L'ouvrage Retour sur les États généraux du Canada français constitue les actes d'un colloque tenu à l'Université de Montréal en octobre 2012, qui avait pour thème le 45e anniversaire de cet événement ayant marqué la postérité des études en francophonie canadienne. L'année 1967 est souvent citée comme étant un moment charnière pour le Canada français, soit le moment de son éclatement. Les États généraux signalent la sortie du Québec du Canada français en réclamant son droit à l'autodétermination. Les treize chapitres de l'ouvrage démontrent autant de réflexions sur ce moment en tant que « mémoire agissante » pour la francophonie canadienne contemporaine. Le lecteur est appelé à revisiter la « thèse de la rupture » du Canada français post-1967, et à constater de l'actualité persistante des États généraux, près de cinquante ans plus tard.
L'ouvrage est réparti en cinq thématiques. La première section se veut une mise en perspective de l’événement. Le Président des États généraux de 1965 à 1969, Jacques-Yvan Morin, présente une étude des résolutions adoptées durant l’événement qui, selon lui, démontre l'existence d'un schisme Est-Ouest, plutôt que Québec-hors Québec, au sein du Canada français de l’époque. Joseph Yvon Thériault, pour sa part, définit les États généraux comme étant « un appel aux forces vives de la société civile en des moments de déficit politico-institutionnel » (42). Il n'est selon lui plus possible de tenir de tels États généraux, puisque la « société des individus » (53) se serait aujourd'hui substituée à la société civile.
La deuxième partie de l'ouvrage questionne la réception des résultats des États généraux par la génération ayant vécu l’événement. Serge Miville démontre une résistance de la presse francophone à faire table rase du Canada français au lendemain des États généraux. Les deux prochains textes présentent l’évolution de la référence (au sens dumontien du terme) canadienne-française à partir des angles néo-brunsickwois et ontarien. Dans un premier temps, Julien Massicotte étudie le cas de l'Acadie du Nouveau-Brunswick. Selon lui, la trajectoire de l'Acadie à l’époque des États généraux ressemble plus à celle des Québécois qu’à celle des autres francophones hors Québec. Cette mise à distance, par les Acadiens, du Canada français, expliquerait aussi la proximité naturelle entre les mouvements néo-nationalistes acadiens et québécois durant cette même période. Ensuite, François-Olivier Dorais se penche sur le cas de l'Ontario français, par l'entremise d'une étude de la pensée de Gaétan Gervais. Dorais démontre comment les États généraux ont agi comme moment fondateur dans la pensée de cet historien, qui aurait tenté de réactualiser une volonté de « faire société » en français sur le continent américain en réponse à cette rupture perçue.
Le prochain thème de l'ouvrage concerne la postérité des États généraux pour ce qui est devenu « la francophonie canadienne ». Marc-André Gagnon présente une étude de l’évolution de la fête de la Saint-Jean-Baptiste dans la région de la capitale nationale. Michel Bock se penche, pour sa part, sur la façon dont les leaders de la communauté franco-ontarienne ont débattu de leur identité collective au lendemain des États généraux. Ensuite, le texte de Mark Power, Marc-André Roy et Mathieu Stanton avance que le régime des droits linguistiques ne constitue pas un jeu à somme nulle entre le Québec et les minorités francophones. La quatrième partie de l'ouvrage traite des rapports entre Québécois et francophonie canadienne depuis les États généraux. Anne-Andrée Denault explore les politiques québécoises en matière de francophonie canadienne depuis les années 1960, tandis que Jean-François Laniel présente la transformation des représentations de « l'horizon d'action » (302) du Canada français, de l'Amérique française à la francophonie d'Amérique, et ses effets sur la possibilité de « faire société ». Charles-Philippe Courtois discute de l'enjeu de l'altérité entre Québec et francophones hors Québec depuis les États généraux. L'ouvrage se clôt sur deux notes de recherche, l'une rédigée par Éric Bédard portant sur le discours de René Lévesque à l’égard des francophones hors Québec, l'autre par Marcel Martel, étudiant les notes de la GRC à l’égard des États généraux.
Ce collectif d'histoire politique saura intéresser les chercheurs en études québécoises et en francophonie canadienne. Les contributions individuelles sont toutefois inégales dans leur originalité et leur rigueur, et leur lien avec le thème central est parfois ténu. Néanmoins, on retire de l'ouvrage la volonté marquée des deux directeurs d'effectuer une remise en question de la thèse de la « rupture » du Canada français associée aux États généraux, idée reçue persistant dans la discipline malgré l'existence de travaux à caractère révisionniste. Ceci est accompli de façon convaincante. Il appelle à une reconfiguration de l’étude de la francophonie canadienne dans son ensemble, incluant son élément québécois–une proposition ambitieuse dont les différentes contributions représentent autant de balises pour un éventuel agenda de recherche.