Hostname: page-component-7b9c58cd5d-v2ckm Total loading time: 0 Render date: 2025-03-16T13:03:00.175Z Has data issue: false hasContentIssue false

Parole d'historiens. Anthologie des réflexions sur l'histoire au Québec

Published online by Cambridge University Press:  07 March 2008

Isabelle Perreault
Affiliation:
Université d'Ottawa
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Extract

Parole d'historiens. Anthologie des réflexions sur l'histoire au Québec, Éric Bédard et Julien Goyette (dirs), Les Presses de l'Université de Montréal, 2006, 492 pages.

Cette anthologie de réflexions sur la pratique historienne au Québec est issue du désir de faire connaître les essais, les bilans et les réflexions théoriques sur l'historiographie au Québec depuis le dix-huitième siècle. Deux historiens québécois, Éric Bédard et Julien Goyette, en sont les tributaires. Par ce projet de publication de textes d'historiens de chez nous s'échelonnant sur près de trois siècles, les présentateurs de l'ouvrage voulaient aussi faire réfléchir sur la théorie et la pratique historique actuelle. Comme le souligne Bédard dans l'introduction de l'ouvrage, il s'agit de “nourrir [les] réflexions sur l'écriture de l'histoire au Québec et les finalités de la recherche” (11). En outre, bien que la discipline historique soit traditionnellement rattachée au domaine des Arts et Lettres, les historiens se sont toujours interrogés sur l'histoire en tant que discipline des sciences humaines et ils ont tenté de répondre aux grandes questions sur le sens et le rôle de l'histoire. L'histoire est-elle une science ou un grand récit ? L'historien doit-il être attentif aux enjeux présents ou tenter d'en faire abstraction ? L'historien est-il un chercheur en quête de vérité ou un critique des grands mythes de la nation ? Ces questions, et bien d'autres, se retrouvent dans les textes des historiens réunis dans cette anthologie.

Type
REVIEWS / RECENSIONS
Copyright
© 2008 Canadian Political Science Association

Cette anthologie de réflexions sur la pratique historienne au Québec est issue du désir de faire connaître les essais, les bilans et les réflexions théoriques sur l'historiographie au Québec depuis le dix-huitième siècle. Deux historiens québécois, Éric Bédard et Julien Goyette, en sont les tributaires. Par ce projet de publication de textes d'historiens de chez nous s'échelonnant sur près de trois siècles, les présentateurs de l'ouvrage voulaient aussi faire réfléchir sur la théorie et la pratique historique actuelle. Comme le souligne Bédard dans l'introduction de l'ouvrage, il s'agit de “nourrir [les] réflexions sur l'écriture de l'histoire au Québec et les finalités de la recherche” (11). En outre, bien que la discipline historique soit traditionnellement rattachée au domaine des Arts et Lettres, les historiens se sont toujours interrogés sur l'histoire en tant que discipline des sciences humaines et ils ont tenté de répondre aux grandes questions sur le sens et le rôle de l'histoire. L'histoire est-elle une science ou un grand récit ? L'historien doit-il être attentif aux enjeux présents ou tenter d'en faire abstraction ? L'historien est-il un chercheur en quête de vérité ou un critique des grands mythes de la nation ? Ces questions, et bien d'autres, se retrouvent dans les textes des historiens réunis dans cette anthologie.

Dès le départ, Bédard et Goyette nous avertissent que le choix des textes est arbitraire, mais qu'il s'est imposé de lui-même. Le choix des deux historiens nous fait (re)découvrir des classiques de l'historiographie québécoise et ouvre la voie au lecteur curieux d'en apprendre davantage grâce à une bonne bibliographie et à des notes biographiques des auteurs des textes choisis. La série de 48 textes est divisée en quatre parties plus ou moins chronologiques : Le temps des Anciens (1744 à 1960); Le moment de la modernisation (1943–1992); L'ère moderniste (1981–1991) et Le paradigme de l'éclatement (1973–2000).

Si la première partie, celle des Anciens, rassemble 19 textes d'historiens dits amateurs et influencés par le positivisme du dix-neuvième siècle, les trois parties suivantes reproduisent des textes d'historiens professionnels, c'est-à-dire de chercheurs détenant un diplôme universitaire de troisième cycle. Chez les Anciens, on retrouve des essais, surtout en préface d'ouvrages, sur le but de l'histoire nationale ou de la fonction politique et sociale de l'histoire. Retenons quelques auteurs classiques tels que Thomas Chapais, Robert Rumilly, François-Xavier Garneau et Lionel Groulx, hommes de lettres du clergé ou de professions libérales qui ont versé dans le type d'histoire linéaire et politique, comme la célèbre Histoire du Canada (1845) de François-Xavier Garneau. Ce type d'histoire, qu'on appelle aujourd'hui “traditionnelle”, se veut plus descriptif et se concentre généralement sur les grands personnages de l'époque et sur l'histoire nationale au temps de la Nouvelle-France et du Régime britannique.

