélité test-retest est aussi très bonne, avec une corrélation de l’ordre de 0,89 avec un délai de deux semaines (Blais et al., Reference Blais, Gendron, Mimeault and Morin1997).
Variables sociodémographiques et de santé
Les caractéristiques sociodémographiques et de santé suivantes ont été évaluées au moyen d’un questionnaire : âge, sexe, nombre d’années de scolarité, état civil (marié, célibataire, divorcé, séparé ou veuf), occupation principale (retraité ou employé), état de santé subjective évalué à l’aide d’une échelle en 7 points allant de « Très Mauvaise » à « Excellente ». De plus l’utilisation d’hormonothérapie de remplacement chez les femmes âgées a été vérifiée, étant donné la résurgence de problèmes de sommeil auprès de femmes ménopausées (Brim et al.,Reference Brim, Ryff and Kessler2004).
Mesures des variables à l’étude
Questionnaire sur le vieillissement, adaptation française du Facts on Aging Quiz (FAQ)
Ce questionnaire a été développé pour évaluer la présence d’attitudes négatives envers le vieillissement chez les personnes âgées (Palmore, Reference Palmore1981). La version utilisée (Harris, Changas, et Palmore, Reference Harris, Changas and Palmore1996) porte sur les conceptions concernant la santé physique, la santé mentale et la vie des personnes âgées. Elle comporte 25 questions avec réponses à choix multiples. Nous avons sélectionné les 14 questions qui comportent des réponses témoignant d’un biais négatif envers le vieillissement. Le score peut varier de 0 à 14, un chiffre supérieur reflétant une plus grande fréquence de biais négatifs. Nous avons examiné la consistance interne et la fidélité test-retest avec un sous-échantillon de 47 participants sélectionnés au hasard (22 consommateurs et 25 non-consommateurs). La consistance interne s’est révélée médiocre (alpha de Cronbach : 0,61) alors que la fidélité test-retest était bonne (r = 0,78).
Mesure des attitudes envers les médicaments à action ASH, adaptation française de l’échelle Attitude Toward Tranquillizer Scale (ATTS)
Cette échelle contient 7 items qui consistent en diverses opinions sur le bien-fondé de l’utilisation de tranquillisants (médicaments pour « les nerfs ou pour dormir ») (Caplan et al., Reference Caplan, Abbey, Abramis, Andrews, Conway and French1984). Le score est obtenu grâce à une échelle en 5 points allant de « Fortement en désaccord » à « Fortement en accord ». Le score total peut varier entre 7 et 35, un score plus élevé indiquant une attitude plus positive envers les médicaments en question.
Les propriétés psychométriques de la version française de l’ATTS sont bonnes avec une consistance interne de 0,74 (Pérodeau et Ostoj, Reference Pérodeau and Ostoj1992). La consistance interne évaluée auprès d’un sous-échantillon de 47 participants sélectionnés au hasard (22 consommateurs et 25 non-consommateurs) s’est révélée excellente (alpha de Cronbach : 0,86).
Mesures des normes subjectives et de la perception de contrôle
Pour les normes subjectives, nous inspirant des travaux de Légaré et collaborateurs (Reference Légaré, Dodin and Godin1995), nous avons construit 6 questions qui évaluent l’influence des personnes de l’entourage (enfants, conjoint, amis) et du médecin sur la consommation de médicaments à action ASH (par ex., mes enfants m’encourageraient à prendre un médicament pour les nerfs ou pour dormir). Chaque question propose un choix de cinq réponses allant de « Non, pas du tout » à « Oui, fortement » (score de 1 à 5). Le score total se situe entre 6 et 30 points, un chiffre plus élevé indiquant un degré plus fort d’influence. Telles qu’évaluées avec un sous-échantillon de 47 participants sélectionnés au hasard dans la présente étude (22 consommateurs et 25 non-consommateurs), la consistance interne est excellente (alpha de Cronbach : 0,88) et la fidélité test-retest entre des administrations espacées de 3 mois est bonne (r = 0,74).
