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Terrorisme international et marchés de violence.

Published online by Cambridge University Press:  19 September 2006

Jean-Philip Guy
Affiliation:
Université d'Ottawa
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Terrorisme international et marchés de violence., Kalulambi Pongo, Martin et Landry, Tristan, Québec : Les Presses de l'Université Laval, Collection Nord-Sud, 2005, 144 p.

La science politique : cette locution semble parfois prendre des allures d'oxymore. Dans le contexte actuel, la recherche et les écrits sur le terrorisme sont parfois plus politiques que scientifiques. Le problème est important : comment étudier scientifiquement, cette catégorie si polémique de “ terroriste ”? Martin Kalulambi Pongo et Tristan Landry s'intéressent pourtant au “ scientifique ” de la question. Dans Terrorisme international et marchés de violence, Kalulambi, professeur associé au département d'histoire de l'Université Nationale de Colombie à Bogota, et Landry, professionnel de recherche à l'Université Laval, tentent d'atteindre deux objectifs. Premièrement, ils dégagent des constantes dans les diverses guerres civiles à l'aide de la théorie des “ marchés de violence ”. Deuxièmement, ce qu'ils ont découvert les aide à montrer les failles tant dans l'étude de ces conflits, que dans la lutte contre-terroriste elle-même. Leur analyse démontre qu'au-delà des diverses motivations idéologiques, ces conflits perdurent grâce à une logistique rationnelle centrée sur les intérêts des acteurs en place. Les auteurs montrent en outre que ces conflits sont aussi des moteurs du terrorisme international.

Type
BOOK REVIEWS
Copyright
© 2006 Cambridge University Press

La science politique : cette locution semble parfois prendre des allures d'oxymore. Dans le contexte actuel, la recherche et les écrits sur le terrorisme sont parfois plus politiques que scientifiques. Le problème est important : comment étudier scientifiquement, cette catégorie si polémique de “ terroriste ”? Martin Kalulambi Pongo et Tristan Landry s'intéressent pourtant au “ scientifique ” de la question. Dans Terrorisme international et marchés de violence, Kalulambi, professeur associé au département d'histoire de l'Université Nationale de Colombie à Bogota, et Landry, professionnel de recherche à l'Université Laval, tentent d'atteindre deux objectifs. Premièrement, ils dégagent des constantes dans les diverses guerres civiles à l'aide de la théorie des “ marchés de violence ”. Deuxièmement, ce qu'ils ont découvert les aide à montrer les failles tant dans l'étude de ces conflits, que dans la lutte contre-terroriste elle-même. Leur analyse démontre qu'au-delà des diverses motivations idéologiques, ces conflits perdurent grâce à une logistique rationnelle centrée sur les intérêts des acteurs en place. Les auteurs montrent en outre que ces conflits sont aussi des moteurs du terrorisme international.

Dans le premier chapitre, les auteurs commencent par jeter les bases historiques du “ terrorisme ”, des conflits “ ethniques ” et du concept central qu'ils utiliseront pour les expliquer : les “ marchés de violence ”. Ils affirment donc que “ le terrorisme—entendu comme “une méthode de combat” fondée sur l'usage de la terreur (13) ”, a pris de nombreuses formes au cours de l'histoire. Cependant, malgré de nombreuses différences dans ses manifestations, il existe “ des constantes observables qui mettent en lumière les rapports du terrorisme à l'économie des guerres civiles (23) ” : les “ marchés de violence ” théorisés par Georg Elwert. Même si le concept est récent, l'histoire montre “ que les acteurs divers ont mercantilisé la violence et tiré profit d'elle (23) ”. D'après les auteurs ces marchés de violence “ sont le fait d'acteurs physiques et institutionnels, engagés dans des processus de domination et surtout dans des situations de conflits armés. [Ceux-ci] ont mis au point des pratiques violentes, lesquelles leur offrent des possibilités d'acquisition de biens symboliques et matériels (23). ” Ces marchés ont une longue histoire, qui expose la violence comme un agent à part entière dans le processus de création de richesse. Lors de la guerre froide, ils se développaient avec l'aide de commanditaires idéologiques. Dans l'histoire plus récente, la “ crise de l'État ” à la fin des années 80, s'est alliée à “ l'étau de la dette (29) ” et à ses mesures corollaires d'“ ajustement structurel ” pour favoriser leur développement. Les marchés de violence s'inscrivent désormais de plain-pied dans le monde interlope international qui devient essentiel à leur survie. Dans un tel climat, “ le politique ”, d'après les auteurs, est un pouvoir que l'on doit dominer ou influencer afin de garder ses prérogatives et ceci mène à un dérèglement complet de la sphère publique.

