Dans cet essai remarquable, l'ex-coordonnateur du Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), François Saillant, introduit les lecteurs et les lectrices à douze luttes pour le droit au logement qui se sont déroulées au Québec sur une période de sept décennies (1946–2017). Ces luttes se distinguent tant par les années que par les villes où elles se sont déroulées (de Montréal à Québec en passant par Châteauguay, Hull et Val-David), mais elles demeurent toutefois liées par quelques fils rouges qui donnent à l'ensemble de l'ouvrage sa force et sa cohérence.
Nous pouvons d'abord noter que les différentes luttes analysées par Saillant ont toutes requis énormément d’énergie et de patience de la part des personnes qui s'y sont impliquées. Bien que les raisons menant à des mobilisations pour le droit au logement varient (une pénurie de logements, la démolition d'un ou de plusieurs immeubles pour construire des condominiums sur les sites ou pour mener différents projets de rénovation urbaine, ou encore la gentrification d'un quartier, parmi d'autres exemples), ces mêmes mobilisations rencontrent des obstacles similaires : contre-offensives ou tentatives de déstabilisation menées par des promoteurs immobiliers (37) ou des groupes de propriétaires (119), lenteur ou réticence des autorités publiques à prendre en compte les revendications portées par les mouvements de résistance populaire (112-3), harcèlement administratif et policier (142), et ainsi de suite.
Face à ces obstacles, un autre point commun des douze luttes étudiées dans l'ouvrage est l'inventivité des personnes et des organisations qui s'y sont impliquées et qui ont constamment dû renouveler leur répertoire d'actions afin de s'adapter au contexte et de permettre à leur mobilisation de se maintenir dans la durée. Parmi les tactiques mobilisées par ces douze luttes, quelques-unes se situent sur le terrain juridique (poursuites intentées contre les administrations municipales concernées, recours en diminution de loyer à la Régie du logement), d'autres permettent de donner plus de visibilité au mouvement, tout en renforçant la crédibilité de ses revendications dans l'espace public (manifestations, pétitions, conférences de presse, tenue d'une consultation publique, présentation de projets d'aménagement alternatifs, expositions), tandis que certaines tactiques supposent d'enfreindre la loi (squats, occupations barricadées). Ces tactiques correspondent à différentes stratégies, certaines étant axées davantage sur la confrontation tandis que d'autres impliquent plutôt de collaborer avec les autorités publiques. La plupart des luttes analysées par Saillant ont misé sur un équilibre dynamique entre la confrontation et la collaboration, la première stratégie permettant souvent d'ouvrir la voie à la seconde. L'importance des alliances est un autre élément souligné à de nombreuses reprises dans l'essai, ces dernières ayant permis aux différentes luttes étudiées par Saillant de montrer l'appui dont elles disposaient dans leurs villes et communautés respectives, tout en facilitant la coordination des nombreuses tâches qui doivent être remplies pour assurer la réussite d'une mobilisation populaire.
Une autre idée forte qui traverse cet essai est que les luttes pour le droit au logement, malgré les efforts constants qu'elles requièrent et les résultats souvent limités, voire décevants sur le court terme (comme dans le cas des occupations sur la rue Saint-Norbert et à l’îlot Overdale, ou encore des résistances contre la démolition de Guindonville à Val-David), ont un impact durable qui justifient de les mener. Ces luttes permettent effectivement d'influencer les politiques municipales, provinciales et fédérales (30-1; 55), de mener à la construction ou au maintien de logements sociaux et de coopératives d'habitation (45; 129) et de promouvoir dans l'espace public un discours axé autour de la défense du droit au logement et à la ville pour les milliers de personnes dont les besoins résidentiels ne sont pas comblés sur les marchés (144; 184), tout en servant de source d'inspiration pour d'autres mobilisations (83).
Plus largement, l'essai de Saillant nous permet de saisir, d'une manière à la fois riche et nuancée, la tension entre le logement défini comme un droit et le logement conçu comme une marchandise (202). Cette tension risque de s'accentuer dans le contexte économique contemporain, où l'augmentation de la valeur des propriétés immobilières joue un rôle de plus en plus important dans les stratégies d'accumulation des entreprises, du secteur financier et des ménages plus aisés. Comme l'indique le philosophe Christian Nadeau dans sa préface : « La hausse généralisée des prix des propriétés, maintenant bien installée au Québec, l'embourgeoisement et le développement de l'industrie des condos, la spéculation financière sur les prêts hypothécaires, tout cela amène à voir dans le logement d'abord une opportunité d'affaire au lieu d'une nécessité vitale » (10). Saillant souligne pour sa part, dans la conclusion de l'ouvrage, que des « changements systémiques profonds sont nécessaires pour permettre la pleine réalisation des droits au logement et à la ville » (203).
En définitive, cet ouvrage mérite une lecture attentive, tant pour l'analyse très bien documentée des douze luttes qui est offerte par Saillant que pour les leçons plus larges qui peuvent en être tirées. L'essai met bien en lumière le rôle joué par les mobilisations populaires dans la défense et l'extension des droits sociaux, ainsi que les stratégies et tactiques qui peuvent être adoptées par ces mêmes mobilisations pour faire entendre leurs revendications et pour obtenir différentes concessions.