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Quelle formation pour l'éducation à la citoyenneté?

Published online by Cambridge University Press:  18 December 2006

Pierre Willan
Affiliation:
Université d'Ottawa
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Quelle formation pour l'éducation à la citoyenneté?, Sous la direction de Fernand Ouellet, Québec : Les Presses de l'Université Laval, 2004, 246 pages.

Face à la baisse du taux de participation aux élections et à l'accentuation du pluralisme dans un monde où les frontières sont de moins en moins étanches, le gouvernement québécois a institué des réformes ayant comme objectif d'inclure au curriculum une éducation à la citoyenneté. Différents penseurs s'interrogent sur le rôle des enseignants et sur la formation nécessaire en vue de cet enseignement. Quelle formation pour l'éducation à la citoyenneté, sous la direction de Fernand Ouellet, est le produit de ces préoccupations.

Type
BOOK REVIEWS
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© 2006 Cambridge University Press

Face à la baisse du taux de participation aux élections et à l'accentuation du pluralisme dans un monde où les frontières sont de moins en moins étanches, le gouvernement québécois a institué des réformes ayant comme objectif d'inclure au curriculum une éducation à la citoyenneté. Différents penseurs s'interrogent sur le rôle des enseignants et sur la formation nécessaire en vue de cet enseignement. Quelle formation pour l'éducation à la citoyenneté, sous la direction de Fernand Ouellet, est le produit de ces préoccupations.

L'ouvrage soutient qu'il faut améliorer les programmes. S'il fixe des objectifs pour l'éducation à la citoyenneté, le ministère ne propose pas de pédagogie claire, et ne définit pas ce qu'est la citoyenneté, bien que le concept se prête à diverses interprétations. Les maîtres jouent pourtant un rôle fondamental et doivent être mieux formés à cet enseignement. L'ouvrage propose des pistes de réflexion, tant sur les programmes que sur la formation des maîtres. Il est divisé en trois parties, la première portant sur les programmes, la seconde, sur l'aspect théorique de la formation et la troisième, sur son aspect pratique.

La première partie est un regard critique sur les orientations québécoises quant à l'éducation à la citoyenneté et sur les programmes proposés. Il y a indéniablement des lacunes, notamment en ce qui concerne les définitions de la citoyenneté et les techniques d'enseignement, mais l'ouvrage accorde une place à différentes perspectives. Luc Guay et France Jutras soulignent d'abord l'importance des enseignants. Ils examinent l'enseignement de l'histoire, matière à laquelle les programmes québécois associent l'éducation à la citoyenneté. L'ajout de la citoyenneté au programme suscite certaines inquiétudes—contraintes de temps et besoins de formation, par exemple. Cependant, les auteurs sont d'avis que cette initiative arrive à point et concluent que son succès repose sur l'audace et l'ingéniosité des enseignants.

Marie McAndrew accorde aussi une grande importance aux enseignants, et relève les carences des programmes actuels. Elle explique que l'État n'a pas fixé les balises de la citoyenneté dans les programmes. L'ambiguïté pose problème, puisqu'on évacue certains débats de société, comme l'équilibre entre les valeurs communes et le pluralisme. Cette situation peut engendrer la confusion et des interprétations de sens commun. En revanche, McAndrew admet que ces défauts peuvent peut-être se corriger par la pratique, mais que cela nécessitera une formation initiale et continue des enseignants.

Si les auteurs précédents accordent une grande importance aux enseignants, Michel Pagé s'intéresse, quant à lui, directement aux programmes. Il les voit sous un jour assez positif et considère qu'ils sont conçus dans l'esprit de la neutralité de l'école. Il souligne cependant qu'il faut développer les compétences nécessaires pour la participation en démocratie. Pagé affirme que les programmes doivent être explicites quant aux attentes, qu'ils doivent promouvoir la civilité et établir ce qui est attendu du citoyen. L'important, c'est de préparer les étudiants à vivre dans une société pluraliste.

David Lefrançois revient sur l'absence d'une conception claire de la citoyenneté. Il affirme qu'un curriculum caché ne suffit pas, que l'instruction civique doit avancer une définition de la citoyenneté et définir une pédagogie qui encadre cet enseignement. Comme solution, il propose la théorie de la démocratie délibérative. Dépassant les conceptions libérale et républicaine, il conçoit la théorie délibérative inspirée d'Habermas comme étant essentiellement démocratique tout en tenant compte du pluralisme. Et il existe une pédagogie concrète qui permettrait de bien former les enseignants à son enseignement. Le texte de Lefrançois clôt la première partie et confirme qu'il existe différentes pistes de solution, sans en imposer aucune.

La deuxième partie de l'ouvrage, plus théorique, porte sur les défis de l'égalité et de la participation dans l'éducation à la citoyenneté. Les auteurs traitent du modèle théorique de formation qui permettrait d'atteindre les objectifs de l'éducation à la citoyenneté. Selon Fernand Ouellet, c'est l'apprentissage par la construction sociale. La clé est de favoriser le travail de groupe de façon structurée. Les enseignants doivent déléguer les responsabilités en s'assurant de tenir compte des différentes habiletés des individus afin de favoriser la participation de tous et de valoriser la contribution de chacun. Ce modèle de pédagogie coopérative nécessite, selon lui, une meilleure formation des enseignants, ce qui rejoint le diagnostic des auteurs de la première partie.