Le deuxième chapitre propose une évaluation, par l'étude de son évolution, de la lutte contre-terroriste actuelle. Selon les auteurs, Washington, qui dirige la lutte, se méprend (délibérément ou non) sur les causes du terrorisme, et les pratiques de la Maison Blanche l'attisent plus qu'elles n'arrivent à l'éteindre. Analysant d'abord les attaques du 11 septembre, ils démontrent que, si celles-ci ont consterné l'Occident, pour le “ Sud Global ”, elles ne furent que la tempête d'un vent depuis longtemps semé. Les auteurs situent le contre-terrorisme dans un contexte historique récent : ils montrent que les États-Unis d'avant le 11 septembre refusaient toute implication dans une démarche onusienne qui aurait pu remettre en question leurs pratiques ou celles de leurs alliés et dont ils n'auraient pas eu le leadership exclusif. Or les attentats de 2001 ont donné la légitimité nécessaire à la prise de contrôle de la lutte par Washington. Si les États-Unis se donnent, comme l'illustrent les auteurs, les objectifs de capturer “ mort ou vif ” Oussama ben Laden et de détruire Al-Qaïda, leur unilatéralisme est signe d'une absence de vision à long terme; le bourbier irakien en est une preuve éclatante. En effet, au niveau international, cette guerre fait des autres pays et des institutions internationales de simples spectateurs. De plus, le contre-terrorisme, de par la “ carte blanche ” dont il affuble ses dirigeants, mène à des abus qui, paradoxalement, nourrissent le terrorisme. Les auteurs relèvent un paradoxe similaire au niveau national en notant la menace posée aux libertés civiques par les législations antiterroristes adoptées, en principe, pour les défendre. Malgré tout cela, le terrorisme ne cesse de croître, d'où la remarque des auteurs à l'effet “ qu'on n'éradique pas le terrorisme en liquidant les terroristes, mais seulement en supprimant les raisons pour lesquelles le terrorisme se déploie (71). ” La dernière partie de leur argument dans ce chapitre isole l'ajustement structurel et le conflit en Israël-Palestine comme les deux causes principales du terrorisme : c'est là qu'il faut agir pour en venir à bout. Un autre lieu de changement est l'État qui doit concevoir ses relations avec ces acteurs de la violence d'une façon différente.

