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Renouveler l'aménagement et l'urbanisme, Mario Gauthier, Michel Gariépy et Marie-Odile Trépanier (dir.), Les Presses de l'Université de Montréal, Montréal, 2008, 329 pages.

Published online by Cambridge University Press:  28 May 2010

Éric Champagne
Affiliation:
Université d'Ottawa
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Abstract

Type
Reviews / Recensions
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association 2010

Ce livre portant sur le renouvellement de l'aménagement et de l'urbanisme tombe à point. Les deux axes privilégiés pour analyser le renouvellement des pratiques, soit la participation sociale et le développement durable, sont deux enjeux actuels que l'on peut difficilement ignorer à l'échelle municipale et métropolitaine. L'objectif de l'ouvrage est de mieux comprendre comment le débat public et le développement durable contribuent au renouvellement de l'urbanisme. Le livre comprend trois parties. La première porte sur la planification territoriale et métropolitaine. La seconde étudie la question du débat public en milieu urbain principalement sous l'angle du développement durable. La troisième se dédie à la présentation d'exemples de projets urbains dans lesquels on interroge les concepts clés de l'ouvrage dans une perspective pratique.

Marc-Urbain Proulx signe le premier texte s'intitulant «40 ans de planification territoriale au Québec». L'article trace les contours de l'évolution des différents cycles de planification du territoire qu'ont connus le Québec et sa population depuis une quarantaine d'années. Cette contribution est une pièce d'anthologie particulièrement achevée qui sera certainement utilisée dans les cours universitaires en aménagement, en urbanisme et en développement régional au Québec. Louis Guay tire profit de la profondeur de ses connaissances en pensée urbanistique pour présenter une analyse de la planification métropolitaine comme un «nouveau laboratoire social» depuis les préoccupations des sociologues de l'École de Chicago, dont le terrain d'étude prenait la forme d'une ville industrielle plus compacte, jusqu'au mode de vie «posturbain» qui va notamment de pair avec une forme urbaine éclatée caractérisée par la mondialisation et les impératifs du développement durable.

Le texte de Franck Scherrer, qui nous transporte de l'autre côté de l'océan, aborde la question de la planification métropolitaine et du débat public en France. À la lecture de ce chapitre, on ne peut qu'observer le foisonnement des dispositifs participatifs qui ont été mis en place en France au cours des dernières décennies. Nicolas Douay nous ramène sur le terrain québécois en analysant la planification métropolitaine dans la région de Montréal. Pour ce dernier, les réformes métropolitaines qui se sont chevauchées depuis les années 1990 dans la vague du nouveau régionalisme nord-américain auraient pris des tournures imprévues. Douay utilise l'exemple des échecs répétés des actions de planification, d'aménagement et de développement économique de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) afin d'évoquer la difficulté d'un mode de gouvernance métropolitaine axé sur le mode coopératif entre les maires. Dans le cas de la CMM, l'auteur observe que les intérêts locaux l'emportent en général sur l'intérêt régional.

La deuxième partie de l'ouvrage débute par le texte de Florence Paulhiac portant sur les Plans de déplacements urbains (PDU) en France. Paulhiac propose d'étudier la portée des débats publics sur le processus de planification des transports. En France, chaque agglomération de plus de 100 000 habitants doit adopter un PDU. Ces plans s'inscrivent directement dans la logique du développement durable et de la participation citoyenne. En comparant quatre études de cas incluant Lille, Lyon, Grenoble et Bordeaux, l'auteure note que les débats publics ont surtout lieu en amont et rarement en aval du processus de planification des transports et que leurs formes, leurs dispositifs et leurs objectifs varient considérablement d'une agglomération à une autre.

Mario Gauthier signe le chapitre suivant en abordant directement la question du développement urbain durable et du débat public à Montréal. Ici, Gauthier nous ramène sur le terrain municipal plutôt que métropolitain. Il s'intéresse plus directement au débat public en urbanisme. Il se demande si le débat public constitue réellement un instrument de développement durable. Il souligne que le processus de consultation publique existe depuis plusieurs décennies à Montréal, mais qu'il a connu des évolutions constantes selon l'humeur des politiciens et que les plans stratégiques sont examinés dans des cadres de participation beaucoup plus restreints qu'auparavant. Jean Paré, qui a été lui-même commissaire d'un organe de consultation publique de la Ville de Montréal entre 2002 et 2006, témoigne de son expérience personnelle dans l'article suivant. L'ancien commissaire revient sur les conditions qui ont mené à l'affaiblissement des organes de consultation. Les défusions ainsi que la décentralisation des pouvoirs de la grande ville vers les arrondissements ne seraient pas étrangères à ce mouvement selon lui. Aujourd'hui, le mécanisme de consultation de la ville de Montréal est marqué du sceau de la complexité puisqu'il repose sur la volonté des conseils d'arrondissements ainsi que sur une quinzaine de commissions et d'organismes de consultations sectorielles. Marie-Odile Trépanier et Martin Alain signent le chapitre suivant dont les observations vont dans le même sens que celles de Paré. En s'intéressant aux pratiques démocratiques de la Ville de Montréal dans le contexte de la réorganisation municipale, Trépanier et Alain analysent le mouvement de fusion-défusion qui a peut-être l'avantage de favoriser la démocratie de proximité en rapprochant l'administration municipale des citoyens, mais qui a aussi comme conséquence de déstabiliser la cohésion interne de la nouvelle ville, surtout en ce qui concerne les décisions relatives aux projets d'agglomération majeurs. Dans le dernier chapitre de cette section, Gérard Beaudet s'intéresse au rapport entre le patrimoine et le débat public. Beaudet se demande si les nombreux mécanismes de consultation publique adoptés par la Ville de Montréal depuis le début de la décennie contribuent véritablement au débat public sur le patrimoine. Il constate que le débat public en matière de patrimoine à Montréal adopte une culture du «cas par cas» évitant la formulation de véritables principes de conservation du patrimoine bâti. Cette situation ne sert pas forcément la cause du patrimoine qui gagnerait plutôt à être défendue par de véritables principes urbanistiques visant à protéger le patrimoine bâti.