La mesure de la perception de contrôle, elle aussi inspirée des travaux de Légaré et ses collègues (Reference Légaré, Dodin and Godin1995), consiste en 6 items portant sur la mesure dans laquelle la personne âgée se perçoit comme pouvant choisir librement de prendre ou non un médicament à action ASH. Chaque question propose un choix de cinq réponses allant de « Très en désaccord » ou « Très improbable » à « Très en accord » ou « Très probable » (score de 1 à 5). Le score total de l’échelle peut donc se situer entre 6 et 30 points. Un score plus élevé reflète une plus grande incapacité à exercer un choix libre concernant la prise de médicaments à action ASH, donc un degré plus élevé de dépendance. Telles qu’évaluées avec un sous-échantillon de 47 participants sélectionnés au hasard dans cette étude (22 consommateurs et 25 non-consommateurs), la consistance interne est faible (alpha de Cronbach : 0,56) de même que la fidélité test-retest à trois mois d’intervalle (r = 0,62).
Mesure de consommation et d’intention de consommer des médicaments à action ASH
Deux questions portaient sur : (1) la consommation antérieure de médicaments à action ASH : durée et fréquence de la consommation; (2) la consommation actuelle de ces médicaments: type, dosage, durée et fréquence. Une question additionnelle s’adressait à l’intention de continuer (pour les consommateurs) ou de débuter (pour les non consommateurs) la prise de médicaments à action ASH au cours de la prochaine année, avec quatre choix de réponse (« Non, certainement pas », « Non, probablement pas », « Oui, probablement », « Oui, certainement »). Ces réponses ont été regroupées en non versus oui pour les fins d’analyse.
Analyses statistiques
Une analyse de régression logistique hiérarchique, portant sur l’ensemble de l’échantillon (consommateurs et non-consommateurs), a été effectuée afin de tester les hypothèses portant sur la consommation actuelle de médicaments à action ASH. Cette analyse comporte l’introduction des caractéristiques sociodémographiques et de santé (âge, sexe, occupation, scolarisation, état civil, niveau d’anxiété, état de santé perçu, état du sommeil, hormonothérapie de remplacement), ensuite des attitudes envers le vieillissement, et finalement des trois variables du modèle de la Théorie du Comportement Planifié (attitudes envers le comportement, normes subjectives et perception de contrôle).
Séparément pour le sous-échantillon de consommateurs (intention de poursuivre la prise de médicaments à action ASH) et pour le sous-échantillon de non-consommateurs (intention de débuter le prise de médicaments à action ASH), une analyse de régression logistique hiérarchique a été effectuée avec les variables qui s’étaient avérées comme des prédicteurs significatifs dans le modèle de régression logistique final de la première analyse (voir Tableau 2).
Résultats
Participants
Comme le rapporte le Tableau 1, les consommateurs sont significativement plus âgés et moins scolarisés que les non-consommateurs. De plus, comparativement aux non-consommateurs, les consommateurs rapportent une perception de moins bonne santé et ils sont proportionnellement plus nombreux parmi les personnes seules (c’est-à-dire, célibataires, séparés, divorcés ou veufs).
Tableau 1: Données sociodémographiques, personnelles de l’échantillon de consommateurs (n = 62) et de non-consommateurs (n = 92)
![](https://static.cambridge.org/binary/version/id/urn:cambridge.org:id:binary-alt:20160713211417-10757-mediumThumb-S0714980810000784_tab1.jpg?pub-status=live)
Quarante et une personnes parmi les 62 consommateurs de médicaments à action ASH utilisaient des médicaments à action anxiolytique. La grande majorité de ces médicaments (83%) étaient des BZ, dont le Lorazépam, Clonazépam et Oxazépam. Pour les autres 17 pour cent, il s’agissait d’antidépresseurs à action anxiolytique (p.ex., Paroxétine) ou anxiolytique et sédative (p.ex., Doxépine).
Consommation actuelle de médicaments à action ASH
Comme le rapporte le Tableau 2, le modèle final incluant les variables issues de la TCP après les autres variables prédit significativement la consommation actuelle de médicaments à action ASH, principalement constitués de BZ, (chi-carré omnibus = 72,50, dl = 2, p < .001). Ce modèle rend compte de 61 à 82 pour cent de la variance dans la consommation actuelle de BZ, permettant de classer avec succès 92 pour cent des non-consommateurs et 90 pour cent des consommateurs.