Durant la Seconde Guerre mondiale apparaît une nouvelle génération d'historiens, celle des historiens professionnels, marquée peu après par la fondation de l'Institut d'histoire de l'Amérique française par l'abbé Groulx (1947). Avec la poussée démographique et la modernisation de la société, ces historiens investissent les universités du Québec et forment deux Écoles historiques bien connues dans l'historiographie, celle de Montréal et celle de Québec, comptant dans leurs rangs des historiens comme Frégault, Trudel, Brunet, Ouellet et Hamelin. Si les deux Écoles historiques s'opposent sur les causes structurelles ayant nuit au progrès du Québec, tous veulent désormais montrer la modernisation du Québec en cours. Les sujets d'étude privilégiés demeurent toutefois, comme chez les Anciens, la Nouvelle-France et le Régime britannique. Véritables adeptes des nouvelles façons de faire en histoire – et la plupart du temps formés à l'étranger – ces historiens embrassent l'histoire structurelle et la longue durée si chère à Braudel. Ils croient que l'histoire est une véritable science sociale qui se doit d'avoir pour base une méthodologie scientifique qui nous rapproche le plus possible d'un passé réaliste. Les 12 textes de cette partie participent à la volonté de faire de la discipline historique une science sociale crédible grâce à une méthode rigoureuse.

Durant les années 1980, une deuxième génération d'historiens professionnels, comptant maintenant des historiennes, arrive dans les universités. Celle-ci a été formée dans les universités de chez nous, grâce à la création des Universités du Québec, notamment, et à la démocratisation de l'enseignement supérieur dans les années 1960. Tenants de l'histoire sociale, influencés par le courant historiographique critique de l'histoire “traditionnelle”, ces historiens et historiennes s'intéressent à des sujets plus contemporains et à des objets nouveaux, soit les ouvriers, les femmes, les ethnies, les immigrants. Si leurs prédécesseurs s'attardaient plus à décrire et à analyser le parcours des Canadiens et des Québécois, les historiens de cette période s'intéressent davantage aux caractéristiques de la population. Ce faisant, ils cherchent à intégrer les Québécois dans un processus d'industrialisation et d'urbanisation qui bouleverse les rapports sociaux, comme partout en Occident durant l'époque contemporaine. Pensons, entre autres, aux ouvrages portant sur le Québec contemporain, de Linteau, Robert et Durocher, sur les femmes, du collectif Clio, et sur les paysans, de Bouchard. Ce sont d'ailleurs des essais et bilans de la plume d'historiens et d'historiennes comme Micheline Dumont, P.-A. Linteau, Gérard Bouchard et Nadia Fahmy-Eid qui sont au cœur des sept textes choisis pour cette troisième partie.

Chevauchant les deux générations d'historiens précédentes, certains historiens critiquent l'historiographie de type “moderniste”. La dernière partie de l'ouvrage regroupe dix textes critiques de l'histoire associés à ce qu'on appelle le courant révisionniste et le courant postmoderne. Dans le premier cas, nous pensons notamment au débat, durant les années 1990, autour des essais de Ronald Rudin, débat présenté ici par un texte de Rudin et de J.-M. Fecteau. Quant au deuxième courant, des auteurs comme Pierre Trépanier ou Jocelyn Létourneau se sont penchés sur les bases méthodologiques mêmes de l'histoire comme science sociale et s'ils posent encore la question de l'objectivité, de la vérité et du sens de l'histoire, ils s'intéressent aussi à la forme et à la narration en histoire. Souvent proche de la philosophie et de la littérature, cette catégorie d'historiens signe les derniers textes de l'anthologie sous le thème de l'éclatement des sujets et des méthodes.

Alors que Bédard présente les textes choisis pour cette anthologie, Goyette conclut l'ouvrage par un essai intitulé : “Saisir l'historiographie dans sa dynamique historique”. Goyette revoit dans son texte les thèmes les plus marquants de l'histoire au Québec : la nature et la fonction sociale de l'historien, le style narratif et l'enseignement. De plus, il revient et réfléchit sur les enjeux épistémologiques si chers aux historiens, la vérité, l'objectivité, la confrontation des interprétations, la mémoire, la narration, l'explication et les méthodes. Entre les tenants inconditionnels de l'histoire en tant que science et les relativistes radicaux, Goyette tranche. L'histoire se retrouve, ou doit se retrouver à mi-chemin de ces deux positions, une discipline qui évolue au rythme de nécessaires conflits d'interprétation, où l'on sent la présence de l'historien derrière les mots, mais aussi où l'on décèle une volonté d'objectivisme cherchant à faire voir du mieux possible une réalité passée. Comme le dit Goyette, cette anthologie constitue un hommage aux “historiens québécois qui […] ont osé offrir une œuvre en sacrifice au temps” (463).

Cette anthologie s'adresse à un public féru d'histoire, et surtout d'histoire de l'histoire. Les enseignants de la réforme au secondaire au Québec y trouveront la matière pour vulgariser les positions et interprétations des grands historiens du Québec. Les professeurs et les étudiants et étudiantes en histoire du Québec seront particulièrement intéressés par cette anthologie qui regroupe des grands classiques de l'historiographie québécoise. Enfin, les épistémologues et théoriciens qui travaillent sur les enjeux de mémoire y trouveront aussi leur compte. Ce type d'anthologie, qui rassemble les textes d'éminents auteurs et auteures du passé québécois, était nécessaire. Nous nous rappelons également le recueil sur la pensée féministe au Québec publié sous la direction de Micheline Dumont et de Louise Toupin (2003) et souhaitons voir naître d'autres initiatives du genre, sur l'histoire ou sur d'autres disciplines.