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Reconquérir le Canada. Un nouveau projet pour la nation québécoise, André Pratte (dir.), Montréal: Les éditions Voix Parallèles, 2007, 364 pages.

Published online by Cambridge University Press:  17 December 2008

Marie-Joie Brady
Affiliation:
Université d'Ottawa
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Abstract

Type
REVIEWS / RECENSIONS
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association 2008

Le volume dirigé par André Pratte vise à relancer le projet fédéraliste au Québec, quelques années après le scandale des commandites qui a affaibli l'option fédéraliste dans l'opinion publique québécoise, et dans la foulée de la reconnaissance par le Parlement canadien de la nation québécoise. Nous proposons d'évaluer ce livre aux propos parfois fort passionnés sur la base de la rigueur de l'argumentation et de la teneur générale du discours. Premièrement, on retrouve trois textes que nous associons à des essais politiques personnels moins rigoureusement argumentés. Un premier texte, celui de Daniel Fournier (13–37), porte sur la nécessité d'abandonner le clivage politique entre souverainistes et fédéralistes au profit du clivage gauche-droite. Frédéric Bérard, qui fait partie d'un duo d'auteurs avec Patrice Ryan, écrit à un ami indépendantiste québécois (163–82). Bérard cherche dans cette lettre à démolir l'argumentaire indépendantiste au profit de sa vision du fédéralisme canadien. François Pratte (183–208) cherche quant à lui à s'approprier, pour le Canada, la devise de l'Union européenne «Unis dans la diversité» et à en faire le fer-de-lance d'un nouveau projet pancanadien. Ces trois textes comportent une forte teneur d'émotivité et reproduisent à leur façon la tendance au manichéisme qui marque souvent les débats sur le statut du Québec au Canada.

La deuxième catégorie retenue pour notre évaluation de ces textes ressemble à la première, en ce sens qu'elle regroupe elle aussi des essais politiques personnels, mais nous estimons que ceux-ci comportent un effort plus soutenu de rigueur et de réflexion systématique. Ceci n'empêche toutefois pas que ces textes laissent également place à une forte dose d'opinions personnelles parfois polémiques, et d'arguments d'autorité. À ce titre, le texte de Jean Leclair ((39–83) cherche à nuancer le discours qui dénonce la centralisation de pouvoirs dans les mains du gouvernement fédéral, en répondant à quelques chercheurs et intervenants «nationalistes», dont Eugénie Brouillet, Michel Seymour et Andrée Lajoie. L'article le plus sérieux de cette catégorie est sans nul doute celui de Benoît Pelletier (85–114). Il s'y prononce en faveur d'une stratégie de repositionnement en deux temps des préoccupations québécoises au sein du Canada, dans le but d'obtenir une reconnaissance de la spécificité du Québec. Il s'agit d'abord d'explorer toutes les avenues non constitutionnelles pour faire progresser le Québec dans le Canada et ensuite de procéder à une réforme constitutionnelle, soit minimale soit globale. Patrice Ryan, l'autre partie du duo formé avec Frédéric Bérard, présente une lettre écrite à un ami anglophone de Toronto (141–61). Ryan propose une panoplie de mesures qui pourraient rendre compte de la diversité canadienne, à la lumière de conditions posées par Bill Clinton pour le succès d'une communauté. Martin Cauchon (209–29) discute de la capacité d'accommodement du fédéralisme canadien et du nouveau rapport de force institué par le Conseil de la fédération, particulièrement dans le contexte de la santé et du commerce interprovincial. Le directeur du volume, André Pratte, y va de son propre article et s'inspire de diverses études qui nuancent le parcours historique du Québec pour réclamer l'établissement de nouvelles alliances entre le Québec et les provinces de l'Ouest canadien (231–59). Hervé Rivet et Fabrice Rivault (287–312) présentent un survol des récents débats portant sur la nation québécoise, au sein de l'aile québécoise du Parti libéral du Canada, et un aperçu de la lente mais sûre marche vers un enchâssement constitutionnel de cette notion. Ils suggèrent, toutefois, de procéder de façon minimaliste et étapiste, afin de limiter le besoin de faire appel à la formule d'amendement qui requiert l'unanimité, puis de s'attaquer au partage des compétences, discussion qui devrait aller dans le sens d'un gouvernement central fort, selon eux. Marc Garneau (313–35) souhaite quant à lui que le Québec et le Canada fassent preuve d'un plus grand effort de compréhension mutuelle et que les politiciens concernés expliquent plus clairement aux Québécois les avantages du fédéralisme et les tenants et aboutissants de la séparation. Enfin, Mathieu Laberge (337–59) se fait le porte-parole de la génération des «enfants de la Loi 101» du Québec et réclame la mobilisation de celle-ci en vue d'un projet fédéraliste moins acrimonieux, moins revendicateur et plus coopératif entre le Québec et les autres membres de la fédération canadienne, cette génération n'ayant pas connu les mêmes tourments et frustrations politiques que les générations précédentes. Ces textes présentent à leur façon diverses avenues de réflexion pour les relations Québec/Canada.