Tableau 2: Variables prédictives de la consommation actuelle de médicaments à action ASH
![](https://static.cambridge.org/binary/version/id/urn:cambridge.org:id:binary-alt:20160713211417-66798-mediumThumb-S0714980810000784_tab2.jpg?pub-status=live)
*p < .05, **p < .01
De ce modèle final, il ressort que, conformément aux hypothèses, un âge plus avancé, le statut de personne seule (c’est-à-dire, célibataire, divorcé, séparé ou veuf), la sévérité des problèmes de sommeil sont associés à la consommation actuelle de ces médicaments. Par contre, les hypothèses selon lesquelles le sexe féminin, la perception de mauvaise santé et le niveau d’anxiété seraient reliés à la consommation actuelle de ces médicaments ne sont pas appuyées par nos résultats.
Il est remarquable que deux variables de la TCP, soit une attitude plus favorable vis-à-vis de ces médicaments et le fait de ressentir peu de contrôle viennent ensuite ajouter un pouvoir de prédiction supplémentaire pour la consommation actuelle de médicaments à action ASH, principalement des BZ.
Intention de poursuivre la prise de médicaments à action ASH (consommateurs)
Comme le rapporte le Tableau 3, le modèle incluant les variables issues de la TCP après les autres variables prédit significativement l’intention de poursuivre la prise de ces médicaments par les consommateurs actuels, (chi-carré omnibus = 28,55, dl = 2, p < .00). Ce modèle rend compte de 47 à 74 pour cent de la variance de l’intention de poursuivre la prise de ces médicaments permettant de classer avec succès 77 pour cent des consommateurs qui désirent arrêter et 92 pour cent des consommateurs qui désirent poursuivre la prise de ces médicaments pour un pourcentage total de 89 pour cent.
Tableau 3: Variables prédictives de l’intention de poursuivre la prise de médicaments à action ASH
![](https://static.cambridge.org/binary/version/id/urn:cambridge.org:id:binary-alt:20160713211417-45207-mediumThumb-S0714980810000784_tab3.jpg?pub-status=live)
*p < .05, **p < .01
Des résultats de ce modèle final, il ressort que seule la variable de la présence d’insomnies vienne appuyer l’hypothèse selon laquelle des difficultés du sommeil marquées sont associées de manière significative à l’intention de poursuivre la prise de ces médicaments. Par contre les hypothèses concernant l’âge plus avancé et le statut de personne seule ne sont plus appuyées dans le cas de l’intention de poursuivre la prise de ces médicaments.
Il est remarquable que les deux variables retenues de la TCP, soit une attitude plus favorable vis-à-vis de ces médicaments et le fait de ressentir peu de contrôle, contribuent un ajout significatif de prédiction pour l’intention de poursuivre la prise de ces médicaments.
Intention de débuter la prise de médicaments à action ASH (non-consommateurs)
Comme le rapporte le Tableau 4, le modèle incluant les variables issues de la TCP après les autres variables prédit significativement l’intention de débuter la prise de médicaments à action ASH, particulièrement des BZ (chi-carré omnibus = 12,31, dl = 4, p < .02). Ce modèle rend compte de 13 à 19 pour cent de la variance de l’intention de débuter la prise de ces médicaments, permettant de classifier avec succès 99 pour cent des non-consommateurs qui ne désirent pas débuter la prise de ces médicaments et 25 pour cent de ceux qui envisagent d’en débuter la prise.
Tableau 4: Variables prédictives de l’intention de débuter la prise de médicaments à action ASH
![](https://static.cambridge.org/binary/version/id/urn:cambridge.org:id:binary-alt:20160713211417-93954-mediumThumb-S0714980810000784_tab4.jpg?pub-status=live)
** p < .01
Des résultats de ce modèle final, il ressort que, comme pour l’intention de poursuivre la consommation, les hypothèses concernant l’âge plus avancé et le statut de personne seule ne sont plus appuyées dans le cas de l’intention de débuter la prise de ces médicaments.
Alors qu’une attitude plus positive vis-à-vis de ces médicaments ne joue plus un rôle significatif, le fait de ressentir peu de contrôle émerge comme ajoutant encore un poids significatif pour la prédiction de l’intention de débuter la prise de médicaments à action ASH, particulièrement des BZ.
Discussion
L’objectif de cette recherche consistait à déterminer dans quelle mesure les variables du modèle de la TCP pouvaient être reliées à la consommation actuelle de médicaments à action ASH et à l’intention de poursuivre la prise de ces médicaments chez les consommateurs ainsi qu’à l’intention d’en débuter la prise chez les non-consommateurs.
