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L'instrumentation de l'action publique Charlotte Halpern , Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès (dir.) Presses de Sciences Po, Paris, 2014, 520 pages

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L'instrumentation de l'action publique Charlotte Halpern , Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès (dir.) Presses de Sciences Po, Paris, 2014, 520 pages

Published online by Cambridge University Press:  16 December 2015

Louis-Alexandre Kirouac*
Affiliation:
École nationale d'administration publique (ÉNAP)
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Reviews/Recensions
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association (l'Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique 2015 

L'instrumentation de l'action publique marque la fin d'un programme de recherche étalé sur plus d'une décennie et fait suite à l'ouvrage Gouverner par les instruments, également dirigé par Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès et publié aux Presses de Sciences Po en 2004. Cet ouvrage a donc l'ambition de faire le bilan de ce programme de recherche mené au sein du Centre d’études européennes de Sciences Po. Il est notamment le fruit de nombreux articles et publications, mais les auteurs précisent que la majorité des chapitres proviennent de textes issus d'un colloque international tenu à Sciences Po en 2011.

Sur la forme, l'ouvrage est constitué de seize chapitres en excluant l'introduction et la conclusion. Cinq de ces chapitres sont rédigés en langue anglaise. Le livre est segmenté en trois parties distinctes, mais complémentaires qui permettent de voyager à travers les débats interdisciplinaires suscités par le programme de recherche, les apports et les limites de l'approche par les instruments en relation avec les autres travaux en science politique et finalement les perspectives empiriques par une nouvelle génération de chercheurs. Nous reprendrons donc ces mêmes trois parties par marque de déférence et pour simplifier le compte rendu.

Si les auteurs Lascoumes et Le Galès n'avaient pas l'objectif initial de créer une école distincte pour analyser les politiques publiques, il est essentiel de comprendre où se situent les recherches sur les instruments et l'instrumentation par rapport à la science politique ainsi qu'aux autres champs disciplinaires. À ce titre, le chapitre d'Aggeri et de Labatut délimite bien l'approche par les instruments en soulignant ses similarités et ses différences avec les outils de gestion, celui de McFall le fait avec les dispositifs du marché (market devices), tous deux issus de deux littératures différentes, alors que Benamouzig s'intéresse à la dimension cognitive de l'action publique. Les chapitres de Godard ainsi que ceux de Karsenky et de Blas s'intéressent aux instruments économiques où le premier utilise notamment les ordres de justification pour expliquer les échecs de l'instauration d'une taxe de carbone en France, alors que les seconds se penchent sur les paiements pour services environnementaux (PSE) qu'ils distinguent des instruments basés sur le marché.

La seconde partie est consacrée aux apports et limites des travaux sur les instruments et l'instrumentation et donne une grande importance au processus de théorisation qui s'est effectué tout au long du programme de recherche afin de saisir l'action publique par ses instruments. Sous la loupe socio-historique, Baudot explique comment les instruments s'expliquent bien dans une perspective historique, reliés entre eux au sein d'une configuration d'action publique des acteurs aux logiques différentes. À l'aide d'un exemple suisse étudié sur une longue période, Varone et Nahrats illustrent que la rencontre entre les instruments et les droits de propriété est inévitable dans certains domaines. Le chapitre de Page est le plus critique à l’égard de l'approche par les instruments car, selon lui, elle surestime la rationalité derrière le choix des instruments parmi une vaste gamme de possibilités. Howlett fait également cheminer la réflexion au regard de la conception des politiques publiques (policy design) en posant les questions fondamentales du quoi, qui, comment et pourquoi. En utilisant l'exemple des instruments de participation au sein de l'Union européenne, Saurugger démontre que le changement des instruments est dû à la combinaison complexe de facteurs à la fois exogènes et endogènes.

La troisième partie prouve que l'approche par les instruments semble se poursuivre à travers les recherches d'une nouvelle génération de chercheurs, qui en pousse l’étendue. C'est le cas du chapitre de Gensburger, qui étudie des instruments de nature symbolique en utilisant le cas des journées de commémoration nationale en France, ou encore Laurent, qui étend son application aux instruments de coopération internationale avec le cas des nanotechnologies. Ces nouveaux chercheurs font également ressortir le caractère à la fois structurant et souple des instruments. Ainsi, Lemoigne souligne le caractère structurant à long terme du recours aux marchés financiers pour le financement des déficits publics qui ont contribué à redéfinir l’État. Le caractère souple des instruments est illustré par trois auteurs : Barrault, qui en utilisant le cas des cartes scolaires révèle la variation des usages; Larimat, qui démontre la marge de manœuvre des acteurs quant à l'appropriation de l'instrument en utilisant le cas des pénitenciers et finalement Aguilera, qui prend le cas des squatteurs pour démontrer que la souplesse des instruments permet parfois l'innovation.

L'ouvrage dresse donc un portrait exhaustif de l'approche par les instruments allant des débats théoriques aux perspectives empiriques en soulignant également les débats qu'elle a suscités. Même s'il peut parfois paraître difficile d'opérationnaliser méthodologiquement l'instrumentation, la troisième partie démontre toutefois qu'il est possible d'en mesurer empiriquement les effets. Ainsi comme l'expliquent Halpern, Lascoumes et Le Galès dans leur chapitre introductif, s'il est possible de considérer les instruments comme des institutions et de les opérationnaliser en variables, l'instrumentation peut aussi, quant à elle, intervenir sous forme de variable intermédiaire comme étant l'un des mécanismes structurants au sein de la relation entre l'instrument et la recomposition de l'action publique. Le manque de dialogue entre les littératures anglophones et francophones se fait parfois ressentir, mais l'ouvrage reste une lecture incontournable pour tous ceux et celles qui s'intéressent aux politiques publiques et à l'organisation de l'action collective.