Dans leur troisième chapitre, les auteurs reprennent le concept des “ marchés de violence ”. Ils font “ une analyse de certaines situations de guerre civile dans leurs négociations de la violence […] dans une perspective qui fait émerger les tendances globales en rapport avec les logiques et les comportements des acteurs. (81) ”. Ils démontrent comment ces marchés en viennent à financer le terrorisme international. Comme dans les chapitres précédents, le problème est situé historiquement. Ainsi, l'optimisme post-1989 prédit un avenir où l'unipolarité militaire des États-Unis verra à “ policer le monde et, ipso facto, le rendre meilleur (82). ” Pourtant, comme l'illustrent les auteurs, les guerres civiles diverses, maintenant privées de leurs commanditaires idéologiques, se tournent vers les canaux économiques clandestins de la mondialisation et prennent de l'ampleur. Ensuite, les auteurs identifient certaines constantes des marchés de violence : ceux-ci ont en commun l'utilisation rationnelle de la violence dans la poursuite de gains matériels et symboliques. Les gains matériels sont nourris par des allégeances idéologiques négociables (dans le but d'obtenir du financement); par divers trafics, légaux et illégaux, qui empruntent les canaux clandestins de la mondialisation et de la criminalité internationale; et par diverses activités criminelles comme les rackets de protection ou les prises d'otages. Les gains symboliques des “ marchés de violence ” se retrouvent dans les sociétés où, faute d'options, la participation à ces marchés sert d'abord de mesure de réussite sociale, mais procure aussi sécurité et prospérité. Ces gains expliquent la persistance des “ marchés de violence ”. Après avoir isolé ces constantes, Kalulambi et Landry les appliquent à l'étude de trois grandes régions : le Croissant Fertile, “ le corridor adriatico-caucasien (117) ” (qui s'étend du Kosovo jusqu'en Géorgie), et l'Asie Centrale. Dans ces régions, “ l'activité guerrière répond à une logique de marché avec des pratiques ancrées dans l'économie de l'ombre et la criminalité internationale (136) ” et divers acteurs “ tirent des dividendes politiques, matériels, sociaux et autres que génère l'exercice d'une violence à la fois anomique et extrême (136) ”. Cette perspective comparative démontre que les politiques actuelles s'en prennent aux mauvaises cibles : selon les auteurs, s'attaquer à la pauvreté c'est s'attaquer directement aux “ marchés de violence ”. C'est donc couper les vivres au terrorisme international. En revanche, opprimer davantage les populations, comme on le fait maintenant, c'est le stimuler.

L'ouvrage répond donc à ses deux objectifs initiaux, l'un méthodologique et l'autre qui tient de la pratique politique. Ainsi, la démarche des auteurs nous mène à interroger les concepts de “ conflit ethnique ” et de “ terrorisme ” utilisés dans l'étude des conflits. L'identification de variables communes aux “ marchés de violence ” peut contribuer à développer une démarche comparative, car ces variables permettent de comparer divers contextes plus efficacement. Au niveau de la pratique politique, l'historicisation des situations de “ marchés de violence ” et la mise en relief de l'importance des intérêts de leurs participants dans leur développement et leur persistance nous permettent de nous éloigner d'un déterminisme où les conflits sont intemporels et sans issue palpable. Par exemple, l'identification des liens entre pauvreté, “ marchés de violence ” et terrorisme international permet d'entrevoir des pistes de solutions. Globalement, laisser de côté les motivations des acteurs et se concentrer sur l'analyse empirique des gestes qu'ils posent permet une plus grande rigueur scientifique. Finalement, la connaissance en profondeur des conflits étudiés, ainsi que l'emploi d'une littérature non anglo-saxonne ajoutent au cachet de l'ouvrage. Néanmoins s'il atteint ses objectifs, le livre de Kalulambi et Landry comporte des lacunes, notamment dans la forme. Dans l'ensemble, le livre souffre de problèmes de transition : les chapitres en cours ne sont pas résumés ni reliés au chapitre suivant, ce qui nuit beaucoup à la cohésion de l'oeuvre. Le deuxième chapitre, qui, au demeurant, apporte des informations intéressantes, est un bon exemple de cette lacune. En effet, le concept des “ marchés de violence ”, central à l'ouvrage, n'y est pas mentionné, et ce, même s'il s'inscrit directement dans l'analyse des inadéquations du contre-terrorisme. Au niveau du contenu, une démonstration centrale à l'argument vise à faire ressortir l'influence des programmes d'ajustement structurel et de la pauvreté qu'ils engendrent, sur le développement “ des marchés de violence ”. Mais la démonstration se termine d'une façon incohérente en insistant plutôt sur le rôle du conflit israélo-palestinien (74). Le manque de clarté de cet argument central, nuit à l'harmonie de l'ouvrage en général.

Il s'agit, en conclusion, d'un livre important parce qu'il veut être d'abord un ouvrage scientifique, avant d'être un ouvrage politique. Il sera utile à tout auteur désireux d'étudier d'une façon comparative les guerres civiles, le terrorisme et les liens qui les unissent. Une plus grande cohésion permettrait cependant à ce livre d'être encore plus pertinent.