Conformément aux hypothèses donc, un âge plus avancé, le statut de personne seule (c’est-à-dire, célibataire, divorcé, séparé ou veuf), la sévérité des problèmes de sommeil, le fait d’entretenir des attitudes plus favorables envers les médicaments à action ASH, ainsi que le fait de ressentir peu de contrôle sur la prise de ces médicaments sont reliés à la consommation actuelle de ces médicaments. Toutefois, le fait d’être de sexe féminin, de se percevoir en mauvais état de santé, la présence d’anxiété et la perception d’une pression exercée par le médecin et/ou de la famille, ne sont pas en conformité avec les résultats obtenus.
En ce qui a trait à l’intention de poursuivre l’utilisation de BZ, les hypothèses suivantes, soit : la présence de problèmes de sommeil, le fait d’entretenir des attitudes plus favorables envers les médicaments à action ASH, ainsi que le fait de ressentir peu de contrôle sur la prise de ces médicaments sont confirmées par les résultats obtenus. Toutefois, l’âge avancé ainsi que du statut de personne seule (c’est-à-dire, célibataire, séparé, divorcé ou veuf) infirment les hypothèses selon lesquelles, ces deux variables prédisent l’intention de poursuivre l’utilisation de BZ.
Enfin, seule l’hypothèse selon laquelle le fait de ressentir peu de contrôle envers la prise de BZ est reliée à l’intention de débuter la prise de médicaments à action ASH, s’est avérée confirmée par les résultats de l’analyse. L’âge avancé, le statut de personne seule (c’est-à-dire, célibataire, séparé, divorcé ou veuf), la présence de problèmes de sommeil et le fait d’entretenir des attitudes favorables envers les médicaments à action ASH, ont toutes été infirmées par les résultats de cette même analyse.
En ce qui concerne l’âge, cette étude s’ajoute aux études antérieures pour souligner que le nombre d’utilisateurs de médicaments à action ASH (Voyer et al., Reference Voyer, Cohen, Lauzon and Collin2004) et la durée de leur consommation (Ohayon et Caulet, Reference Ohayon and Caulet1996) croissent avec l’avance en âge au sein de la population adulte, un constat en soi préoccupant.
Cette étude appuie le résultat de plusieurs autres à l’effet que le statut de personne seule (c’est-à-dire, célibataire, séparée, divorcée ou veuve) est associé à une consommation plus importante de BZ (Gray et al., Reference Gray, Eggen, Blough, Buchner and LaCroix2003; Laurier et al., Reference Laurier, Dumas and Grégoire1992; Swartz et al., Reference Swartz, Landeman, George, Melville, Blazer and Smith1991; Zandstra et al., Reference Zandstra, van Rijswijk, Rijnders, van de Lisdonk, Bor and van Weel2004). Ces situations de vie apparaissent aussi être associées de manière négative aux comportements liés à la santé (Iwashyna et Christakis, Reference Iwashyna and Christakis2003; Williams, Reference Williams2004). Il semblerait que ces conditions conduisent la personne âgée à ressentir de la solitude déclenchant ou accentuant de la détresse psychologique (Gray et al., Reference Gray, Eggen, Blough, Buchner and LaCroix2003; Laurier et al., Reference Laurier, Dumas and Grégoire1992; Zandstra et al., Reference Zandstra, van Rijswijk, Rijnders, van de Lisdonk, Bor and van Weel2004), que la personne âgée chercherait à soulager au moyen des BZ.
Cette étude s’inscrit parmi plusieurs autres études récentes (Parr et al., Reference Parr, Kavanagh, Young and McCafferty2006; Simon et Ludman, Reference Simon and Ludman2006; Voyer et al., Reference Voyer, Cohen, Lauzon and Collin2004) qui démontrent la pertinence des problèmes de sommeil, plus précisément d’insomnie, comme raison majeure pour le recours aux médicaments à action ASH chez les adultes en général, y compris les personnes âgées. Simon et Ludman (Reference Simon and Ludman2006) parlent de 80 pour cent des personnes de leur échantillon (personnes âgées entre 24 et 79 ans) qui identifiaient la présence d’insomnie ou d’anxiété comme étant la raison première pour laquelle ils prenaient une BZ. Dans le même ordre d’idées, une étude canadienne récente (Crabb, Reference Crabb2008) a démontré que les problèmes de sommeil constituaient une indication majeure de l’utilisation de BZ à indication sédative-hypnotique par des personnes âgées dépressives. Les difficultés de sommeil prédisent l’utilisation à long terme, voire chronique (> 12 mois) de BZ (Morin et al., Reference Morin, Bastien, Guay, Radouco-Thomas, Leblanc and Vallières2004; Jorm, Christensen, Griffiths, et Rodgers, Reference Jorm, Christensen, Griffiths and Rodgers2002).
