Le court ouvrage de Godbout, Fortin, Arseneau et St-Cerny (2007) intitulé «Oser choisir maintenant : Des pistes de solution pour protéger les services publics et assurer l'équité entre les générations» s'inscrit dans la lignée directe du débat ayant suivi la publication du Manifeste pour un Québec lucide et du Manifeste pour un Québec solidaire. Il aborde clairement, mais sans alarmisme, la question du choc démographique auquel devra bientôt faire face la société québécoise.
Ce livre se veut le résultat d'une analyse technique simple, mais méthodologiquement très efficace, visant à rendre compte de l'état actuel des finances publiques et à présenter un modèle réaliste de leur évolution. Le livre est d'ailleurs paru un an après la publication d'un collectif dirigé par Luc GodboutFootnote 1 qui aborde les mêmes thèmes. Le collectif était néanmoins un ouvrage visant à donner la parole à certains des auteurs des deux manifestes ainsi qu'à plusieurs spécialistes des questions discutées, afin de «convertir» les idées et les constats des manifestes en politiques publiques.
Le livre recensé, quant à lui, constitue plutôt une analyse technique de l'incidence prévue du choc démographique appréhendé sur les finances publiques et il se concentre sur les recettes fiscales et les dépenses de programme. Il est divisé en trois parties.
La première partie, intitulée «Un changement démographique important», décortique les principaux indicateurs démographiques et économiques et analyse leurs tendances futures. Le chapitre premier propose une analyse purement démographique, riche en statistiques de toutes sortes. On ne peut que constater l'inexorabilité du vieillissement de la population québécoise et l'incapacité de l'immigration de renverser cette tendance. Le second chapitre analyse l'influence des changements démographiques sur les finances publiques. Sans surprise, on y constate la pression à la hausse sur les dépenses en santé et la pression à la baisse sur les revenus autonomes, même en tenant compte des revenus futurs tirés de l'imposition des régimes de retraite. Il est à noter que le second chapitre reprend l'intéressante analyse de Mario Albert incluse dans l'ouvrage collectif précité, où est décortiqué l'indice du PIB en sous-indicateurs (productivité horaire, heures travaillées, taux d'emploi, population en âge de travailler) permettant une meilleure compréhension de l'incidence sur les revenus autonomes des gouvernements et sur les solutions possibles. La deuxième partie, intitulée «Une impasse budgétaire appréhendée», propose un modèle de projection de l'état des finances publiques à l'horizon 2051. Le troisième chapitre est probablement celui dont le ton diffère le plus du reste de l'ouvrage. En effet, les auteurs y présentent une captivante discussion sur la notion d'équité intergénérationnelle, faisant référence aux travaux de plusieurs auteurs. Ils abordent également la «comptabilité intergénérationnelle», un outil théorique visant à tenir compte, dans l'analyse, des fardeaux fiscaux des générations passées, présentes et futures.
Les quatrième, cinquième et sixième chapitres constituent en quelque sorte le cœur de l'ouvrage. Ils décrivent le modèle de projection financière (appelé «scénario de référence»), qui est à la base du diagnostic et de l'identification des pistes de solution. Le quatrième chapitre présente les hypothèses de croissance des divers indicateurs sur un horizon de 45 ans (2006–2051) : les variables économiques (population, emploi, productivité, inflation, PIB et autres), les dépenses publiques (santé, éducation, services de garde, service de la dette et autres) et les recettes fiscales (revenus autonomes, transferts fédéraux et régimes de retraite). Le cinquième chapitre constitue la «résolution» du modèle, à partir des hypothèses du chapitre précédent. On y apprend que, si ces dernières se réalisent, le déficit annuel projeté en 2051 sera de plus de 54 milliards de dollars, soit 4,5 pour cent du PIB projeté. Le constat principal du sixième chapitre est la forte sensibilité du modèle à des variations de la valeur de certains indicateurs, tels que les dépenses en santé, le taux de productivité et les «autres» dépenses de programme (qui ne relèvent pas de la santé, de l'éducation ou des services de garde).
La troisième partie, intitulée «Un besoin d'agir», est la plus intéressante du point de vue des politiques publiques. En effet, c'est dans ces chapitres que l'on détaille les pistes de solution à l'impasse budgétaire, ainsi que le promet le titre de l'ouvrage. Le septième chapitre aborde la question dans une perspective purement mathématique. L'on y propose trois solutions simples au problème : s'endetter (ce qui est évidemment impossible vu l'ampleur des déficits successifs), réduire les dépenses et les services publics ou augmenter les revenus. Pour ces deux dernières options, les auteurs proposent deux stratégies : l'une dite «myope», où l'on rajuste les dépenses ou les revenus chaque année; et l'autre dite «clairvoyante», où l'on se fie aux projections afin d'effectuer un certain «lissage» des rajustements pour que la génération actuelle supporte un fardeau financier similaire à celui qu'auront à porter les générations futures. Les auteurs semblent privilégier l'idée d'augmenter les recettes fiscales de façon clairvoyante, c'est-à-dire en augmentant les revenus maintenant, de façon modérée, en prévision des déficits futurs, un peu à la manière dont fonctionne déjà le Fonds des générations. Le huitième chapitre décrit un certain nombre de stratégies «actives» (par rapport à celles du septième chapitre, que les auteurs qualifient de «passives») afin de réduire l'incidence négative du vieillissement de la population. Ces stratégies sont de plusieurs ordres : démographique (promouvoir l'immigration, favoriser la natalité), économique (augmenter le taux d'activité des travailleurs âgés, maximiser la productivité), politico-fiscal (réorganiser la santé, négocier des transferts fédéraux, tarifer les services, réduire l'importance du service de la dette, combattre l'évasion fiscale, investir plus que prévu dans le Fonds des générations). Si ces stratégies apparaissent, à première vue, intéressantes, il eût été pertinent de les expliciter un peu plus. En effet, le huitième chapitre semble manquer de profondeur à certains égards, notamment en ce qui concerne la question des transferts fédéraux et de la tarification des services publiques. Ceci est d'autant plus déplorable du fait qu'une analyse approfondie de ces thèmes a été effectuée dans le collectif mentionné plus haut. Le chapitre (comme l'ouvrage tout entier) aurait gagné en pertinence en y faisant référence.
En conclusion, l'ouvrage recensé constitue une démonstration claire de l'incidence du choc démographique sur les finances publiques et, par extension, sur la qualité de vie des générations futures. S'il est impossible de savoir maintenant si les hypothèses de calcul se vérifieront, il est néanmoins important de souligner que la robustesse apparente et la transparence de la méthodologie incitent à l'optimisme. En effet, en décortiquant autant que faire se peut tous les indices les plus importants et en proposant des hypothèses de croissance réalistes, tout semble indiquer que les calculs ont été faits sur une base saine. En somme, par sa démonstration mathématique de l'impasse financière vers laquelle se dirige tout droit le Québec, l'ouvrage est un outil pertinent pour la compréhension de l'ampleur et de la nature de l'imminent choc démographique et fiscal. Il déçoit néanmoins au chapitre des solutions proposées, ce qui est d'autant plus navrant lorsqu'on considère son titre.