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Marianne et les colonies. Une introduction à l'histoire coloniale de la France, Gilles Manceron, Ligue des droits de l'Homme, Coll. La Découverte Poche, 2003, 318 pages.

Published online by Cambridge University Press:  30 June 2008

Jean Eugène Havel
Affiliation:
Université Laurentienne
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Abstract

Type
RECENSIONS / REVIEWS
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association 2008

Par l'histoire coloniale et politique, l'auteur cherche à faire comprendre pourquoi les citoyens français, dont les représentants avaient voté la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en 1789, ont eux-mêmes ratifié, par la loi référendaire du 13 avril 1962, l'amnistie pour les nombreux crimes commis dans les colonies françaises.

Pendant cinq siècles, l'Occident a colonisé et asservi des peuples. En 1642, Louis XIII encouragea l'esclavage pour la culture des plantes tropicales. Colbert organisa la traite négrière et prépara le Code noir, promulgué en 1724 par Louis XV. L'esclave est dans les chaînes, marqué au visage de la fleur de lys et fouetté. S'il tente de s'enfuir et qu'il est repris, on lui coupe les oreilles; la seconde fois, on lui coupe les jarrets et la troisième fois, c'est la mort. Du Tertre ou Bossuet voient dans l'esclavage un moyen de hâter les conversions. Mais les Dominicains espagnols Bartolemo de Las Casas et Francisco de Vitoria se dressent contre la colonisation et l'esclavage mettre plusieurs ne tardent pas à les suivre : Edmund Burke, Fénelon, Marivaux, Rousseau, Montesquieu, Voltaire, Diderot et les encyclopédistes, puis de Condorcet, Olympe de Gouge et d'autres.

L'article premier de la Déclaration votée en 1789 se lit comme suit : «Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit…». Pour les planteurs, c'était inacceptable. Le 15 mai 1791, sous la pression du Club de l'Hôtel de Massis, Louis XVI mit son veto au projet de loi interdisant l'esclavage. La Convention l'abolira sans indemnité le 4 février 1794, mais depuis 1791, elle n'était plus maîtresse de la situation face à l'insurrection à Sainte-Domingue.

Napoléon finit par envoyer Richepense et 3 600 hommes qui massacrèrent plus de 10 000 personnes à Pointe-à-Pitre et rétablirent l'esclavage à la Guadeloupe; et le général Leclerc avec 23 000 hommes à Saint-Domingue, où il mourut. Rochambeau, son remplaçant, aidé de 1 500 chiens bouledogues, massacra lui aussi, mais il fût finalement vaincu par Jacques Dessalines qui proclama la République de Haïti en 1804. Cependant en France, même Napoléon employait des esclaves écrir par example, pour la construction de la route d'Ajaccio au col de Vizzuvona, et il poursuivait les abolitionnistes. Le 25 mars 1807, l'Angleterre interdit la traite à ses navires. Devant la menace, le prix de l'esclave augmenta au bénéfice des négriers.

En 1848, Victor Schoelcher obtint du gouvernement de la Seconde République l'abolition de l'esclavage. Les planteurs étaient indemnisés et l'esclavage continua en Afrique (et en Asie) par «droit de conquête» des «civilisés» sur les «barbares». La République poursuivait la colonisation de l'Algérie commencée par Charles X et Louis-Philippe. L'auteur remarque que les militaires qui ont massacré outremer pourront, tel Bugeaud à Paris en 1834, faire de même en France. Et déjà sous la Seconde République, les gens croient que «Les barbares ne sont pas des hommes» et que «La conservation des colonies est nécessaire à la grandeur de la France» (97).