Cette étude appuie les résultats concordants des études antérieures sur l’importance d’une attitude plus favorable envers les médicaments à action ASH comme facteur qui en prédit l’utilisation. Pérodeau et ses collègues (Reference Pérodeau and Ostoj1992, Reference Pérodeau, Grenon, Préville, Savoie-Zajc, Forget and Green-Demers2006) l’ont montré par rapport aux psychotropes en général. Iliffe et ses collègues (Reference Illife, Curran, Collins, Yuen, Fletcher and Woods2004) ont conclu que les attitudes des patients envers l’efficacité des sédatifs-hypnotiques motivaient la cessation ou la continuation de leur usage. Dans le même sens, van Hulten et collaborateurs (Reference van Hulten, Bakker, Lodder, Teeuw, Bakker and Leufkens2001) ont démontré que l’attitude constituait l’un des prédicteurs de l’intention d’utiliser des benzodiazépines à court terme (< 6 mois), et même à long terme (> 12 mois) (van Hulten et al., Reference van Hulten, Bakker, Lodder, Teeuw, Bakker and Leufkens2003).
La littérature de recherche (Armitage et Christian, Reference Armitage and Christian2003; Armitage et Conner, Reference Armitage and Conner2001; Azjen, Reference Ajzen2002; Cloutier et Leroux, Reference Cloutier and Leroux1998) souligne à foison que la perception de contrôle constitue le meilleur déterminant, parmi l’ensemble des variables du modèle de la TCP, de l’intention comportementale. Armitage et Conner (Reference Armitage and Conner2001) avancent qu’il s’agit de la variable du modèle de la TCP qui, via l’intention comportementale, permet le mieux de prédire le comportement. Dans le domaine particulier de la consommation de médicaments à action ASH, van Hulten et collaborateurs (Reference van Hulten, Bakker, Lodder, Teeuw, Bakker and Leufkens2003) ont démontré, avec un échantillon de consommateurs de BZ de longue durée (> 12 mois), que de se sentir incapable de cesser la consommation par soi-même, était liée à la consommation actuelle de ce type de médication. Ces mêmes chercheurs ont également remarqué que le fait de ressentir peu de contrôle était encore plus important chez les personnes âgées ayant recours à une BZ à haut potentiel de dépendance.
On peut se demander dans quelle mesure cette absence relative de contrôle reflète un phénomène de dépendance. A cet égard, Voyer et ses collaborateurs (Reference Voyer, Cohen, Préville, Roussel-Roy, Berbiche and Béland2008), dans une recherche avec des personnes de plus de 65 ans, ont rapporté que 2,5 pour cent de celles qui faisaient un usage courant de BZ rencontraient les critères diagnostiques du DSM-IV-TR pour une dépendance à une substance. Fait intéressant, 41 pour cent de ces personnes âgées qui prenaient des BZ et qui ne rencontraient pas les critères diagnostics du DSM-IV-TR pour une dépendance à une substance, se considéraient toutefois elles-mêmes comme dépendantes des BZ. Le phénomène de dépendance est donc possiblement plus répandu qu’il n’y paraît, et notre résultat sur la relation entre le fait de ressentir peu de contrôle et la prise de ces médicaments pourrait être interprété dans ce sens.
La présente étude qui s’adresse aux variables psychologiques sous-tendant la consommation de médicaments à action ASH au sein des personnes âgées présente l’avantage de faire progresser la réflexion au-delà d’une perspective purement épidémiologique centrée sur les facteurs de risque. Elle s’appuie aussi sur une infrastructure théorique, ce qui est rare dans ce domaine (des exceptions: van Hulten et al., Reference van Hulten, Bakker, Lodder, Teeuw, Bakker and Leufkens2001, Reference van Hulten, Bakker, Lodder, Teeuw, Bakker and Leufkens2003).