La troisième et dernière catégorie que nous avons créée pour les besoins de cette recension rassemble deux textes qui démontrent une portée analytique plus certaine. Marie Bernard-Meunier, seule femme figurant parmi les participants à cet ouvrage, s'adonne à un exercice de fédéralisme comparé en examinant la logique fédéraliste de l'Allemagne et de l'Union européenne, dans le but de régénérer le discours général sur le fédéralisme au Canada (115–40). Elle réclame l'adoption par les participants à la fédération canadienne d'une vision commune selon laquelle «ils ont une capacité d'action que, séparément, ils n'ont pas ou n'ont plus» (139). Pierre-Gerlier Forest (261–86) propose un modèle regroupant quatre types de fédéralisme – le fédéralisme asymétrique et décentralisé, le fédéralisme décentralisé et symétrique, le fédéralisme centralisé et symétrique et le fédéralisme centralisé et asymétrique. Cette catégorisation l'amène à discuter du domaine de la santé, lequel représente à son avis un exemple fonctionnel de fédéralisme centralisé et asymétrique.

Somme toute, l'objectif de cet ouvrage est louable : rassembler des intervenants de divers partis politiques fédéralistes et d'horizons professionnels variés pour discuter d'un projet fédéraliste renouvelé pour le Québec. Un autre mérite de ce livre réside peut-être dans le fait qu'il rend jusqu'à un certain point accessibles au grand public des débats qui, très souvent, demeurent hermétiques, ou enfermés dans des capsules réductrices de deux minutes dans les bulletins de nouvelles télévisés. Toutefois, force nous est de constater que ce volume ne régénère pas particulièrement le débat. Pour l'essentiel, on y retrouve le même ton, les mêmes «solutions» plus ou moins nuancées et assaisonnées à la saveur du jour, et les mêmes catégories que l'on retrouvait dans les débats des années 1880 sur les droits des provinces, au début du vingtième siècle, avec le nationalisme dualiste d'Henri Bourassa, à l'ère Pearson et de la Commission sur le bilinguisme et le biculturalisme, et dans une certaine mesure, à l'époque de Pierre Trudeau. Les collaborateurs de cet ouvrage s'avancent peu, voire pas du tout, sur le terrain de nouveaux projets qui découlent de la vision d'un Canada multinational (formulée, entre autres, par Alain-G. Gagnon au Québec et par James Tully en Colombie-Britannique), postcolonial (conceptualisée, par exemple, par Joyce Green en Saskatchewan et par Georges Sioui au Québec) ou féministe (que cherchent à formuler Micheline de Sève au Québec et Jill Vickers en Ontario, parmi d'autres). Le livre aurait en effet pu servir à amener ces discours, trop souvent confinés aux débats universitaires, dans l'arène publique. Toutefois, force nous est de constater que plus ça change, plus c'est pareil. Une tentative courageuse de relance d'un projet fédéraliste, mais qui laisse généralement à désirer, du moins sur le plan de la rigueur de la pensée et de l'innovation.