Napoléon III s'est emparé de Mayotte, de Tahiti, des Îles Marquise, de la Nouvelle-Calédonie, de la Cochinchine et du Cambodge. Il a pénétré dans le Sénégal et tenté de soumettre le Mexique. La Troisième République continue l'expansion coloniale. Le 27 mars 1884, le président du conseil, Jules Ferry, déclare en chambre : «Si nous avons le droit d'aller chez ces barbares, c'est parce que nous avons le droit de les civiliser… Il faut non pas les traiter en égaux, mais se placer au point de vue d'une race supérieure qui conquiert» (102). Madagascar et le Tonkin sont envahis. L'opposition se scandalise que les troupes coloniales ne font pas de prisonniers. Plus tard, Vichy, Jean-Marie Le Pen et même des socialistes comme Guy Mollet ou Jules Moch affirment que les peuples «barbares» n'ont pas de droit.

À partir de 1877, ce fût par le rire que les colonialistes s'attaquèrent à leurs adversaires. Livres et chansons diffusaient la notion d'inégalité des races. Des «spectacles exotiques» nombreux de «sauvages» et d'«anthropophages» amusaient le public. Le professeur Le Fur donna aux colonies la définition de «territoires sans maître» puisque vides ou juste peuplés de quelques «sauvages». À la conférence de Berlin de novembre 1884 à février 1885, la plupart des états européens ainsi que les États-Unis décidèrent, en l'absence de tout Africain, du sort de l'Afrique.

De 1900 à 1945, les troupes coloniales françaises poursuivent de longues guerres et affrontent des révoltes qui deviendront des guerres de libération. Mais les autorités et les auteurs ne parlent que de «pacification» et ne donnent jamais les noms des peuples qui combattent. Les troupes de la République ne sont pas celles du contingent qui pourraient parler un peu trop dans la métropole, mais des soldats indigènes en majorité africains : esclaves rachetés, prisonniers, hommes razziés, même des engagés libres. Il y a des désertions massives, des attaques pour libérer les recrues. Les prisonniers qui ne sont pas récupérés sont fusillés; les vaincus sont «regroupés» entre des barbelés, à moins d'avoir été massacrés. On impose aux populations paisibles des expropriations massives, des prestations non payées, voire l'esclavage en des «villages de liberté». Il y a torture, viol, pillage, terres brûlée.

Ces réalités sont cachées en métropole. L'école y est muette. Ceux qui savent se taisent. Le lobby colonial parvient à choisir cinq des sept ministres des colonies de la Troisième République. Les manuels scolaires vantent «le rôle civilisateur de la France» (210), les richesses indispensables, «la grandeur de la patrie» (214). L'on rit du «parler petit nègre», des grimaces de «Chocolat». Quelques individus rares s'opposent encore à la violence coloniale : Proudhon, Jules Guesde, Jean Jaurès, Gustave Hervieu, Paul Vigné, Clémenceau, Anatole France, Victor Segalen, Isabelle Eberhardt, Félicien Challaye, le parti communiste à partir de 1922, Marc Casati… Des organisations de colonisés se forment.

Une loi de juin 2001 déclare que l'esclavage et la traite sont des crimes contre l'humanité et exige que «les programmes d'histoire et les manuels scolaires devront leur accorder la place conséquente qu'ils méritent…» (274). Mais à partir de 1983, racisme et colonialisme ont repris. Fernand Braudel note que l'immigration cause à la France une «sorte de problème colonial» (287).

L'auteur énumère des crimes contre l'humanité : la destruction des Héréros par von Trotha en 1904, les massacres dans les colonies britanniques ou belges, les noyades au Cap Haïtien, les «enfumades», le massacre des Hovas et d'autres peuples, et ainsi de suite. Il demande que les historiens et les politiciens montrent et condamnent la colonisation et luttent contre le racisme. Pour lui, il faut réinventer une «identité française» basée sur les droits de l'homme (313). Son livre est parfois d'une lecture difficile à cause du sujet même, mais il est remarquablement documenté. Il dévoile de nombreux aspects peu connus à la fois chez les écrivains politiques et chez les politiciens. Il montre une voie pour rétablir la dignité humaine.