La faible validité du FAQ, à titre de mesure des attitudes face au vieillissement, constitue une des limitations de cette étude. On peut se demander s’il ne serait pas plus pertinent d’évaluer l’anxiété des personnes âgées par rapport au vieillissement (par ex., peur de la maladie, peur de la solitude, peur de la mort, etc.) plutôt que d’évaluer leurs attitudes par rapport au vieillissement de manière indifférenciée. La validité de la variable de perception de contrôle est aussi plutôt faible. Dans le futur, il s’agirait de raffiner cette mesure en définissant, plus précisément ce que l’on couvre sous la notion de « perception de contrôle ». Aussi, il est clair que l’utilisation d’un devis transversal et corrélationnel ne permet pas d’établir l’existence de relations causales entre les variables. Il s’agit donc de demeurer prudent quant à l’interprétation des relations entre les variables étudiées. Dans cette perspective, l’utilisation d’un devis longitudinal serait souhaitable puisqu’il pourrait prendre en considération les interactions existantes entre les variables sur une plus longue période de temps (Keefe et al., Reference Keefe, Smith, Buffington, Gibson, Studts and Caldwell2002).
Retombées cliniques et implications pour la recherche
Les comportements qui s’inscrivent dans le registre des dépendances et/ou des habitudes sont notoirement difficiles à changer (Azjen et Manstead, Reference Ajzen, Manstead, van den Bos, Hewstone, de Wit, Schut and Stroebe2007). Il est souvent difficile pour les personnes de concrétiser leurs bonnes intentions (Gollwitzer, Reference Gollwitzer, Stroebe and Hewstone1993 ; Heckhausen, Reference Heckhausen1991). C’est dire que les interventions en matière de modification de comportements pourraient être améliorées par l’éveil d’un sentiment de contrôle sur le comportement afin de solidifier les intentions d’arrêter les comportements nocifs (Azjen et Manstead, Reference Ajzen, Manstead, van den Bos, Hewstone, de Wit, Schut and Stroebe2007). Pour susciter et renforcer le sentiment de contrôle des personnes âgées consommatrices de médicaments à action ASH et les personnes âgées non-consommatrices, davantage d’informations au sujet de ces médicaments et des alternatives (par ex., psychothérapie) pourraient être mises à leur disposition afin qu’elles puissent poser un choix éclairé sur l’action à privilégier. Par ailleurs, le pouvoir décisionnel de la personne âgée serait sans aucun doute accentué si elle était directement impliquée dans le processus visant le recours éventuel à un tel médicament qui serait alors mieux adapté à ses besoins. Plus précisément en ce qui concerne les personnes âgées consommatrices de médicaments à action ASH, Voyer et Martin (Reference Voyer and Martin2003) proposent la mise en place d’un programme de sevrage souple qui garde un degré de flexibilité quant aux objectifs à atteindre. Ce programme donne un certain pouvoir d’action aux personnes âgées (par ex., le médecin détermine, avec le patient, de combien la dose du médicament sera réduite). Ces auteurs spécifient que la personne âgée doit pouvoir être libre d’augmenter légèrement le dosage de son médicament si elle se sent anxieuse ou éprouve des difficultés de sommeil. Par ailleurs le programme de sevrage ne devrait pas avoir de limite de temps Ces mesures devraient favoriser un sentiment de contrôle plus important par la personne âgée. En ce qui a trait aux difficultés de sommeil, Voyer et Martin (Reference Voyer and Martin2003) proposent des interventions comportementales afin d’améliorer la qualité du sommeil.
Vu le lien entre la solitude, la détresse psychologique qui s’ensuit et la consommation de médicaments à action ASH, il pourrait être pertinent de mettre en place un programme de soutien psychologique pour les personnes âgées qui font face à un deuil ou une perte. Un programme de visites à domicile pourrait être mis en place afin de faciliter ces transitions de vie et solliciter l’appui du réseau social.
De telles mesures peuvent concourir à améliorer la qualité de vie des personnes âgées et contribuer à un changement d’attitudes et de perception de contrôle sur les difficultés, ce qui conduirait à une consommation plus adéquate de ces médicaments.
Note de l’auteure
Cette étude fut réalisée afin de rencontrer les exigences du programme de doctorat en psychologie clinique de l’Université d’Ottawa par Marilyn Guindon.
Toute correspondance au sujet de cet article peut être envoyée à Marilyn Guindon, Faculté des Sciences Humaines, Université St-Paul, Ottawa, Ontario K1S 1C4, Téléphone : (613) 236-1393 poste 2324, Télécopieur : (613) 782-3005, Courriel : mguindon@ustpaul.ca