« Une île, une nation », de la politologue Valérie Vézina examine l'importance des facteurs géographiques dans le développement des demandes nationalistes de deux îles sous la garde/tutelle d'un autre État : Terre-Neuve (Canada) et Puerto Rico (États-Unis). Ancré dans une perspective fortement interdisciplinaire alliant la science politique à la géographie, basé sur de longs travaux de terrain de sensibilité ethnographique, et écrit d'un style très personnel, l'ouvrage de Dre. Vézina utilise la métaphore du voyage pour faire une contribution à la fois théorique, méthodologique et empirique aux études du nationalisme et à celles sur l’« îléité », un terme que préfère la chercheuse à celui d'insularité, qu'elle juge trop restreint.
Les théories du nationalisme sont fréquemment classifiées selon les quatre postulats suivants : 1) variable ontologique (par exemple, qu'est-ce qu'une nation?), 2) variable temporelle (par exemple, quand est apparue la nation?), 3) variable méthodologique (par exemple, quelles sont les limites de la nation?) et 4) variable normative (par exemple, quelle est la valeur d'une nation?). Bien que le territoire et la nation forment, comme l'auteure le souligne « le couple habituel » des études sur le nationalisme (6), la variable géographique passe largement sous silence. Cela est particulièrement problématique dans le cas des îles, un « laboratoire naturel » s'il en est un, où les caractéristiques de nature territoriale (par exemple, distance, isolement, ressources naturelles) ont fortement affecté les rapports sociaux. « Une île, une nation » rentre donc dans la récente poussée des ouvrages géopolitiques explorant la manière dont le territoire peut influencer les questions identitaires et les relations de groupe, incluant les conflits ethniques, de sécession ou ceux de « souche ».
Un problème inhérent aux études sur l îléité consiste à rendre tangible une caractéristique qui est plus souvent qu'autrement décrite comme « impalpable » et ne se mesurant pas. Vézina réussit à surmonter ce problème méthodologique en opérationnalisant l’îléité autour de quatre dimensions (territoriale, politique, économique et culturelle), qu'elle examine dans deux études de cas possédant de nombreuses similitudes (c'est-à-dire, le fameux Most Similar System Design de John Stuart Mills), donnant ainsi un sérieux coup de pouce à ce sujet d’étude.
Explorant ces dimensions de l’îléité dans les deux contextes nord-américains, Vézina affirme que quatre facteurs ont une incidence importante sur le type de demandes nationalistes infranationales insulaires : 1) le type d'arrangement entre île et métropole, 2) le système de partis territorialisés, 3) une économie basée sur le développement des ressources naturelles et 4) des symboles culturels acceptés et reconnus. En revanche, Vézina souligne que la distance entre l’île et la métropole, la taille de l’île (soit-elle géographique ou démographique), et l'histoire récente d'indépendance ne sont pas des facteurs explicatifs suffisants. L'auteure réussit ainsi à dresser un portrait explicatif qui donne une juste valeur à la fois aux structures et aux acteurs. D'une part, elle reconnaît que certaines caractéristiques géographiques des îles peuvent influencer les demandes nationalistes insulaires dans une certaine direction (par exemple, la présence abondante de ressources naturelles telles que le poisson/pétrole). Mais d'une autre, elle rejette une approche uniforme et rigide, soulignant le rôle clé joué par les acteurs locaux qui ont, à l'occasion, instrumentalisé ces dites particularités du nationalisme insulaire pour leurs propres fins politiques ou économiques. Étant donné les variations entre les demandes nationalistes à Terre-Neuve et Puerto Rico, il est possible que le fait que Terre-Neuve soit composée à la fois d'une partie insulaire (l'île de Terre-Neuve) et d'une partie continentale (le Labrador) puisse influencer ces données, une particularité que l'auteure explore dans le chapitre sur la dimension politique de l’îléité mais qu'elle omet dans les trois autres.
Mais est-ce que les demandes nationalistes spécifiques des îliens sont une relique du passé, ou sont-elles là pour rester? Dans un contexte de plus en plus mondialisé où le développement des voies de transport et des médias sociaux contribue au rétrécissement des distances et au décloisonnement des frontières, on peut se demander si les particularités nationalistes des îles seront là encore longtemps. La récente création de NL Alliance, un parti politique à connotation populiste-nationaliste, a emprunté certains aspects des plateformes politiques des gouvernements conservateurs de l'Ontario et de l'Alberta, qui eux ne sont ni nationalistes, ni insulaires. Les emprunts nationalistes peuvent aussi traverser les frontières : il a été démontré, par exemple, que l'expérience référendaire du Québec et de l'Ecosse a inspiré le récent parcours catalan. Est-il encore aussi impératif aujourd'hui de clamer l'importance de l’étude différenciée du nationalisme pour les îles par rapport aux autres types de territoires ? Les contributions importantes de cet ouvrage en auraient été d'autant plus claires si les récents changements amenés par la mondialisation eurent été élaborés plus en profondeur dans la conclusion.