Dans la dernière partie de l'ouvrage, les trois chapitres ont pour point commun d'illustrer les enjeux du renouvellement des pratiques d'aménagement et d'urbanisme à travers le prisme de projets concrets. Marie-Hélène Bacqué et Yankel Fijalkow traitent de la question en étudiant la revitalisation de deux anciens quartiers à Paris et à Boston. Leur étude comparative leur permet de dégager des similitudes entre les deux villes : «Si les formes de participation se sont bien développées de part et d'autre de l'Atlantique, elles restent, dans les deux cas, socialement et ethniquement sélectives. Les dispositifs de débat publics sont appropriés par les couches moyennes» (282). En somme, la mise en œuvre du débat public dans un contexte de gentrification des quartiers donne surtout l'impression que le débat public est au cœur d'une lutte de pouvoir et ne reflète pas toujours le point de vue de toutes les strates de la société. Ludwig Desjardins s'intéresse, pour sa part, à la planification des grands projets d'infrastructures routières au Québec. Après avoir décrit quelques débats autour de grands projets routiers situés à Gatineau, à Montréal et en Montérégie, l'auteur arrive à la conclusion que le débat public est un facteur important pour expliquer le phénomène de renouvellement des pratiques dans le domaine de la planification des grands projets d'infrastructures routières financés par le ministère des Transports du Québec. Le dernier chapitre de l'ouvrage est signé par Sabine Courcier qui tourne son attention sur le réaménagement du Vieux-Port de Montréal et plus spécifiquement sur la pertinence du concept «d'effet structurant» de ce projet pour l'ensemble de cette zone. Il s'agit d'une perspective critique du concept qui aurait, selon l'auteure, tendance à véhiculer une vision simpliste, car trop économique, des grands projets de réaménagement. Sourcier préconise dans son analyse une approche qui intégrerait la dynamique des acteurs et l'adhésion de la population pour mieux tenir compte des attentes locales.

On trouve dans cet ouvrage une contribution essentielle au débat sur le renouvellement de l'aménagement et de l'urbanisme au Québec et même en France. Le livre sera très utile pour l'enseignement de la discipline et certainement aussi pour ceux qui pratiquent le métier de planificateur ou d'urbaniste. Ceux qui s'intéressent au développement durable et au débat public seront bien servis puisque l'ouvrage présente une réflexion relativement étendue sur ces enjeux. Toutefois, il faut mentionner que l'analyse demeure quelque peu conventionnelle en ce qui concerne les enjeux ciblés par les articles. Il existe d'autres enjeux plus structurels qui ont ou auront dans un avenir rapproché des impacts importants sur le renouvellement de l'aménagement municipal et métropolitain. L'augmentation des prix du pétrole, le vieillissement de la population, le réchauffement climatique, la croissance des grands centres urbains s'expliquant par l'effet de l'immigration internationale et la congestion routière chronique sont autant de problématiques qui auront un impact important sur la manière dont on planifiera les villes de demain. Une autre faiblesse de l'ouvrage tient au choix des études de cas. La comparaison avec la France et le Québec est intéressante à plusieurs égards. Toutefois, la dynamique territoriale, économique et politique des villes québécoises mériterait d'être comparée également à celle d'autres villes canadiennes et certainement aussi à celle des villes étasuniennes. Les concepts de smart growth, new urbanism, new regionalism et transit oriented development ou le concept encore plus récent de complete street ne sont que quelques exemples d'idées urbanistiques qui contribuent au renouvellement des pratiques d'urbanisme en Amérique du Nord.

Enfin, Montréal ne représente peut-être pas le modèle le plus intéressant pour discuter du renouvellement de l'aménagement et de l'urbanisme en ce moment. Montréal n'est certainement pas à l'avant-garde si on la compare à Portland, Vancouver ou même Toronto. L'impact des dernières réorganisations municipales et métropolitaines et l'effet des défusions n'ont certes pas contribué à en faire un modèle, comme l'ouvrage le démontre d'ailleurs par sa perspective critique. Il est plutôt à craindre que Montréal ne devienne un contre-exemple pour l'analyse du renouvellement des pratiques urbanistiques en raison de ses structures de gouvernance complexes et de son incapacité à gérer son territoire métropolitain.

Malgré ces quelques faiblesses, ce collectif lance le débat sur le renouvellement des pratiques en urbanisme d'une façon fort pertinente en regroupant des textes de grande qualité formant une structure d'ensemble cohérente. Il y aurait lieu de poursuivre les recherches dans cette voie en élargissant la problématique à d'autres facteurs explicatifs ainsi qu'à d'autres études de cas.