Sandra Regina Soares et Reinaldo Matias Fleuri traitent de l'expérience brésilienne. Rappelant que la citoyenneté n'est pas un concept univoque, Soares souligne l'importance pour le style d'enseignement du maître des modèles de société et des visions du monde, de la citoyenneté et de l'éducation auxquels il adhère. Elle démontre qu'un style favorisant l'apprentissage critique et stimulant le questionnement est associé à une conception non-conformiste de la citoyenneté brésilienne.

En abordant la création d'écoles démocratiques et populaires, Fleuri poursuit le rêve de Paulo Freire. Il faut dépasser la dynamique professeur-étudiant pour incorporer une vision d'ensemble de la place de l'école dans la communauté. L'auteur prône un processus pédagogique dialogique et inclusif. Les membres de la communauté sont invités à participer et la structure de pouvoir est remodelée de façon à encadrer les élèves au lieu de simplement les évaluer avec des chiffres. Fleuri démontre le succès de ce modèle par des exemples d'application.

Alors que la deuxième partie établit qu'il existe des approches théoriques propres à favoriser une éducation à la citoyenneté, la troisième partie de l'ouvrage porte directement sur les programmes de formation des maîtres. Rappelant l'absence d'une pédagogie établie pour l'éducation à la citoyenneté, Luc Vigneault propose l'enseignement de la philosophie socratique. Une telle pédagogie repose sur la pensée critique, mais aussi sur l'importance de la préservation de l'ordre public. Vigneault insiste sur l'importance de la pensée critique pour éviter l'endoctrinement.

Luc Guay et France Jutras examinent, quant à eux, le programme de l'Université de Sherbrooke, adapté en vue de l'éducation à la citoyenneté. Ils présentent la réforme des programmes comme une occasion pour les universités de trouver des approches novatrices qui, à Sherbrooke, incluent de nouvelles stratégies d'intervention et le développement de l'esprit critique. Ils soulignent aussi l'importance de la formation continue.

Enfin, Sylvie Courtine-Sinave montre l'importance de la construction de sens, l'éducation à la citoyenneté ne devant pas être considérée comme un objet neutre. Les maîtres en formation doivent prendre position face à l'éducation à la citoyenneté pour développer leur identité professionnelle. Sinave propose différentes techniques pour arriver à cette prise de position qui donne un sens à l'éducation à la citoyenneté pour des maîtres formés ainsi dans le respect de leur autonomie professionnelle.

C'est un ouvrage agréable à lire. L'argumentation est bien construite, le choix des textes est pertinent et bien équilibré entre la théorie et la pratique. Les auteurs abordent différents sujets liés à la question de la formation des maîtres en vue de l'éducation à la citoyenneté. Les trois parties de l'ouvrage ont aussi leur place respective, bien que la démarcation ne soit pas toujours évidente. Le texte est très accessible, mais s'adresse particulièrement au monde de l'éducation. Certains y trouveront des conseils pédagogiques, d'autres, une réflexion sur la place de la citoyenneté dans les programmes scolaires ou encore une analyse des différents défis que soulèvent les réformes en vue de l'éducation à la citoyenneté.

L'ouvrage tient compte de la réalité du débat sur la définition de la citoyenneté en présentant différentes perspectives sur son enseignement. Il ne tente pas de résoudre le débat, mais de démontrer la nécessité d'une meilleure formation pour les maîtres et d'une pédagogie claire; il montre aussi qu'il existe des pistes de solution tenant compte des réalités de la citoyenneté en société pluraliste. C'est sur ce point que l'argumentation et les exemples sont les plus convaincants.

L'ouvrage présente explicitement une certaine vision de la citoyenneté, bien qu'elle soit tempérée. Michèle Vatz-Laaroussi résume cette vision dans la postface en énonçant que l'important est d'aider les jeunes à construire une citoyenneté critique, ouverte et dynamique. Il ne pourrait y avoir de meilleur résumé de l'image de la citoyenneté qu'évoque cet ouvrage. Une pédagogie favorisant l'esprit critique est essentielle dans ce contexte. La vision proposée est pertinente dans le contexte d'une société pluraliste et démocratique. D'ailleurs, Lefrançois s'inspire de Habermas et Vigneault, de Socrate. De plus, la pédagogie proposée tient compte des objectifs de la réforme en vue de l'éducation à la citoyenneté. Cependant, cette vision peut-elle faire l'unanimité que l'on retrouve rarement au sujet de la citoyenneté ?

La place accordée à l'esprit critique est justifiable, mais ce n'est pas la seule vision possible d'une citoyenneté partagée par tous les Québécois. L'ouvrage s'inscrit clairement dans la lignée des tenants d'une citoyenneté dialogique et démocratique, où chaque individu peut trouver sa place. Le respect de la civilité et la participation en sont les principaux facteurs d'inclusion, mais sont-ils suffisants pour revaloriser la citoyenneté ?

Enfin, l'ouvrage rappelle la réalité indéniable du travail des maîtres qui doivent enseigner la citoyenneté. Les carences conceptuelles ne leur facilitent pas la tâche. Quelle formation pour l'éducation à la citoyenneté? tente de remédier à ces carences et est en ce sens une contribution pertinente. Toutefois, seule la pratique et le temps permettront d'évaluer le succès des programmes et des stratégies pédagogiques. Entre-temps, l'État voudra peut-être remédier aux défauts de ses programmes. Cet ouvrage sera utile pour soutenir la réflexion sur les solutions en vue d'une pédagogie claire permettant d'atteindre les objectifs de l'éducation à la citoyenneté.