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Penser global : Internationalisation et globalisation des sciences humaines et sociales Sous la direction de Michel Wieviorka, Laurent Lévi-Strauss, Gwenaëlle Lieppe Éditions de la Maison des Sciences de l'HommeParis, 2015, pp. 478

Published online by Cambridge University Press:  10 July 2019

Yves Laberge*
Affiliation:
Université d'Ottawa
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Abstract

Type
Book Review/Recension
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association (l'Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique 2019 

Globalisation, internationalisation, mais aussi mondialisation: ces termes souvent confondus indiquent déjà, dès le titre, le propos de cet énorme livre, méconnu au Canada. L’équipe de sociologues français autour de Michel Wieviorka — avec Laurent Lévi-Strauss et Gwenaëlle Lieppe — a sollicité une trentaine de penseurs et chercheurs en sciences sociales — la moitié provenant de France — afin de réfléchir aux enjeux et conséquences de la mondialisation. Sociologue prolifique et universitaire éminent, autrefois rédacteur et directeur des prestigieux Cahiers internationaux de sociologie, Michel Wieviorka avait souvent abordé les questions touchant la mondialisation, notamment dans son excellent livre intitulé Neuf leçons de sociologie.

Six des chapitres de Penser global sont publiés en anglais — certains autres ont été traduits vers le français — le propos ne se limitera donc pas aux perspectives européennes. L'ensemble des sept parties semblera inévitablement hétéroclite, et la première partie semblera peut-être plus décevante. Certains textes — comme ceux de Yuan Tseh Lee et d'Alain Touraine — n'ayant même pas de notes en bas de page ni de références bibliographiques. Mais retenons pour ici seulement certaines des contributions les plus inspirées, c'est-à-dire celles qui, au-delà d'un questionnement sans pistes de réponses, fournissent déjà des avenues pour la réflexion ou d’utiles synthèses sectorielles. Voici quelques exemples, constats et prédictions glanés au fil des chapitres qui seront ici lourdement abrégés afin de respecter les limites de cette recension critique. Tous les problèmes évoqués ci-dessous résultent directement ou non d'un processus lié à la globalisation.

Observant en des termes historiques et sociologiques ce qu'il nomme la transition « De l'ère sociale à l’ère post-sociale », Alain Touraine décrit de diverses manières certaines des dynamiques combinées de globalisation et de modernisation, accompagnées de mutations quant à la sécularisation apparente de nos sociétés, en constatant d'inévitables retournements et contradictions apparentes, par exemple sur la place du religieux dans le nouvel espace public français: « Ne sommes-nous pas surpris d'entendre en France, quand on parle de religion, parler plus souvent de l'islam que du christianisme? » (58). Ailleurs, Alain Touraine prédit que désormais, « la place de l'Afrique, de plus en plus peuplée, va rapidement augmenter dans le monde »; mais, poursuit-il, « il est beaucoup plus difficile d'annoncer la formation dans ce continent de fragments de modernité, débordés ou détruits par des luttes tribales ou religieuses » (59).

Dans la deuxième partie, intitulée « Crises et utopies », Manuel Castells traite d'un thème important: « De la crise financière à la crise de légitimité: l’épuisement historique de la démocratie représentative ». Dans une série de six remarques, il conclut que l'Europe traverse actuellement une triple crise: « sociale, politique et identitaire » (91). Selon lui, cette situation résulterait du « constat qu'il n'existe pas en Europe d'identité commune » (90). Autrement dit, si l'identité européenne a été fabriquée, elle n'est pas pour autant devenue une réalité vécue au quotidien.

Si plusieurs contributions de la quatrième partie abordent la question de la santé mondiale et de ce que le Dr. Jean-Daniel Rainhorn nomme le « cannibalisme médical » (220), l'exposé de ce médecin suisse oppose intelligemment de nouvelles pratiques internationalisées comme le tourisme médical et, inversement, la multiplication des cas de ventes d'organes ou de location des utérus de citoyen(ne)s des pays pauvres au profit de ceux (et celles) des pays favorisés (220), phénomène auquel il faut ajouter l'exode des cerveaux des pays défavorisés vers les pays les plus riches (229). Ce texte du Dr. Jean-Daniel Rainhorn sur les nouvelles formes d'appauvrissement causées par la mondialisation est possiblement le plus original de tout ce collectif.

Passons (trop) rapidement sur les cinquième et sixième parties pour retenir les dernières pages, lumineuses, du sociologue Edgar Morin, regroupées dans la septième partie sous le thème « Au-delà du réductionnisme et du holisme: la complexité du global ». Dans un exposé concis mais fulgurant, l'auteur de La Méthode écrit que « La relation entre le tout et les parties est au cœur de problème global » (441). Dans une synthèse remarquable, alliant clarté et richesse, Edgar Morin précise que

Quand on considère l'histoire de notre mondialisation, de notre globalisation, on peut constater que celle-ci n'est pas née et n'a pas produit d'elle-même ni introduit les différentes parties qui la constituent; ce sont les interactions entre les parties, notamment à partir de l'essor des pays européens, maritimes, aux XVe et XVIe siècles, qui ont créé l’«époque planétaire», c'est-à-dire la mondialisation. (442)

Cet exposé final d'Edgar Morin a le mérite de résumer et d'expliquer brillamment ce qu'est la mondialisation sans rester en superficialité. La retranscription d'extraits du débat final entre plusieurs des intervenants de cette rencontre permet de trouver quelques remarques pertinentes d'Edgar Morin, par exemple sur le rôle déterminant de la philosophie et de la réflexivité pour bien comprendre la mondialisation (453).

Le collectif Penser global : Internationalisation et globalisation des sciences humaines et sociales propose une abondance d'idées et d'hypothèses sur un sujet incernable et mal défini. Les ouvrages de ce type dans notre langue sont relativement rares; son point fort est d'axer la réflexion sur des dimensions théoriques et non sur des études de cas, des comparaisons entre nations ou des statistiques. Ce sont principalement les thésards en relations internationales et en sociologie de la mondialisation qui pourront tirer profit de cet ouvrage, car ils trouveront des avenues originales et des ramifications souvent inattendues, mais rigoureuses, autour du thème de la globalisation. Mais surtout, c'est en insérant des dimensions culturelles (453), religieuses ou historiques que ces études qui osent l'interdisciplinarité pourront peut-être élargir les horizons des universitaires, en particulier des politicologues et des chercheurs en relations internationales, autour de la mondialisation.